L’extrême gauche et les élections au Venezuela
(«le prolétaire»; N° 505; Novembre-Décembre 2012)
Les élections présidentielles au Venezuela du mois d’octobre dernier se sont conclues par la victoire de Chavez avec plus de 54% de voix contre 45% au candidat de la droite, Capriles, avec un taux important de participation. Ces élections ont donc constitué une victoire, non d’une prétendue «révolution bolivarienne» qui n’a jamais existé, mais de la démocratie bourgeoise, c’est-à-dire de l’ordre capitaliste.
Les tensions entre les classes n’ont pas disparu au Venezuela, comme en témoigne la répression contre les militants ouvriers et les organisations revendicatives, la violence intrinsèque aux rapports sociaux n’a pas diminué comme le révèle la très forte délinquance, les massacres dans les prisons, etc.
Mais le prix élevé du pétrole, qui est la première ressource du Venezuela, a permis la rentrée dans les caisses de l’Etat d’une masse importante de revenus; la bourgeoisie et les classes parasitaires ont été de loin les premières bénéficiaires des retombées de la rente pétrolière, toutefois le gouvernement a pu en utiliser une partie pour réduire la pauvreté, tout en développant le clientélisme; le premier septembre le salaire minimum a été ainsi augmenté de 17% après une précédente augmentation de 15% au premier mai; quoique partielle et rongée par une forte inflation (la plus forte d’Amérique Latine en 2011 avec 27,6%, elle a été 18% en octobre, en rythme annuel, ce qui représente un niveau historiquement bas), l’amélioration des conditions des masses est cependant indéniable et elle a été à la base, non seulement de la victoire de Chavez, mais plus généralement, de la réussite de la farce électorale et du succès du mécanisme démocratique.
Cette amélioration n’a pas supprimé l’exploitation et la misère liées à la condition prolétarienne, et elle est inévitablement restée limitée: par exemple, dans le domaine brûlant du logement, les chavistes se sont vantés que le gouvernement ait réalisé «223.373 solutions de logement [sic]», alors même que selon les statistiques officielles le déficit des logements est de 3 millions, concernant 13 millions de personnes (1). Pourtant, non seulement pour le PC et ses acolytes, mais pour des courants qui se disent révolutionnaires comme les trotskystes de Marea Socialista (lié à la IVe Internationale dont fait partie le NPA), cela suffit pour justifier leur soutien au chavisme et leur entrisme dans le parti gouvernemental (PSUV). Le slogan de Marea Socialista était: «Le 7 octobre, Chavez président, le 8 octobre, débarrassons la révolution de ses bureaucrates!» (les «bureaucrates» étant censés être la cause de tout ce qui ne va pas). On attend toujours que M. S. passe à l’action...
Le soutien à Chavez et l’entrisme dans le PSUV est aussi la position du courant trotskyste «Tendance Marxiste Internationale», spécialisé dans le grenouillage dans les partis réformistes les plus anti-prolétariens (en France, sa section «La Riposte» fait de l’entrisme dans le PCF), voire ouvertement bourgeois, comme le Parti du Peuple Pakistanais (dont Benazhir Bhutto était la dirigeante avant son assassinat) qui est au pouvoir dans ce pays: le président du PPP, Asif Zardari, veuf de Bhutto, célèbre pour sa corruption (surnommé Monsieur 5%), est président du Pakistan: rien d’étonnant si ces gens s’enthousiasment pour un Chavez et répandent la fable de la perspective de la création prochaine, par décret présidentiel, de «conseils socialistes de travailleurs» pour réaliser une... co-gestion des entreprises!
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Mais le désenchantement vis-à-vis du chavisme parmi un nombre croissant de prolétaires a conduit nombre de courants et d’organisations à prendre leurs distances par rapport au régime. C’est le cas du courant syndical «C.CURA» (Courant Classiste Unitaire Révolutionnaire et Autonome) animé par Orlando Chirino. Autrefois chaviste, le trotskyste Chirino et son parti, le PSL (Parti Socialisme et Liberté) prétendent représenter une opposition de classe au chavisme et au capitalisme. Chirino s’est présenté aux élections présidentielles, sous le fier slogan: «Nous les travailleurs, nous devons gouverner!».
Son programme était en réalité décidément réformiste; les revendications d’augmentation des salaires, de suppression du travail précaire et de baisse de la journée du travail étaient mêlées à des revendications pacifistes petites-bourgeoises comme la «démocratisation des Forces Armées» ou intégralement bourgeoises comme la création d’un «puissant secteur agroindustriel d’Etat», la défense de la souveraineté et de l’indépendance nationale contre les multinationales, le tout dans une sauce interclassiste couronnée par la «démocratie des travailleurs et du peuple» fondée sur la gestion «directe» des entreprises par les travailleurs et les techniciens, le «contrôle ouvrier et démocratique», etc.
Cette candidature Chirino a néanmoins suscité l’enthousiasme de la plus grande partie de l’extrême-gauche trotskyste, y compris au niveau international où elle a été appuyée par de nombreuses organisations d’extrême gauche (pour la France, citons les trotskystes de la tendance «Courant Communiste Révolutionnaire» du NPA, du Groupe Bolchevik, du GSI, les Hekmattistes de Initiative Communiste Ouvrière, etc.). Cependant les organisations qui soutenaient Chirino faisaient toutes la précision que ce n’était qu’un «soutien critique», car elles avaient des divergences avec son programme.
La LTS (Ligue des Travailleurs pour le Socialisme, section vénézuélienne de la FTCI, regroupement trotskyste essentiellement présent en Amérique Latine, en dehors de la tendance du NPA dont nous venons de parler) appelait ainsi à voter pour Chirino tout en déclarant que «les élections bourgeoises sont le terrain de la bourgeoisie et de ses partis» (2) alors que «le terrain des travailleurs et des travailleuses est celui de la lutte de classe, c’est-à-dire l’affrontement avec les patrons».
Si l’on veut bien laisser de côté le fait que la lutte de classe ne se résume pas à la lutte contre les patrons, mais signifie la lutte contre toute la classe bourgeoise et son Etat, cette affirmation de la LTS nous change heureusement de l’électoralisme ambiant; malheureusement elle était immédiatement suivie par: «cela ne signifie pas que les travailleuses et les travailleurs n’interviennent pas sur le terrain ennemi pour l’affronter là aussi (...) en ayant la clarté politique de ne pas donner un centimètre de confiance aux options bourgeoises, c’est-à-dire aux candidats qui en dépit de leurs différences partielles coïncident amplement dans le maintien de l’ordre social existant».
Est-il vraiment possible d’affronter l’ennemi sur son terrain, ou bien le nécessaire affrontement doit-il se livrer en dehors et contre le terrain qui sert précisément à détourner le mécontentement et à prévenir les luttes, c’est la question cruciale que les faux marxistes de la LTS ne veulent pas et ne peuvent pas envisager....
Dans cette même déclaration la LTS affirme qu’elle a des désaccords avec Chirino, en faisant allusion dans une petite note que le PSL a «suivi une politique d’alliance politique avec des bureaucrates syndicaux de l’opposition bourgeoise» (à Chavez- NdlR). En réalité la LTS (comme d’ailleurs les autres organisations qui ont donné leur appui à Chirino) a gardé pendant la campagne un silence à peu près complet sur les compromissions de Chirino et du PSL avec d’importants secteurs bourgeois.
Non seulement Chirino et son parti ont constitué depuis 2009, sous prétexte d’unité à la base des travailleurs, un «Mouvement de Solidarité des Travailleurs» avec une fraction de la bonzerie syndicale qui a été expressément salué par le parti bourgeois Causa R; mais en outre Chirino a participé au printemps, à côté de personnalités capitalistes éminentes comme le président de la Fedecamaras (le MEDEF vénézuélien) et d’autres figures de la vieille bourgeoisie locale, à la constitution d’une «Alianza por la Venezuela que queremos todos»; placée sous le signe de la «réconciliation nationale» celle-ci a présenté lors d’une réunion publique 5 grands thèmes à proposer au pays, sur lesquels il y avait consensus de tous les participants; censé représenter les travailleurs, le fameux «candidat ouvrier indépendant » Chirino y a exposé le thème «entreprenariat et emploi digne», dans la perspective d’un développement dans l’équité (3).
Que valent les proclamations d’indépendance de classe et la lutte contre le capitalisme quand on tombe d’accord avec les capitalistes sur des objectifs fondamentaux du développement national? Assurément, rien. L’appel à la «réconciliation de tous les vénézuéliens» est-elle conciliable avec la lutte de classe? A l’évidence, non. Le prétendu défenseur des ouvriers Chirino, les trahit en fait en s’associant aux dirigeants patronaux.
Mais tout aussi traîtres aux intérêts ouvriers sont les prétendus révolutionnaires qui cachent la trahison d’un Chirino et appellent à voter pour lui, ceux qui savent parfaitement – et qui l’écrivent! – que le terrain électoral est le terrain de l’adversaire de classe, mais poussent de toutes leurs forces les prolétaires à aller sur ce terrain où ils sont certains d’être toujours battus!
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Qu’ils soient pour ou contre Chavez, les illusionnistes trotskystes sont dans tous les cas absolument étrangers aux orientations prolétariennes révolutionnaires. La lutte prolétarienne ne passe pas par le cirque électoral et les institutions démocratiques-bourgeoises, au contraire elle les combat! La révolution pour laquelle elle combat n’est pas nationale mais internationale, elle n’est pas populaire mais de classe, elle n’est pas bolivarienne mais communiste!
La seule solution aujourd’hui pour le prolétariat au Venezuela, en Amérique Latine et partout, n’est pas de voter pour élire tel ou tel personnage à la tête de l’Etat bourgeois; c’est la reprise de la lutte de classe pour la défense exclusive de ses intérêts de classe, pour la lutte quotidienne contre les bourgeois, préparant et concentrant ainsi les forces pour pouvoir lancer demain, sous la direction du parti politique de classe, l’assaut armé contre le pouvoir de la classe bourgeois et le système capitaliste de production.
(1) L’OVCS (Observatoire Vénézuélien de la Conflictualité Sociale) rapporte ce chiffre tout en signalant que le manque de logement a été la cause de 167 manifestations de rue rien qu’au mois d’octobre... cf http://www. conflictove. org.ve/carceles/ovcsagosto-se-agudizan-los-conflictos-laborales-damnificados-exigen-respuestas-oportunas.html
(2) www.lts.org.ve/Nuestro-voto-critico-en-la-candidato-obrero-Orlando-Chirino-es-por-un-programa-de-clase-contra-la-explotacion-capitalista-y-por-un-partido-de-los-trabajadores
(3) Le titre même de l’exposé indique qu’il ne s’agit que de poudre aux yeux: le développement capitaliste est inséparable de l’exploitation et de l’oppression. Cette réunion de «l’ Alliance pour le Venezuela que nous aimons tous» s’est achevée au son émouvant d’un «Chant pour la réconciliation» créé pour cette occasion. cf http://www.eluniversal.com/nacional-y-politica/120519/la-alianza-por-la-venezuela-que-queremos-todos-presento-propuesta.
Parti communiste international
www.pcint.org