Le PST algérien et la guerre au Mali

(«le prolétaire»; N° 507; Avril - Mai 2013)

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Les trotskystes de la «IVe Internationale (Secrétariat Unifié)» (regroupement auquel la majorité du NPA actuel est liée) ont diffusé à l’échelle internationale une déclaration de leur section algérienne, le Parti Socialiste des Travailleurs, en date du 17 janvier, au sujet de l’intervention impérialiste française au Mali et de l’attitude de l’Algérie.

Ce texte, qui n’a été accompagné d’aucune critique mais qui était au contraire présenté comme une démonstration politique d’importance, peut donc être considéré comme engageant tout ce courant. Nous allons voir qu’il est instructif.

Le PST condamnait bien sûr dans sa déclaration l’intervention impérialiste, la «guerre coloniale» françaises, et le soutien accordé par l’Algérie en autorisant le survol de son espace aérien par les avions français et (surtout) en fermant ses frontières aux insurgés du nord Mali (1). Mais on y trouve aussi la formule plus qu’équivoque selon laquelle «la crise malienne trouve ses racines» dans «le libéralisme imposé par les puissances et les institutions impérialistes» ainsi que dans les «régimes dictatoriaux».

Ce n’est donc pas le capitalisme qui est désigné par le PST comme le responsable de la situation économique et sociale des masses maliennes, mais une forme socio-économique particulière et de nature mal définie, appelée «libéralisme».

Il est incontestable que toute une série de mesures dites «libérales» ont été mises en oeuvre dans le monde depuis des années, et que ces mesures ont eu pour conséquence la dégradation des conditions des vie et de travail des prolétaires et des populations laborieuses. Mais ces mesures n’étaient pas le passage à une autre forme économique; elles étaient la réponse du capitalisme à un besoin qui s’imposait à lui dans la période de ralentissement économique: celui de restaurer ses taux de profit en accroissant l’exploitation et en liquidant les entreprises ou les administrations peu rentables. D’ailleurs avant cette phase de «libéralisme», la situation des exploités et des opprimés était-elle si riante? Les pays pauvres ignoraient-ils la domination économique et politique des grandes puissances impérialistes?

Prétendre que c’est le «libéralisme» qui est à condamner, revient à faire croire que le mode de production capitaliste en tant que tel peut parfaitement apporter le bien-être aux populations et une véritable souveraineté aux pays pauvres, à condition de ne pas suivre une mauvaise politique économique; c’est ce qu’affirment tous les réformistes, ces «agents due la bourgeoisie» comme les appelaient Lénine parce qu’ils veulent précisément détourner les prolétaires de la lutte contre le capitalisme. N’osant pas ou ne voulant pas se démarquer du réformisme, le PST reproduit ses fadaises.

De même, s’il est impossible pour un parti véritablement marxiste d’évoquer le rôle des «régimes dictatoriaux» dans la crise au Mali, cela ne pose pas de problèmes au PST. Rappelons d’abord que le Mali de l’ancien président A.T.T. était vanté comme un exemple rare de démocratie africaine. Le PST pourrait peut-être nous dire que cette démocratie n’était pas authentiquement démocratique; mais en fait la démocratie n’est qu’une forme du régime bourgeois, dont l’intérêt pour la classe dominante est de masquer sa domination en donnant aux masses l’illusion de leur participation à la direction du pays (élections, parlement, etc.); plus un pays est riche et plus la classe dominante peut renforcer cette si précieuse illusion en faisant des concessions de divers types et en entretenant toute une armée de forces réformistes, pompiers sociaux et autres collaborationnistes.

A l’inverse, dans les pays pauvres comme le Mali, la démocratie, quand elle existe, est inévitablement chétive et elle a le plus grand mal à masquer la réalité des rapports de domination et de force entre les classes sociales; ses insuffisances provoquent les lamentations des petits-bourgeois, persuadés que la démocratie est le remède magique à tous les problèmes. Mais l’impérialisme essaye cependant de l’instaurer ou de la crédibiliser parce qu’il sait d’expérience que c’est le régime le plus efficace pour amortir les tensions sociales et anesthésier les masses exploitées; ce qui n’empêche pas bien entendu, que dès que cela gêne leurs intérêts, les bourgeois et les impérialistes envoient au diable leurs oripeaux démocratiques (2)!

S’étant donc complètement aligné sur le discours des réformistes, on comprend que le PST termine sa déclaration, non pas par un appel à la révolution, à la lutte de classe ou seulement à la mobilisation des opprimés, mais, après avoir platement affirmé que «le peuple malien, qu’il soit au nord ou au sud, a besoin de développement, de dignité et de prospérité, et non pas de bombes et de servitude», par un triste voeu pieux:

«Pour une solution politique garantissant les droits démocratiques et le développement à toutes les composantes du peuple malien!».

Malheureusement dans le monde réel où nous vivons, c’est-à-dire sous le capitalisme, toutes les questions importantes se résolvent non selon les sages et pacifiques idéaux démocratiques, mais par la lutte, par la force et par la violence.

Le Mali, comme tant d’autres pays dans la même situation, souffre à la fois du développement du capitalisme et de l’insuffisance de ce développement. Ancienne colonie, inévitablement pieds et poings liés aux centres impérialistes, il est trop pauvre, non en richesses naturelles, mais en capitaux, pour espérer connaître, à travers la ruine accélérée de la paysannerie et l’exploitation bestiale de la main d’oeuvre salariée, un puissant développement capitaliste, à l’image de ce que vivent de nombreux pays asiatiques. Les antagonismes interethniques découlant de la formation artificielle de ces Etats par les colonisateurs ne pourront donc disparaître sous la magie de la «croissance» et du «développement» (comme si d’ailleurs le développement capitaliste pouvait être harmonieux et également réparti!).

Il reviendra aux prolétaires maliens de toutes les ethnies de dépasser ces antagonismes dans le vif de la lutte unitaire de classe, en étroite union avec les prolétaires des métropoles impérialistes dès que ces derniers se seront lancés dans la lutte anticapitaliste; les prolétaires maliens sont sans doute peu nombreux, mais ils existent bel et bien et en fait une partie non négligeable d’entre eux se trouve au sein des classes ouvrières de France et d’Europe, constituant ce futur trait d’union par delà les mers.

La révolution communiste internationale qui brisera le capitalisme est la seule perspective réaliste pour supprimer à la racine les maux qu’inflige ce mode de production aux opprimés du monde entier. La réalisation d’un plan unique mondial par le régime dictatorial prolétarien international permettra une distribution harmonieuse des forces productives sur la planète; elle résorbera progressivement les inégalités de «développement», les différences de classes et d’ethnies, les oppositions entre la ville et la campagne, entre pays riches et pays pauvres, entre régions ravagées par une croissance effrénée et régions désertifiées, etc., ouvrant la voie à l’avènement de la société communiste qui sera celle de tout le genre humain sans frontières ni Etats nationaux.

Cette perspective-là n’est pas celle du PST; comme nous l’avons vu, il s’aligne, lui, sur les perspectives réformistes. Il est par conséquent inévitable qu’il reprenne en définitive des positions purement bourgeoises. C’est ainsi qu’il écrit dans sa déclaration que Bouteflika a autorisé l’utilisation de «notre» espace aérien par les avions français et ordonné la fermeture de «notre» frontière: on apprend ainsi que les frontières de l’Etat algérien sont aussi celles des internationalistes du PST...

La déclaration continue: «ce volte-face inacceptable dans la position algérienne contredit gravement le combat historique de notre pays pour l’émancipation et la dignité des peuples»; c’est un «tournant politique qui amenuise la souveraineté nationale et confine l’Algérie dans une alliance contre nature de reconquête coloniale».

Donc, jusqu’au soutien à l’intervention de l’impérialisme français «notre pays» était par nature un combattant pour l’émancipation et la dignité des peuples! Mais «notre pays», c’est qui?

Sauf erreur, l’Algérie est un pays capitaliste, doté d’une classe dirigeante qui domine la société et dont les intérêts sont défendus par un régime militaro-mafieux qui s’est maintenu en écrasant dans le sang les révoltes des jeunes d’Alger ou de Kabylie, et qui continue à réprimer les chômeurs, les grévistes, les prolétaires en général.

En Algérie comme en France ou au Mali, il y a des exploiteurs et des exploités, des classes sociales différentes, aux intérêts distincts et opposés. Evoquer une prétendue communauté d’intérêts et de décision nationale, ne sert que la classe bourgeoise qui domine seule le pays et qui n’hésite pas à massacrer tous ceux qui voudraient contester cette domination.

Pour donner une légitimité à un système de dictature de classe particulièrement brutal, pour couvrir l’exploitation des prolétaires et les affaires qu’elle fait avec l’impérialisme, la bourgeoisie algérienne se drape dans les souvenirs de la lutte contre le colonialisme français – et les trotskystes du PST viennent apporter leur petite contribution à cette répugnante mascarade!

En réalité, comme toutes les bourgeoisies, la bourgeoisie algérienne est mue par la défense de ses intérêts capitalistes, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de son Etat.

 En ce qui concerne le Mali et la région sahélienne, elle s’est longtemps opposée aux volontés françaises d’intervention militaire parce qu’elle avait ses intérêts propres à défendre dans une région potentiellement riche en pétrole et prospectée par des sociétés algériennes. En outre elle avait un intérêt sécuritaire direct à contrôler les turbulences Touaregs, afin d’éviter une contagion aux Touaregs algériens. C’est pourquoi elle a soutenu entre autres le mouvement rebelle Ançar Dine pour faire pièce aux indépendantistes du MNLA (2).

Nous ne savons pas de quelle nature a été le deal avec le gouvernement français qui l’a amenée à changer de position; mais ce qui est hors de doute, c’est que l’émancipation et la dignité des peuples, la démocratie ou la souveraineté du Mali, n’ont rien eu à faire dans le sordide marchandage qui a eu lieu entre intérêts bourgeois et qui a débouché sur la décision d’aider l’impérialisme français!

La tâche d’un parti révolutionnaire est de dénoncer les manoeuvres de «sa» bourgeoisie, de révéler son hypocrisie, ses mensonges, de démasquer la fausseté de la propagande avec laquelle elle «justifie» sa domination afin de rendre évident aux yeux des prolétaires l’antagonisme irréductible qui les sépare non seulement du dernier tournant politique du gouvernement en place, mais surtout de tout le système politico-économique bourgeois, autrement dit du mode de production capitaliste. C’est ce que ne font ni le PST ni le rassemblement international dont il fait partie: la quête de résultats immédiats, la course à l’accroissements rapide de leur popularité, les conduit à se mettre à la remorque des courants dominants, jetant par dessus bord tout ce qui pourrait gêner dans la manoeuvre, restes de programmes, de principes qui les rattachait encore vaguement au marxisme: c’est la maladie malheureusement trop répandue de l’opportunisme qui conduit fatalement ceux qui en sont atteints à passer au service de l’ennemi de classe.

 


 

(1) Selon Le Point du 26/4, le gouvernement algérien au aussi fourni aux troupes françaises du carburant sans lequel «les opérations dans l’Ifoghas n’auraient sans doute pas pu être conduites de la même façon. Ni aussi vite».

(2) Enième démonstration: le gouvernement français qui veut que soient organisées au plus vite des élections démocratiques au Mali, a demandé et obtenu des pays européens de l’«espace Schengen» l’interdiction de la venue d’Amina Traoré sur leur sol. Traoré n’a pourtant rien d’une «terroriste djihadiste»: ancienne ministre de la culture et saluée pour cela comme preuve de la démocratie malienne, elle dit partager «les mêmes idées» que les ministres du gouvernement français. Mais le hic, c’est qu’elle s’est opposée à l’opération militaire française (dont la prolongation a été votée à l’unanimité par les députés et sénateurs français) en affirmant qu’elle a pour objectif réel le contrôle des ressources du pays; la conclusion est immédiate: pas de démocratie pour les adversaires de l’impérialisme!

(3) Voir à ce sujet l’article du New York Times: «Algeria sowed seeds of hostage crisis as it nurtured warlord», NYT, 2/2/2013. La presse officieuse algérienne a répliqué que cet article relevait de l’ «Algeria bashing» (attitude anti-Algérie) et qu’au contraire l’Algérie agissait secrètement au nord Mali pour contrecarrer les réseaux terroristes; mais c’est l’aveu d’une intervention algérienne au delà de ses frontières, semblable à celle de la France!

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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