Le «pacte de responsabilité» et les grands organisateurs des défaites ouvrières

(«le prolétaire»; N° 510; Déc. 2013 / Janv. - Mars 2014)

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Les grands organisateurs des défaites ouvrières, nous voulons parler de la tristement célèbre «Intersyndicale» regroupant CGT, FO, FSU et Solidaires (syndicats SUD), ont lancé un appel à une journée de «mobilisation massive» pour le 18 mars.

Mais un appel pour quoi? Dans leur communiqué on lit qu’il faut «exiger des mesures urgentes en faveur des salaires, de l’emploi, de la protection sociale et du service public». On y trouve des critiques des «annonces liées au “Pacte de responsabilité”», mais on y chercherait vainement une dénonciation claire du Pacte lui-même, et encore moins l’objectif de lutte contre celui-ci, ni pour l’augmentation des salaires (il suffit d’ «exiger»!).

Rappelons que le Pacte annoncé par le gouvernement et approuvé par le MEDEF (en réalité: proposé par le MEDEF – dès juillet dernier Gattaz, son président, avait demandé une mesure analogue – et approuvé par le gouvernement), vise à supprimer 50 milliards d’euros de «charges sociales» payées par les entreprises.

Ces charges sociales sont ce qu’on appelle le salaire «indirect» ou «différé»: une partie du salaire des travailleurs ne leur est pas versé directement, mais est «socialisé», c’est-à-dire utilisé pour financer les diverses prestations sociales. Diminuer cette partie revient donc en fait à baisser les salaires réels, avec l’avantage que cette baisse est dans l’immédiat indolore, le salaire net n’étant pas touché par cette baisse; il y a donc pour les capitalistes moins de réactions à redouter que si les travailleurs constataient une amputation de ce qu’ils reçoivent directement. Les conséquences de la baisse des charges se feront cependant inévitablement sentir pour les prolétaires, soit par une diminution des prestations sociales, soit par une hausse des impôts ou taxes (TVA...), soit par une combinaison des deux: il y aura donc inévitablement une baisse de leur niveau de vie.

La réduction des charges sociales ne date pas du gouvernement Hollande; depuis les années 90 les mesures de réduction, d’allégement ou d’exonération de celles-ci se sont multipliées. Les économistes parlent de «baisser le coût du travail», reconnaissant ainsi qu’il s’agit bien de diminuer les salaires réels (pour le capitaliste, le «coût du travail» est ce qu’il paye au prolétaire, son salaire). Mais les réductions discutées actuellement sont sans précédent: le gouvernement Sarkozy lui-même n’avait pas osé aller si loin. Comme toujours les partis de gauche, grâce à l’appui implicite des organisations syndicales et autres associations réformistes diverses implantées parmi les prolétaires, arrivent à réaliser pour le capitalisme ce que les partis de droite ne réussissent pas à faire sans risquer de déclencher une tempête sociale.

 

Réformistes keynésiens

 

En annonçant son pacte, Hollande l’a présenté comme s’inscrivant dans une «politique de l’offre» et il l’a justifié par la lutte pour l’emploi. Grâce à la baisse des charges, les entreprises pourraient plus facilement embaucher afin de produire davantage («offrir» davantage). Les économistes bourgeois keynésiens, comme le prix Nobel Krugman, ont eu beau jeu de rappeler l’absurdité de la politique de l’offre théorisée il y a bien longtemps par l’économiste Say: les entreprises ne produisent en effet davantage que si elles pensent qu’existe un débouché pour leurs marchandises supplémentaires.

Les adeptes de l’économiste anglais Keynes sont partisans d’une «politique de la demande»: les entreprises ne produisent pas plus, la croissance est en berne, parce que les marchés sont saturés. Il ne faut donc pas les réduire encore par des politiques d’austérité, mais les élargir, que ce soit par des dépenses étatiques ou par une augmentation du pouvoir d’achat de la population; les entreprises augmenteront alors leur production pour satisfaire cette demande supplémentaire du marché.

Rien d’étonnant si tous les réformistes sont keynésiens: dans ce schéma en effet, l’augmentation des salaires et du niveau de vie des travailleurs est non seulement compatible avec la bonne marche de l’économie capitaliste, mais elle en est même une condition!

Malheureusement pour les réformistes et tous ceux qui rêvent à une conciliation possible des intérêts des prolétaires avec ceux des capitalistes, l’économie capitaliste ne fonctionne pas selon ce beau schéma. Ce qui est déterminant pour elle, c’est l’évolution des profits (plus exactement du taux de profit, c’est-à-dire le profit rapporté au capital investi). Or le taux de profit des entreprises françaises est sensiblement plus bas que celui de leurs concurrentes, ce qui pèse sur leurs possibilités d’investissement – donc sur la rénovation de leur équipement, sur l’augmentation de leur productivité, sur la possibilité de développer de nouveaux produits, etc. – et explique leurs pertes de parts de marché. Nous en voyons tous les jours les conséquences: faillites d’entreprises, fermetures d’usines – ou, pour celles qui le peuvent, délocalisations vers des pays à bas salaires afin d’y retrouver des taux de profit suffisant; en effet la seule façon qu’ont les entreprises pour faire face à la concurrence dans cette guerre économique aggravée par la crise capitaliste, est d’augmenter leurs profits, c’est-à-dire d’augmenter l’exploitation de leurs salariés (l’unique source du profit), en baissant les salaires ou en augmentant la «productivité du travail» par la diminution du nombre de salariés par quantité de marchandises produites.

Les mesures annoncées par Hollande ne sont pas motivées par une foi soudaine en la justesse des vieilleries théoriques d’un Jean-Baptiste Say, mais tout simplement par le souci d’accroître les profits des entreprises françaises. Quant aux déclarations selon lesquelles la priorité de l’action gouvernementale serait la lutte contre le chômage, elles relèvent de la propagande bien utile pour faire passer ces mesures pro-capitalistes: sa priorité absolue est la restauration du taux de profit du capital!

 

Le rôle irremplaçable des appareils syndicaux pour maintenir la paix sociale

 

Les déclarations de Hollande et du gouvernement ont reçu l’approbation des «milieux économiques» en France et à l’étranger (un des signes a été donné par les agences de notation internationales qui ont conservé la note positive accordée à l’économie française), les critiques portant essentiellement sur la capacité du gouvernement à traduire ces déclarations en actes. Les dirigeants allemands par exemple s’inquiétaient de la réaction des syndicats et de l’attitude du gouvernement français à leur égard (1).

Ils doivent maintenant être rassurés! Dans un premier temps, Thierry Lepaon avait déclaré à la presse qu’il était opposé à la proposition de FO d’organiser une journée d’action, parce que la CGT ne voulait pas qu’on remette en cause les décisions gouvernementales; finalement une «journée d’action» a bien été décidée, mais nous avons vu que les organisateurs ont pris grand soin de ne pas critiquer le Pacte et de ne pas appeler à la lutte contre lui.

En outre (à l’exception de Solidaires qui tient à maintenir une maigre feuille de vigne contestataire), ils ont participé aux réunions syndicats - MEDEF chargées de négocier quelques miettes en guise de «contrepartie» à la baisse des salaires réels décidée par le gouvernement. Comme s’est justifié un dirigeant de FO, le syndicat le plus en pointe dans la dénonciation – purement verbale! – du Pacte, pas question de pratiquer la politique de «la chaise vide» (à cette table des «partenaires sociaux» où on discute du sacrifice des intérêts prolétariens), même si comme la CGT , FO ne signera rien (il faut bien garder un minimum de crédibilité aux yeux des prolétaires si on veut continuer à empêcher que leurs réactions posent un problème aux capitalistes).

Cette répugnante comédie le démontre une fois de plus: les appareils syndicaux, financés par les patrons (2) et les diverses institutions bourgeoises de la collaboration entre les classes, sont un obstacle majeur à la lutte ouvrière; collaborationnistes jusqu’à la moelle, indéfectiblement attachés à la défense de l’économie française, ils ne peuvent être que les adversaires résolus de toute lutte d’ampleur qui risquerait d’affaiblir le capitalisme national (ne parlons pas de lutte révolutionnaire pour l’abattre!).

Impossible de compter sur eux pour offrir la moindre résistance aux attaques patronales qui ne cessent de prendre de l’ampleur (les mesures gouvernementales actuelles en appellent inévitablement d’autres, car elles seront insuffisantes pour «redresser» une économie capitaliste qui ne cesse de s’affaiblir face à ses concurrents) (3): ces organisations s’évertuent depuis des mois et comme elles l’ont toujours fait, à soutenir à leur manière l’action pro-capitaliste du gouvernement – surtout quand celui-ci leur accorde une chaise aux réunions anti-prolétariennes.

La rupture avec ces appareils collaborationnistes, avec ces artisans de la paralysante paix sociale, le retour à l’organisation et à la lutte indépendantes de classe, sans se laisser arrêter par les incantations bourgeoises en faveur de l’économie nationale, régionale ou locale, ni se laisser égarer par les propositions de réforme du capitalisme, devient une nécessité toujours plus impérieuse pour la défense des intérêts prolétariens.

 

Salaire contre profit! Classe contre classe!

Telle est la devise qui doit guider les prolétaires.

 


 

(1) Un dirigeant parlementaire allemand déclarait à ce propos au Monde du 17/1: «je suis curieux de voir si le président Hollande à le pouvoir nécessaire pour faire face aux syndicats». Ce parlementaire de la CDU (parti de Merkel) habitué à la «cogestion» en Allemagne, aurait dû se renseigner sur les syndicats français: il se serait aperçu qu’ils jouent le même rôle que dans son pays...

(2) Le procès Gautier-Sauvagnac, ce dirigeant de l’UIMM (organisation patronale de la métallurgie), convaincu de distribution de sommes importantes en liquide aux syndicats pour «fluidifier les rapports sociaux» (!), vient, s’il le fallait, de le démontrer.

(3) Les recommandations de la Commission Européenne début mars expriment les desiderata des capitalistes: les baisses prévues des charges des entreprises sont trop faibles, le salaire minimum trop élevé et plus généralement le coût du travail trop important – sans parler du déficit public qui n’arrive pas à se réduire suffisamment et suffisamment vite.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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