Lénine

La propagande contre la guerre sans appel à l’action révolutionnaire ne peut que semer des illusions

(«le prolétaire»; N° 518; Décembre 2015 - Février 2016)

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Notre attitude à l’égard de la guerre est foncièrement différente de celle des pacifistes (partisans et propagandistes de la paix) bourgeois et des anarchistes. Nous nous distinguons des premiers en ce sens que nous comprenons le lien inévitable qui rattache les guerres à la lutte des classes à l’intérieur du pays, que nous comprenons qu’il est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et sans instaurer le socialisme; et aussi en ce sens que nous reconnaissons parfaitement la légitimité, le caractère progressiste et la nécessité des guerres civiles, c’est-à-dire des guerres de la classe opprimée contre celle qui l’opprime, des esclaves contre les propriétaires terriens, des ouvriers salariés contre la bourgeoisie.

Nous autres, marxistes, différons des pacifistes aussi bien que des anarchistes en ce sens que nous reconnaissons la nécessité d’analyser historiquement (du point de vue du matérialisme dialectique de Marx) chaque guerre pris à part. L’histoire a connu maintes guerres qui, malgré les horreurs, les atrocités, les calamités et les souffrances qu’elles comportent inévitablement, furent progressives, c’est-à-dire utiles au développement de l’humanité en aidant à détruire des institutions particulièrement nuisibles et réactionnaires (par exemple l’autocratie ou le servage) et les despotismes les plus barbares d’Europe (turc et russe).

L’article de Lénine a été écrit pendant la première guerre mondiale; aujourd’ hui il ne s’agit encore que de guerres «locales», ou d’ «interventions militaires» que les gouvernements des grands Etats mèneraient au nom de la «guerre contre le terrorisme». Tout en critiquant les interventions de ces Etats comme impérialistes, assez nombreux sont ceux qui estiment qu’en elle-même la guerre contre l’Etat Islamiste est une guerre juste. Les arguments de Lénine ne sont donc pas hors sujet:

(...) Presque tout le monde reconnaît que la guerre actuelle est une guerre impérialiste, mais le plus souvent on déforme cette notion, ou bien on l’applique unilatéralement, ou bien on insinue que cette guerre pourrait avoir une portée progressiste bourgeoise, de libération nationale. L’impérialisme est le degré suprême du développement du capitalisme, que celui-ci n’a atteint qu’au XXe siècle (...).

Le capitalisme a développé la concentration au point que des industries entières ont été accaparées par les syndicats patronaux, les trusts, les associations de capitalistes milliardaires, et que presque tout le globe a été partagé entre ces «potentats du capital», sous la forme de colonies ou en enserrant les pays étrangers dans les filets de l’exploitation financière.

A la liberté de commerce et à la concurrence se sont substitués les tendances au monopole, à la conquête des terres pour y investir des capitaux, pour en importer des matières premières, etc. De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations (...). Il a développé les forces productives au point que l’humanité n’a plus qu’à passer au socialisme, ou bien à subir pendant des années et même des dizaines d’années, la lutte armée des «grandes» puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l’aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d’oppressions nationales de toute nature (1)

Malheureusement, l’échec de la vague révolutionnaire du début des années vingt du siècle dernier, a condamné l’humanité à subir pendant des dizaines d’années les guerres du capitalisme et aujourd’hui c’est encore à cette perspective qu’elle est confrontée, si elle ne réussit pas «à passer au socialisme».

L’une des formes de mystification de la classe ouvrière est le pacifisme et la propagande abstraite de la paix.

En régime capitaliste et particulièrement à son stade impérialiste les guerres sont inévitables. Mais par ailleurs les social-démocrates ne sauraient nier ni la valeur positive des guerres révolutionnaires, c’est-à-dire des guerres non impérialistes, telles que celles menées de 1789 à 1871 pour le renversement de l’oppression nationale et la création, à partir d’Etats morcelés, d’Etats capitalistes nationaux, ou encore de guerres éventuelles visant à sauvegarder les conquêtes d’un prolétariat victorieux dans sa lutte contre la bourgeoisie.

(...) A l’heure actuelle, une propagande de paix qui n’est pas accompagnée d’un appel à l’action révolutionnaire des masses ne peut que semer des illusions, corrompre le prolétariat en lui inculquant la confiance dans l’esprit humanitaire de la bourgeoisie et en faire un jouet entre les mains de la diplomatie secrète des pays belligérants. Notamment l’idée suivant laquelle on pourrait aboutir à une paix dite démocratique sans une série de révolutions est profondément erronée (2)

 

La guerre civile contre la bourgeoisie est la seule guerre légitime

 

Le désarmement est l’idéal du socialisme. Dans la société socialiste, il n’y aura plus de guerres; par conséquent le désarmement sera réalisé. Mais celui-là n’est pas socialiste qui espère la réalisation du socialisme en dehors de la révolution sociale et de la dictature du prolétariat. La dictature est un pouvoir d’Etat qui s’appuie directement sur la violence. La violence, au XXe siècle - comme en général à l’époque de la civilisation - ce n’est pas le poing et ce n’est pas une trique; c’est l’armée. Inscrire le «désarmement» au programme, c’est donc dire de façon générale: nous sommes adversaires de l’emploi des armes. Il n’y a pas plus de marxisme là-dedans que si nous disions: nous ne voulons pas recourir à la violence!

(...) Une classe opprimée qui ne s’efforcerait pas d’apprendre à se servir des armes, de posséder des armes, mériterait simplement d’être traitée en esclave. Nous ne pouvons pas, à moins de nous transformer en pacifistes bourgeois ou en opportunistes, nous ne pouvons pas oublier que nous vivons dans une société de classes et qu’il n’y a pas, qu’il ne peut y avoir d’autre issue pour nous que la lutte de classe et le renversement du pouvoir de la classe dominante.

Dans toute société de classes, qu’elle soit fondée sur l’esclavage, sur le servage ou comme aujourd’hui, sur le salariat, la classe des oppresseurs est armée. De nos jours, non seulement l’armée permanente, mais même la milice - même dans les républiques bourgeoises les plus démocratiques comme la Suisse - constituent l’armement de la bourgeoisie. (...) L’armement de la bourgeoisie contre le prolétariat est l’un des faits les plus importants, les plus fondamentaux, les plus essentiels de la société capitaliste moderne.

(...) Notre mot d’ordre doit être l’armement du prolétariat pour qu’il puisse vaincre, exproprier et désarmer la bourgeoisie. C’est la seule tactique possible pour une classe révolutionnaire, une tactique qui résulte de toute l’évolution objective du militarisme capitaliste, et qui est prescrite par cette évolution. C’est seulement après que le prolétariat aura désarmé la bourgeoisie qu’il pourra, sans trahir sa mission historique universelle, jeter à la ferraille toutes les armes en général, et il ne manquera pas de le faire, mais alors seulement, et aucune façon avant.

Si la guerre actuelle provoque chez les socialistes chrétiens réactionnaires et les petits bourgeois pleurnichards uniquement de l’épouvante et de l’horreur, la répulsion pour tout emploi des armes, pour le sang, la mort, etc., nous avons le devoir de dire: la société capitaliste a toujours été et demeure en permanence une horreur sans fin.

Et si maintenant la guerre actuelle, la plus réactionnaire de toutes les guerres, prépare à cette société une fin pleine d’horreur, nous n’avons aucune raison de tomber dans le désespoir. Or, objectivement parlant, c’est très exactement se laisser aller au désespoir que de revendiquer le «désarmement» – ou plus précisément, rêver le désarmement – à une époque où de toute évidence, la bourgeoisie elle-même prépare la seule guerre véritablement légitime et révolutionnaire, à savoir la guerre civile contre la bourgeoisie impérialiste (3).

 


 

(1) «Le socialisme et la guerre», (1915) Oeuvres, Tome 21, p. 309 et 310-311.

(2) «La conférence des sections à l’étranger du POSDR», Oeuvres, tome 21, pp 161-162. Rappelons qu’à l’époque le parti des bolcheviks s’appelait encore «social-démocrate»

(3) «A propos du mot d’ordre de désarmement» (octobre 1916), Oeuvres, tome 23, pp 105-107.tc "sans appel à l’action révolutionnaire ne peut que semer des illusions"

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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