La «gauche de la Gauche grecque» et le référendum

(«le prolétaire»; N° 516; Juin - Juillet - Août 2015)

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Nous n’allons pas faire une revue exhaustive des positions des forces politiques grecques dites d’extrême-gauche, par manque d’information. En particulier la position des anarchistes grecs qui ont un poids certain dans l’extrême gauche est difficile à connaître. Divers regroupements anarchistes ont appelé plus ou moins explicitement au vote non car il ouvrirait «la voie à une dynamique sociale imprévisible» (Mouvement anti-autoritaire de Thessalonique, 1/7/15) ou parce qu’il permettrait de «transformer le référendum du gouvernement en un grand non ouvrier et populaire à la poursuite de la politique des mémorandums» (éditorial d’Indymedia Athènes, 5/7/15), tandis que les anarcho-syndicalistes grecs appelaient, après le référendum, à «transformer la défaite du capital en une victoire réelle de la classe ouvrière». (Alternative Libertaire, 5/7/15). Ceci montre que les illusions électoralistes n’épargnent pas les anarchistes: eux aussi, ou au moins une partie d’entre eux, croient qu’il est possible d’utiliser les élections, le système électoral mis au point par la bourgeoisie pour détourner les travailleurs de la lutte prolétarienne, pour renforcer ou initier cette lutte!

 

Les trotskystes

 

Dans le conflit entre bourgeois, opposant le capitalisme grec et ses créanciers, les trotskistes grecs ont pris fait et cause pour leur capitalisme.

Cela a été évident lors du référendum. Il s’agissait d’approuver les propositions de la Troïka (en votant Oui) ou celle du gouvernement Syriza-Anel (en votant Non).

San surprise, la «Troïka» (Commission Européenne, BCE et FMI) proposait d’accroître l’exploitation des prolétaires pour restaurer le taux de profit des capitalistes et assurer le remboursement des dettes de la bourgeoisie grecque envers les banques européennes. Fort logiquement également – sauf pour ceux qui ne voulaient pas voir – le gouvernement grec ne proposait qu’une autre version d’une même politique avec le maintien des programmes d’armement et des allégements fiscaux pour les armateurs, et la poursuite de sa politique d’austérité (augmentation de l’âge de départ à la retraite, baisse des salaires et des pensions, hausse des prix avec une augmentation de la TVA sur les produits de consommation, …).

Face à cet affrontement entre exploiteurs, les trotskistes grecs ont répondu présents à l’appel de leur bourgeoisie en faisant activement campagne pour le Non. Précisons d’abord qu’une partie des groupes trotskystes grecs fait partie de Syriza où elle anime le courant de gauche, tandis qu’une autre partie est membre de la coalition Antarsya.

Le SEK (Parti des Travailleurs Socialistes) – membre de la Tendance socialiste internationale (dirigée par le SWP britannique) et faisant partie d’Antarsya – appelait à «un front uni pour annuler la dette – nationaliser les banques – sortir de l’euro et l’UE» – front interclassiste autour de revendications purement bourgeoises – et pour «écraser ceux qui restent fidèles à la Troïka et aux mémorandums» – mais pas les défenseurs du capital. Par conséquent, l’organisation trotskiste «exig[e] que le gouvernement de gauche passe directement à la mise en œuvre des promesses qu’il avait fait au mouvement ouvrier afin de se faire élire», c’est-à-dire que Syriza applique son programme 100 % réformiste.

L’OKDE-Spartakos – section de la Quatrième Internationale-SU (QI-SU, à laquelle appartiennent les trotskistes du NPA) et également membre d’ Antarsya – entretient moins d’illusions dans le gouvernement et critique l’incapacité «de Syriza à entrer en conflit avec les intérêts du capital et des institutions capitalistes». Notons que l’OKDE a eu des différents avec la QI-SU parce que celle-ci a soutenu Syriza plutôt qu’elle aux élections. L’OKDE refuse d’entrer dans le chantage de la sortie de la zone euro en affirmant que «La classe ouvrière ne peut pas et ne doit pas être terrifiée, parce qu’elle n’a rien de substantiel à perdre à des contrôles de capitaux ou à une crise générale de la zone euro». Si elle appelle à voter Non au référendum, elle affirme que cette consigne ne doit en aucun cas être pris comme un vote de confiance au gouvernement de Syriza - Anel «car dans certaines questions, les propositions du gouvernement sont encore plus réactionnaires que celles des institutions». De la même manière, l’OKDE ébauche une timide dénonciation de l’électoralisme: «Les élections n’ont jamais été la solution magique pour se débarrasser de l’austérité et le référendum ne le sera pas plus».

Mais derrière ce pseudo-radicalisme de façade se cache le même nationalisme. L’objectif reste «la voie d’une rupture avec l’UE et le FMI» (et «cette rupture ne peut pas être faite uniquement avec le vote») et, après avoir émis ces réserves mentales sur les élections, elle plonge dans le mouvement électoral en appelant elle aussi au vote non, présenté comme un «Non globalement à la zone euro, à l’UE et au FMI, et pas seulement à leurs propositions».

Nulle part un quelconque Non à la bourgeoisie grecque. Nulle part un Non à l’exploitation capitaliste. Nulle part un Non à l’unité nationale!

Au niveau international, cette position de l’OKDE a été relayée par la QI-SU appelant à «un NON massif aux exigences de la troïka dimanche prochain. Toutes et tous au côté du peuple grec!» (prolétariat, connaît pas): réconciliation de la direction trotskyste internationale avec sa section locale dans le suivisme vis-à-vis de Syriza et la diffusion des illusions sur le référendum...

A côté de ces courants, Xekinima – section du Comité pour une Internationale en Grèce et intégrée à Syriza – décroche la palme du suivisme. Non seulement elle salue la «bonne décision [du gouvernement] en faisant appel à la volonté du peuple grec». Elle est franchement et ridiculement enthousiaste: «Pour les travailleurs, les pauvres, les chômeurs, les désespérés, c’est un grand jour! Le sourire peut retourner sur leurs visages!» Ah! Les joies du cirque électoral! Malheureusement, le sourire allait vite se transformer en grimace... Ces trotskistes se font les chantres du nationalisme grec. Selon eux, ce référendum opposerait «les forces de la réaction (la BCE, le FMI, les multinationales, etc.)» au «peuple grec» – c’est-à-dire «les travailleurs, les chômeurs, les pauvres et les petits entrepreneurs et les couches moyennes détruits par la crise capitaliste». L’éternel combat de la nation contre les capitalisme apatride!

Classiquement, ce nationalisme va de pair avec un profond réformisme. La perspective offerte aux prolétaires est que «les bonnes politiques – qui rompent avec le système pourri actuel – [soient] appliquées.». Ces «bonnes politiques» de nos trotskistes auraient un effet miraculeux sur la crise capitaliste qui frappe la Grèce: «Grâce à une série de mesures, l’économie grecque peut se remettre d’aplomb et commencer à servir les intérêts de la société au lieu des profits de la ploutocratie. Les contrôles de capitaux doivent être immédiatement imposés de façon à empêcher le grand capital d’exporter ailleurs son argent et ses profits, en d’autres termes la richesse produite par notre travail. Une limite doit être instaurée sur les retraits bancaires, qui soit suffisante pour couvrir les besoins des familles des travailleurs et des petites entreprises, pour empêcher les capitalistes de vider les réserves des banques». Donc par quelques mesures, il serait possible que le capitalisme grec, non seulement se remette sur pied, mais serve les intérêts de «la société». Avec ce conte de fée ultra-réformiste, nos «trotskystes» font disparaître les classes sociales...

Comme leurs congénères argentins et de tous les pays, les trotskistes grecs se font les vecteurs du social-patriotisme au nom de la lutte contre la dette. Ils constituent un dangereux obstacle sur le chemin de la constitution du parti de classe et de la reprise de la lutte de classe en Grèce contre l’exploitation capitaliste.

 

Le Parti Communiste Grec (KKE)

 

A la différence des trotskystes et des anarchistes, le KKE a une influence significative dans certains secteurs de la classe ouvrière grâce à son regroupement syndical «Pame», il jouit d’une certaine audience électorale et il dispose d’un groupe parlementaire (17 députés). Il est d’autant plus dangereux qu’il affiche une opposition résolue au gouvernement Syriza-Anel dont il rappelle qu’il n’a aboli aucune loi antisociale instaurée par les gouvernements précédents; il est même capable de critiquer ceux qui préconisent comme lui une sortie de l’euro et de l’Union Européenne mais sans rupture avec le capitalisme! Son amour immodéré pour la démocratie parlementaire avait conduit le KKE a utiliser son service d’ordre pour défendre le parlement contre les manifestants lors de la grève générale d’octobre 2011. Son collaborationnisme interclassiste invétéré l’avait conduit à participer en 1988 pendant quelques mois au gouvernement, en alliance avec le principal parti bourgeois grec, la Nouvelle Démocratie...

Sa perspective est la sortie de la zone euro et de l’Union Européenne d’une Grèce qui aurait rompu avec le capitalisme par la nationalisation des monopoles et l’établissement d’une «planification scientifique»; en fait ce ne serait pas une rupture avec le capitalisme, mais l’établissement d’un capitalisme d’Etat sur l’ancien modèle soviétique, tous les rapports capitalistes (salariat, marché, organisation économique par entreprises, etc.) restant intacts. Le KKE appelle aussi, dans tous les pays d’Europe, à la «lutte pour le désengagement de l’UE avec les peuples souverains dans leur propre pouvoir»: du Chevénement pur sucre!

S’il dénonce le «nationalisme» des «gauchistes» d’Antarsya, le KKE est tout aussi nationaliste que ces derniers: dans la résolution politique de son dernier Congrès, en 2013, se trouvait un paragraphe indiquant qu’il était prêt à organiser une lutte de «résistance ouvrière-populaire» contre «l’envahisseur» dans le cas d’une guerre impérialiste avec les pays voisins. On sait que Lénine et les bolcheviks préconisaient au contraire le défaitisme révolutionnaire dans le cadre d’une guerre impérialiste; mais le stalinisme est passé par là et le KKE cultive le culte de la résistance nationaliste lors de la deuxième guerre mondiale. Le KKE s’efforce de constituer une «Alliance populaire», regroupement interclassiste décrit comme une alliance de la classe ouvrière avec les classes moyennes dans la lutte contre les monopoles. Si le KKE affirme avoir comme «objectif stratégique» le «socialisme-communisme», l’objectif concret est celui de l’établissement d’un «pouvoir populaire», c’est-à-dire un «gouvernement (...) qui se démarque du pouvoir des monopoles» (l’objectif du socialisme étant ainsi renvoyé aux... calendes grecques!).

Par rapport au référendum, le KKE avait d’abord proposé au parlement que la question porte sur l’acceptation ou non de tous les plans d’austérité; puis après le refus du gouvernement, il a dénoncé la manoeuvre politique que constituait le référendum, étant donné que Tsipras voulait continuer à discuter à Bruxelles.

Mais électoraliste jusqu’au bout des ongles, il a appelé les électeurs à «s’exprimer» en déposant dans les urnes un bulletin disant non à la fois aux propositions des créanciers et à celles du gouvernement – un bulletin donc nul: «le peuple doit dire non à ces deux propositions (...). Il doit se lever et se battre pour la seule solution en ce qui concerne ses propres intérêts, qui est la rupture avec l’UE et la voie actuelle du développement». Il ne faut pas parler de rupture avec le capitalisme et de révolution socialiste, car cela risquerait de porter tort à l’alliance avec les classes moyennes!

Dernier Mohican du mouvement contre-révolutionnaire international de matrice stalinienne, le KKE en continue la sale besogne en Grèce en répandant dans le prolétariat le poison nationaliste et faisant tous ses efforts pour dévier les poussées de lutte ouvrière dans l’ornière interclassiste. Il sera un adversaire irréductible du prolétariat dès que celui-ci renouera avec la lutte de classe: malgré tous ses discours, il a donné dans les faits suffisamment de preuves de son attachement irréductible à l’ordre bourgeois pour en douter.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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