Tout le monde déteste la police ?

En tous cas, pas «Lutte Ouvrière» ni «L’Etincelle» !

(«le prolétaire»; N° 522; Novembre-Décembre 2016 / Janvier 2017)

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En quelques mois, la police a multiplié les démonstrations de force. Lors des manifestations du printemps dernier, le gouvernement a réprimé sévèrement les manifestants, ce qui a largement popularisé dans les manifestations le slogan «Tout le monde déteste la police».

L’automne a été marqué par des manifestations de flics dans plusieurs villes de France. Il s’agissait de  manifestations sauvages, c’est-à-dire non déclarées préalablement à la préfecture, comme l’impose la démocratique loi bourgeoise pour qu’elles ne soient pas réprimées par les dites «forces de l’ordre»; elles ont tranquillement réuni des dizaines ou des centaines de policiers, dont un certain nombre avait le visage masqué et/ou arboraient à la ceinture leur arme de service. Ces représentants des forces répressives revendiquaient un renforcement de la politique sécuritaire (en limitant les droits des prévenus et la présomption d’innocence) mais aussi l’impunité totale pour les violences et les assassinats policiers. Bien entendu, le chœur des médias et des politiciens bourgeois a fait écho à ces mobilisations anti-prolétariennes, comme il l’avait fait au moment des manifestations contre la loi Travail pour dénoncer la «haine anti-flic».

De façon très faux-cul, Lutte ouvrière (1) et L’Etincelle (2) ont apporté leur soutien à cette offensive réactionnaire, tout en critiquant «la société du tout-sécuritaire» pour les premiers ou «des revendications téléphonées par des excités d’extrême droite» pour les seconds.

 LO déclare «être choqué des agressions gratuites répétées à l’encontre des policiers». Elle oublie simplement que ces «agressions» sont le plus souvent l’expression de la colère de jeunes (et parfois moins jeunes) prolétaires contre le harcèlement permanent, les fouilles répétées, les contrôles de papiers d’identité à répétition, les remarques racistes, les arrestations de routine, les gardes à vue… dans les banlieues prolétariennes. Ces «agressions» sont une réponse spontanée au climat d’intimidation et de peur que fait régner l’État bourgeois pour maintenir l’ordre établi.

LO évoque également «cette police largement utilisée par exemple lors du mouvement contre la loi El Khomri», sans dire un mot sur les violences policières massives contre les manifestants, les arrestations arbitraires, les gazages, les mutilations (au moins trois manifestants ont perdu un œil), les peines de prison qui ont frappé les manifestants… Loin de condamner les violences policières, LO estime que les «revendications sont légitimes» et L’Etincelle juge que «les flics de terrain se rebellent contre leur hiérarchie (…) ça se comprend», en oubliant au passage que les manifestants réclament l’impunité totale et, de fait, le permis d’assassiner. Ce dernier groupe n’hésitant pas à critiquer les revendications policières car «Armer toujours plus les policiers, ça les expose davantage» (tout en ajoutant que «la population trinque»!). Quelle ignominie !

Les trotskistes de LO dressent aussi un tableau larmoyant de la situation des policiers. Ils seraient des «fonctionnaires de base, ceux qui patrouillent dans les gares, dans les quartiers populaires, ceux qui sont appelés quand ça dérape entre voisins, ceux qui accueillent le public dans les commissariats». En plus, les flics se trouveraient «en première ligne pour constater la dégradation sociale et, au sens propre comme au sens figuré, la prendre en pleine figure. De par leur profession, ils ne voient que le pire de ce que cette société d’inégalité et d’injustice engendre parmi les opprimés».

Pour LO, la police aurait donc avant tout une fonction d’utilité publique. Pur mensonge! La police permet à la classe dominante de sanctionner les sans-réserves poussés par les effets démoralisateurs du salariat à chercher à sortir de la misère en singeant leurs maîtres, parfois sur le dos de leurs frères de classe, et qui tombent ainsi fréquemment dans la délinquance. Elle sert également à dissuader les prolétaires de tenter de violer les sacro-saintes lois de la propriété qui les privent de tout, pour simplement répondre à leurs besoins quotidiens. Elle protège constamment les privilégiés et leurs institutions contre la révolte individuelle ou collective des prolétaires, qu’il s’agisse de gestes de révolte et de vengeance, de la grève qui sort du traintrain respectueux de l’entreprise et de la loi, d’autodéfense et de riposte à la violence bourgeoise, ou enfin de luttes révolutionnaires

En passant, le parti d’Arlette Laguiller (pour reprendre la formule racoleuse en titre de son hebdomadaire) excuse implicitement l’adhésion d’une large majorité de policiers aux idées ultra-réactionnaires et d’extrême droite: «Bien rares et courageux doivent être dans ces conditions ceux qui, entrés dans la police par nécessité, par hasard ou par vocation (sic!), ne deviennent pas en quelques années sensibles aux préjugés réactionnaires, sécuritaires, racistes».

 Au final, LO va jusqu’à identifier les revendications des mercenaires du capital à celles des prolétaires: «La dégradation de la situation que dénoncent les policiers est celle subie dans toutes les cités, dans tous les quartiers». Les flics ne seraient «pas mieux traités que le personnel des hôpitaux ou de l’Éducation nationale, en particulier ceux qui travaillent dans les quartiers populaires». Les pandores connaîtraient, toujours selon LO, les mêmes conditions de vie que les habitants des quartiers ouvriers: «comme les habitants de ces quartiers qui les subissent au quotidien, aux conséquences de ces deux fléaux: la loi des bandes, les trafics petits ou grands et la violence que tout cela génère. En se déchargeant sur eux, l’État les envoie au casse-pipe, sans état d’âme». Pour L’Etincelle, «les policiers de base subissent certaines des conditions que connaissent trop bien tous les travailleurs» et «une partie des agents de la police nationale se met à (...) imiter» les manifestants contre la Loi Travail.

Double mensonge!

Les prolétaires subissent la violence du capitalisme et la délinquance est une des conséquence de cette violence. Et les forces de répression ne sont pas des victimes du capitalisme mais le bras armé du pouvoir bourgeois. Comme le disait justement celui dont LO et L’Etincelle se présentent comme les héritiers, Léon Trotsky: «c’est l’existence qui détermine la conscience. L’ouvrier, devenu policier au service de l’Etat capitaliste, est un policier bourgeois et non un ouvrier» (3).

 Enfin, L’Etincelle appelle les policiers à «tourner leur colère dans le bon sens» en choisissant «plutôt un autre camp, celui de l’ensemble des salariés, qui eux revendiquent plus d’écoles, d’emplois, de services publics» et LO à croire en «plus de conscience, plus d’organisation, plus de solidarité, plus dans confiance dans la classe ouvrière et le combat pour changer le monde». Comme si la police pouvait se trouver du même côté de la barricade que les prolétaires!

Loin de prôner une quelconque convergence ou fraternisation avec les policiers, Lénine rappelait que tout ouvrier, tout travailleur et tout exploité «ne peut pas ne pas haïr la police, ses gardes, ses sous-officiers, tous ces hommes armés qui, sous le commandement des gros propriétaires et des capitalistes, exercent le pouvoir sur le peuple» (4).

 Lutte Ouvrière et L’Etincelle soutiennent les bandes armées de l’État bourgeois, au lieu de chercher à orienter les énergies de révolte qui animent les couches opprimées vers l’ennemi de classe et ses institutions, et se dispersent au hasard, au point de risquer même de frapper des prolétaires.

 Au contraire, les communistes revendiquent la destruction de la police du capital, qui va de pair avec celle de l’État bourgeois. C’est cette position marxiste que nous énoncions il y a déjà plusieurs décennies:

Le communisme n’aura pas besoin de police pour régler les problèmes dont les sources la guerre de tous contre tous, l’exploitation, la misère et l’oppression seront taries. Et s’il reste des individus poussés par la maladie – eux-mêmes seront beaucoup moins nombreux – à enfreindre les règles de vie collective que la société se donnera, l’éducation, le poids de l’opinion publique et s’il le faut la coercition des voisins suffiront à régler de la façon la plus humaine ces exceptions peut-être inévitables, sans qu’il y ait besoin pour cela d’un corps spécial de police. Et pendant la période de transition révolutionnaire au communisme, que deviendra la police?

Eh bien, on aura encore une «police», dans la mesure où la population sera encore divisée en classes, mais pas une police au sens où on l’entend aujourd’hui.

La dictature prolétarienne ne pourra assurément pas se passer de prisons ni de corps spéciaux de répression, d’espionnage, etc., aussi bien pour réprimer les classes déchues et pour opérer la transformation sociale, qui exige une contrainte d’Etat, que pour combattre les restes ·et les habitudes pourries héritées de la société bourgeoise.

Cependant, l’Etat prolétarien reposant sur la large participation des masses prolétariennes, le maximum de tâches de police, c’est-à-dire d’intimidation et de répression, seront remplies par la milice prolétarienne et ne constitueront plus des tâches distinctes des tâches militaires, ni surtout un métier spécial. Un tel état de choses enlèvera à l’accomplissement des tâches de répression et de contrainte les pouvoirs exorbitants conférés aux flics bourgeois. Comme ceux-ci ne sont responsables que devant leurs chefs et échappent au droit commun, ils sont placés au-dessus des lois et des citoyens, ce qui cultive chez le moindre agent de ville une attitude de morgue odieuse que la bourgeoisie utilise évidemment pour mieux intimider la classe exploitée.

Le prolétaire participant à la milice prolétarienne reste un prolétaire qui travaille, qui vit avec ses camarades de classe et sera jugé pour sa conduire, au travail comme dans son quartier et dans les diverses organisations auxquelles il participe.

C’est la seule manière de concevoir une police «non coupée de la population», bien qu’il s’agisse encore non de la population en général mais d’une classe, la classe prolétarienne. Au fur et à mesure que la transformation sociale s’opérera, disparaîtra aussi, avec la fin de la dictature prolétarienne, le caractère de classe de la répression. Mais comme disparaîtront les rapports bourgeois et la misère, s’amenuiseront aussi le banditisme et la délinquance et, avec eux, l’essentiel des tâches de répression. Cette dernière s’évanouira avec toute règle de contrainte économique lorsque la société aura mis en pratique le principe: «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins».

C’est pourquoi il ne peut y avoir de «police au service de la population». Ou bien il y a police, mais la population est alors divisée en classes, et la police est une police de classe. Ou bien la population n’est plus divisée en classes, et il n’y a plus besoin de police! (5).

 


 

(1) «Manifestations de policiers: société violente», Lutte Ouvrière, 20 octobre 2016 et « Policiers mécontents: l’impasse du tout-répressif», Lutte Ouvrière, 27/10/16

(2) «Mais que fait la police?», éditorial des bulletins L’Étincelle, 24/10/2016 Cf  http://www.convergencesrevolutionnaires.org/Mais-que-fait-la-police-9253?navthem=1. Ce groupe, scission de Lutte Ouvrière, et maintenant tendance du NPA, a cependant rectifié le tir par la suite.

(3) cf «La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne» (janvier 1932) in Leon Trotsky, «Comment vaincre le fascisme», Ed; Buchet Chastel 1973, p. 88.

(4) «De la milice prolétarienne», Lettres de loin, 1917. cf www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/03/vil19170324.htm

(5) «Le prolétariat et la police», Le Prolétaire, n°330, 20 février au 5 mars 1981.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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