Cirque électoral

(«le prolétaire»; N° 523; Février-Mars-Avril 2017)

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Depuis maintenant des mois le cirque électoral bat son plein au rythme d’une sarabande que l’on n’avait pas connue depuis bien longtemps: à croire que c’était nécessaire pour ranimer les ardeurs essoufflées des électeurs!

Avec la pratique des primaires, nouveauté venue des Etats-Unis par l’intermédiaire de l’Italie, la mystification électorale a été démultipliée: il fallait d’abord voter pour déterminer ceux pour qui on va voter! Pendant des semaines et des mois une pré-campagne, relayée par tous les médias, s’est efforcée de mobiliser les électeurs, d’abord de droite, puis de gauche (sans parler des écologistes, dont la primaire a été réduite à sa plus simple expression, mais qui ont néanmoins voulu en organiser une).

Force est de constater le succès de cette entreprise: des millions d’électeurs sont allés dépenser quelques euros pour choisir entre tel ou tel candidat à la candidature. Comme ces candidats appartenaient au même parti ou à la même alliance de partis, ils avaient grosso modo le même programme, à quelques variations près et l’essentiel du débat portait donc sur les qualités individuelles supposés des candidats. Il s’agit là d’une trait accentué par le système des primaires, mais qui est typique de la démocratie fondée sur les «libres choix» des électeurs individuels: la personnalité, l’individu, est mis au premier plan et exalté au détriment de l’action collective, et même de l’organisation collective (partis...). Au moment des élections, il faut choisir non pas un parti ou un programme, mais un individu qui, une fois élu, pourra librement faire ce qu’il veut. On se trouve devant la forme ultime de la dépolitisation engendrée parmi les masses par la mystification démocratique.

En réalité le «libre choix» des électeurs est déterminé par la puissance des moyens de propagande, des machines à fabriquer la dite «opinion publique» des divers candidats, comme le démontre, s’il le fallait, leur course pour recueillir des financements. Quitte y compris à dépasser les limites légales de financement des campagnes dans les pays comme la France où de telles limites ont été établies pour que le déséquilibre entre candidats ne soit pas trop excessif afin de ne pas porter atteinte à la croyance de l’égalité des chances entre ceux-ci (mais aussi pour que les dépenses ne deviennent pas trop lourdes pour les bourgeois eux-mêmes!).

Mais la mystification fondamentale réside en ceci: la croyance que le président élu et son gouvernement seraient libres de déterminer la politique du pays du fait que des millions de bulletins de vote les ont propulsés «aux commandes de l’Etat». En réalité leur liberté est étroitement limitée par les intérêts des cercles capitalistes dominants et qui sont, eux, réellement aux commandes de l’Etat: devant eux, les bulletins de vote ne valent pas plus que des chiffons de papier.

L’Etat bourgeois est un appareil au service exclusif du capitalisme (il est, disait Engels, un «capitaliste collectif en idée», reposant en dernière analyse sur une «bande d’hommes en armes»); sa politique est modelée non par les bulletins de vote et les rivalités entre politiciens, mais en réalité, par les besoins des groupes capitalistes les plus puissants.

C’est ce qui explique qu’un politicien peut bien, comme Hollande, déclarer, pour se faire élire, qu’il n’a «qu’un seul ennemi, la finance»; une fois à la présidence il sera obligé de céder aux desiderata de cette même finance! Les vainqueurs du suffrage universel ne deviennent pas les dirigeants tout-puissants de l’Etat comme le prétendent les médias, mais leurs prisonniers. Englués dans son appareil et soumis à ses administrations au service des capitalistes, leur marge de manoeuvre est réduite au minimum. La constatation que les politiciens qui se succèdent au pouvoir font au fond tous la même politique, se traduit dans la conscience commune qu’ils sont tous les mêmes, qu’ils font tous partie d’une même bande de pourris.

En fait c’est la démonstration que, de droite ou de gauche, ces politiciens et les partis auxquels ils appartiennent, étant en fait au service du capitalisme (ce qu’ils ne nient pas, même s’ils parlent plutôt d’«intérêt national»), n’ont guère le choix de la politique à suivre: il n’y a pas 36 façons de défendre le capitalisme, le seul moyen est d’exploiter les prolétaires.

Mais il y a différentes façons pour y parvenir, en gros une plus douce et une plus brutale, et c’est à peu près tout ce qui sépare la droite de la gauche!

 Les partis de gauche, et au premier chef le Parti Socialiste qui est l’un des deux piliers centraux du jeu politique bourgeois en France, grâce à leurs liens privilégiés avec les organisations syndicales collaborationnistes ainsi qu’avec tout un réseau multiforme d’organisations et d’associations présentes sur le terrain social, sont les plus à même de calmer les tensions sociales; moyennant quelques menues concessions, ils peuvent ainsi faitre passer plus facilement les attaques anti-prolétariennes réclamées par les capitalistes.

 Puis, usés et discrédités par cette besogne, ils retournent faire une cure d’opposition pour reconquérir une légitimité auprès des travailleurs. Telle est l’histoire des alternances depuis 1981, pour ne pas remonter à 1945, au gouvernement d’union nationale dont le PCF fut chassé deux ans après pour contrôler et arrêter le mouvement gréviste.

 

Une situation inédite?

 

Nous nous trouvons dans une situation politique dans une certaine mesure inédite, qui est le résultat en tout cas l’usure de ce jeu politique qui a fonctionné sans accrocs depuis si longtemps.

Le gouvernement socialiste qui avait vu disparaître les uns après les autres ses alliés, a fait passer les dernières mesures pro-capitalistes (loi El Khomri, etc.) sans prendre le temps de discuter avec les syndicats, ni même avec une partie de sa majorité, en raison de la force des pressions bourgeoises. Le mécontentement qui en a résulté y compris parmi ses partisans traditionnels, n’a pas peu aggravé le discrédit du Parti Socialiste dans l’opinion et parmi les travailleurs; assuré d’une défaite honteuse, Hollande a choisi de ne pas se représenter. Les primaires de la gauche n’avaient plus pour but que de désigner l’homme et le courant qui allaient remporter non pas la fonction présidentielle, que le PS savait devoir transmettre à la droite, mais le prochain congrès du PS. C’est Hamon, un candidat de la «gauche» du PS, un «frondeur» qui s’était opposé (en paroles!) (1) à la loi El Khomri, qui fut élu.

Mais sa campagne est minée par le refus de le soutenir par de nombreux caciques du PS qui misent ouvertement sur sa cuisante défaite afin de ne pas lui abandonner les rênes du parti; et il risque fort d’être dépassé par Mélenchon, meilleur démagogue que lui, car libre de tout lien avec le gouvernement précédent.

Mélenchon postule au rôle rempli autrefois par le PCF: celui de gardien de l’ordre bourgeois grâce au contrôle qu’il exerçait sur la classe ouvrière. Malheureusement pour lui et pour l’ordre bourgeois, un succès électoral ne crée pas une force capable de jouer ce rôle, il y faut une implantation étendue et ramifiée qu’il ne possède pas et qui ne peut se construire rapidement.

A droite, la primaire avait désigné un candidat inattendu, Fillon, qui a dû son succès à la mobilisation des réseaux catholiques qui se sont renforcés lors de la mobilisation contre le mariage pour tous. Cependant, ses orientations économiques très libérales faisaient problème: Gattaz, le président du Medef, a déclaré que ce programme économique (que Fillon, tenu par les groupes d’intérêts qui le financent, refusait initialement d’amender) était inapplicable sur plusieurs points et qu’il risquait de provoquer des troubles sociaux. Ses orientations en matière de politique étrangère que l’on pourrait caractériser de façon grossière comme un tournant pro-russe, faisaient aussi débat, bien que nombreux sont parmi les responsables politiques bourgeois, ceux qui estiment qu’il faut revenir sur l’orientation trop pro-américaine des gouvernements Hollande. Quoi qu’il en soit, les affaires qui ont éclaté opportunément, ont fait disparaître les chances de la candidature Fillon.

A l’extrême-droite, Marine Le Pen semble assurée du soutien de son électorat pour arriver jusqu’au deuxième tour de l’élection présidentielle; elle a bien conscience qu’elle n’a aucune chance de l’emporter ensuite, comme le démontre le fait que le FN ait finalement gardé dans son programme des propositions-chocs (abandon de l’euro, sortie de l’Union Européenne) qui ne sont pas acceptables par les cercles bourgeois dirigeants, et qu’elle avait un moment mis de côté. Son objectif politique est de peser sur la recomposition politique à droite qui suivra inévitablement les prochaines élections.

Mais le FN continue, dans la campagne électorale en cours, à jouer son rôle traditionnel de repoussoir: tous les candidats, de Fillon à Poutou, se présentent comme les meilleurs candidats anti-Le Pen; Hollande lui-même entonne le même refrain de la lutte contre le FN, non pour valoriser sa candidature, mais pour préparer le ralliement général à celui qui sera l’adversaire du FN au second tour.

Selon toute probabilité cet adversaire sera Macron; au moment où nous écrivons, les ralliements à sa candidature ne cessent de se multiplier, venus de la droite comme de la gauche (y compris Valls). Mais si sa victoire à la présidentielle semble probable, Macron aura encore à résoudre le problème tout sauf facile d’organiser une majorité politique solide et cohérente pour mener la politique réclamée par les capitalistes.

Tout cela laisse augurer une situation d’instabilité politique que la constitution de la Ve République avait pour but d’éviter. C’est ce qui explique les propositions de modifications constitutionnelles ou du passage à une «VI République» mises en avant par plusieurs candidats – alors même que la situation tout sauf brillante du capitalisme français imposerait que la priorité soit donnée aux questions économiques, c’est-à-dire aux attaques anti-prolétariennes, plutôt qu’aux questions constitutionnelles.

 

Contre le crique électoral, retour à la lutte de classe!

 

Mais ce serait une grave erreur que de croire que l’usure prononcée du système politique français traditionnel, conséquence en dernière analyse de la crise économique persistante, soit une crise de la démocratie bourgeoise. Bien que beaucoup d’électeurs se disent «écoeurés» par les affaires et la «pourriture des politiciens», la croyance dans les vertus de la démocratie bourgeoise est encore largement partagée, y compris parmi les prolétaires, même si l’abstention ne cesse de croître parmi eux. Il y a encore loin du désenchantement vis-à-vis du cirque électoral à la compréhension que la solution ne se trouve pas dans les urnes, mais dans la lutte de classe.

Les bonimenteurs habituels de gauche ou d’extrême-gauche, comme un Mélenchon qui se félicite d’avoir ramené vers les urnes beaucoup d’abstentionnistes ou comme les lambertistes du POID qui ressortent la vieille revendication trotskyste de l’Assemblée Constituante, continueront et amplifieront même leur oeuvre de valorisation de la voie électorale comme antidote à la lutte prolétarienne anticapitaliste.

Le système électoral et les institutions représentatives de la démocratie bourgeoise, quelles que soient leurs formes y compris les plus «démocratiques», ne sont que des engrenages de l’Etat bourgeois qui ne peuvent être utilisées par les prolétaires: comme l’Etat bourgeois dans son ensemble, elles ne servent que la classe dominante, comme lui elles devront être détruites.

C’est en dehors d’elles et contre elles que le prolétariat devra reprendre son combat historique pour son émancipation, pour la destruction du capitalisme et l’instauration du communisme!

 


 

(1) Pour ne pas se couper d’une bonne partie de l’appareil du PS, il a abandonné dans son programme toute idée de remettre en cause cette loi.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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