Lutte pour la VIe République?
Lutte contre le capitalisme et son Etat!
(«le prolétaire»; N° 507; Avril - Mai 2013)
Le 5 mai le Front de Gauche a réussi sa manifestation pour le «VIe République»; même sans prendre pour argent comptant les estimations grossièrement exagérées des organisateurs sur le nombre de participants, ils ont été des dizaines de milliers de manifestants à venir de toute la France à l’appel du PCF, du Parti de Gauche de Mélenchon et d’autres petites organisations participant au Front de Gauche, mais aussi du NPA; ce dernier avait eu sa place réservée dans le carré de tête de la manif, c’est-à-dire parmi les organisateurs de la manifestation.
Le NPA avait refusé de soutenir Mélenchon lors de l’élection présidentielle (ce qui avait provoqué le départ d’une fraction importante de ses adhérents); il est désormais allié au Front de Gauche. Le 31 mars Besancenot invitait publiquement sur Canal Plus Mélenchon à «le rejoindre dans une opposition de gauche au gouvernement», tout en le critiquant quand même, pour son «chauvinisme».
Las! Le 22 avril Mélenchon demandait sur Europe à être nommé premier ministre par Hollande (à un autre moment il envisageait plus modestement d’être ministre dans un éventuel gouvernement Montebourg), après avoir affirmé à maintes reprises que le Front de Gauche était «dans la majorité actuelle».
Cela n’a pas empêché le NPA de rejoindre ce FdG en appelant lui aussi à sa manif du 5. Et dans un article de bilan de cette manifestation intitulé «Frapper ensemble, marcher séparément», il écrit: «il faut maintenant s’appuyer sur cette manifestation, la remobilisation militante qu’elle a montrée, pour défendre l’emploi, augmenter les salaires, relancer les services publics. (...). Il faut frapper ensemble pour changer les rapports de force entre le mouvement social et le gouvernement, la droite et le front national» (1).
Dans les faits, le NPA marche ensemble avec le FdG et ils ne frappent ni l’un ni l’autre!
Ou, pour parler plus clairement, «s’appuyer» sur les initiatives du FdG (en fait: appuyer ces initiatives) ne peut être un moyen d’obtenir les revendications immédiates des travailleurs, car la lutte prolétarienne est le seul moyen d’y arriver; or, les organisations réformistes et collaborationnistes qui font partie du FdG ou qui en sont proches sont celles qui sont au premier rang pour empêcher les prolétaires de frapper, c’est-à-dire pour empêcher l’éclatement d’une véritable lutte générale et pour détourner ou isoler les luttes partielles quand elles éclatent quand même.
Ce n’est pas par hasard ou par inconséquence qu’en dépit de toutes ses critiques et ses polémiques contre Hollande, le FdG tient à souligner qu’il fait partie de la majorité de pompiers sociaux aujourd’hui au pouvoir; dans ses déclarations tonitruantes comme dans ses manifestations de rue, il sert de flanc-garde du gouvernement, se préparant à détourner des poussées de lutte ouvrières dans la voie du chauvinisme et, si le mécontentement devenait trop grand, dans un changement gouvernemental ou constitutionnel.
Dans la période qui vient, marquée par l’aggravation programmée des attaques antiouvrières pour restaurer la santé du capitalisme français, le FdG et les appareils syndicaux auront en effet à jouer un rôle-clé pour le maintien de la paix sociale et la paralysie de la classe ouvrière.
Le NPA s’associe à cette manoeuvre de conservation sociale ouvertement affirmée. L’article cité écrit: «il y a des différences avec les dirigeants du FdG: on ne peut combattre la politique du gouvernement Hollande et exiger de devenir premier ministre de ce même Hollande»; simples «différences», qui impliquent de «déployer une politique anticapitaliste indépendante» car «il faut un gouvernement anti-austérité qui s’appuie sur le mouvement social et amorce une rupture avec le système capitaliste» (2).
Quelle est cette politique anticapitaliste, que ce serait ce gouvernement, comment verrait-il le jour, qu’est-ce que cette «amorce de rupture» (ne soyons pas trop extrémistes!), quel est ce mouvement social, autant de questions sans réponses qui ne peuvent que plonger le lecteur dans un abîme de perplexité... A moins qu’il n’ait compris que ce ne sont que des phrases à effet, à destination de ceux qui auraient quelques doutes sur la démagogie de Mélenchon.
Une tendance pas claire
La «Tendance Claire» du NPA, parlant du «manque de courage politique» de la direction de son parti, «à la remorque de Mélenchon», a déclaré refuser de participer à la manifestation du 5 mai car une VIe République resterait «bourgeoise et antiouvrière» (3). Bien dit! «contrairement aux belles histoires que nous racontent les populistes [comme Mélenchon, NdlR], il n’y a pas de remède miracle à l’intérieur du capitalisme» continue-t-elle très justement. «Notre programme anticapitaliste et révolutionnaire n’est pas un “programme minimum”. C’est un programme concret de rupture avec le capitalisme, qui est la seule alternative aux politiques d’austérité (...)». D’accord!
Mais tout n’est pas si clair dans la Tendance, loin de là; lisons en effet d’un peu plus près: «La seule alternative [à la politique d’austérité NdlR] est la rupture avec le capitalisme, c’est-à-dire l’expropriation des grands groupes capitalistes et la planification démocratique de l’économie». C’est le programme de... Georges Marchais, celui du PCF jusqu’en 1981!
L’expropriation des grands groupes capitalistes ne changerait pas d’un iota ni la nature capitaliste de l’économie (même avec «la transformation en profondeur de l’organisation du travail») ni celle de ces grands groupes, sauf à croire comme le prétendait alors le PC, que les nationalisations sont du socialisme. Les faits ont démontré aux prolétaires sans qu’ils aient besoin de lire une ligne d’Engels qu’il n’en était rien: les nationalisations de 1981 n’ont rien changé à la nature des entreprises qui étaient passées sous contrôle de l’Etat et qui ensuite, une fois redevenues rentables, ont été reprivatisées (essentiellement d’ailleurs par le gouvernement dit de la «gauche plurielle» de Jospin où était ministre un certain... Mélenchon!). Quant à la «planification démocratique» ce ne peut être qu’une farce dans ces conditions.
Tant que subsiste l’argent, le marché, l’organisation économique par entreprises autonomes et le salariat, l’économie continue en effet à fonctionner selon le mode capitaliste; tout cela ne peut disparaître du jour au lendemain, par la vertu d’une décision modifiant la propriété des plus grandes entreprises.
La disparition du capitalisme nécessitera l’intervention despotique du pouvoir prolétarien – la dictature du prolétariat – pour transformer en profondeur l’organisation économique et sociale en brisant la résistance des classes possédantes et privilégiées. Cette transformation permettra la mise en oeuvre, toujours plus efficace dans la mesure où s’affaibliront les lois du marché, d’une planification qui ne sera pas «démocratique» (c’est-à-dire résultant du jeu d’intérêts différents) mais décidée centralement et dès que possible internationalement.
Il y aura sans doute nationalisation et expropriation, mais l’Etat bourgeois ayant été détruit, cela ne signifiera pas comme actuellement un renforcement du secteur capitaliste d’Etat, mais le premier pas de la transformation économique anticapitaliste.
En bref, comme ne dit pas la T. C., non par manque de courage politique, mais parce qu’elle est politiquement de même nature que le NPA dans son ensemble, la rupture avec le capitalisme est d’abord un acte politique, et pas n’importe lequel: la prise révolutionnaire du pouvoir et l’instauration de la dictature prolétarienne.
Les questions de la rupture avec l’Union Européenne et l’euro, la répudiation de la dette, etc., sur les quelles la T.C. s’appesantit, sont bien secondaires par rapport aux questions de la lutte révolutionnaire, de l’organisation de classe et de la constitution du parti en prévision de cette lutte et de sa conclusion, sur lesquelles elle ne dit rien.
Est-il possible, ne disons pas d’œuvrer en ce sens, mais simplement de parler de ces questions brûlantes pour le prolétariat au sein d’un NPA «à la remorque de Mélenchon»? A l’évidence, non. Par contre, tout en critiquant le suivisme de la direction, on peut y grenouiller démocratiquement, accroissant ainsi la confusion politique régnante en se faisant passer pour de véritables révolutionnaires...
La défense des conditions de vie et de travail du prolétariat ne peuvent être défendues par les politiques des Mélenchoniens ou de leurs alliés-critiques. On ne peut faire pression sur le gouvernement pour l’obliger à prendre «une autre» orientation en faveur des prolétaires, les pressions des capitalistes, relayées par tout l’appareil d’Etat étant autrement plus puissantes; mais de toute façon ce gouvernement n’est pas venu au pouvoir pour s’opposer au capitalisme, mais pour le servir! Une VIe République ne serait qu’une version réformée de la Ve sans que change sa nature bourgeoise: l’Etat actuel, comme disait Engels, est une machine essentiellement capitaliste, «le capitaliste collectif en idée»; il ne peut donc, quelle que soit sa constitution ou sa forme, quelle que soit la pression exercée sur lui, s’opposer au capitalisme (et si parfois des capitalistes individuels sont frappés par lui, c’est parce qu’ils causent du tort à d’autres capitalistes ou au système dans son ensemble). La seule République qui ne soit pas le masque du pouvoir capitaliste est la «République des Soviets» née de la victoire de la révolution et constituée sur les ruines de la République bourgeoise quel que soit son numéro, la dictature du prolétariat exercée par son parti unique de classe!
En attendant cette échéance qui n’est pas proche, il n’y a pas d’autre voie pour faire face à l’austérité que celle de la lutte, de la lutte réelle, indépendante des orientations collaborationnistes, organisée sur des bases de classe, contre les capitalistes, le gouvernement et l’Etat bourgeois. Et ce retour à la lutte de classe implique une autre rupture: celle avec les semeurs d’illusion en tout genre, d’autant plus pernicieux quand ils se prétendent révolutionnaires...
(1) Tout est à nous! n°194 (8/5/13).
(2) Ibidem
(3) Déclaration de la Tendance Claire, 2/5/13
Parti communiste international
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