Le capitalisme mondial vers la rechute dans la crise

(«le prolétaire»; N° 514; Décembre 2014 - Février 2015)

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Près de 7 ans après la crise économique qui éclata durant l’année 2008, les nuages d’orages s’amoncellent dans le ciel du capitalisme. Alors que la fameuse reprise économique après la crise a été tout sauf flamboyante, les grandes institutions économiques internationales (FMI, OCDE, etc.) ne cessent, depuis la fin de l’été, de réviser à la baisse leurs «prévisions» de croissance pour l’année 2015, commençant même à parler de risque de rechute de l’économie mondiale dans la crise, tout en estimant cette éventualité improbable.

D’autres organisations plus petites et non tenues par le besoin de ne pas porter atteinte à la «confiance» des «opérateurs économiques» dans la bonne santé de l’économie mondiale ou par des soucis d’ordre diplomatique, sont plus pessimistes; un institut de prévision économique a même calculé à 65% le risque de plongée dans une nouvelle récession mondiale en 2015 (1) – alors que le FMI estime à seulement 40% la probabilité d’une récession, et dans la seule zone euro (2).

Ces chiffres font sourire. Les économistes bourgeois sont bien incapables de comprendre et par conséquent de prévoir le fonctionnement de l’économie capitaliste; en dépit de l’avalanche permanente de chiffres et de statistiques, toutes les crises économiques qui se sont produites, à commencer par la dernière, les ont pris par surprise... Nous n’accordons donc pas plus de confiance aux institutions qui affirment constamment que tout va s’améliorer, qu’aux économistes, bien moins nombreux, qui se sont spécialisés dans les prévisions les plus noires. Mais les instituts et autres organisations économiques ont la capacité –c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont été créés!– d’enregistrer les évolutions économiques.

 

Ralentissement économique mondial

 

Or depuis quelques mois ils constatent un ralentissement économique au plan international, quoique ce ralentissement soit variable selon les pays et les régions. Il est le plus net au Japon qui est le deuxième pays capitaliste dans le monde (même si sur le seul plan quantitatif, la Chine, gigantesque mais en retard du point de vue du développement capitaliste, le dépasse): depuis le printemps il est entré en récession et les chiffres publiés début décembre indiquent que cette récession s’aggrave: le PIB (Produit Intérieur Brut) y a reculé de presque 2% en rythme annuel au troisième trimestre, alors que le recul n’était que de 1,8% au second. La fameuse nouvelle politique économique du première ministre Abe (les «abenomics»), censée sortir le Japon du marasme (depuis 2008 le pays n’a pas connu de véritable reprise de la croissance), a clairement été un échec. Ce recul est attribué à la faiblesse du marché interne et, en dépit de la baisse du yen, à la stagnation des exportations «en raison de l’atonie des échanges mondiaux» (3).

 

Marasme en Europe

 

Le deuxième point faible actuel de l’économie internationale est l’Union Européenne (et plus particulièrement la zone euro), qui à elle seule constitue le premier marché mondial. Le PIB de la zone avait chuté en 2012, avant de reprendre péniblement en 2013. Un ralentissement est devenu perceptible début 2014, avant que la croissance ne marque un coup d’arrêt au deuxième trimestre.

Mais en réalité la situation en Europe est contrastée suivant les pays. Nous avons d’un côté la Grande-Bretagne, qui n’a pas adopté la monnaie commune, non seulement à cause de ses liens économiques et financiers encore très forts avec les Etats-Unis, mais aussi par crainte de voir diluer la place financière de Londres dans l’ensemble européen avec le renoncement à la Livre; elle connaît une croissance sensible, parallèle à celle des Etats-Unis; tandis que dans la zone euro, l’Allemagne en fort ralentissement (ayant même connu une baisse de son PIB au deuxième trimestre) a émergé de la crise de 2008 avec une force renouvelée: elle a pratiquement fait disparaître son déficit budgétaire, elle continue à avoir un excédent commercial et elle a nettement réduit son endettement: cela la met en position de force pour exiger de ses partenaires des efforts pour «remettre en ordre» leur économie. L’Allemagne échappe officiellement pour l’heure à la récession, de même que la France où la croissance du PIB est cependant à peu près nulle. Par contre l’Italie, la troisième économie de la zone, connaît sa troisième année successive de récession.

A cause de l’évolution économique divergente des différents pays qui composent la zone euro, la crise économique a débouché sur de fortes tensions en son sein, au point de laisser planer à un moment un doute sur sa viabilité. Outre le cas de la Grèce, la crise a eu les conséquences négatives les plus fortes sur le Portugal, l’Irlande et l’Espagne, qui ont dû faire appel à la «troïka» (FMI, Banque Centrale Européenne et Commission Européenne) pour des plans respectifs de «sauvetage» consistant en des mesures d’austérité, de coupes sociales, de liquidations de secteurs peu rentables dans le but de rétablir les comptes de ces économies, en contrepartie de prêts à (relativement) bas taux d’intérêt..

Les économistes et les dirigeants politiques européens présentent aujourd’hui le cas espagnol comme la démonstration que «l’austérité, ça marche»: le pays (comme l’Irlande) a en effet renoué avec la croissance, à la différence de la Grèce où l’austérité particulièrement sévère n’a pas produit de résultats favorables). Mais cette croissance est toute relative, l’Espagne étant encore loin d’avoir retrouvé le niveau économique d’avant la crise; et surtout le prix payé par les masses en générale et les prolétaires en particulier en terme de chômage et de baisse des salaires, de pauvreté et de précarité, n’est évidemment pas pris en compte!

 

France et Italie

 

En plus de ces pays, la situation économique de la France et de l’Italie, respectivement les deuxième et troisième puissances économiques de la zone euro, suscitent des inquiétudes chez les capitalistes internationaux (ce qui a provoqué l’abaissement de leur «note» par les agences internationales de «rating» qui effectuent des analyses du risque économique des différentes économies). En dépit des discours optimistes du gouvernement, l’économie française stagne; elle ne cesse de perdre des parts de marché face à ses concurrents et elle n’arrive pas à résorber ni son déficit commercial, ni son déficit budgétaire, ni sa dette publique.

En dépit des mesures importantes déjà prises en faveur des entreprises, tant les responsables allemands que les institutions européennes ou le Medef demandent au gouvernement français de tenir ses engagements en mesure budgétaire et de s’engager plus résolument dans la voie des «réformes» (lire: attaques anti-ouvrières), des économies (lire: réduction surtout des dépenses sociales, comme les pensions, les indemnités chômage, etc.) et de l’austérité. Le gouvernement Hollande n’y est pas opposé par principe, on s’en doute, mais il sait que des mesures d’austérité déboucheraient sur la récession; il craint aussi que des attaques anti-ouvrières trop brutales ne débouchent sur des réactions difficilement contrôlables.

Les choses sont comparables pour ce qui est de l’Italie; mais la différence est que si la «dette souveraine» y est nettement plus importante (équivalente à 135% du PIB, contre 96% pour la France), ce qui impose donc une charge plus lourde sur le budget, l’industrie italienne, plus puissante et plus dynamique que la française, permet au pays de maintenir et accroître ses exportations, lui faisant enregistrer un excédent commercial et donc des rentrées budgétaires.

Mais étant donné la faiblesse du marché intérieur, la bonne tenue de l’économie italienne à l’export (marchandises comme services) ne suffit pas à lui éviter la récession. On comprend donc pourquoi le gouvernement Renzi, tout en poursuivant une politique antisociale, notamment sur le marché du travail («Jobs act»), hésite lui aussi, pour diminuer l’endettement,  à se lancer dans des mesures d’austérité brutales qui auraient un effet négatif sur l’activité économique. Comme le gouvernement français, il plaide pour un effort de relance économique européen ; il compte beaucoup, comme ce dernier, sur le dit « plan Junker », autrement dit sur un retour miraculeux de la «croissance»: ce plan Junker n’est en réalité que de la poudre aux yeux.

 

Le ralentissement des pays «émergents»

 

Les pays dits «émergents», selon le nouveau jargon à la mode, sont les grands pays autrefois peu développés, qui connaissent depuis quelques années un développement et une croissance rapides. Il n’y a rien d’étonnant à ce phénomène qui a été commun à tous les pays, alors qu’il était autrefois présenté comme la démonstration de la nature «socialiste» de l’URSS et autres pays capitalistes d’Etat: notre parti a consacré de nombreuses études pour montrer que ces rythmes de croissance élevés, «à la stalinienne», avaient autrefois caractérisé l’économie du Japon ou... des Etats-Unis! En arrivant à maturité, les économies capitalistes développées connaissent un ralentissement de leur taux de croissance, alors même que ce sont des masses énormes de capital qui sont impliquées à chaque cycle productif.

Les pays les plus représentatifs des émergents sont le Brésil, l’Inde, la Russie et la Chine (le groupe dit «BRIC»), l’ancienne deuxième puissance mondiale, la Russie, ayant été ravalée au rang de pays émergent après la désintégration de l’URSS.

Si les statistiques indiquent que l’Inde est encore en croissance, cette croissance connaît un ralentissement particulièrement sévère (croissance deux fois moins élevée qu’avant la crise): 4,5% environ, soit le plus bas taux de croissance depuis le début du siècle. Le nouveau gouvernement du réactionnaire Modi essaye de relancer la croissance par des mesures de libéralisation économique qui ont entraîné de grandes grèves dans l’industrie charbonnière, tandis que les services secrets ont publié un rapport qui attribue les difficultés économiques aux organisations écologiques financées par l’étranger (4)!

Le Brésil, par contre, est aujourd’hui en récession et il en va de même de la Russie: frappée durement par la chute des prix du pétrole, dont elle était probablement en 2013 le premier producteur mondial, et plus légèrement par les sanctions occidentales à propos de l’Ukraine, celle-ci devrait connaître cette année une forte récession, de 4,8% selon la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) et probablement plus dans la réalité. L’effondrement du cours du rouble, parallèle à celui du pétrole, fait d’ores et déjà courir de graves dangers aux institutions financières russes.

La Chine, elle, connaît un fort ralentissement économique. Les autorités de Pékin ont affirmé que le pays pourrait supporter une croissance de seulement 7,5%, mais les chiffres officiels publiés à la fin de l’année dernières étaient déjà inférieurs à ce chiffre; en général les économistes étrangers sont plutôt sceptiques sur la validité de ces chiffres officiels et de plus en plus nombreux sont ceux qui s’attendent à un ralentissement «brutal» de l’économie chinoise en particulier à cause des risques d’éclatement de la gigantesque bulle immobilière (5). Ici aussi  le gouvernement a été obligé de venir au secours de certaines banques, tandis que la bourse de Shanghai plongeait...

 Le freinage économique de la Chine, premier exportateur mondial, est la conséquence logique de la faiblesse du marché international; en effet son marché intérieur est encore trop peu développé pour absorber les marchandises qu’elle produit en masse et la surproduction est manifeste dans la plupart des secteurs, industriels comme immobiliers. Elle ne peut donc en aucune façon servir de locomotive à l’économie mondiale, comme on l’entendait répéter il n’y a pas si longtemps...

 

Croissance américaine droguée

 

Comparée à celle des pays que nous venons de passer en revue la situation des Etats-Unis paraît brillante. Les commentateurs bourgeois ne cessent de nous vanter le bon exemple de ce pays, patrie du libéralisme économique, par rapport à une Europe «sclérosée», où les travailleurs s’opposeraient obstinément aux «réformes» que les politiciens trop mous n’auraient pas le courage d’imposer: qu’on libéralise le marché du travail, qu’on supprime les mesures sociales qui font obstacle à l’esprit d’entreprise et l’économie redémarrera comme en Amérique! Ce refrain est chanté aux prolétaires dans toutes les langues de l’Europe (et en dehors de l’Europe).

Il est indéniable que les Etats-Unis connaissent une croissance qui fait l’envie des autres grands pays. Les dernières statistiques publiées indiquent qu’au troisième trimestre 2014, le taux de croissance du PIB y avait été le plus élevé depuis 2003 et que le taux de chômage continuait à baisser (5,6% en décembre, le plus bas niveau depuis juin 2008), les Etats-Unis ayant créé près de 3 millions d’emplois en 2014 (6); le déficit budgétaire est passé sous les 3 % du PIB, le déficit commercial s’est un peu réduit (la balance commerciale américaine est déficitaire depuis 1976), la production industrielle, fait unique parmi les Etats du «G 7» a dépassé le niveau d’avant crise (aidée par le boom du gaz de schiste), les profits restent élevés. Les Etats-Unis seraient-ils donc devenus le moteur tant recherché de l’économie mondiale?

 Ce n’est pas l’avis de la Banque Mondiale; dans ses prévisions publiées au début de cette année où, tout en n’envisageant pas de récession, elle abaisse encore ses prévisions de croissance internationale, celle-ci faisant face selon elle à des «risques majeurs», elle estime que l’économie mondiale marche sur un seul moteur, le moteur américain, ce qui est lourd de dangers (7). Certains font un parallèle avec le début du siècle, où le reste du monde était déjà en récession ou en fort ralentissement, alors que les Etats-Unis, poussés par le boom des «nouvelles technologies» et d’internet, faisant fi de cette situation, semblaient se diriger vers des records de croissance; on connaît la suite: ce fut l’éclatement en 2001 de la «bulle» boursière et la plongée dans la récession, dont ils ne sortirent que par le recours généralisé à l’«économie de crédit» et aux dépenses militaires engendrées par les guerres d’Irak et d’Afghanistan. La crise de 2008 éclata dans toute sa force lorsque ces crédits de plus en plus «risqués» (les fameux «subprime») ne purent plus être remboursés en raison du ralentissement économique aux Etats-Unis, entraînant l’effondrement de banques et d’institutions financières qui les avaient pratiqués à large échelle.

Il fallut l’intervention massive des Etats au secours d’abord du système financier pour arrêter la chute,  pour faire ensuite repartir l’économie en accroissant l’endettement public; celui-ci a atteint des sommets inégalés en temps de paix, avec cependant des résultats mitigés, y compris aux Etats-Unis. L’ancien dirigeant de la Réserve Fédérale (la Fed, la Banque Centrale américaine), Alan Greenspan, observateur avisé s’il en est, estime ainsi que si «les Etats-Unis vont mieux que le reste du monde», «notre économie tourne toujours au ralenti» (8). Et de fait, la reprise américaine a été directement dépendante de l’injection de centaines de milliards de dollars dans l’économie par la Fed (politique dite du «quantitative easing», l’ «assouplissement monétaire», qui revient à faire marcher la planche à billets et à faire tomber les taux d’intérêts à zéro ou presque).

Ces liquidités devaient servir à stimuler le redémarrage économique par une poussée du crédit – et effectivement on estime par exemple que la reprise du marché automobile américain est lié à la généralisation de prêts à très bas taux, y compris des prêts «à risque» dans le style «subprime», aux acheteurs; mais comme l’engorgement des marchés ne permettait que difficilement de trouver des opportunités d’investissement rentables dans la dite «économie réelle», elles ont servi aussi à alimenter des spéculations diverses et une croissance artificielle de la bourse qui menacent de déboucher un jour ou l’autre sur un krach. Comme l’écrivait Marx, «le système de crédit peut faire figure de levier principal de la surproduction et de la surspéculation commerciale» parce qu’il tend au maximum le procès de reproduction du capital; accélérant le développement matériel des forces productives, «le crédit accélère en même temps les explosions violentes [«du caractère contradictoire de la production capitaliste»], les crises et, partant les éléments qui dissolvent l’ancien mode de production» (9).

 L’endettement total des Etats-Unis qui était de 1,9 fois le PIB en 1980 (à la veille de la crise de 1981-82) s’est fortement accru depuis; il était de 4,6 fois le PIB en 2007 et il est supérieur aujourd’hui à 5,2 fois cette valeur (10): les chiffres montrent que le recours massif à l’endettement est un facteur clé de croissance de l’économie, qui menace de retomber dans le coma si on lui restreint sa dose de drogue. Mais, vivant à crédit, elle devient d’autant plus fragile et sujette aux crises...

 

Chute du prix du pétrole

 

Mais, nous objectera-t-on peut-être, la baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle bien réelle pour la croissance économique dans le monde! C’est en tout cas ce que nous disent les dirigeants politiques et tous les économistes qui vont même jusqu’à calculer les points de croissance supplémentaires que va entraîner cette baisse. Il est certain qu’une baisse de la valeur des matières premières qu’elle utilise, permet à l’entreprise capitaliste de diminuer ses frais de production et par conséquent, soit d’augmenter son taux de profit, soit de baisser ses prix pour pouvoir conquérir de nouveaux marchés. Et dans un cas comme dans l’autre de retrouver la santé...

Mais en réalité ce véritable effondrement des prix du pétrole (près de 50% de baisse à la fin de l’année par rapport à l’été dernier) est une conséquence du ralentissement économique mondial; et donc les gains économiques à court terme seront annulés par la nouvelle crise qu’il annonce. En effet contrairement à ce qu’affirment certains, la baisse du prix du pétrole n’est pas causée par la volonté des Saoudiens, soit de lutter contre les nouveaux producteurs américains de gaz de schiste, soit, sous la pression américaine, de déstabiliser la Russie, le Venezuela ou l’Iran, mais bien par une surproduction et la baisse de la demande.

Et d’ailleurs ce n’est pas seulement le pétrole qui baisse, mais toute une série de matières premières, le minerai de fer étant celle qui a connu la plus forte chute, supérieure à celle du pétrole, avec le charbon: le cuivre et d’autres métaux, ainsi que des matières premières agricoles comme le caoutchouc, le coton, le sucre, les céréales, etc (11). Les pays producteurs de ces matières premières et surtout les pays producteurs de pétrole pour qui il s’agit souvent de la principale ressource à l’exportation, se retrouvent en grande difficulté. Le Venezuela, qui dispose des ressources prouvées les plus importantes dans le monde, serait au bord du défaut de paiement; son président a fait, sans succès, le tour des pays producteurs pour qu’une action concertée de réduction de la production ramène le prix du baril à 100 dollars, prix nécessaire non pour équilibrer le budget (il faudrait que le prix atteigne les 160 dollars!), mais pour permettre d’honorer sans difficultés ses engagements financiers. Or, les spécialistes estiment maintenant qu’en 2105 le prix moyen devrait tourner autour des 50 dollars! De même l’Iran aurait besoin d’un prix de 130 dollars, l’Irak de 114, la Russie de 110 pour équilibrer leur budget (12)...

 

Criante de la déflation, crainte de la crise

 

Une nouvelle menace hante les responsables européens: celle de la déflation, c’est-à-dire de la baisse des prix. La baisse des prix des marchandises frappe en effet directement les capitalistes, alors qu’elle est allège le coût de la vie pour les prolétaires. Toute crise économique importante voit apparaître la déflation, car pour écouler les marchandises qu’ils n’arrivent plus à vendre, les capitalistes sont obligés de baisser leur prix, diminuant du coup leur profit, facteur indispensable du cycle capitaliste: la crainte de la déflation n’est donc autre que la crainte de la crise de surproduction. Pour y parer la Banque Centrale Européenne va s’engager à fond dans la voie suivie par les Américains, sur laquelle pour l’instant elle n’avait fait que quelques pas: le quantitative easing, la création de liquidités pour rendre le crédit encore plus accessible et faire baisser la valeur de l’euro, rendant les marchandises européennes moins chères que leurs concurrentes.

Devant cette perspective la Banque Nationale Suisse a décidé de manière inattendue le 15 janvier d’abandonner sa politique d’un taux plancher de la monnaie nationale face à l’euro, courant le risque de plonger son économie dans la récession et, en attendant, déclenchant une tempête sur le marché des changes: en quelques instants la valeur du Franc suisse a augmenté de 30% par rapport à l’euro. La BNS était le plus gros acheteur mondial d’euros, suivie probablement par la Banque centrale du Japon.

 Les Japonais, confrontés eux aussi à la déflation, ayant déjà pris diverses mesures pour faire baisser la valeur de leur monnaie, cela signifie que nous nous dirigeons vers une exaspération de la concurrence sur un marché mondial déjà engorgé par la surproduction, dont une guerre monétaire pourrait être une des premières manifestations les plus spectaculaires. La Corée est ainsi l’une des premières victimes de la baisse du yen, qui lui fait perdre des parts de marché face aux Japon dans divers secteurs.

 

Attaques contre le prolétariat

 

La crise de 2008 s’est traduite par une profonde dégradation des conditions du prolétariat dans les pays capitalistes développés. Il y a d’abord eu bien sûr la hausse du chômage à cause des faillites et des fermetures d’entreprise ainsi que de «restructurations» diverses. Ce taux de chômage varie suivant les pays; les chiffres donnés par l’agence eurostat en début d’année indiquaient en effet un taux de chômage de 25,7% pour la Grèce, 23,9% pour l’Espagne, 13,9% pour le Portugal, 13,4% pour l’Italie, 10,3% pour la France, contre seulement 5% pour l’Allemagne, 5,9% pour la Grande-Bretagne (chiffres de septembre) et 5,8% pour les Etats-Unis.

 En y regardant de plus près, on constate qu’une bonne partie de la baisse du chômage en Grande-Bretagne est due aux «contrats zéro heure»: les travailleurs sous ce type de contrat ne sont plus inscrits au chômage, mais ils n’ont aucune garantie de travailler dans le mois, ils n’ont ni salaire minimum, ni indemnités maladie, ni congés payés et ils ne peuvent travailler pour un autre employeur: ils sont pieds et poings liés à leur patron! Le nombre de travailleurs sous ce type de contrat a augmenté de 137% de 2012 à 2013, ils étaient environ 1400.000 au début de 2014; près de la moitié des entreprises de plus de 250 personnes y ont recours (13).

On retrouve dans d’autres pays des situations similaires (par exemple en Allemagne, des petits boulots à 450 euros par mois, sans cotisation de retraite: 4,8 millions de travailleurs n’ont que ces contrats pour vivre!).

 Aux Etats-Unis, un nombre important de chômeurs dits «découragés» ne se trouvent plus sur les statistiques du chômage: ce nombre était estimé à pas moins de 6 millions en décembre! S’ils étaient pris en compte, le taux de chômage américain serait supérieur à 9%...

Les salaires des travailleurs qui ont toujours un emploi ont été eux aussi dans la cible. Selon une étude de l’organisation onusienne Bureau International du Travail (14), les salaires ont ainsi baissé en Grèce de près de 25% de 2007 à 2013! Pour les autres pays, en prenant comme base 100 cette année qui précédait la crise, les salaires ont baissé de 7% en Grande-Bretagne (niveau 92,9 en 2013); en Italie ils étaient descendus au niveau 94,3, en Espagne à 96,8 au Japon à 98,7; on constate par contre une petite augmentation aux Etats-Unis (101,4), en France (102,3) et en Allemagne (102,7).

Il faut tout de suite préciser qu’il s’agit du salaire «moyen». Or les disparités salariales se sont accrues après la crise selon toutes les enquêtes internationales; c’est en particulier le cas aux Etats-Unis, où par ailleurs la baisse du salaire moyen dans l’industrie date de plus d’une décennie (4% de baisse du salaire horaire moyen entre 2003 et 2013). Cela signifie que, même quand elle a échappé au chômage, toute une partie du prolétariat, la moins bien payée (qu’elle soit composée de femmes, de minorités comme les Noirs aux Etats-Unis, de travailleurs précaires, etc.) a connu une sérieuse dégradation de ses conditions de vie, y compris dans les pays capitalistes les plus riches.

Cette situation n’est pas appelée à changer. En effet les institutions économiques internationales dont le rôle est de synthétiser les aspirations capitalistes, comme l’OCDE, la Banque Mondiale ou le FMI appellent à accentuer les mesures en faveur du secteur privé et les «réformes» pour réduire les contraintes structurelles» et les «rigidités du marché du travail» qui sont un «frein à la croissance»; ce que signifie ce langage des économistes bourgeois, c’est qu’il faut plier encore davantage les prolétaires aux besoins du capital, notamment en s’attaquant à des «archaïsmes» tels que les contrats à durée déterminée, les indemnités de chômage «trop généreuses», les pensions de retraite trop élevées et indexées sur le coût de la vie, un âge de départ à la retraite trop précoce, etc.

Bref la rechute de l’économie mondiale dans une nouvelle récession signifiera inévitablement une aggravation des attaques contre le prolétariat. Il appartiendra à celui-ci de commencer à réagir à cette grêle ininterrompue de coups qui le frappent depuis des années, par des mouvements de lutte décidée pour la défense de ses intérêts propres. Comme nous le disions en conclusion d’une étude du parti après la récession de 1957 :

 Les prolétaires n’ont pas à choisir entre capitalisme sans crise et capitalisme en crise ; il ont à lutter – et la lutte ne naît pas du seul fait de la crise, mais d’une force politique visant à la dictature, point central des découvertes de Marx – pour en finir avec le capitalisme, avec ou sans crise, en inflation ou en déflation (15)

Seul le retour à la lutte indépendante de classe, menée par les organisations prolétariennes et dirigée par le parti de classe, pourra briser le cycle infernal du capitalisme qui, de crise en crise, sème guerres et destructions en tout genre sur la planète, en se dirigeant inexorablement vers un troisième conflit mondial.

 


 

(1) http:// www. lesoir.be/ 712672/ article/ economie/ 2014-11-20/ une- recession -mondiale- 65- risque. L’intérêt de ce genre de «prévisions» pseudo-scientifiques est de montrer l’inquiétude grandissante dans certains milieux bourgeois.

(2) cf «Perspectives de l’économie mondiale», octobre 2014. http:// www. imf.org/ external/ french/ pubs/ft/weo/ 2014/02/ pdf/ textf.pdf

(3) cf Eco Perspectives, BNP Paribas, 4e trimestre 2014.

(4) http:// www. novethic.fr/ empreinte- sociale/ droits-humains/ isr-rse/ inde-les-ong-accusees-de-casser- la-croissance-142649.html

(5) http:// www. boursorama.com/ actualites/ vers-un-ralentissement-brutal-de-l-economie- chinoise-en-2015—par-jean-luc-buchalet-cercle-des- analystes- independants

(6) cf LeMonde, 11-12/1/2015

(7) http:// www. worldbank.org/ en /news/ press-release/ 2015/ 01/ 13/ global- economic- prospects-improve-2015-divergent- trends-pose-downside-risks

(8) http:// www. bloomberg. com/ news/ 2014-12-30/ greenspan- throws- a-wet- blanket- on-hopes- for-u-s- growth- breakout. html

(9) Marx, Le Capital, Livre III, ch 27. Ed. Sociales 1976 p. 412-413.

(10) http://criseusa.blog.lemonde.fr/2014/05/28/endettement-et-croissance-aux-usa-les-illusions-keynesiennes-2eme-partie/

(11) cf Les Echos, 30/12/2014

(12) cf Financial Times, 9/11/2014. L’extraction du pétrole des sables bitumineux canadiens n’est rentable qu’à 100 dollars le baril, les puits en eau profonde (Angola, Brésil, Norvège, Grande-Bretagne) à partir de 80 dollars; quant au pétrole du gaz de schiste américain, ses coûts de production varieraient de 40 à 115 dollars le baril. En conséquence l’industrie pétrolière diminue fortement ses investissements et procède à des milliers de licenciement.

(13) http://www.ons.gov.uk/ons/rel/lmac/contracts-with-no-guaranteed-hours/zero-hours-contracts/art-zero-hours. html#tab-4—How-many-no-guaranteed-hours-contracts—NGHCs

(14) ILO, «Global Wage Report 2014-2105», p.7

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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