La mobilisation contre la Loi Travail a été conduite dans une impasse.
Les luttes futures devront se mener sur des positions de classe!
(«le prolétaire»; N° 521; Septembre-Octobre 2016)
S’il existe des naïfs qui avaient cru aux déclarations de l’Intersyndicale sur une relance à la rentrée de la mobilisation contre la Loi Travail, ils en ont été pour leurs frais; il y a bien eu, pour la forme, des manifestations le 15 septembre, mais tout avait été fait pour qu’elles ne regroupent que peu de monde. Bien que les sondages d’opinion continuent à montrer qu’une écrasante majorité des sondés restent hostiles à cette loi, il aurait fallu pour que la mobilisation reprenne après la pause estivale (comme cela avait été le cas lors du mouvement contre la réforme des retraites), que les dirigeants syndicaux donnent une claire perspective de lutte; et qu’ils montrent une ferme volonté de mobiliser les secteurs les plus larges pour un affrontement un peu sérieux avec le gouvernement. Ce que, en bons acteurs de la collaboration de classe, ils se sont bien gardés de faire quand le mouvement était à son maximum, en mai-juin, où ils se sont au contraire employés à l’atténuer et à l’envoyer sur des voies de garage, ils n’allaient évidemment pas le faire quand la pression était retombée!
Sans même se donner la peine de prévoir une nouvelle réunion de l’Intersyndicale, les dirigeants syndicaux ont donc annoncé qu’après le 15, la lutte allait se poursuivre... sur le terrain judiciaire! Prolétaires vous pouvez rentrer chez vous, leurs spécialistes «vont explorer les voies de recours juridiques» contre les mesures d’application de la loi...
Mais si les manifestations du 15 n’ont été organisées que symboliquement par les syndicats, la violence policière, elle, n’a pas été symbolique: un militant de SUD atteint par une grenade a perdu un oeil. La répression et les brutalités policières (qui sont tout sauf une nouveauté) ont atteint sous le gouvernement socialiste un niveau supérieur à celui du gouvernement précédent. Au delà de la volonté de monter en épingle des incidents attribués aux «casseurs» à la suite de l’attitude provocatrice de la police, il s’agit d’intimider les manifestants et surtout ceux qui pourraient être tentés de manifester en montrant la puissance et la détermination de l’Etat (police, Justice) à faire respecter «l’ordre» – l’ordre bourgeois, s’entend. Problème pour les bourgeois, le gouvernement et l’opportunisme politique et syndical: une minorité non négligeable des manifestants se sentait solidaire de ceux qui s’affrontaient à la police, et parfois les rejoignait. Le pacifisme social a commencé à montrer des signes d’usure lors de ce mouvement.
Avec cette loi, le gouvernement n’avait pas pour but d’affaiblir les syndicats dits «contestataires» et encore moins de les casser; ce n’était pas non plus le désir des patrons: comme nous l’avons rappelé, tous ces gens rencontrent et s’entendent journellement avec les représentants syndicaux y compris de la CGT; ils savent parfaitement que ces organisations sont les garantes du maintien de la paix sociale. Ce n’est pas par hasard si les organisations syndicales se sont focalisée sur le fameux article 2 (l’inversion des normes) Celui-ci n’avait de conséquence pratiquement que pour les appareils; les discussions de branche sont en effet le lieu rêvé de la collaboration de classe car l’influence directe des travailleurs ne peut s’y faire sentir; c’est là où les appareils syndicaux peuvent le plus tranquillement s’entendre avec les patrons, nouer des accords et négocier des contreparties de tout type. Et c’est pourquoi les syndicats ont fini par centrer leurs revendications sur lui, acceptant de fait tout le reste, c’est-à-dire toutes les attaques directes contre les travailleurs.
Le gouvernement de son côté est resté à peu près intraitable sur l’essentiel de la loi (en ne faisant que quelques concessions, surtout à certains secteurs comme les chauffeurs routiers) et surtout sur ce point, pour des raisons politiques (montrer sa fermeté) alors qu’il n’est pas essentiel pour les secteurs capitalistes les plus importants; les grandes entreprises sont entièrement satisfaites des accords de branche, à l’inverse de certaines PME qui demandent (et obtiennent) des dérogations. Et ces accords de branche sont indispensables pour le maintien de la paix sociale.
Ce serait donc un grave contresens de croire qu’avec cet article 2, il en va de la survie à court terme des syndicats. Nous ne sommes pas dans une période de style fasciste où le capitalisme a besoin de briser même les syndicats collaborationnistes pour accroître au maximum l’exploitation des travailleurs et les enrôler dans des organisations de type étatique. D’ailleurs on a vu des critiques de bourgeois sur la manière Valls: le journal patronal Les Echos a ainsi publié un éditorial pour critiquer le manque de concertation préalable du gouvernement avec les syndicats (et Rocard lui-même, le mentor de Valls, était de cet avis paraît-il).
Il y a sans doute eu un «mouvement social» (selon l’euphémisme utilisé par les bourgeois et leurs valets), mobilisant des centaines de milliers de personnes: il serait absurde de réduire le mouvement aux directions qui le contrôlent et l’amènent dans une impasse (impasse du point de vue des intérêts des travailleurs, pas de ceux des appareils). Il est indéniable que les initiatives de l’Intersyndicale ont été décisives pour la mobilisation des travailleurs, mais aussi en conséquence pour sa canalisation dans des actions rituelles, et en définitive inoffensives. L’importance de cette mobilisation est cependant le signe de la profondeur des antagonismes sociaux à l’œuvre dans ce pays ainsi que de leur tendance à se manifester ouvertement, bien qu’encore de façon amortie.
Mais, il faut voir aussi et surtout, outre le caractère malgré tout limité de la mobilisation (le gros de la classe ouvrière n’y a pas participé, tout en étant hostile à la loi), le caractère velléitaire de ce «mouvement» (le terme mouvement dans son imprécision correspond bien à ce qui s’est passé): ses participants croyaient dur comme fer, comme le prétendait l’Intersyndicale, qu’il suffit de manifester pour faire reculer le gouvernement et la stratégie attentiste, de temporisation, de l’intersyndicale en général leur suffisait.
Le mouvement en outre était d’une intensité inférieure au mouvement sur les retraites – ce qui a rendu plus facile son contrôle de bout en bout par l’Intersyndicale; alors, il y avait eu quelques périodes chaudes, avec l’entrée en lutte massive des jeunes y compris en partie des «quartiers» (lire: des quartiers prolétariens) et la répression policière; alors il y avait eu des tentatives, sans aucun doute hésitantes et confuses, de dépasser les directions syndicales, d’aller même à certains endroits vers une organisation indépendante de la lutte.
Rien de tel ou presque pour le mouvement contre la loi Travail: les «enseignements» du mouvement précédent se sont semble-t-il évanouis sans laisser de traces et on est revenu en arrière. Ceci s’explique en bonne partie par l’alignement encore plus prononcé (il existait déjà) de la dite «extrême gauche» sur les directions syndicales. Il n’y a aucun automatisme spontané; sans un minimum d’organisation de militants faisant vivre et défendant plus ou moins les leçons des luttes passées, ces leçons se perdent.
Cela s’explique pour une autre part par le fait que le mouvement sur les retraites avait débouché sur la démoralisation de ceux qui y avaient participé et qui y avaient cru; la résignation qui a suivi a été prolongée et entretenue par l’attitude des syndicats envers les gouvernements Hollande; les prolétaires ronchonnent et font le gros dos dans l’espoir que les choses s’amélioreront.
Du mécontentement actuel...
Cependant le mécontentement s’accroît indéniablement parmi les prolétaires. Mais de ce point de vue, le mouvement contre la loi El Khomri tel qu’il a été organisé et dirigé par l’Intersyndicale a bien servi la défense de l’ordre bourgeois; il a fait office de soupape de sécurité pour que s’échappe une partie de ces tensions. A nouveau toute une partie des participants tirera la leçon que les «luttes» sont condamnées à l’échec et non pas que c’est l‘orientation du mouvement qui a conduit à l’échec. L’Intersyndicale et en particulier la CGT, aidée en outre par les attaques de la presse et de politiciens bourgeois (cette campagne qui était en fin de compte modérée avait aussi ce but-là), en ressortent en effet avec une légitimité renforcée aux yeux des travailleurs.
D’une certaine façon le terrain social est en partie déblayé pour les attaques à venir par les prochains gouvernements; le PS a ainsi une nouvelle fois «fait le sale boulot» au profit du capitalisme (y compris en se brûlant lui-même) non seulement en faisant passer une nouvelle attaque, mais surtout en décourageant les travailleurs, tout en redorant le blason des organisations qui demain seront une nouvelle fois appelées à tenir le front social. Le capitalisme mondial se dirige à nouveau vers une récession généralisée, pour l’instant encore pratiquement limitée aux pays «émergents»; en France comme dans d’autres pays européens la croissance est nulle ou à peine négative, sans qu’il y ait pour l’heure de véritable récession, les mesures de stimulation artificielle de l’économie par la Banque Européenne fonctionnant encore.
Cette prochaine récession nécessitera pour le capitalisme de s’attaquer davantage aux travailleurs pour maintenir ses profits, le capitalisme français par ailleurs déjà dans une situation relativement difficile notamment par rapport son éternel partenaire-concurrent allemand, en ayant encore plus besoin que d’autres.
...aux luttes futures
A la suite du mouvement contre la loi El Khomri, un boulevard s’ouvre pour les prochains gérants du capitalisme français. Ce n’est pas par hasard que les différentes équipes de politiciens de droite qui s’apprêtent à la relève ont annoncé à peu près tous la même stratégie: aller vite et fort dans les attaques; ils entendent ainsi profiter de cette situation créée par le gouvernement PS et les organisations syndicales.
Il est inévitable que les futures attaques réussiront ainsi à passer, mais ce ne sera évidemment pas la fin de la lutte des classes – ni malheureusement du réformisme.
La perspective pour les travailleurs serait cependant moins difficile à court terme, si une minorité d’entre eux, même très petite, avait commencé à se démarquer du collaborationnisme syndical dans le mouvement que nous venons de vivre.
Cela n’a pas eu lieu, il faut enregistrer le fait, mais cela ne signifie pas que les capitalistes ne rencontreront pas d’obstacle au moment où ils s’y attendent le moins. Les luttes futures sont inévitables; les prolétaires d’avant-garde, sans se laisser se démoraliser, devront s’y préparer en tirant les leçons des défaites passées, dont la plus importante est la suivante:
Travailler pour l’organisation de classe des prolétaires, dans comme hors des syndicats, mais toujours en opposition avec les orientations et les pratiques collaborationnistes des appareils et des partis de gauche ou de la soi-disant extrême-gauche!
Parti communiste international
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