A propos de la Réforme territoriale.
Une Tendance claire...ment réformiste
(«le prolétaire»; N° 511; Avril- Juin 2014)
Lors de la création du NPA, s’est constituée à l’intérieur de celui-ci une Tendance CLAIRE («pour le Communisme, la Lutte Auto-organisée, Internationaliste et RévolutionnairE») à l’initiative du Groupe CRI («Communiste, Révolutionnaire, Internationaliste»), issu d’une scission du trotskysme lambertiste. Le groupe CRI justifiait son existence par le raisonnement suivant: il existe depuis des années des groupes «centristes» (1) (les grands groupes trotskystes: LO, LCR, PT), ce qu’il faut c’est travailler à la formation d’un véritable groupe révolutionnaire. Mais la tâche lui parut probablement finalement trop ingrate, et lors de la constitution du NPA, suivant la vieille tradition trotskyste de l’entrisme, il adhéra à cette organisation qui, pourtant, n’était pas moins «centriste» que la LCR
Selon ses dires, la Tendance Claire se bat «pour que le NPA adopte un programme révolutionnaire cohérent et le défende ouvertement parmi les travailleurs et la jeunesse». Cette tendance, alliée avec le courant communiste révolutionnaire (CCR), a recueilli près de 10% des votes lors de la préparation du 2e Congrès du NPA en 2013.
Les récentes annonces gouvernementales au sujet d’une «réforme territoriale» – qui fusionnerait les régions et supprimerait l’essentiel des pouvoirs des départements – ont été une occasion de révéler ce que signifient concrètement les grandes déclarations de cette tendance en faveur d’un programme révolutionnaire. Elle a en effet publié un texte à ce sujet intitulé: «Combattre la réforme territoriale» (2).
L’élément de départ est l’affirmation, classique pour les réformistes de tous poils, que les prolétaires auraient quelques choses à défendre dans les structures de l’Etat bourgeois. Elle affirme ainsi que «Se désintéresser des questions institutionnelles sous prétexte qu’il s’agit d’institutions capitalistes serait une erreur fondamentale, et finalement un refus de combattre la politique gouvernementale».
En réalité, la TC entend surfer sur les mécontentements divers et variés que suscite la politique du gouvernement. Pour cela, elle s’aligne sur la grogne des petits notables de gauche qui tentent de sauver leurs postes et leurs émoluments. C’est avec eux qu’elle entend «construire la lutte des travailleur-e-s des collectivités pour le retrait de la réforme, en lien avec la population et les élu-e-s locaux/ales progressistes», c’est-à-dire un front interclassiste avec les politiciens du PS ou du Front de gauche qui se sentent lésés par le gouvernement.
Pour justifier sa défense de structures de l’État bourgeois, la TC fait appel au démocratisme et dénonce la réforme comme s’inscrivant dans une «logique bonapartiste et autoritaire», comparant – sans rire – le gouvernement Valls à ceux de Napoléon et de Pétain qui, eux aussi, auraient détruit «un héritage de la révolution démocratique bourgeoise de 1789»... les élections cantonales!
Elle présente même les collectivités locales (départements et communes) comme de possibles «points d’appui pour les luttes». Hier, affirme-t-elle, grâce au «maillage communal et départemental, [...] les travailleur-e-s avaient imposé la présence de services publics de proximité (poste, école, hôpitaux…)». Aujourd’hui, selon la TC, les départements et communes peuvent «s’opposer même timidement à la politique du gouvernement» avec un «soutien y compris matériel, aux luttes des travailleur-e-s (sic)» (par exemple l’aide à «la reprise d’une entreprise en gestion ouvrière», mot d’ordre réformiste sur lequel nous ne nous attarderons pas ici), ou une «politique en faveur des services publics et des droits de travailleurs (gratuité des transports, municipalisation de l’eau…)». Du Schivardi tout craché (du nom de l’inénarrable «candidat des maires» présenté par les Lambertistes aux présidentielles de 2007, aujourd’hui membre de la direction du POI)!
Les structures de base de l’organisation politique de l’Etat bourgeois auraient ainsi été utilisées par les travailleurs pour «imposer» au moins une partie de leurs revendications, et elles pourraient l’être à nouveau; la réforme gouvernementale doit donc être combattue car elle entraîne des «transformations institutionnelles qui renforcent la domination capitaliste et affaiblissent encore plus les droits démocratiques» (tout le monde ignorait jusqu’ici que ces «institutions capitalistes» affaiblissaient la domination capitaliste!). Mais, attention: «il ne saurait être question de croire qu’on peut renverser le capitalisme en s’intégrant dans les institutions même les plus démocratiques possibles dans la société actuelle: il faut donc montrer que de nouvelles institutions démocratiques [sic!] et sous le contrôle du peuple travailleur [?] (un gouvernement des travailleurs, appuyé sur le principe du contrôle et de la révocabilité des élu-e-s par la population [re-sic!] ) sont une nécessité». Bref un gouvernement vraiment démocratique, et le tour sera joué: plus besoin de révolution, de destruction de l’Etat bourgeois, d’instauration de la dictature du prolétariat, le principe de la révocabilité des élus par la «population» (les électeurs) suffit!
L’Internationale Communiste affirmait que les institutions communales «font aussi partie du mécanisme étatique de la bourgeoisie; elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les Soviets de députés ouvriers», «il est théoriquement faux de [les] opposer aux organes gouvernementaux» (3). Et la Gauche communiste d’Italie écrivait: «la conquête électorale des communes et des administrations locales (...) ne peut pas être acceptée comme un moyen d’action contre le pouvoir bourgeois, d’une part parce que ces organismes n’ont pas de pouvoir réel, mais sont subordonnés à la machine d’Etat; d’autre part parce qu’une telle méthode, bien qu’elle puisse donner aujourd’hui quelque embarras à la bourgeoisie dominante en affirmant le principe de l’autonomie locale, d’ailleurs opposé au principe communiste de la centralisation de l’action, préparerait à la bourgeoisie un point d’appui pour sa lutte contre l’établissement du pouvoir prolétarien» (4). Ce n’est donc pas la nécessité de nouvelles institutions démocratiques qu’il faut montrer, mais la nécessité de la centralisation de l’action de classe du prolétariat dans la perspective de la prise révolutionnaire du pouvoir central, de la destruction des institutions bourgeoises et de l’instauration de la dictature prolétarienne. Mais pour cela, il faut tout d’abord non pas se lier aux élus et notables «progressistes» et à la «population» en général, mais rompre au contraire avec ce mortel interclassisme démocratique qui paralyse le prolétariat et oeuvrer pour qu’il retrouve son indépendance de classe.
L’inverse donc que ce propose le tendance CLAIRE qui étale son réformisme avec sa bouillie petite-bourgeoise d’autogestion, de défense de l’État républicain, de démocratisme, de nationalisme anti-européen (l’UE étant la «pièce majeure [du] dispositif réactionnaire»).
Si, à juste titre, elle pouvait qualifier l’analyse par Lutte Ouvrière de la crise de «100% keynésienne et 0% marxiste», la TC pour sa part est 100% réformiste 0% communiste !
(1) Dans le langage des bolcheviks, le centrisme était un courant politique se situant entre les réformistes déclarés et les communistes, qui était «révolutionnaire en paroles, contre-révolutionnaire dans les faits»; l’archétype du centriste était le pontife socialiste allemand Kautsky qui pressait son parti (le Parti Social-Démocrate Indépendant) d’adopter un langage révolutionnaire pour éviter que les prolétaires ne se tournent vers les communistes. Mais il n’est pas sûr que le Groupe CRI ait été d’accord avec cette définition...
(2) cf tendanceclaire.npa.free.fr, 2/6/14.
(3) Thèses sur «Le Parti Communiste et le parlementarisme» adoptées au IIe Congrès de l’IC (juillet 1920).
(4) «Thèses de la Fraction Communiste Abstentionniste» (mai 1920). cf «Défense de la continuité du programme communiste», Textes du PCInt n°7, p. 25.
Parti communiste international
www.pcint.org