Alstom

Défendre les travailleurs, pas l’entreprise!

(«le prolétaire»; N° 521; Septembre-Octobre 2016)

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Le 7 septembre le patronat d’Alstom a annoncé la fermeture l’usine de Belfort où travaillent près de 480 personnes. Seuls une cinquantaine de travailleurs resteraient sur place pour s’occuper de la maintenance, quant aux autres il devrait leur être proposé des postes à Reichshoffen (en Alsace, à 200km) ou sur d’autres sites.

Cette décision a entraîné un tollé général; à Belfort même une manifestation a rassemblé plusieurs milliers de personnes à l’appel du maire Les Républicains, du Parti Socialiste, des autorités religieuses et de l’Intersyndicale (CGT CFDT FO CGC) . Dans une période de pré-campagne électorale, les ténors politiques ont exprimé plus ou moins bruyamment leur opposition à la fermeture de l’usine, certains comme Mélenchon, le PCF, mais aussi Dupont-Aignan, Marine Le Pen ou Macron, n’hésitant pas à évoquer la nationalisation de l’entreprise «pour sauver Alstom». Les néo-staliniens du PRCF (petite scission ultra-souverainiste du PCF) estiment pour leur part que «les travailleurs d’Alstom-Belfort défendent l’intérêt national», la décision de fermeture du site étant «une étape de plus dans la liquidation de la nation et du produire en France par l’oligarchie capitaliste à genoux devant la funeste “construction” européenne» (1)...

Les travailleurs d’Alstom ne doivent pas se laisser prendre au piège de cette unanimité pour défendre l’entreprise: quelle soit nationalisée ou privée, l’entreprise prospère sur leur dos, elle vit de la plus-value qui leur est extorquée, ses intérêts sont antagoniques aux leurs! Quant à l’intérêt national, ce n’est pas autre chose que l’intérêt du capitalisme national: les prolétaires n’ont pas de patrie, qu’elle soit locale, régionale ou nationale! Tous ceux qui affirment les défendre en défendant l’entreprise, tous ceux qui prétendent unir leurs intérêts à ceux du capitalisme ou qui proposent des recettes pour rendre cette union possible en demandant l’aide de l’Etat, que ce soit pas la nationalisation, le vote d’une loi interdisant les licenciements, etc., cherchent à les détourner du terrain de classe, le terrain de l’union des prolétaires de Belfort et d’ailleurs, le seul terrain où peut s’exprimer leur force.

Ce ne sont pas là des affirmations abstraites, tirées de vieux manuels marxistes, mais la traduction de la réalité la plus concrète.

Alstom, qui à un certain moment était la plus grosse entreprise française d’ingénierie, est toujours ce qu’on appelle une «multinationale»; ayant plus de trente mille employés dans le monde, elle dispose de 90 sites dans 35 pays; trop productrice par rapport au seul marché français, elle ne peut vivre que sur le marché mondial, où elle est le troisième producteur des moyens de transport ferroviaire. En France Alstom compte près de 9000 employés répartis sur 12 sites, travaillant à 40% pour l’exportation. Le site de Belfort est spécialisé dans l’assemblage final de locomotives de TGV, dont les différentes parties sont fabriquées dans d’autres usines, alors qu’autrefois elles étaient entièrement faites sur place (il y avait alors plus de 2000 travailleurs); celui de Reichshoffen est spécialisé dans l’assemblage final de locomotives de trains régionaux.

Alstom a connu une histoire mouvementée, faite de fusions nationales et internationales et de séparations de branches de production, qu’il serait trop long de rapporter ici. Disons seulement que sa croissance l’avait transformée en un gigantesque conglomérat international employant plus de cent mille personnes, avec des activités dans l’électricité, les télécommunications, l’électronique, la construction navale, en plus de son métier historique dans la construction ferroviaire.

En 2003, cet énorme conglomérat est en proie à une grave crise à la suite de l’effondrement de ses principaux marchés; alors qu’à Belfort un premier «plan social» avait déjà fait disparaître 35% des emplois, Alstom est maintenant menacée de faillite – ce qui aurait profité à son éternel rival, le géant allemand Siemens, à l’affût pour récupérer les branches du groupe qui l’intéressent. Mais elle fait appel à l’Etat français pour venir à son secours notamment par des injections de capitaux (2,8 milliards d’euros), à la grande colère de Siemens qui lui même fait intervenir l’Etat allemand (pour violation des règles européennes de la concurrence): la concurrence entre grandes entreprises capitalistes se mue, comme toujours lorsqu’elle atteint un certain niveau, en affrontement entre Etats bourgeois. Finalement un compromis sera trouvé: Alstom cède une partie de ses actifs à Siemens (turbines industrielles), d’autres à Areva, vend sa branche de construction navale à un groupe norvégien, etc. La «restructuration» à coup de fermetures de sites et de disparitions d’emplois en France (à Belfort le nouveau «plan social» avait entraîné la suppression de 40% des emplois restants du site de Belfort) et à l’étranger permet à l’entreprise de se refaire une santé sur le dos des travailleurs (2).

Un trait particulier de la politique commerciale d’Alstom est le recours généralisé à la corruption pour conquérir des marchés; l’entreprise a été condamnée pour corruption au Mexique, en Suisse, suspectée en Lettonie, Malaisie, Tunisie (pour des versements à un proche de Ben Ali afin d’enterrer un scande de malfaçons à la centrale électrique de Radés); la Banque Mondiale l’a écartée de ses appels d’offres après une affaire de corruption en Zambie, etc (3).

Mais cette pratique ne pouvait suffire, et les problèmes ont recommencé après la crise économique de 2008. Alstom engage une nouvelle restructuration avec cession d’actifs et suppression d’emplois (1300 emplois supprimés en 2013). En 2014 coup de tonnerre: la direction annonce sa décision de vendre sa branche énergie à l’américain General Electric (la plus grande entreprise industrielle privée du monde, vieille partenaire du groupe) pour se concentrer sur le ferroviaire; si la branche énergie représente plus de 70% de l’activité d’Alstom, elle connaît depuis des années des difficultés et a une faible rentabilité. Le gouvernement socialiste et son ministre de l’économie Montebourg auront beau multiplier les effets de manche et les déclarations nationalistes, ils devront bien en définitive accéder aux desiderata des capitalistes actionnaires et dirigeants d’Alstom (4).

General Electric promit qu’il allait développer l’activité de la branche qu’il achetait et maintenir, voire développer, l’emploi. Mais les promesses n’engagent que ceux y croient: au début de cette année G. E. annonçait la suppression de 6500 emplois en Europe dont 600 en France, soit près de 10% des effectifs de la branche...

L’annonce de la fermeture du site de Belfort, alors qu’Alstom a remporté plusieurs gros marchés à l’international, a été prononcée à la suite de la perte d’une grosse commande de la SNCF au profit d’un concurrent allemand: l’ouverture à la concurrence fait que la SNCF n’est plus la vache à lait de l’entreprise. Il est plus que probable que cette annonce, faite dans une période politiquement sensible, avait pour but de faire pression sur les autorités. Le message a été parfaitement reçu: «nous devons nous mobiliser pour apporter des commandes. (...) C’est le rôle des acteurs publics, régions entreprises de transport, SNCF, RATP», a déclaré Hollande, toujours empressé auprès des capitalistes. Le souci du gouvernement n’est pas le sort des travailleurs, mais celui de l’entreprise, on le savait et Alstom semble bien partie pour engranger des commandes! Quant au maintien de l’emploi, c’est une autre affaire...

Face à l’attaque patronale l’intersyndicale multiplie les déclarations fermes, mais elle est surtout intéressée à éviter des réactions incontrôlées des travailleurs. Elle a organisé des «actions symboliques» (selon ses dires: fermeture des portes du site, etc.), une montée sur Paris et appelé en même temps à une journée de grève des travailleurs du groupe. C’est bien le moins qu’elle pouvait faire, étant donné que le site de Belfort n’est pas le seul menacé en France. Selon le NPA, si les travailleurs de Belfort «n’ont pas encore décidé la grève, c’est que, conscients de leurs savoir-faire, ils tiennent à honorer certaines commandes» (5). En réalité ce sont les organisations syndicales collaborationnistes qui mettent au premier plan la défense de l’entreprise, empêchant autant que possible que les prolétaires utilisent leur arme principale: l’arrêt de la production! Elles ne proposent que des interventions auprès des élus et du gouvernement, l’appel à des économistes pour analyser la politique commerciale d’Alstom, ou (CGT) la lutte pour «une politique volontariste industrielle forte», pour «un projet de développement autour de nos industries, de nos services publics, de nos commerces» (5)! La lutte des classes, on ne connaît pas à la CGT Belfort: plus servile envers le capitalisme tu meurs...

 

Pour se défendre les travailleurs ne peuvent compter que sur leur lutte!

 

L’orientation de collaboration de classe qui prime la défense de l’entreprise et de l’industrie nationale, est la voie assurée de la défaite, et plus généralement de la dégradation des conditions de vie et de travail des prolétaires, comme le démontre l’histoire même d’Alstom. La seule voie efficace est celle de la mobilisation de tous les travailleurs, et pas seulement de ceux de Belfort aujourd’hui premiers visés, contre l’attaque patronale: ce sont tous les travailleurs du groupe qui sont menacés, c’est tous ensemble qu’ils devraient riposter, pour ne pas être battus les uns après les autres. Mais c’est bien évidement pas cette perspective que tous les acteurs, organisations syndicales, partis de droite et de gauche, gouvernement et patronat, chacun à leur place, font tout pour éviter. C’est pourtant vers elle qu’il faut aller, c’est elle qu’il faut préparer.

Le cas de Belfort vaut pour tous les prolétaires: en dehors de la lutte et de l’organisation de classe, il est impossible de résister victorieusement aux capitalistes et à leur Etat.

 Quelle que soit l’issue immédiate à Belfort, cette exigence est centrale.

 


 

(1) http://www.initiative-communiste.fr/articles/les-travailleurs-dalsthom-belfort-defendent-linteret-national/  Pour ces nationalistes enragés la SNCF «trahit le ferroviaire français»...

(2) Il ne s’agit pas d’une image: par exemple les centaines de travailleurs de l’usine allemande de Mannheim (dont le nouveau propriétaire est aujourd’hui General Electric) souffrent de la pénibilité de leur travail qui se traduit par des graves maux de dos et autres troubles squelettiques, les conditions de travail n’ayant pas cessé de se dégrader depuis que l’entreprise avait été reprise par Alstom. Cf HesaMag n°4, 2e trimestre 2011. En France Alstom a été condamnée en 2006 pour l’exposition à l’amiante de ses salariés qui avait provoqué 10 morts et 80 malades à  Lyz-lez-les Lannoy. Le site de Belfort est lui-même classé amiante, mais seulement pour les années antérieures à 1986...

(3) cf Le Canard Enchaîné du 29/8/12, qui relève qu’Alstom n’a jamais été inquiété pour ces faits de corruption en France.

(4) La vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric a rapporté un bonus de 30 millions d’euros aux 21 dirigeants d’Alstom (parmi lesquels le mari de Pécresse, la présidente de la région île de France); mais le plus gros bénéficiaire fut le groupe Bouygues qui détenait plus de 25% des actions.

(5) https:// npa2009.org/actualite/ entreprises/alstom-la-riposte-sorganise

(6) Tract de la CGT Belfort, 23/9/16        

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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