Après la dernière représentation  du cirque électoral

La Relève de la garde assure la continuité de la politique bourgeoise

(«le prolétaire»; N° 503; Mai - Juillet 2012)

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Les pompiers sociaux au gouvernement

 

La longue représentation du cirque électoral s’est enfin achevée, et elle s’est achevée sur le résultat prévu. La relève de la garde bourgeoise s’est effectuée en bon ordre, Sarkozy et la droite ont cédé la place à Hollande et l’alliance PS-Verts: les pompiers sociaux sont arrivés au gouvernement Ce n’est pas nous qui le disons, mais le fameux Alain Minc, «éminent conseiller» de Sarkozy. Dans un interview à un quotidien patronal, il a déclaré: «cette alternance est une bénédiction pour la société et une malédiction pour l’économie. Si Nicolas Sarkozy avait été réélu, le pays aurait été très difficile à gouverner. Cela aurait engendré une frustration terrible dans une partie de la population. Un jour ou l’autre cela aurait débouché sur des violences. L’élection de François Hollande a apaisé des brûlures» (1).

Le rôle des pompiers sociaux, les partis de gauche avec leurs relais naturel dans les organisations sociales et syndicales, est effectivement, comme se réjouit ce grand bourgeois, d’apaiser les situations d’affrontements, d’éteindre les foyers de tensions sociales – ou en tout cas d’oeuvrer dans ce sens – afin de préserver le bon ordre de la société capitaliste. Les prolétaires d’avant-garde ne peuven

t crier à la trahison: ce rôle que remplissent à fond les partis de gauche quand ils sont au gouvernement, est le pendant du rôle de dévoiement, d’étouffement ou de sabotage des luttes qu’ils jouent en permanence avec leurs compères syndicaux, même et surtout quand, dans l’opposition, ils prennent la pose d’adversaires des politiques bourgeoises anti-ouvrières et antisociales.

La puissance et l’efficacité de la machinerie démocratique électorale sont telles que le Parti Socialiste, largement usé et déconsidéré il n’y a pas si longtemps par ses années au pouvoir, a de nouveau attiré à lui des millions d’électeurs qui l’ont gratifié d’un succès électoral retentissant, et que le PCF autrefois moribond, a retrouvé, sous les oripeaux new-look du Front de Gauche, un nouveau souffle de vie.

La polarisation sur les individus qui est caractéristique de la politique bourgeoise, n’a pas comme seule conséquence d’alimenter le réflexe du «vote utile» dont se lamentent les partis trotskystes, désespérés de voir leurs électeurs attirés par les sirènes des grands partis réformistes; elle sert aussi à redonner à chaque fois une nouvelle vigueur au système électoral qui est la clé de voûte du système politique bourgeois. Les échéances électorales apparaissent ainsi comme le moment où les «citoyens» ont leur mot à dire, le seul moyen à leur disposition pour modifier la politique gouvernementale en votant contre le Méchant Individu qui est responsable de tout le mal; «Il faut virer Sarkozy!», tel était au fond l’argument de tous, de la gauche à l’extrême-gauche, y compris de ceux qui affirmaient être de purs révolutionnaires parce qu’ils ajoutaient que «cela ne suffira pas».

En  réalité ce ne sont pas des individus ou des groupes d’individus qu’il faut changer à la tête de l’Etat; c’est l’Etat lui-même qu’il faut attaquer et démanteler, pour pouvoir ensuite changer l’organisation économique et sociale, c’est-à-dire liquider le capitalisme. Mais cela, ça passe par une véritable insurrection armée – pas une insurrection civique à coups de bulletins de vote à la Mélenchon! –, la révolution et l’instauration de la dictature du prolétariat, et donc pas par la voie des élections....

 

Démocratie rongée

 

Le cirque électoral a donc une fois encore donné satisfaction aux bourgeois, et pourtant une certaine inquiétude commence à poindre. Le Monde s’inquiétait ainsi dans un éditorial du «mal qui ronge notre démocratie» (2): les élections législatives de juin sont en effet celles qui ont connu le plus fort taux d’abstention de toute l’histoire de la Ve République, soit, en ne considérant que le premier tour, 42,78% des inscrits (contre 39,5% d’abstentions en 2007, 35,6% en 2002, etc.).

Sachant que toutes les enquêtes sociologiques montrent que le taux d’abstention mais aussi le nombre de non inscrits sur les listes électorales est le plus élevé parmi les catégories «ouvriers», «employés», «chômeurs», on peut en conclure, sans même tenir compte du fait que les prolétaires étrangers ne votent pas, qu’une fois encore la majorité des prolétaires n’est pas allé voter. Si cette conclusion doit être relativisée par la participation nettement plus forte, quoiqu’elle aussi en diminution, à la présidentielle, elle n’en révèle pas moins la perte continue d’influence du système politique bourgeois sur une grande partie de la classe ouvrière. Il est significatif à cet égard que les groupes électoralistes pseudo-révolutionnaires, dits de la «gauche de la gauche», non seulement ne profitent pas de cette relative perte d’influence du système électoral et de la gauche bourgeoise qui le fait vivre, mais en sont au contraire les premières victimes. Tant est difficile le mariage de la carpe électorale et du lapin «révolutionnaire»...

Cet affaiblissement régulier de l’encadrement démocratique de la classe ouvrière est un fait éminemment positif qui sans aucun doute augure bien du futur réveil de la lutte prolétarienne; il  n’est cependant encore que relatif et la démocratie, c’est-à-dire en définitive l’adhésion à l’idéologie et à la pratique de la collaboration entre les classes, conserve encore la plus grande partie de sa néfaste puissance. Elle la conservera au minimum aussi longtemps que la bourgeoisie impérialiste aura encore la possibilité d’assurer sa base matérielle sous la forme de concessions aux prolétaires, d’ «avantages» sociaux divers et du maintien de conditions de vie acceptables pour la masse prolétarienne.

C’est précisément cette possibilité que la crise économique persistante enlève de plus en plus à la bourgeoisie qui, surtout dans les pays les économiquement les plus faibles, est contrainte de pressurer toujours plus ses prolétaires pour en extraire davantage de profits.

Alors que dans Allemagne encore florissante, les capitalistes ont pu récemment concéder des augmentations de salaires, en Grèce qui est devenue le véritable laboratoire de l’austérité européenne, les salaires du privé, à la suite de ceux du public, ont baissé en moyenne de 22,5% entre 2010 et 2011, et devraient continuer à baisser dans la même proportion cette année, le chômage, selon les statistiques officielles publiées à la mi-mai, ayant atteint au premier trimestre 22,6% (quels sont les chiffres réels?) (3).

 

Mais toujours vivante de Paris à Athènes!

 

Et pourtant la force des traditions démocratiques implantées depuis des décennies est telle que la farce électorale a, là-bas aussi, parfaitement fonctionné; les Conservateurs truqueurs et corrompus y ont remporté les élections au détriment de Syriza, parti intégralement réformiste et pro-capitaliste, mais qui avait le tort de prévoir, non pas le rejet, mais la renégociation des mesures d’austérité imposées aux habitants et aux prolétaires par la troïka européenne comme condition de son aide économique.

Le nouveau gouvernement français, soi-disant adversaire de la rigueur, n’avait pas été le dernier à menacer, par les voix de Fabius et de Hollande, les électeurs grecs des pires catastrophes s’ils avaient le malheur de voter pour des candidats réticents à obéir aux injonctions européennes pour une rigueur aggravée...

Il n’y a donc aucun automatisme entre les attaques capitalistes qui provoquent la dégradation de la condition des prolétaires, et la rupture avec la paralysante praxis démocratique interclassiste qui se traduira par le retour en force de la lutte de classe. Le poids des véritables chiens de garde de la démocratie et de l’ordre capitaliste que sont les diverses forces réformistes et collaborationnistes, ne peut disparaître du jour au lendemain. Il faudra toute une série d’expériences concrètes, y compris douloureuses, de la véritable nature de ces forces et de la démocratie bourgeoise, pour que des minorités prolétariennes d’avant-garde commencent à rompre durablement avec elles, à s’organiser sur des bases de classe, anti-collaborationnistes et anti-démocratiques, et à mobiliser à leur suite le reste des prolétaires dans cette voie.

Comme l’ont toujours fait ses prédécesseurs de gauche venus au pouvoir lors de grandes crises économiques ou sociales, le nouveau gouvernement Hollande s’emploiera à conjurer la menace que l’accentuation de la pression et de l’exploitation capitalistes fait peser sur la paix sociale et sur l’ordre bourgeois.

 Bien davantage que sur les maigres miettes accordées aux prolétaires (misérable «coup de pouce» au SMIC, retraite à 60 ans rétablie  pour quelques dizaines de milliers de travailleurs en attendant une nouvelle augmentation de l’âge de la retraite pour les autres) qui sont dénoncées pour le principe par les patrons, la droite et l’extrême droite, bien davantage qu’une ultra-timide démagogie contre les riches, le gouvernement, pour calmer les travailleurs, pourra compter sur l’aide irremplaçable des organisations syndicales; accourues pour participer à la comédie de la «Conférence sociale» qu’organise chaque nouveau président, celles-ci en ont profité pour faire passer à la trappe toutes les revendications les plus pressantes des travailleurs.

Alors que la vague des licenciements et des «plans sociaux» retardés pour cause de campagne sarkozyste commence à déferler, posant de façon évidente le besoin d’une riposte générale des prolétaires, les appareils syndicaux ne cherchent qu’à organiser leur isolement, leur impuissance et leur passivité.

Alors que le gouvernement affirme haut et fort qu’il n’entend pas régulariser plus de sans-papiers que le gouvernement précédent, les organisations de soutien à ces derniers abandonnent la revendication de régularisation de tous les travailleurs pour la demande d’un simple «moratoire des expulsions». On pourrait multiplier les exemples qui démontrent que pour se défendre contre les patrons et contre le gouvernement dans la période menaçante qui s’ouvre, les prolétaires ne pourront compter que sur leurs propres forces, sur leur propre détermination et sur leur propre organisation de classe.

La rupture avec la pratique et les orientations défaitistes des organisations et des partis collaborationnistes sera, si l’on peut dire, encore plus nécessaire sous un gouvernement de gauche parce que les prolétaires vont se trouver face à un front gouvernement - syndicats encore plus compact qu’hier sous un gouvernement de droite.

 

Le gouvernement Hollande défenseur  indéfectible des intérêts capitalistes

 

Dans l’interview citée plus haut, Alain Minc se croyait obligé de tempérer son jugement sur le nouveau gouvernement en disant qu’il représentait une malédiction pour l’économie; il faisait surtout allusion aux déclarations de Hollande sur la fiscalité (les fameux 75%, la fin des «niches fiscales», etc.). Dans les faits, les déclarations sur la justice fiscale ont peu à peu perdu d’intensité (le projet d’une grande réforme de la fiscalité ayant déjà été enterré), alors même que les inégalités n’ont cessé de croître au cours des années, les riches s’enrichissant toujours plus et payant de moins en moins d’impôts (4)!

 L’accent mis par les nouveaux gouvernants, à la suite d’un rapport ad hoc de la Cours des Comptes, sur les déficits et la nécessité de trouver d’urgence des milliards d’économies sert à préparer les esprits aux mesures d’austérité ou de  «rigueur» (le mot interdit dans la propagande officielle!) exigées par les centres capitalistes.

 Au niveau européen le gouvernement n’a en réalité pas dérogé à la ligne d’imposition de l’austérité suivie par le gouvernement Sarkozy, sinon de façon marginale: les mesures adoptées, lors du énième de ces sommets européens «de la dernière chance», en faveur d’une croissance censée soulager cette austérité, ne sont en réalité que des mesures cosmétiques sans grande portée.

 Le résultat est que contrairement aux sombres prévisions qui annonçaient que la finance internationale s’attaquerait immédiatement à un gouvernement socialiste censé être son ennemi (comme l’avait déclaré mélodramatiquement Hollande lui-même), celle-ci l’a jusqu’ici implicitement soutenu, au point que les emprunts levés par l’Etat français ne l’ont jamais été à un prix aussi bas!

Si la situation de l’impérialisme français n’impose pas (ou pas encore) la prise brutale de mesures anti-ouvrières aussi drastiques qu’en Espagne ou en Grèce, ces mesures se profilent tout de même et le gouvernement n’hésitera pas à les mettre en oeuvre. De nombreuses déclarations, aussi bien de dirigeants patronaux français que de représentants gouvernementaux allemands ou de financiers internationaux (5), indiquent que pour améliorer la santé chancelante du capitalisme français le gouvernement devra continuer dans la voie des mesures antisociales (retraites, etc.) et surtout s’attaquer, comme ses partenaires européens, à la «réforme» du marché du travail pour en finir avec les «rigidités» qui empêchent de plier complètement les prolétaires aux besoins du capital: le CDI en particulier est dans la cible. Les organisations patronales, et en premier lieu la «puissante» UIMM (Union des Industries Métallurgiques et Minières, successeur de l’ancien «Comité des Forges»), poussent à une forte baisse des charges sociales patronales (qui constituent le salaire dit indirect) par leur transfert sur l’impôt (CSG ou «TVA sociale»), pour rétablir le taux de profit capitaliste (6).

 

Pour la reprise de la lutte de classe!

 

Les prolétaires n’ont donc pas à se réjouir du départ de Sarkozy: c’est toujours l’un de leurs ennemis qui siège à l’Elysée et qui dirige le gouvernement à la tête de l’Etat bourgeois, avec la différence que cet ennemi est plus dangereux encore à cause des soutiens, y compris «critiques», dont il jouit de la part d’organisations prétendant défendre les travailleurs, ou de partis se disant «à la gauche de la gauche».

S’ils veulent se défendre, il n’auront pas d’autre voie que celle de la lutte ouverte, véritable, à l’opposé des mobilisations perdues d’avance qu’organisent régulièrement les appareils syndicaux – avec le soutien de l’extrême-gauche. Si «compliqué» ou hors de portée que cela puisse paraître, la reprise de la lutte de classe est la seule solution pour résister aux attaques en cours et à celles, plus dures qui viennent.

 Et c’est aussi la voie pour pouvoir demain aller plus loin, vers l’attaque révolutionnaire contre le capitalisme mondial et ses Etats.

 


 

(1) cf Les Echos, 22-23/6/12

(2) cf Le Monde, 12/6/12

(3) Selon l’AFP citant un rapport de l’OCDE, 26/4/12.

(4) Une étude de l’INSEE sur les riches avait établi que de 2004 à 2008, le revenu (avant impôt) des 50% les moins aisés a augmenté de 5% tandis que le revenu des 0,01% les plus riches a augmenté de 33%. cf Alternatives Economiques, juin 2010;

(5) On peut lire à ce sujet le texte instructif publié le 8/3/12 par Chevreux, organisation d’investissement international dépendant du Crédit Agricole, qui a largement circulé sur internet. On y lit entre autres que Hollande «politicien chevronné» qui avait été conseiller économique de Mitterrand lors du tournant de la rigueur, «clarifiera» sa position sur la réforme du marché du travail, une fois passées les élections. cf Politoscope n°3, www.chevreux.com

(6) cf Le Monde, 14/7/12

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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