Espagne

Monarchie et république ne sont que deux formes du gouvernement bourgeois, également anti-prolétariennes

(«le prolétaire»; N° 511; Avril- Juin 2014)

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L’abdication du roi Juan Carlos en faveur de son fils Felipe a provoqué de grandes manifestations en faveur de l’instauration d’une «troisième république». Nous publions ci-dessous la prise de position du parti à ce sujet.

 

L’abdication du roi Juan Carlos en faveur de son fils Felipe n’a pas d’autre objectif que la restructuration de certains aspects de la forme de l’Etat. 6 ans de crise économique, accompagnés des scandales de corruption de la famille royale et du mécontentement de plus en plus prononcé de larges secteurs de la société envers la monarchie, ont suffit pour remettre en question le modèle actuel; celui-ci qui a vu le jour lors de la période de la Transition du franquisme à la démocratie, a durant 39 ans accompli son rôle d’assurer la soumission de la classe prolétarienne aux exigences de la bourgeoisie sous le manteau de la collaboration démocratique entre les classes.

A la mort de Franco, une autre crise, dite du pétrole, provoquait une augmentation considérable d’affrontements entre prolétaires et bourgeois sur le terrain de la lutte immédiate pour le salaire, les conditions de vie ainsi que sur certaines questions «sociales» qui avaient engendré une tension souterraine dans les dernières années de la dictature (la situation des femmes, les questions basques et catalanes, etc.). De plus l’exemple voisin du Portugal où la longue guerre coloniale avait fini par mettre fin à la dictature et rendre incontrôlable la lutte de larges couches de la classe ouvrière, pesait comme un spectre infernal sur les esprits de la bourgeoisie espagnole et européenne. La dite «Transition démocratique» fut un grand pacte social dominé par la figure du roi, mais dirigé en réalité avec le concours simultané des bourgeoisies européennes et américaine et la collaboration de tous les secteurs du régime et de l’opposition. Il s’agissait alors de garantir le gouvernement de la bourgeoisie qui devait faire face à l’aggravation de la lutte des classes, en même temps qu’à l’impérieuse nécessité de réorganiser les secteurs stratégiques de l’économie nationale pour défendre sa position dans la concurrence inter-impérialiste; tâche qui n’aurait pu être réalisée si la forme étatique avait continué à être celle de la «démocratie organique» existant depuis la fin de la guerre civile. Il était nécessaire de réaliser une réforme démocratique qui puisse donner un semblant de réalité à la fiction selon laquelle le prolétariat pouvait voir ses aspirations réalisées non par la lutte, mais par la collaboration avec la bourgeoisie garantie par les élections, le parlement, la constitution et la monarchie parlementaire. C’était une condition indispensable pour demander aux prolétaires des sacrifices en faveur du bien commun censé être la démocratisation de l’Etat et la bonne marche de l’économie. La bourgeoisie allemande par l’intermédiaire de son parti social-démocrate, la bourgeoisie française en tant que puissance ayant le plus d’intérêts en Espagne, les Etats-Unis eux-mêmes et bien entendu la dite opposition démocratique (qui allait du nationalisme basque et catalan jusqu’aux partis d’extrême gauche dont le PCE unis dans la Plate-forme démocratique) collaborèrent coude à coude pour que cette réforme institutionnelle se réalise au moindre coût possible (quoique, bien entendu, il y eut inévitablement des coûts, mais qui furent assumés sans problèmes: la Transition fut si peu pacifique qu’il y eut des centaines de victimes durant ce processus).

Il s’agissait en définitive d’un remodelage du système franquiste (en réalité déjà bien différent de celui établi en 1939), réalisé par l’appareil d’Etat lui-même, main dans la main avec les partis démocratiques, chargés, grâce à leur influence sur la prolétariat, de faire respecter par les travailleurs le pacte social. C’est ainsi que la constitution monarchique fut acceptée tant par les secteurs du régime franquiste qui représentait le forme prise par la domination de classe bourgeoise depuis 40 ans, que par les partis dits «ouvriers» qui soumirent la prolétaires à la discipline nécessaire pour que tout se passe sans trop de difficultés. De fait, ces partis à la tête desquels se trouvaient le PCE et le PSOE (parti socialiste) imposèrent l’ordre y compris dans la rue, en attaquant sans hésiter toute grève ou protestation qui aurait pu mettre en péril y compris certains aspects secondaires de la réforme, en obligeant les prolétaires à faire passer l’«intérêt national» avant leur propre intérêt et en collaborant aussi à la «sale guerre» notamment contre les militants de l’ETA...

Ceux qui appellent aujourd’hui à la Troisième République, non seulement ont été à l’origine de la Constitution monarchique, mais ils l’ont en outre défendu becs et ongles contre ceux qui s’y opposaient.

Aujourd’hui le Juancarlisme a pris fin: la personne du roi était généralement déconsidérée en raison d’une perte croissante de la confiance envers les institutions publiques et de la série de scandales qui ont éclaboussé la famille royale. Pour que le mythe de la collaboration démocratique subsiste, le roi qui avait focalisé le mécontentement ces dernières années devait disparaître. Son abdication a pour but d’atténuer les tensions, de rénover le sommet de l’Etat et de renouveler le confiance en celui-ci, en un mot de rendre ainsi un peu plus gouvernable un pays en crise.

En même temps que la monarchie représentée par Juan Carlos était déconsidérée au point de devenir un facteur de tension plutôt que de cohésion sociale, ce mécontentement généralisé touchant tant le prolétariat que certains secteurs de la petite bourgeoisie, a trouvé son expression politiques dans une vieille et nouvelle gauche parlementaire qui défend l’illusion démocratique selon laquelle un changement du modèle de l’Etat – le passage de la monarchie constitutionnelle à la république démocratique bourgeoise – pourrait améliorer les conditions de vie du peuple. Cette illusion se base sur deux points.

 D’une part sur l’idée que la république est l’expression suprême de la démocratie, la démocratie étant le régime qui serait le plus éloigné du capitalisme et qui par conséquent permettrait d’éviter définitivement les crises et la misère. D’autre part sur la croyance fantastique selon laquelle la détérioration des conditions d’existence qu’a connue le prolétariat, classe qui constitue la majorité de la société dans le monde capitaliste, n’est pas la conséquence d’une crise provoquée par la chute du taux de profit des entreprises, mais d’une escroquerie des milieux dirigeants pour spolier les classes populaires de leurs droits sociaux et économiques.

En conséquence, la république permettrait de réorganiser le pays de telle façon que toutes les classes sociales pourraient y vivre de façon harmonieuse, sans se combattre, pour la plus grande gloire de l’économie nationale (mise alors, bien entendu au service du peuple). La manoeuvre est la même qu’en 1978 avec la Constitution monarchique: faire croire que grâce à la réforme démocratique toutes les classes sociales vont pouvoir coexister pacifiquement et qu’il ne faut donc pas de lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, mais une conciliation démocratique (monarchique hier, républicaine aujourd’hui). C’est ce que cherche la bourgeoisie espagnole en faisant abdiquer Juan Carlos. La parfaite équivalence entre la république et la monarchie est clairement démontrée par leurs partisans respectifs qui utilisent et utiliseront les mêmes arguments et présentent les mêmes objectifs. Les partis républicains qui ont proposé une hypothétique Troisième République, l’ont fait dans le respect le plus total envers la Constitution monarchique de 1978, loi suprême par laquelle la bourgeoisie sanctionna sa domination sur le prolétariat: convocation d’un référendum, modification démocratique de l’Etat, rôle central des Assemblées parlementaires dans tout ce processus... Ils veulent que l’Etat se réforme lui-même, qu’il change d’atours pour mieux remplir son rôle de classe. En fait ce serait une nouvelle édition du fameux hara-kiri accompli par les assemblées parlementaires franquistes pour laisser la place à la monarchie constitutionnelle. Dans les deux cas, il s’agit fondamentalement de défendre l’Etat bourgeois, quel que soit sa forme.

Les intérêts de classe prolétariens ne peuvent être satisfaits ni sous la monarchie de Felipe, ni sous la Troisième République. Pour le prolétariat l’important n’est pas la forme qu’adopte l’Etat bourgeois, mais l’existence même de cet Etat qui impose et de défend les intérêts du capitalisme national, aussi bien sur le plan de la situation interne que sur le plan international dans ses rapports avec les impérialisme étrangers. Cela ne veut pas dire que le prolétariat est indifférent à la forme de l’Etat, qui dépend de forces matérielles parmi lesquelles l’affrontement entre les classes joue un rôle central. On ne peut écarter l’hypothèse que demain, à la suite d’une aggravation de la lutte prolétarienne, la bourgeoisie sous la pression de cette lutte, donne à l’Etat une forme républicaine. Il s’agirait alors d’un moyen pour faire retomber temporairement la pression sociale et ramener la prolétariat dans la voie de la soumission à la force politique de la bourgeoisie. C’est ce qui s’est passé en 1931, quand la bourgeoisie s’est trouvée incapable de gouverner le pays par la voie monarchique; il ne lui fallut que quelques élections municipales pour en finir avec Alphonse XIII et imposer un gouvernement de partis républicains. Un an après, la république assassinait les paysans de Casas Viejos; l’année suivante les prolétaires de l’Alto Llobregat, en 1934 les prolétaires des Asturies et en 1936 commençait le massacre du prolétariat révolutionnaire qu’acheva le régime franquiste.

Les aspirations prolétariennes ne peuvent être satisfaites par le système capitaliste et son Etat. C’est le système capitaliste lui-même qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie, qui généralise la production sociale mais la soumet aux catégories de la propriété privée et du travail salarié, qui plonge périodiquement le prolétariat dans la misère, qui le fait servir de chair à canon dans les guerres, qui le détruit lorsque, force de travail surnuméraire, il n’est plus utilisable par l’économie nationale.

La classe prolétarienne porte en elle un nouveau mode de production qui se lèvera sur les ruines du mode de production actuel.

 Mais pour imposer ce nouveau mode de production, il lui faudra d’abord détruire l’Etat bourgeois, quelle que soit sa forme, totalitaire ou démocratique, monarchique ou républicaine, parce que cet Etat est l’instrument de la domination politique de son ennemi de classe. Il lui faudra le remplacer par son propre Etat de classe – qui n’est plus un Etat au sens habituel du terme (Engels) –, et exercer par son intermédiaire sa dictature sur les restes de la classe bourgeoise et des classes alliées à cette dernière qui n’abandonneront jamais le terrain sans combattre jusqu’au bout.

 Cette dictature est nécessaire non seulement pour briser la résistance de la bourgeoisie, mais aussi pour intervenir despotiquement dans l’économie afin de jeter les bases de la transformation socialiste de la société, transformation qui rendra inutile l’existence de l’Etat dans la mesure où avec la disparition des classes sociales (et non de l’affrontement entre les classes jugées éternelles, comme le proposent les réformistes de toute espèce) disparaîtra la nécessité de toute forme de coercition politique

Devant le dilemme monarchie ou république, le prolétariat a une seule alternative: se constituer en classe, et donc en parti politique, pour aller vers son objectif historique, la révolution communiste.

Face aux propositions républicaines qui prétendent lier la classe prolétarienne à une lutte interclassiste aux côtés de bourgeois et petits-bourgeois avec l’objectif stupide d’en finir avec l’antagonisme entre les classes, le prolétariat ne peut répondre qu’en commençant à lutter sur le terrain de ses exigences immédiates contre les bourgeois grands et petits; qu’en répliquant aux attaques subies lors de la crise par l’attaque contre les intérêts de ses ennemis; qu’en créant et en développant ses organisations de classe ne comprenant que des prolétaires et en brisant la pression que la concurrence exerce sur les salaires et les conditions de vie; qu’en empruntant la voie qui, de la lutte économique défensive se hisse, grâce à l’intervention du parti de classe, jusqu’à la lutte politique générale, classe contre classe.

Contre le drapeau rouge et or monarchiste et le drapeau tricolore républicain, seul le prolétariat peut hisser le drapeau rouge de la révolution sociale pour la conquête du pouvoir politique, la destruction de l’Etat bourgeois et la liquidation du mode de production capitaliste.

 

A bas la monarchie, la république et toute forme d’Etat bourgeois!

Pour la reprise de la lutte de classe!

Pour la révolution communiste!

 

5/6/2014

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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