Guinée: La difficile lutte des ouvriers de Fria contre la multinationale Rusal

(«le prolétaire»; N° 505; Novembre-Décembre 2012)

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Le 25 octobre 2500 ouvriers de l’usine d’alumine Friguia qui se trouve dans les environs de la ville de Fria ont commencé à toucher une partie de leurs arriérés de salaire, après 7 mois sans aucune rentrée d’argent.

Ce complexe industriel, crée par un consortium international dont faisait partie le français Péchiney en 1960, comprend une mine de bauxite, une raffinerie d’alumine et un chemin de fer pour emmener l’aluminium jusqu’au port le plus proche.

Société mixte sous le régime pseudo-socialiste de Sékou Touré, Friguia avait été privatisée en 2006 par son successeur, l’autocrate Lansana Conté, qui l’avait vendue à vil prix, dans des conditions douteuses, à la société russe Rusal. Cette société géante est devenue le n°1 mondial de l’aluminium après la fusion avec la société suisse Glencore: elle emploie plus de cent mille personnes dans 17 pays. Friguia représenterait 15% de la production totale d’aluminium de Rusal.

 Les ouvriers de Fria ont joué un rôle important dans la grève générale de 2007 qui a sapé les bases du régime de Lansana Conté (1) et ils ont continué à mener des grèves ensuite, en dépit de l’hostilité du syndicat local accusé par les ouvriers d’être vendu à la direction. Cette agitation ouvrière, qui déboucha sur une dure grève sauvage en 2008, avait poussé le régime militaire du capitaine Dadis qui avait renversé Conté à vouloir renationaliser l’usine en 2009, un peu à la manière d’un Chavez au Venezuela.

 Mais c’était sans compter avec les impérialismes; un «expert minier» expliquait alors: «La junte est sous embargo économique de fait, de la part de l’Union Européenne, des Etats Unis, du Canada, du FMI et de la Banque Mondiale. En s’attaquant aux multinationales minières de façon frontale, la junte renforce ces pays dans leur dessein à resserrer l’étau économique pour donner une leçon aux dictateurs tiers-mondiste à qui on doit rappeler qui vraiment gouverne ce monde! [sic!] N’est pas Hugo Chavez qui le veut.» (2).

Même mal acquise, la propriété privée des impérialistes est inviolable! La petite Guinée, cette ancienne colonie française d’Afrique occidentale de dix millions d’habitants, a beau être riche de ses matières premières (elle possède entre autres les trois quart des réserves mondiales connues de bauxite, dont elle est le premier exportateur), elle est bien trop faible pour résister aux pressions impérialistes et la nationalisation de Rusal n’eut jamais lieu...

Mais les ouvriers de Rusal ne cessèrent pas pour autant leurs luttes, menant notamment au printemps 2010 une grève illimitée avec occupation de l’entreprise. Le ministère russe des Affaires étrangères était alors intervenu pour protester auprès du gouvernement guinéen contre «l’action d’éléments extrémistes [qui] ont tenté de saisir l’usine» (3), exigeant qu’ils soient traduits en justice: il visait les travailleurs qui occupaient l’établissement.

Cette intervention de l’Etat russe avait été relayée par le premier ministre qui exigea la fin de l’occupation, le nouveau gouvernement d’Alpha Condé, issu de la «transition démocratique», n’étant pas davantage favorable aux travailleurs que les autres, même si les dirigeants syndicaux, collaborationnistes jusqu’au bout des ongles, le soutiennent

Un nouvelle grève a éclaté le 4 avril dernier pour l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail, dans une situation de tension persistante dans l’établissement où la direction avait tenté sans succès de faire avaliser le licenciement de délégués syndicaux trop revendicatifs. Les ouvriers demandaient notamment que le salaire minimum soit porté à l’équivalent de 400 euros et la prise en charge des frais médicaux par l’entreprise.

L’entreprise russe riposta en lock-outant les travailleurs et en s’adressant aux tribunaux. Ceux-ci déclarèrent la grève illégale, et le 26 avril le syndicat décidait de suspendre la lutte.

 Cependant Rusal subordonnait la fin du lock-out à la signature par le syndicat d’un accord anti-grève jusque fin 2013 ainsi qu’à l’engagement de l’Etat guinéen à «protéger» les installations, c’est-à-dire à empêcher toute action des travailleurs, la compagnie menaçant sinon de fermer définitivement l’usine. Pour donner plus de poids à son chantage auprès de l’Etat, Rusal faisait miroiter la possibilité de forts investissements à Dian Dian, dans une autre région minière de Guinée...

Fin août un accord était signé qui entérinait la capitulation complète du syndicat devant les exigences de Rusal dont la seule «concession» était le paiement des salaires aux travailleurs lock-outés.

Mais en dépit de cet accord, seule une activité minimale pour entretenir les installations a repris dans l’usine et les salaires ne sont toujours pas versés. Les patrons russes arguant que ce paiement est trop important à la suite des pertes enregistrées par Friguia à cause de la grève, alors que la compagnie Rusal est devenue déficitaire: en 3 ans son cours en bourse a baissé de près de 48%. Face à l’inquiétude des actionnaires, l’accord conclu en Guinée avec le syndicat et le gouvernement ne valait guère plus que l’encre utilisée pour le signer. Pour honorer cette signature, et même pour continuer à fournir de l’électricité aux 130 000 habitants de Fria, Rusal exigeait du gouvernement que les discussions sur Dian Dian soient conclues rapidement et de manière qui lui soit favorable...

Il faut savoir que les prix de l’aluminium se sont effondrés et que Rusal a annoncé la fermeture définitive de plusieurs de ses usines dans différents pays, elle n’est donc pas pressée à remettre Friguia en production. Mais la compagnie ne peut cependant pas se désengager de la Guinée où se trouvent la plus grosse partie des gisements mondiaux de bauxite et, de plus, exploitables à faible coût.

Dans ce bras de fer les travailleurs ne sont pour les capitalistes pas autre chose qu’une force de travail qui doit se laisser exploiter sans murmures quand c’est rentable et crever de faim sans protester quand cela ne l’est plus! Les conciliateurs locaux, spéculant sur la misère des travailleurs sans ressources, affirment haut et fort que cet épisode a été une «leçon» pour les ouvriers qui ne songeront de sitôt à faire grève (4)...

Mais même dans des conditions aussi difficiles et face à un adversaire aussi puissant, les travailleurs de Friguia ont montré qu’il était possible de lutter.

Début octobre, indépendamment du syndicat, un groupe important d’ouvriers tentait de réoccuper l’usine malgré les forces de l’ordre; cette action décidée et l’effervescence régnant dans la ville obligeait finalement le gouvernement à débloquer des fonds pour le paiement des salaires.

   

*      *      *

 

Les appareils syndicaux se mettent finalement toujours du côté du pouvoir. Cela est démontré non seulement par le conflit de Fria, mais également au niveau national par les négociations salariales en cours entre l’Intercentrale et Conté.

Alors que les syndicats défendaient la revendication d’une augmentation de 200% des salaires des travailleurs de la Fonction Publique pour rattraper la hausse des prix, le gouvernement ne voulait concéder qu’une augmentation de 10%, arguant qu’il était sous le contrôle du FMI et de la Banque Mondiale. Puis il a accepté 15% et enfin 25% de hausse (10% immédiatement, 15% en janvier). Lorsque les chefs syndicaux sont venus annoncer cela à la Bourse du Travail de Conakry le 18/10, en disant qu’ils avaient décidé d’accepter, cela a provoqué une explosion d’indignation des travailleurs rassemblés qui les ont accusé de les avoir trahi et dans le tohu-bohu beaucoup demandaient un appel à la grève illimitée!

Rien n’est réglé pour autant. Les travailleurs de Friguia et de toute la Guinée comme leurs frères de classe de tous les pays, ne pourront compter que sur leurs propres luttes pour se défendre contre les capitalistes étrangers ou nationaux d’autant plus rapaces qu’ils sont plus puissants et contre l’Etat bourgeois inévitablement à leur service.

 


 

(1) Sur la grève générale de 2007, voir Le Prolétaire n°483.

(2) cf Guinée News, 9/10/9.

(3) http://infoguinee.com/index.php? option= com_content&view=article C’est en allant négocier une issue à la grève qu’Ibrahim Fofana, dirigeant réformiste du syndicat USTG qui, comme toute l’«Intercentrale» syndicale, avait soutenu la junte militaire de Dadis, trouva la mort dans un accident de la route.

(4) Voir les déclarations du maire de Fria, ancien bonze syndicaliste de Guifria, à propos des dirigeants de la grève:

«Malheureusement ils sont jeunes. Si l’expérience était là, ils auraient dû reculer à la place des travailleurs. Mais étant jeunes, ils ont peut-être eu peur de perdre leur manteau syndical à la base. Et s’ils sont pris en otage par les travailleurs, ils sont obligés de leur obéir. (...) Je vous assure que cette grève a éduqué et civilisé les travailleurs. Je pense que le mot grève sera banni du vocabulaire des travailleurs», Guinée News, 5/8/12. Sans commentaires!

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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