A propos de la constitution d’un  «réseau syndical international»

(«le prolétaire»; N° 508; Juin - Juillet - Août 2013)

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A la fin du mois de mars dernier s’est tenu à paris une réunion syndicale internationale, organisée par Solidaires (les syndicats sud), la CGT d’espagne (un petit syndicat à la réputation d’organisation combative) et le syndicat brésilien CSP conlutas (une scission du syndicat CUT, dirigée par les trotskystes de la LIT) qui a réuni plus de deux cent personnes; des représentants d’organisations syndicales «alternatives» ou «de base» de près de trente pays d’Europe, d’Afrique du nord et d’Amérique latine y ont participé; parmi les plus nombreuses étaient les organisations italiennes: coordination No Austerity, organisations syndicales alternatives (Sicobas, CUB), fraction d’opposition dans la CGIL (rete 28 aprile), les libertaires de l’USI, etc.

 

A l’issue de la réunion il a été décidé la constitution d’un «Réseau syndical international de solidarité et de lutte». Il ne s’agit pas, selon l’ Appel publié à cette occasion (1), d’une nouvelle organisation syndicale, mais d’un réseau de coordination à l’échelle internationale du syndicalisme de lutte.

«Le syndicalisme auquel nous nous identifions ne saurait donner son aval à des pactes avec les pouvoirs établis pour valider des mesures antisociales. Le syndicalisme a la responsabilité d’organiser la résistance à l’échelle internationale, pour construire à travers les luttes la nécessaire transformation sociale. Notre syndicalisme vise au renversement du modèle économique fondé sur l’hégémonie de la finance, du profit et de la compétitivité» (...)

«Notre syndicalisme associe la défense des travailleurs et des travailleuses à une volonté de profond changement social. Il ne se limite pas au terrain revendicatif économique, mais il englobe des questions comme le droit au logement, à la terre, l’égalité entre hommes et femmes, l’antiracisme, l’écologie, l’anticolonialisme, etc.» affirme encore l’Appel.

 

L’«erreur théorique»  de Battaglia Comunista

 

La constitution de ce réseau a suscité la critique de Battaglia Comunista, organisation qui se réclame de la Gauche Communiste d’Italie (2). Pour Battaglia, les organisations comme la coordination No Austerity se placent sur une base théorique fausse quand elles affirment que les bureaucratie syndicales sont les premières responsables de la «fragmentation des luttes», au lieu de comprendre que c’est la «pratique syndicale» elle-même et la croyance dans des syndicats rouges qui est «l’obstacle à surmonter sur les lieux de travail pour relancer la lutte de classe» (3).

Le réseau syndical international exprime, selon Battaglia, «une erreur théorique encore plus grave que la précédente, parce que non seulement on se fait des illusions et on donne des illusions aux prolétaires sur le fait que le syndicalisme puisse encore être un instrument utile pour le conflit de classe, mais qu’il pourrait même être le véhicule de luttes pas seulement économiques, mais politiques, comme l’égalité entre les sexes, le refus de toute discrimination, la défense de l’environnement. Toutes questions centrales, absolument fondamentales pour jeter les bases d’une société radicalement différente de celle où nous vivons, mais qui sont insolubles tant que le capitalisme et son régime classiste reste sur pied.

Ceci étant dit, il est évident que le syndicat, dont le rôle se situe entièrement à l’intérieur des mécanismes de conservation du système capitaliste, ne pourra certainement pas se poser comme guide pour le dépassement révolutionnaire de la société bourgeoise».

Les professeurs es-marxisme de Battaglia condamnent donc doctement les tentatives d’organisation prolétarienne, tant au niveau national qu’au niveau international, au nom de la théorie.

Mais en réalité ce sont eux qui commettent une grave erreur théorique, de type idéaliste, qui les place en opposition aux besoins réels de la classe ouvrière. Ils veulent bien admettre l’existence au cours de la lutte revendicative de «comités d’agitation et de grève», d’«organes d’assemblées avec des délégués révocables à tout moment»; mais à condition que ces formes organisationnelles, tant que nous ne sommes pas en présence d’une situation pas prérévolutionnaire qui mettrait «à l’ordre du jour la création des conseils ouvriers», disparaissent dès que la lutte se termine. Selon leur position traditionnelle, «depuis que le capital est entré dans sa phase monopoliste», les syndicats ne peuvent plus «jouer le rôle de courroie de transmission entre la classe et ses avant-gardes politiques vraies ou présumées»; ils constituent même «le principal frein à la reprise de la lutte de classe sur le terrain de l’anti-capitalisme et aussi un obstacle au plein développement de la lutte sur le simple terrain revendicatif».

Essayons de clarifier la question complètement embrouillée par Battaglia.

Les grandes organisations syndicales actuelles et leur pratique constituent sans aucun doute un frein ou un obstacle à la reprise de la lutte anticapitaliste, et même à la seule lutte revendicative immédiate qu’ils ne soutiennent qu’en la contenant strictement dans les limites de ce qui est compatible avec le bon fonctionnement du capitalisme, quand ils ne la sabotent pas dès qu’elle risque de prendre une certaine ampleur.

C’est bien pourquoi apparaissent des tentatives, plus ou moins confuses sans doute, d’organisation indépendante des appareils syndicaux irréversiblement intégrés dans le système bourgeois de collaboration de classe! Mais déduire de ce fait incontestable, que toute organisation prolétarienne pour la lutte immédiate est inévitablement condamnée à passer du côté bourgeois quand elle ne disparaît pas à la fin de la lutte, et que toute «pratique syndicale» (lutte sur des objectifs immédiats et limités) est un obstacle à la lutte anticapitaliste, est une absurdité.

Les prolétaires ne peuvent pas ne pas lutter contre les attaques capitalistes qu’ils subissent en permanence; cette élémentaire lutte de résistance n’est certes pas encore la grande lutte révolutionnaire, mais elle est cependant vitale car, comme le disait Marx, «si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le Capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure» (4): une classe ouvrière réduite à l’impuissance et entièrement soumise aux capitalistes serait bien incapable de se lancer à l’assaut révolutionnaire de ces derniers.

 C’est dans ces luttes, si elles sont menées de façon correcte, que les prolétaires peuvent prendre conscience de leur force, unir leurs rangs, et devenir capables d’entreprendre des mouvements «de plus grande envergure»; pour reprendre l’expression d’Engels, les luttes deviennent alors une «école de guerre du communisme». Et pour mener ce combat, pour se défendre contre l’exploitation patronale et l’oppression bourgeoise, les prolétaires ont un besoin vital d’une organisation permanente, qu’il ne faut pas péniblement reconstruire à chaque lutte: la previous organization de Marx qui doit exister avant que n’éclate la lutte, bref, ce qu’on appelait autre fois un syndicat de classe.

Il est vrai qu’aujourd’hui – «à l’époque du capitalisme monopoliste» – la puissance totalitaire de la bourgeoisie est bien plus grande qu’elle ne l’était au début du vingtième siècle, et donc que les efforts d’organisation prolétarienne indépendante sont bien plus difficiles et leurs résultats bien plus aléatoires. Mais cela ne peut être une raison pour condamner ces efforts et pour s’opposer à toute perspective d’organisation de classe pour la lutte revendicative, sauf à considérer que la puissance de la bourgeoisie est éternelle; mais alors c’est à la lutte politique et à la perspective révolutionnaire, bien plus difficiles, qu’il faut renoncer!

Lorsque l’organisation de classe renaîtra, dans une période de tension sociale élevée et d’affaiblissement relatif de la domination bourgeoise, elle pourra sans aucun doute prendre les formes les plus variées, suivant les pays et les situations; mais la caractéristique de cette organisation de classe pour la défense «immédiate» des intérêts prolétariens (sur le plan strictement «économique», salarial, comme sur le plan plus large de la défense des conditions de vie et de travail, de la lutte contre la répression et les discriminations, etc.) sera d’être ouverte à tous les prolétaires prêts à se mobiliser et à lutter, indépendamment de leurs conceptions politiques, philosophiques ou religieuses.

Selon le matérialisme, la participation de ceux-ci à la lutte est la seule voie pour rendre manifeste la contradiction entre la défense de leurs intérêts et les conceptions réactionnaires que, dans leur masse, ils ne peuvent pas ne pas avoir en tant que membres de la classe exploitée, écrasée et dominée, y compris idéologiquement, par la bourgeoisie; et donc pour permettre aux éléments les plus combatifs de rejeter ces conceptions.

Pour la grande majorité du prolétariat, il ne faudra rien moins que la révolution afin que se réalise cette émancipation intellectuelle. Comme l’écrivait Marx contre l’idéalisme: «La révolution est nécessaire non seulement parce qu’il n’y a pas d’autre moyen pour renverser la classe dominante; elle l’est également parce que seule un révolution permettre à la classe qui renverse l’autre de se débarrasser de toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir ainsi capable de former la société sur des bases nouvelles» (5).

 Tant que subsiste la domination de la bourgeoisie, seule une petite minorité de prolétaires se trouve en condition de rejeter toute l’idéologie bourgeoise, d’acquérir la conscience communiste et par conséquent d’adhérer au parti de classe qui, défendant les intérêts historiques et généraux du prolétariat, avance la perspective de la destruction du capitalisme et de l’instauration de la société communiste. Cela ne signifie pas que la masse des prolétaires reste passive: elle est au contraire capable d’entrer en lutte – et même de faire la révolution! – avant d’avoir pleinement «pris conscience» de ces intérêts généraux et des voies et moyens pour les réaliser.

 Les «révolutionnaires» qui considèrent avec dédain les luttes immédiates ou qui condamnent les efforts de prolétaires qui essayent de s’organiser de manière indépendante pour mener ces luttes en y opposant la «construction du parti» rompent avec le marxisme et le matérialisme: mais ils montrent surtout leur incompréhension du difficile mouvement réel de la classe ouvrière vers son émancipation et de l’apport que doivent lui donner les communistes.

 

Nécessité fondamentale d’une position de classe

 

Les initiatives comme celles de la création de ce réseau international ou d’autres coordinations, correspondent à une nécessité objective de la lutte prolétarienne; elles doivent être appréciées et jugées sur la façon dont elles répondent à ce besoin et non par rapport à des théorisations idéalistes d’une lutte prolétarienne qui pourrait être d’emblée révolutionnaire et dirigée par le parti.

Dans une situation où ses difficultés économiques croissantes, ses crises récurrentes, obligent le capitalisme à intensifier l’exploitation, à dégrader les conditions de vie et de travail prolétariennes et donc à accroître le despotisme à tous les niveaux, l’incapacité des appareils syndicaux à défendre les intérêts ouvriers et leur soumission à l’ordre établi, vont devenir de plus en plus évidents; cela suscitera des réaction prolétariennes et des tentatives d’organisation pour remédier à la «carence» syndicale. Cependant il est compréhensible que ces réactions aient le plus grand mal à se libérer des influences réformistes, collaborationnistes, démocratiques, pacifistes, etc., en un mot bourgeoises qui sont aujourd’hui dominantes et dont y compris les organisations prétendument «révolutionnaires» se font les vecteurs: on ne peut rompre facilement et rapidement avec des décennies de praxis collaborationniste et d’intoxication réformiste, démocratique, pacifiste et légaliste.

 C’est en tout cas l’exemple que donne le «Réseau international», à en juger par ses déclarations. Battaglia a sans aucun doute tort de critiquer le fait que le Réseau veuille mener la lutte aussi sur un plan non strictement économique et immédiat, mais de nature politique parce que, selon elle, cela relèverait du domaine exclusif du parti; mais elle a cependant raison de critiquer l’utilisation de «concepts interclassistes», comme celui de «peuple». C’est en fait là où gît le problème; que des organisations prolétariennes ne se cantonnent pas aux strictes revendications économiques immédiates, mais touchent à des problèmes plus larges, se hissent à un niveau politique au vrai sens du terme, est pas seulement inévitable; c’est positif parce que cela ouvre la possibilité de dépasser l’étroitesse spontanée, corporative, catégorielle ou autre, sur laquelle s’appuie la pratique syndicale collaborationniste du réformisme. Mais à la condition qu’il s’agisse non d’une politique bourgeoise, mais d’une politique prolétarienne, de classe! Le Réseau affirme son «autonomie par rapport à toute organisation politique», mais il n’est pas autonome par rapport à la politique réformiste, c’est-à-dire la politique de soumission en définitive aux intérêts bourgeois. L’Appel déclare s’opposer «frontalement au patronat, aux gouvernements et aux institutions qui sont à leur service», mais ce n’est pas un hasard s’il ne parle pas d’opposition frontale au capitalisme, de lutte de classe, ni, bien sûr, de révolution.

Le texte affirme sans doute que le Réseau défend les intérêts de la classe ouvrière, mais pour ajouter aussitôt que ces intérêts s’ «articulent» (?) avec ceux des peuples du monde, autrement dit d’autres classes. Mais une véritable organisation ouvrière de classe se caractérise par la défense exclusive des intérêts prolétariens, indépendamment et s’il le faut contre les intérêts de toutes les autres classes, y compris des couches petites-bourgeoises les plus proches. Si dans les périodes révolutionnaires, ces dernières peuvent se tourner vers le prolétariat, c’est dans la mesure où celui-ci a fait la démonstration de sa force et de sa capacité à combattre l’oppression et la misère des masses, à résoudre la crise mortelle où est plongée la société capitaliste, par la seule solution possible: le renversement révolutionnaire du pouvoir bourgeois et l’instauration de son propre pouvoir; et non parce qu’il aurait repris à son compte tout ou partie des intérêts de ces classes.

 Rien de cela dans l’Appel, et pour cause!

On y trouve au contraire les traditionnelles formules réformistes lénifiantes et insipides de «transformation sociale» pour aboutir à une société fondée sur le «partage des richesses» (donc pas de remise en cause de la production capitaliste de celles-ci, seulement de leur répartition!), les «droits des travailleurs» (donc pas de remise en cause de l’existence de travailleurs et de non-travailleurs, d’exploités et d’exploiteurs!!), le «développement écologiquement soutenable» (donc pas de remise en cause du développement capitaliste, seulement de ses conséquences sur l’environnement!!!): cette société n’est que le fumeux rêve petit-bourgeois d’un capitalisme amélioré! Pour définir leur objectif, l’Appel écrit qu’il s’agit de «renforcer, étendre, rendre plus efficace un réseau du syndicalisme combatif, démocratique, alternatif, féministe, internationaliste». Apparemment ce syndicalisme n’est donc ni de classe, ni anticapitaliste, ni révolutionnaire...

Selon certains commentaires, ce texte, tel qu’il a été adopté, représentait «un point d’équilibre» entre les diverses organisations – c’est-à-dire les divers courants politiques – qui ont participé à la réunion (6): si c’est le cas, cela signifie que le réformisme, peut-être combatif et alternatif en paroles, est au fond ce qui les réunit tous. Quoi qu’il en soit, il était difficile de s’attendre à autre chose si l’on se souvient que Solidaires qui hébergeait le rassemblement, s’est dans les faits intégré à l’Intersyndicale qui, véritable état-major antiprolétarien collaborant avec l’Elysée, a empêché il y a 2 ans une véritable lutte contre la réforme des retraites! Cela permet d’apprécier à leur juste valeur les déclarations de combativité et d’opposition frontale aux politiques patronales et gouvernementales...

Les révolutionnaires marxistes et les prolétaires d’avant-garde doivent participer et contribuer dans la mesure de leurs possibilités aux tentatives d’organisation prolétarienne indépendante qui ne manqueront pas de se produire; mais pour que ces efforts soient fructueux, il est indispensable qu’ils mènent une lutte résolue pour battre en brèche toutes les orientations réformistes, même «alternatives», «radicales» ou d’ «extrême gauche», qui y sont présentes.

Seule une position de classe, une rupture avec le réformisme clairement affirmée et effectivement suivie, peut en effet faire en sorte que ces éventuelles organisations résistent à l’influence bourgeoise et constituent des point d’appui réels aux combats prolétariens, sinon elles sont condamnées à retomber dans le camp ennemi.

 


 

(1) http://www.sudeducation.org/Appel-du-Reseau-syndical.html A notre connaissance aucun compte-rendu officiel de ces journées n’a été publié.

(2) Battaglia Comunista est l’organe du Partito Comunista Internazionalista qui, avec la Communist Workers Organization britannique, anime la Tendance Communiste Internationale (anciennement Bureau International pour le Parti Révolutionnaire). C’est de la rupture avec ce courant au début des années 50 que date la constitution du parti dont nous nous revendiquons.

(3) http://www.leftcom.org/it/articles/2013-06-12/critica-al-coordinamento-no-austerity-e-al -sindacalismo -radicale

(4) cf «Salaire, prix et profits», ch. XIV. Il s’agit d’un exposé fait par Marx en juin 1865 au Conseil Général de l’Association Internationale des Travailleurs (Première Internationale).

(5) cf Marx Engels «L’idéologie allemande», I, A. Editions Sociales 1972, p.101.

(6) cf http://www.emancipation.fr/spip. php?article889

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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