Les Comités Syndicalistes Révolutionnaires, ou «l’opposition de sa majesté» confédérale

(«le prolétaire»; N° 512; Juillet- Septembre 2014)

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Depuis une dizaine d’années, se développe dans la CGT une tendance – les Comités Syndicalistes-révolutionnaires – qui se présente comme l’héritière du syndicalisme révolutionnaire, courant qui a eu une grande influence dans le mouvement ouvrier français et qui a joué un rôle non négligeable à l’époque de la fondation du Parti communiste en France.

Les CSR s’affirment comme un courant communiste («Une tendance pour sortir de la crise du capitalisme», Syndicaliste!, n°40, novembre 2011) et proclament que «L’objectif du syndicalisme-révolutionnaire n’est pas défendre les services publics, l’État providence, les accords d’entreprises. Notre objectif c’est de faire la Révolution, c’est à dire la Révolution mondiale» («Les tendances syndicalistes-révolutionnaires», Syndicaliste!, ibidem).

Cela ne résiste pas à l’épreuve des faits. Les déclarations révolutionnaires ne tiennent pas longtemps car, comme les autres groupes d’ «extrême» gauche, cette tendance rejette la conquête du pouvoir par le prolétariat, la rupture avec le collaborationnisme et la reconnaissance du parti de classe.

 

Les champions du «contrôle ouvrier» ... dans l’entreprise capitaliste

 

Comme ceux des trotskistes qui ne l’ont pas abandonné au profit de la défense des service public, les CSR se font les chantres du «contrôle ouvrier».

De manière classique, ce contrôle ouvrier se fait par l’intermédiaire de nationalisation par l’État bourgeois: «s’attaquer au capitalisme par des nationalisations reste toujours une question d’actualité. Mais cela mérite débat quand on ne revendique pas un véritable pouvoir de décision et d’action (pas seulement le droit de proposer et de défendre) par les travailleurs eux-mêmes à partir de leurs propres organisations de classe, les syndicats. C’est ce pas qu’il faut désormais franchir, en développant une véritable stratégie de contrôle ouvrier» («Le 38e Congrès de la FNIC-CGT», Syndicaliste!, n°39). Nationaliser serait ainsi s’attaquer au capitalisme! L’ancien conseiller de Sarkozy, le député UMP Henri Guaino qui préconise une nationalisation d’Alstom, aurait-il adhéré aux CSR?

Selon ces derniers, les travailleurs – par l’intermédiaire de leur syndicat – devraient participer à la gestion des entreprises par l’intégration «des représentants des travailleurs dans les différentes instances que sont les CE, CCE, comités de groupe, conseil d’administration, etc. pour une démarche syndicale qui vise justement à ce que le prolétariat prenne le pouvoir sur les moyens de travail» («Luttes pour l’emploi, quelles perspectives», Syndicaliste!, n°43, janvier 2013).

«Prendre le pouvoir» ou collaborer à sa propre exploitation? La réponse ne fait pas de doute: pour commencer à détruire les rapports capitalistes (marché, argent, salariat, etc.) dans lesquels baignent toute l’activité économique et la vie sociale, il faut d’abord briser centralement le pouvoir bourgeois. Mais les CSR ne songeant pas une minute à détruire les rapports capitalistes, leur prétendue prise du pouvoir des travailleurs se limite à aller vers une gestion démocratique et transparente de l’entreprise capitaliste: il s’agit de donner la possibilité aux «travailleurs à comprendre la structure de leur entreprise: rechercher les comptes publiés, les aider à les comprendre, découvrir que leur “petit patron” a plusieurs boîtes pour le même donneur d’ordre, qu’il a mis en place une “pompe à finance” par le système bien huilé de la “holding”, etc.» («La CGT et l’industrie», Syndicaliste!, n°42, janvier 2013). L’objectif révolutionnaire ne consiste pas à se plonger dans les arcanes de la comptabilité capitaliste, à comprendre la structure de chaque entreprise particulière – il faut laisser cela aux agents du fisc! – mais à supprimer la comptabilité capitaliste en même temps que la structure en entreprises autonomes de l’économie; et pour pouvoir y arriver, les travailleurs devront, non pas chercher une aide pour comprendre la comptabilité, mais apprendre, comprendre et mettre en pratique les lois de la guerre de classe. Et là, les CSR ne leur seront d’aucune aide...

Ne craignant pas le ridicule, ceux-ci inventent en outre une forme de ce «contrôle ouvrier» à laquelle même les trotskistes n’avaient pas pensé: «l’élection de juges syndicaux» dans les tribunaux de commerce («Luttes pour l’emploi, quelles perspectives», Syndicaliste!, n°43). Les «juges» ouvriers pourront ainsi choisir de placer ou non une entreprise en liquidation judiciaire et ses salariés au chômage!

On le voit, la stratégie des CSR ne pourrait conduire au mieux qu’à une association/intégration des travailleurs à la gestion de l’entreprise capitaliste accompagnée (dans un premier temps) de la distribution de quelques miettes. En fait, les travailleurs devront se soumettre aux lois du marché, à la concurrence, aux exigences de la production, de la plus-value et de la réalisation du profit. Ils devront décider de l’augmentation des cadences, de la baisse des effectifs, du flicage des ouvriers… pour assurer la survie de l’entreprise qu’ils «contrôleront». Quel programme: faire des prolétaires leurs propres exploiteurs !

Mais selon les CSR, c’est à partir des entreprises autogérées que «le capitalisme volera en éclat sous la pression des travailleurs organisés» car la CGT va ainsi «devenir un contre-pouvoir socialiste avant de se transformer en socialisme» . Et bien entendu, le tout se fera «sur un mode fédéraliste et profondément démocratique» («Une tendance pour sortir de la crise du capitalisme», Syndicaliste !, n°40, novembre 2011). Dans ce conte de fée où le capitalisme éclate tranquillement comme une bulle de savon, plus besoin de la révolution prolétarienne, de son insurrection armée et de sa dictature du prolétariat !

 

Contrôle ouvrier contre dictature du prolétariat

 

Le programme des CSR – et plus globalement du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarcho-syndicalisme – est depuis toujours à l’opposé de celui des communistes. Ce fut déjà énoncé, à Marseille, lors du Congrès de 1921 du Parti communiste: «Le syndicalisme révolutionnaire, ce n’est pas le communisme, ni au point de vue des méthodes, ni au point de vue des principes. […] Ils [les SR] ont une conception différente de la nôtre du développement de l’histoire, et ils ont une critique différente de la société capitaliste; ils tracent un processus différent de l’émancipation prolétarienne. Il faut éclaircir devant le prolétariat ces différences et faire au sein des syndicats, la propagande en faveur de nos propres doctrines, de nos méthodes et de nos perspectives du développement du prolétariat qui pousse à l’action politique, à l’intervention des partis dans la lutte, à la dictature du prolétariat et à la constitution des conseils ouvriers et paysans». (discours de Bordiga, décembre 1921, Programme Communiste n°102)

 Leur «contrôle ouvrier» ne fait que reprendre les élucubrations de l’anarchisme combattues depuis toujours par les communistes. Nous dénoncions le caractère utopique et réactionnaire de ce mot d’ordre lorsqu’il était à la mode chez les groupes «gauchistes» des années 70:

«Marx a déjà montré que les anarchistes sont les continuateurs utopistes de la révolution bourgeoise dont ils reprennent les mots d’ordre démocratiques en reprochent aux bourgeois de les avoir eux-mêmes trahis! Admirateurs de la révolution démocratique, ils en transposent le mécanisme dans la révolution sociale  la bourgeoisie avait déjà le pouvoir économique sous le féodalisme, DONC les ouvriers doivent prendre le pouvoir économique sous le capitalisme. Le moyen de cette prise du pouvoir «à la base» est, bien sûr, le contrôle ouvrier. Une fois expropriée par les occupations d’usines, la bourgeoisie n’a plus qu’à se retirer! Pas un mot sur la question de l’ETAT, du rôle de la police et de l’armée, sans parler des bandes illégales. L’histoire a pourtant prouvé que la stratégie strictement défensive (occupations d’usines ou barricades) ne peut mener le prolétariat à la victoire. Il doit au contraire attaquer et détruire l’appareil d’Etat bourgeois et instaurer sa propre dictature.» («Utopie réactionnaire du contrôle ouvrier», Le Prolétaire, n°76, mars 1970)

 Nous rappelions que la revendication du «contrôle ouvrier» ne pourra que détourner les prolétaires de la lutte politique pour la prise du pouvoir et l’établissement de leur dictature de classe car il « accrédite l’idée que le pouvoir se prend dans l’entreprise et non pas au niveau de l’État; mais alors, si la dictature du capital est impuissante à empêcher une telle transformation économique «par le bas» à quoi bon la dictature du prolétariat?» («La tarte à la crème du contrôle ouvrier», Le Prolétaire, n°64, avril 1969)

Naturellement, la défense d’un tel programme s’accompagne d’un aplatissement complet devant le collaborationnisme syndical.

 

Les larbins du collaborationnisme

 

Les CSR émettent bien entendu des critiques contre les bonzeries syndicales (cela justifie leur existence). A juste titre, et au contraire de nombreux trotskistes, ils sont capables d’écrire que «Ce n’est pas le rôle des bureaucraties de faire converger les luttes. Et quand il arrive qu’elles le fassent, c’est parce qu’elles y sont contraintes et forcées et qu’elles tentent alors de contrôler le mouvement enclenché en dehors d’elles» («Luttes pour l’emploi, quelles perspectives», Syndicaliste !, n°43).

A la lecture de leur prose, on comprend cependant vite que c’est moins le collaborationnisme qui est combattu que des problèmes de fonctionnement interne de la CGT. Sans rire, ils présentent par exemple la CGT comme «la principale organisation de classe dans le pays» et «l’outil de lutte et d’émancipation des travailleurs»; et l’intersyndicale jaune qui a mené les travailleurs à la défaite lors des grèves contre la «réforme» des retraites en 2010, comme «un élément positif, un acquis important, malgré une plate-forme minimum qui convient de fait aux syndicats favorables au patronat» («De quelle Confédération avons-nous besoin?», Syndicaliste!, n°39)

Les CSR se montrent davantage critiques à l’égard des courants d’ «extrême» gauche qui contestent l’orientation de la CGT. Ils dénoncent «la posture gauchiste qui consiste à jouer au rebelle et à dénoncer «les méchants bureaucrates» et lui opposent «une attitude plus constructive, plus syndicaliste, qui consiste à mettre en place d’autres pratiques dans les bases syndicales, dans les UL, à encourager d’autres formes de structuration» («Une tendance pour sortir de la crise du capitalisme», Syndicaliste! n°40, novembre 2011).

Pas question donc de dénoncer la politique archi-réformiste de la CGT: ces syndicalistes révolutionnaires constructifs lui apportent leur soutien!

Ils exaltent ainsi les multiples et ridicules contre-plans industriels de la CGT en jugeant que «L’action de la confédération […] a révélé un potentiel de mobilisation militante permettant de légitimer le pouvoir des travailleurs sur leurs moyens de production» et «possède donc un potentiel pour faire avancer une démarche de contrôle ouvrier». Les conseils prodigués par la CGT aux capitalistes pour mieux gérer leurs entreprises deviennent sous la plume des CSR «potentiellement anticapitalistes» car ils «s’opposent radicalement avec la logique du profit maximum et avec la stratégie des grands groupes industriels mondiaux, liés à la bourgeoisie financière» et «suppose[nt] un affrontement avec le capital d’un niveau très élevé» («La CGT et l’industrie», Syndicaliste!, n°42, janvier 2013).

 La politique de sabotage des luttes au nom de la recherche de repreneurs, de la transformation en coopérative ou autres fadaises est vue comme «un aspect du mouvement réel de notre classe, qui porte dans une direction offensive, qui est en recherche, qui pose des questions essentielles sur l’organisation et les buts du syndicalisme» et «un mouvement vers l’indépendance politique du prolétariat» («Luttes pour l’emploi, quelles perspectives», Syndicaliste!, n°43). Il fallait oser l’écrire!

Pour couronner le tout, les CSR appellent les militants à «s’impliquer dans la démarche initiée dans la CGT sans poser de conditions préalables» («La CGT et l’industrie», Syndicaliste!, n°42, janvier 2013). Quelle servilité!

Dans la même logique, les CSR soutiennent le «nouveau statut du travail salarié» (NSTS) de la CGT qui depuis des années propose de remplacer les droits collectif des travailleurs (conventions collectives et statuts) par des droits individuels transférables d’une entreprise à l’autre, d’une branche à l’autre. Alors qu’il s’agit d’une adaptation à la précarisation croissante du travail, les SR défendent cette revendication «car [le NSTS] suppose un niveau d’affrontement sans précédent avec le capital: la suppression du marché du travail» («Le 38e Congrès de la FNIC-CGT», Syndicaliste!, n°39, mars 2011)!

C’est clair, c’est net! Les CSR ne sont que les laquais des bonzes syndicaux, des professionnels de la trahison et des défenseurs de l’exploitation capitaliste! Logiquement, cela a l’anticommunisme comme corollaire.

 

Le parti, voilà l’ennemi !

 

C’est une véritable haine que les CSR vouent à l’idée même de parti politique et donc (et surtout!) au parti de classe car le parti «regroupe ses membres sur une base idéologique et affinitaire et non sur des intérêts de classe». Au contraire, les syndicats sont considérés comme «des outils de gestion socialistes. Des outils qui unifient et socialisent réellement contrairement aux autres modèles boiteux:  soviets, «État socialiste», coopératives, associations de consommateurs, conseils ouvriers par entreprise...’ » Et bien entendu, les fractions dans le syndicat sont condamnées car elles «divisent les travailleurs, les syndicats et les luttes». («Une tendance pour sortir de la crise du capitalisme», Syndicaliste!, n°40, novembre 2011)

Tous les arguments anticommunistes traditionnels sont ressassés: certains exaltent la prétendue «supériorité» du mouvement ouvrier français face à «un Parti bolchevique russe peuplé d’intellectuels professionnels» (brochure Des Comités Syndicalistes Révolutionnaires au PCF. Une histoire occultée, 2010, page 14), d’autres condamnent les communistes comme des «auxiliaires d’un État» (étranger bien sûr !) (page 52).

Les CSR colportent également les calomnies classiques qui condamnent ceux qui se sont opposés au PCF comme des aventuriers sans principes. Ses scissions sont présentées comme «le fait de conflits entre fractions de la bureaucratie» menées par des « dirigeants déclassés [qui] préfèrent alors prendre leur autonomie en essayant d’emporter avec eux les forces militantes qui acceptent de les suivre. Le combat idéologique sert ensuite à justifier la stratégie politique précédente et à cautionner la création d’un nouvel appareil » (page 51). Le soi-disant retour au syndicalisme du début du XXe siècle ressemble à s’y méprendre à une répétition des élucubrations de Marchais contre les «gauchistes».

Pas étonnant qu’un des objectifs avoués des CSR est que «les idéologies étatistes (putschistes ou électoralistes) ne triomphent pas». («Une tendance pour sortir de la crise du capitalisme», Syndicaliste !, n°40, novembre 2011)

 

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Autrefois le courant syndicaliste-révolutionnaire comprenait nombre de militants ouvriers révolutionnaires, poussés vers les orientations anti-parti par le réformisme parlementariste du parti socialiste. Ecoeurés par le ralliement des chefs syndicalistes révolutionnaires à l’ «union sacrée» avec la bourgeoisie pendant la guerre, et attirés par la révolution en Russie, les meilleurs d’entre eux réussirent un temps à surmonter leurs préjugés pour oeuvrer à la tentative de constitution d’un parti révolutionnaire communiste. Mais aujourd’hui, Les CSR, comme les autres courants syndicalistes-révolutionnaires ou anarcho-syndicalistes (CNT, Emancipation, ...), témoignent que le syndicalisme révolutionnaire n’est plus qu’une tendance du collaborationnisme, aussi dangereuse que les autres.

Pour conclure, nous nous contentons de reproduire ce que nous écrivions il y a 50 ans sur ce courant :

«Le syndicalisme révolutionnaire est bel et bien mort en 1914, mais non pas toutes les conceptions qu’il a inspirées et qui nient la dictature du prolétariat en prônant les «conseils d’usine», la «gestion ouvrière» et autres formules semblables. Cette déviation “au second degré” a infesté tout le mouvement communiste […] D’autre part, existe-t-il un seul mot d’ordre dans tout l’arsenal théorique du syndicalisme qui ne soit devenu une arme du capitalisme, soit pour convaincre les ouvriers que, grâce à ces mots d’ordre leur révolution est déjà faite, soit pour les persuader que, devenant leur propre patron grâce à la gestion de l’entreprise, cette révolution est devenue inutile? Dans un cas comme dans l’autre, cela n’est dit que pour les détourner de la lutte politique pour la prise du pouvoir et l’établissement de leur dictature de classe…

Pour tous les philistins modernes, il semble que, de la joute historique entre syndicalistes et «apparentés» d’une part, marxistes de l’autre, les premiers soient définitivement sortis vainqueurs. Leurs mots d’ordre “gestionnaires” gagnent partout du terrain […] C’est en réalité d’une façon plus dialectique qu’il faut voir les choses et, pour nous, la cause est entendue, mais d’une manière toute différente: c’est le syndicalisme comme formule de libération prolétarienne qui est battu. Précisément parce que la dictature du prolétariat n’existe plus nulle part et parce que toutes les formules syndicalistes ne triomphent que comme mots d’ordre des divers complices de la domination bourgeoise.»

«Alfred Rosmer», Programme communiste, n°28, 1964

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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