Ukraine:

L’intoxication nationaliste n’a pas empêché les mineurs de faire grève contre la guerre.

Un premier pas sur le long chemin de la reprise de classe!

(«le prolétaire»; N° 513; Octobre- Novembre 2014)

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La guerre en Ukraine, comme il y a plus de 20 ans la guerre dans l’ex-Yougoslavie est la réponse bourgeoise à la crise économique qui étrangle le pays et aux contrastes qui font se heurter à nouveau les impérialismes européens et américain à l’impérialisme russe dans les pays de l’est européen. 

Les nationalismes exacerbés avec les quels les fractions bourgeoises se combattent en Ukraine (les «pro-russes» au nom du droit à l’autodétermination, les pro-européens au nom de l’unité de l’Etat national) sont les armes idéologiques utilisées par les classes dominantes pour mobiliser les masses populaires et surtout prolétariennes en défense d’intérêts nationaux ou régionaux qui n’ont absolument rien à voir avec les intérêts des prolétaires. Ces derniers, en plus d’être systématiquement exploités en tant que force de travail à qui les capitalistes extorquent de la plus-value (et donc du profit) sont voués à être utilisés comme chair à canon sur les fronts ou dans les villes bombardées.

Les intérêts bourgeois ont leur racine dans le mode de production capitaliste qui est fondé sur l’exploitation intensive et extensive de la force de travail prolétarienne; réglé par la propriété privée et l’appropriation privée de la production de marchandises, le système capitaliste est incapable de fonctionner sans une concurrence qui devient plus féroce et plus aiguë dans la mesure où par son développement même il augmente les facteurs de crise et d’affrontement tant sur le marché national que sur le marché mondial. Le développement capitaliste ne procède pas de façon harmonieuse et régulière, mais par secousses toujours plus violentes; ces secousses se répercutent inévitablement au niveau politique, augmentant ou diminuant les frictions et les heurts entre entreprises, et entre groupes économiques et financiers.

Les crises économiques ne frappent pas uniquement l’économie et par conséquent les rapports entre capitalistes et prolétaires; leurs conséquences se font sentir sur tous les plans: politique, diplomatique, militaire. Les partenaires se transforment en concurrents, les alliés en ennemis, la défense des intérêts des groupes les plus puissants devient la défense des «intérêts nationaux»; la «patrie» apparaît avec une force renouvelée comme le symbole idéal des intérêts nationaux que la bourgeoisie présente toujours comme les intérêts de «tout le peuple» alors qu’ils ne sont que des intérêts de classe, les intérêts des exploiteurs. A l’époque de l’impérialisme, de la dite «mondialisation», ce qui se passe dans un pays, et à plus forte raison si ce pays se trouve dans une zone de fortes tensions inter-impérialistes, a des répercussions dans le monde entier.

C’est pourquoi les tensions politiques entre fractions bourgeoises qui ont éclaté en Ukraine ces dernières années et qui ont pris la forme d’un conflit armé, impliquent nécessairement les intérêts économiques et politiques de la Russie, des Etats européens et des Etats-Unis. Après l’implosion de l’URSS, toute la zone-charnière entre la Russie et les pays ouest-européens est devenue un terrain de conquête pour les impérialismes les plus puissants: Etats-Unis, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, etc., sur les plan économique, financier, politique et militaire.

De son côté la Russie n’a pas abandonné ses ambitions impérialistes, ni au niveau mondial, ni au niveau des anciens pays du camp dit «socialiste»; et elle est prête à profiter des faiblesses des pays nouvellement indépendants et d’un situation internationale où les Etats-Unis en particulier et les autres impérialismes occidentaux sont en difficulté dans beaucoup de régions du monde, à commencer par le Proche et le Moyen Orient, mais aussi en Afrique.

Depuis plusieurs années l’Ukraine est en proie à de graves problèmes économiques et financiers; elle est fortement endettée auprès de la Russie (surtout pour les livraisons de gaz) et du FMI. Ces difficultés ont poussé le gouvernement ukrainien à entamer des discussions avec l’Union Européenne. La Russie a profité de la crise politique ukrainienne qui a suivi pour annexer la Crimée, alors qu’elle s’était engagée dans un «traité d’amitié» signé en 1997 avec l’Ukraine à ne pas le faire (énième démonstration de ce que valent les traités d’amitié entre Etats bourgeois!).

Inutile de dire que l’intérêt russe envers la Crimée est surtout celui de sauvegarder sa base navale de Sébastopol pour garantir la liberté de manoeuvre de sa flotte en Mer Noire, le contrôle de la frontière avec la Turquie, le passage vers la Méditerranée par le détroit des Dardanelles. Le soutien de Moscou aux séparatistes pro-russes des régions orientales de l’Ukraine (la partie la plus industrielle et minière du pays) s’explique par des intérêts économiques, politiques et militaires. Il sera très difficile pour l’Ukraine et les impérialismes occidentaux de revenir aux frontières antérieures; les contrastes qui ont débouché sur la guerre partisane des séparatistes pro-russes pourront difficilement être résolus à brève échéance; étant donné l’état actuel des rapports inter-impérialistes, il n’y a guère d’autre possibilité, au moins dans un premier temps, que l’acceptation de l’annexion de la Crimée par la Russie, accompagnée sinon, d’une annexion, au moins d’une large autonomie de la région du Donbass (qui comprend la «république de Donetsk» et la «république de Lougansk») sur la quelle la Russie entend exercer une influence prépondérante.

Les informations sur les événements en Ukraine qui sont diffusées par les médias occidentaux sont évidemment tendancieuses: elles diabolisent le «tsar» Poutine et cachent une bonne partie de la réalité. Par exemple que les séparatistes aient recours à des mercenaires, parce que la population des régions orientales ne soutient pas la guerre; tandis que le gouvernement de Kiev doit faire face à des mutineries (1) et des manifestations des mères de soldats qui continuent à s’opposer à la guerre (2).

Et, ce qui du point de vue prolétarien est le plus intéressant, c’est que les mineurs du Donbass, bien qu’ils ne puissent compter sur des syndicats de classe et encore moins sur un parti prolétarien de classe, sont entrés en grève en mai et juin contre la guerre et pour l’augmentation de leurs salaires à Donetsk, Krivoy Rog et dans d’autres mines (3).

Au delà des motivations très confuses, imprégnées de nationalisme à l’eau de rose, des soldats qui se sont mutinés et ont refusé de partir pour le «front»; et au delà de l’absence de perspectives de classe y compris dans les luttes des mineurs, il reste le fait que s’est exprimée parmi les prolétaires une certaine rupture de la solidarité nationale et de l’interclassisme. Que cette rupture n’ait pas engendré ni ne pouvait engendrer automatiquement un mouvement de classe du prolétariat, qu’il soit d’origine russe, ukrainien, tatar ou autre, nous le savons bien; mais c’est un signal pour les prolétaires en général: il est possible de s’opposer à la guerre bourgeoise; il ne faut pas craindre de faire grève pour défendre ses intérêts immédiats et en même temps contre la guerre, la solidarité entre prolétaires a une force qui peut peser sur les décisions que doivent prendre les Etats. C’est aussi un signal pour les classes bourgeois qui ne peuvent utiliser complètement à volonté les masses prolétariennes: c’est aussi en partie pour cette raison que la Russie et le gouvernement de Kiev ont décidé d’atténuer leur antagonisme et d’arriver à un «cessez-le-feu».

La grande majorité des prolétaires est cependant encore profondément intoxiquée par le démocratisme et le nationalisme. La prétendue «révolution orange» qui aurait fait passer sur l’Ukraine le souffle de la démocratie, de la libre et pacifique expression de chacun, dans le respect de l’indépendance nationale, et, surtout dans la privatisation accélérée des entreprises et la circulation et la circulation des capitaux, n’était qu’une illusion bourgeoise: à l’époque de l’impérialisme la souveraineté nationale se réduit à une simple formule de propagande agitée pour se faire passer pour la victime d’une «agression» de puissances rivales et demander un soutien aux alliés du moment, alors que dans la réalité des faits économiques et financiers, elle n’est qu’un paravent couvrant l’activité des grands groupes nationaux ou extra-nationaux.

C’est pourquoi en appeler à la souveraineté nationale, au droit international ou aux traités diplomatiques est en définitive une façon de justifier la défense d’intérêts jamais ouvertement déclarés en tant que tels et imposés par la force. Les mouvements populaires qui glorifient la paix, la démocratie, la lutte contre la corruption et l’illégalité, etc. et qui, à la façon des Indignés d’Espagne et d’ailleurs se nomment «euromaïdan» ou autre, ne sont que des véhicules politiques et idéologiques contre un éventuel réveil de classe du prolétariat.

Les grèves des mineurs du Donbass ont démontré, face à l’exaspération des contradictions capitalistes qui se sont transformées en affrontement armés, que les intérêts prolétariens et bourgeois sont irréductiblement opposés. Sur cette voie, les prolétaires peuvent trouver une orientation les menant vers l’affirmation de leur force de classe, vers la constitution de leur propre mouvement, de leurs propres organisations, vers l’affrontement ouvert entre les classes sur un plan complètement différent de celui de la guerre entre bourgeois.

Mais la guerre de classe ne naît pas du jour au lendemain. Elle implique d’abord que les prolétaires se reconnaissent comme une classe distincte de toutes les autres classes de la société, avec des intérêts opposés aux intérêts bourgeois; elle implique que les prolétaires prennent confiance dans leurs propres forces, non seulement lors de mouvements épisodiques, mais avec une continuité dans l’espace et dans la durée. Il sera nécessaire qu’ils s’organisent de façon classiste, d’abord pour la lutte de défense économique et ensuite au niveau politique, dans la constitution du parti de classe, le véritable parti révolutionnaire communiste, guide unique de la lutte historique pour l’émancipation du capitalisme.

Lutter contre l’ivresse nationaliste d’un côté comme de l’autre, n’est pas un «choix» idéologique pour les prolétaires; ce sera le résultat d’une lutte qui commence inévitablement sur le terrain immédiat de la défense exclusive des intérêts prolétariens; c’est sur ce terrain que naît la solidarité de classe, que naît l’union des prolétaires pour une lutte d’ensemble plus large contre toutes les forces de la conservation sociale.

Ce n’est pas en retournant à l’économie dite «planifiée» ni en accélérant l’économie «de marché», que les prolétaires peuvent trouver une solution aux problèmes de leurs conditions matérielles de vie et de travail. Dans l’ancienne URSS comme dans la nouvelle démocratie ukrainienne, l’économie n’a jamais été autre chose que capitaliste et le pouvoir bourgeois. L’ennemi fondamental est le même, la classe dominante qui représente le capital avec ses usines, ses banques, ses commerces, son Etat, sa police!

Sous tous les cieux, en Ukraine comme en Syrie, en Europe comme en Chine, en Russie comme aux Etats-Unis, le prolétariat n’a pas d’autre alternative que la lutte contre toutes les forces, bourgeoises et petite-bourgeoises, qu’elles soient démocratiques, laïques, chrétiennes ou islamiques, qui défendent l’ordre bourgeois. Dans la lutte contre l’exploitation, le prolétariat trouvera comme il l’avait trouvé lors de son passé glorieux de révolutions depuis 1848, la voie de la lutte de classe. L’histoire n’est pas pressée, même si depuis trop de décennies les prolétaires du monde entier sont soumis à des souffrances sans nombre pour finir par être immolés au dieu capital.

 

14/9/2014


 

(1) http://ndilo.com.ua/news/u-viyisku-rozpochavsja-bunt.html, e http://ukraineantifascistsolidarity. wordpress.com/2014/05/30/beginning-of-rebellion-in-the-ukrainian-army/

(2)http://ukraineantifascistsolidarity. wordpress.com/2014/06/02/soldiers-relatives-protests-spreading-in-ukraine/ e anche http://www.aitrus.info/node/3875/ attraverso http://libcom.org/forums/news/protest-ukraine-02122013? page= 11#comment-541714

(3) http://liva.com.ua/miner-war.html, attraverso http://ukraineantifascistsolidarity. wordpress.com/2014/05/30/donetsk-miners-strike-against-war-eyewitness-account, oltre a http://www.marxist.com/donetsk-miner-strike.html

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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