Une leçon primordiale du mouvement contre la loi Travail:

Nécessite de l’orientation et de l’organisation de classe

(«le prolétaire»; N° 520; Juin-Juillet-Août 2016)

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Au moment où nous écrivons, près d’un trimestre après son début, le mouvement contre la «loi Travail» touche à sa fin, après la manifestation nationale du 14 juin qui en a été le chant funèbre.

Les grèves se sont terminées à la SNCF et à la RATP, ainsi que dans les raffineries. L’Intersyndicale appelle encore à 2 journées «d’action», mais elle insiste davantage sur la fumisterie de sa «votation citoyenne»: une longue expérience a démontré que l’appel aux urnes est un des moyens classiquement utilisé pour enterrer un mouvement de lutte (se rappeler mai-juin 68).

Aujourd’hui, de même qu’il n’y a eu en réalité qu’un simulacre de lutte (à l’exception des grèves dans les transports et les raffineries), nous avons droit à un simulacre de vote: un vote-bidon pour un résultat assuré d’avance d’être nul!

Cette «votation citoyenne» est organisée selon leurs auteurs parce que «la démocratie a un sens pour les salarié-e-s, les jeunes, les privé-e-s d’emploi, les retraité-e-s», afin de «permettre à tous (...) de s’engager dans la mobilisation». Déposer un bout de papier dans une urne serait donc une forme de lutte (ou au moins de «mobilisation», l’Intersyndicale conservant un reste de crainte du ridicule) au même titre que la grève! De longs discours ne sont pas nécessaires pour démontrer que la force des travailleurs repose sur leur action collective, au moins embryonnairement en tant que classe, se concrétisant notamment dans la grève, et non pas sur le dépôt individuel d’un bulletin de vote pour exprimer son «opinion». Dans les affrontements sociaux, dans la lutte entre les classes, les «opinions» ne comptent pas, seul compte le rapport de force.

Quant à la «démocratie», elle a malheureusement un sens, mais un sens anti-prolétarien.

Selon la mystification démocratique, tous les individus sont égaux et disposent des mêmes droits, qu’ils soient patrons ou prolétaires. Pour elle, les classes n’existent pas et la lutte des classes est une absurdité, puisque, basés sur le «libre choix» des «citoyens», les mécanismes démocratiques expriment la «souveraineté populaire», justifiant ainsi l’ordre social existant. En réalité la société est bel et bien divisée en exploiteurs et exploités, autrement dit en classes sociales aux intérêts antagoniques; et la classe exploiteuse qui possède tout, possède aussi les moyens de forger l’opinion publique, ce que Marx exprimait de cette façon: les idées dominantes sont les idées de la classe dominante.

 Mais le système démocratique laisse la liberté à tous de s’exprimer avec ses consultations électorales organisées à intervalles réguliers, donnant ainsi l’illusion qu’il soit possible de changer les choses par le vote.

Bien que la réalité démontre tous les jours le contraire (quand le résultat d’un vote la gêne, la classe dominante l’ignore), c’est une illusion tenace qui constitue l’un des plus puissants moyens pour prévenir la lutte prolétarienne et le combat révolutionnaire: pourquoi se lancer dans une lutte difficile et risquée s’il suffit d’attendre de pouvoir tranquillement déposer un bulletin lors des prochaines élections? Pour mieux faire passer l’arrêt du mouvement contre les attaques du gouvernement Sarkozy sur les retraites, les syndicats avaient ainsi expliqué qu’il fallait continuer la lutte sur un terrain plus propice: celui des urnes, lors des élections qui approchaient. Nous avons vu le résultat...

C’est précisément pour donner plus de puissance à son initiative démobilisatrice en s’appuyant sur ces funestes illusions démocratiques que l’Intersyndicale lui a donné l’aspect d’un vote, plutôt que celui d’une banale pétition.

 

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L’Intersyndicale avait commencé le mouvement en exigeant le retrait pur et simple de la loi El Khomri jugée «non négociable» et «non amendable».

Mais alors même que le mouvement commençait à s’amplifier malgré son savant saucissonnage des grèves, elle abandonnait la revendication du retrait de la loi pour ne plus revendiquer que la suppression de certains de ses articles qui en formaient la «colonne vertébrale», selon les mots de Martinez.

Puis lors de son entrevue avec la ministre du travail, alors que la manifestation du 14/6 avait été un succès incontestable (le nombre de manifestants ayant sans aucun doute été bien supérieur aux 75 000 annoncés par la police), Martinez comme quelques jours auparavant Mailly (FO), renonçait à cette dernière revendication pour demander seulement l’«encadrement» de ces articles. Plus les travailleurs entrent en action et plus les directions syndicales cèdent aux exigences gouvernementales!

C’est sans doute pourquoi Lutte Ouvrière écrivait le 25 mai sur les colonnes de sa revue Lutte de classe que la CGT «assume cette épreuve de force, y compris en accentuant la mobilisation de ses militants dans les secteurs où elle est le plus implantée. Là aussi où elle craint le moins de perdre la maîtrise du mouvement. Mais, de fait, elle apparaît aujourd’hui comme la principale responsable de la poursuite de ce dernier»!

En réalité la CGT comme les autres organisations de l’Intersyndicale, de fait, redoutent l’entrée en lutte réelle des prolétaires, c’est pourquoi elles reculent chaque fois que pointe le risque de cette entrée en lutte. Elles n’organisent un mouvement que dans la mesure où elles le contrôlent, et parce que, le mécontentement s’accroissant, il faut mettre en place une soupape de sécurité pour laisser échapper la tension qui risque sinon d’exploser. Elles réaffirment ainsi aux yeux de la bourgeoisie leur irremplaçable utilité comme garde-fou de l’ordre social.

Il ne faut pas s’y tromper: les attaques dans les médias et par la voix des politiciens contre les syndicats et la CGT en particulier ont pour fonction de crédibiliser cette dernière aux yeux des prolétaires les plus combatifs. Contrairement à ce que font croire aux prolétaires les divers groupes dits d’extrême gauche comme Lutte Ouvrière ou le NPA (voir aussi l’article que nous consacrons à des groupes moins connus), les bourgeois sont parfaitement conscients que ces organisations ne leur sont pas hostiles et ne défendent pas vraiment les travailleurs; ils les fréquentent suffisamment tous les jours à tous les niveaux des innombrables instances de la collaboration entre les classes pour en être certains.

 Les appareils syndicaux (aidés aussi dans cette affaire par la prétendue «extrême gauche» dont certains membres se sont hissés jusqu’à la direction des syndicats), ont réussi à contrôler de bout en bout le mouvement, permettant ainsi aux capitalistes et au gouvernement à leur service de faire passer leur dernière attaque en date, au prix de perturbations somme toute limitées. C’est pour les bourgeois le gage que lorsque le gouvernement socialiste, trop usé, laissera la place à un autre, le terrain social sera en grande partie déminée: les attaques à venir en seront facilitées.

Quant aux prolétaires, ils doivent regarder la réalité en face. En dépit d’une indéniable combativité de nombreux travailleurs, en dépit du mécontentement dont il était l’expression, le mouvement contre la loi El Khomri a été battu. La leçon à en tirer est qu’il s’agit d’une nouvelle démonstration de la nécessité de l’orientation et de l’organisation de classe indépendante pour résister aux capitalistes. Il est impossible de compter sur les appareils syndicaux et sur les organisations politiques réformistes (y compris d’«extrême gauche») pour mener une lutte réelle. Tant que les prolétaires ne réussiront pas à prendre en mains leur mouvement et leurs luttes, tant qu’ils ne réussiront pas à en arracher la direction aux forces de la collaboration de classe, ils auront beau faire preuve de la plus grande combativité, ils seront à la fin battus. Il faudra sans aucun doute encore bien d’autres «trahisons» pour que de larges secteurs de la classe ouvrière en soient convaincus. Mais si au moins une petite minorité de prolétaires d’avant-garde, comprenant la nécessité de la rupture avec les forces syndicales et politiques collaborationnistes, commençait à travailler dans ce sens, les perspectives des inévitables combats futurs en seraient changées et la «fatalité» de la défaite disparaîtrait.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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