A propos de l’affaire dieudonné

(«le prolétaire»; N° 510; Déc. 2013 / Janv. - Mars 2014)

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Rappelons les faits: l’humoriste Dieudonné a commencé sa carrière politique en héraut de l’antifascisme et de l’antiracisme démocratique. En 1997-98 il se présente comme le candidat anti-Front National aux élections municipales de Dreux et aux élections régionales; il déclare soutenir les luttes des travailleurs sans-papiers ou les luttes sur le logement. En raison de ses déclarations et de ses spectacles antiracistes et anti-religieux, il est même à l’époque poursuivi en justice par une organisation liée au Front National pour racisme anti-blanc et anti-catholique.

Quelques années plus tard le comique va faire un virage à 180°; il se rapprochera du F.N. au point de prendre Jean-Marie Le Pen comme parrain d’une de ses filles, baptisée par un curé intégriste! S’étant d’abord décrété défenseur des Noirs contre le racisme et partisan des Palestiniens contre le sionisme, il versa ensuite dans l’antisémitisme ouvert: les Juifs auraient été responsables de la traite des Noirs, le lobby juif dirigerait le pays; la loi dite du «mariage pour tous» serait un «complot sioniste pour diviser les gens», etc. Lié à l’ancien membre du PCF passé à l’extrême-droite Alain Soral, après le meurtre de Clément Méric, il posta l’été dernier sur son site une vidéo d’un dialogue avec Serge Ayoub, où ce dirigeant du groupe néo-fasciste dissous «Troisième Voie» défendait son organisation. Dieudonné a appelé à participer le 26 janvier à la manifestation anti-Hollande organisée par une série d’organisations intégristes et d’extrême droite, dont le F.N. est resté à l’écart, la jugeant trop extrémiste...

Au début de cette année un formidable tintamarre médiatique a été déclenché à l’occasion de son nouveau spectacle où Dieudonné multipliait les allusions antisémites. Le ministre de l’intérieur Valls, soutenu par Hollande, envoya une circulaire aux préfets pour qu’ils interdisent ses représentations au nom de la «défense de l’ordre public». Après que le tribunal administratif de Nantes ait annulé la décision d’interdiction de la représentation dans cette ville, le Conseil d’Etat saisi aussitôt par le ministère de l’Intérieur, cassa immédiatement la décision. Cette célérité sans précédent ne peut s’expliquer que parce que tout était préparé à l’avance. Valls s’écria alors que la décision du Conseil était une «victoire de la République»! Le tribunal administratif de Nantes était probablement un repaire de royalistes...

Avec cette comédie à grand spectacle, le gouvernement a voulu se redonner un peu de popularité à peu de frais à un moment où la situation des travailleurs et des masses prolétariennes ne cesse de se détériorer: augmentation du chômage en dépit des promesses présidentielles, baisse du niveau de vie, poursuite des expulsions de travailleurs étrangers sans-papiers, tandis qu’il multiplie les cadeaux aux entreprises qui sont autant de mesures anti-ouvrières et antisociales.

La mobilisation, au nom de la lutte contre le racisme, de quasiment tout l’appareil d’Etat, appuyé par la plupart des médias et approuvé par tous les grands partis, contre Dieudonné et contre ses partisans faisant le signe de la «quenelle», n’a cependant pas eu vraiment les effets attendus. Le sentiment qu’il s’agissait là d’une pure diversion par rapport aux problèmes quotidiens qu’ils doivent affronter, s’est assez largement répandu parmi les travailleurs, particulièrement mécontents de la politique gouvernementale. Les partis et organisations d’extrême-gauche, tout en dénonçant Dieudonné, ont refusé de soutenir Valls dans cette affaire.

 

Le retour d’«Auschwitz ou le grand alibi»?

 

Cette attitude – «Ni Dieudonné, ni Valls» – a été dénoncée par un groupe intitulé «Parti Communiste Marxiste-Léniniste Maoïste» comme étant le «retour d’Auschwitz ou le grand alibi». Selon ce groupe, c’est «l’influence» qu’aurait sur ces courants notre brochure qui expliquerait leur position (1)! L’extrême-gauche refuserait de comprendre qu’il existe une menace fasciste face à laquelle il faudrait un nouveau «Front Populaire» (alliance du PCF, du PS et du Parti Radical – le «parti démocratique de l’impérialisme français» comme le caractérisait Trotsky) et contre laquelle il serait légitime d’appeler à l’action de l’Etat bourgeois.

Nous pouvons rassurer nos mao-staliniens: l’«extrême-gauche» ne tourne pas le dos à l’antifascisme démocratique (c’est-à-dire l’union interclassiste pour défendre la forme démocratique de la domination bourgeoise); elle n’a pas succombé à ce qu’ils appellent des positions «ultra-gauches», à savoir la défense intransigeante de positions anticapitalistes de classe y compris dans la lutte contre la réaction fasciste: on l’a encore vu lors des réactions au meurtre de Clément Méric.

Le refus de l’extrême gauche de soutenir Valls ne signifie pas qu’elle se serait soudainement rangée sur des positions de classe; elle s’explique parce qu’il aurait été assez difficile de faire croire que l’organisateur de la chasse aux Roms et des expulsions de sans-papiers qui s’est laissé aller lui aussi à des déclarations proprement racistes, est un champion de la lutte contre le racisme!

La diatribe du PCMLM pourrait paraître n’être qu’un écho lointain et insignifiant de la terrible dévastation causée historiquement par l’antifascisme démocratique parmi le prolétariat, jusqu’à le faire adhérer à la boucherie de la deuxième guerre mondiale; malheureusement il n’en est rien. La bourgeoisie entretient depuis des décennies l’arme qui lui a été si utile de l’antifascisme démocratique; périodiquement les politiciens et les médias découvrent une menace fasciste ou antisémite qu’ils montent en épingle afin de réactiver parmi les prolétaires les réflexes de soumission à l’ordre établi et de ralliement à l’Etat bourgeois.

Nous ne dresserons pas ici la liste des soi-disant «menaces» qui ont été brandies au cours des années et décennies écoulées – comme nous l’avons rappelé, Dieudonné première manière a participé pendant quelques années à une opération bourgeoise de ce type! L’important est de comprendre que même si présentement, cette vieille manœuvre anti-prolétarienne n’a pas fonctionné à la perfection, elle a cependant fonctionné; elle sera à nouveau employée demain, avec probablement plus d’efficacité.

Qu’on ne s’y trompe pas: l’antisémitisme a servi et servira à la bourgeoisie quand elle a besoin de bouc-émissaires; il est en outre aujourd’hui utilisé par la bourgeoisie israélienne et ses soutiens pour tenter de disqualifier tout soutien aux masses palestiniennes. Il doit donc être dénoncé et combattu sans hésitation par les prolétaires conscients.

 Mais le racisme qui divise actuellement les rangs ouvriers, ce n’est pas l’antisémitisme, mais le racisme et la xénophobie nationaliste contre les travailleurs immigrés et les étrangers, l’idéologie qui les paralyse, c’est l’idéologie démocratique dont l’antifascisme est un des fleurons, et le respect superstitieux de l’Etat qui en est la conséquence.

C’est bien pourquoi ce racisme et cette idéologie sont en permanence diffusés par le multiforme appareil politique et propagandiste de la bourgeoisie, et repris par ses laquais. Contre eux il n’y aura bien sûr jamais de mobilisation à grand spectacle par les partis bourgeois et les forces collaborationnistes ni d’action des institutions étatiques. La seule issue pour le prolétariat réside dans le retour aux principes et aux méthodes de la lutte de classe indépendante; c’est le seul moyen d’unir les rangs ouvriers contre l’exploitation et l’oppression capitalistes par dessus toutes les divisions, de race de nation ou autres. Et quand le prolétariat aura retrouvé la force de le faire, sonnera alors l’heure de la défaite de la République bourgeoise!

 


 

(1) cf http://lesmaterialistes.com/dieudonne-valls-retour-auschwitz-ou-grand-alibi. Moins drôles que Dieudonné, mais tout aussi étrangers que lui au prolétariat, ces adorateurs de Staline, le chef de la contre-révolution, voient dans le mouvement de la quenelle, le signe de l’approche d’un coup d’Etat fasciste! cf leur «document 41», septembre 2013.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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