Elections législatives en Algérie: des jeunes détruisent les urnes!

(«le prolétaire»; N° 524; Mai - Juin 2017)

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Les marxistes ont la tâche permanente de combattre la mystification démocratique en montrant qu’elle ne sert qu’à voiler la domination de la classe bourgeoise derrière une apparente «égalité» entre tous les «citoyens».

Cette égalité formelle masque en effet l’inégalité réelle entre les classes sociales sur laquelle repose le capitalisme: inégalité entre la masse des exploités et la minorité des exploiteurs, entre les prolétaires qui ne possèdent rien, et les capitalistes qui, possédant les moyens de production, s’approprient toutes les richesses produites par le travail des premiers, assurant ainsi leur position de classe dominante, qui modèle toutes les institutions de la société, étatiques ou non étatiques, de façon à  ce qu’elles défendent exclusivement ses intérêts. De leur côté, les prolétaires n’ont qu’une seule possibilité pour réagir à leur exploitation et y mettre fin: la lutte de classe ouverte contre les capitalistes et leur Etat, lutte qui, poussée jusqu’au bout, aboutit au renversement révolutionnaire du pouvoir bourgeois et à l’instauration de la dictature du prolétariat.

Pour les détourner de cette voie potentiellement mortelle pour elle, la bourgeoisie a peu à peu mis en place dans tous les pays des institutions parlementaires et des mécanismes électoraux censés permettre l’expression de la «souveraineté populaire».

Dans les faits il y a bien longtemps que le centre du pouvoir ne se trouve plus dans les parlements, comme cela pouvait être le cas à l’époque des révolutions bourgeoises, mais dans l’appareil de l’Etat qui est au contact direct des groupes d’intérêts capitalistes. L’émancipation du prolétariat ne peut donc passer par la conquête des parlements, mais uniquement par la destruction de cet appareil. Les élections représentent sans aucun doute un enjeu tout à fait concret pour les différentes bandes de politiciens en concurrence pour la gestion de l’Etat, ainsi que pour les lobbys qui les financent; mais elles sont surtout importantes pour le système politique de domination bourgeois car elles sont un antidote à la lutte de classe: tant que les prolétaires croient à la fiction démocratique, ils sont moins enclins à se lancer dans la lutte directe.

 C’est pourquoi les bourgeois s’efforcent dans toute la mesure du possible de maintenir en vie cette fiction, en particulier en laissant s’exprimer et concourir des opposants qui reprennent tout ou partie des griefs des masses prolétariennes et en tolérant des concessions à ces dernières sous la forme de la mise en oeuvre de quelques promesses électorales – pourvu qu’elles ne coûtent pas grand-chose.

Mais en Algérie, alors que le pays est confronté à de graves difficultés économiques à la suite de l’effondrement du prix des produits pétroliers (qui représentent 98% des exportations), il n’est pas question pour les capitalistes de faire des concessions, il faut au contraire accroître l’exploitation et diminuer les dépenses sociales! Alors que plus du tiers de la population (soit 4 millions de personnes) serait en dessous du seuil de pauvreté (1), alors que les prix flambent à la suite de la baisse du dinar, alors que le salaire minimum (qui n’est pas toujours respecté) plafonne à 18000 dinars (150 euros), somme insuffisante pour couvrir les besoins normaux d’une famille, et que le chômage non indemnisé touche un tiers des jeunes, le gouvernement après avoir déjà augmenté le prix de l’électricité et du carburant, a décidé une hausse de la TVA pour 2017 (ce qui a provoqué des émeutes à Bejaïa début janvier). A l’automne dernier il s’était attaqué aux retraites des fonctionnaires, maintenant ce sont les dispositions du code du travail les moins défavorables aux travailleurs qui sont dans la cible.

Mais peut-être l’UGTA, le syndicat officiel seul habilité à négocier, va-t-elle défendre les travailleurs? Si quelqu’un avait des espoirs à ce sujet, la réunion tripartite entre le gouvernement, le patronat (FCE) et l’UGTA qui s’est déroulée à Annaba début mars, les dissiperait; elle a abouti à un véritable «front commun» entre tous les participants – front commun évidemment contre les prolétaires. Sidi Saïd, le secrétaire général  du syndicat a affirmé son soutien «à toutes les actions qu’entreprend le Premier ministre», n’hésitant pas à déclarer: «si vous voulez aller de l’avant, il faut libérer l’investisseur et débureaucratiser l’action de l’investissement». Si on défend les capitalistes investisseurs et le «patriotisme économique», il est clair qu’on ne peut défendre les travailleurs promis à un surcroit d’exploitation par ces capitalistes!

Parmi les prolétaires et les jeunes confrontés à la dégradation continue de leurs conditions de vie et qui ont l’expérience de leur inutilité, le désintérêt envers les élections législatives du 4 mai était généralisé, en dépit de tous les efforts du pouvoir. Dans ces conditions, la participation des partis d’opposition: RCD, FFS, y compris d’«extrême gauche» comme le PT de Louisa Hanoune (3) et le PST (4), etc., étaient bien utiles pour tenter de donner une crédibilité à la farce électorale.

Cela n’a pas suffit: les abstentions auraient atteint les 63% selon le chiffre officiel, sous-estimé selon toute vraisemblance (5). 

Le PST, n’a pas pu ne pas ne pas reconnaître qu’il était «à contre-courant de la vague abstentionniste» («y compris parmi ses plus proches»), tout en expliquant que cet abstentionnisme faisait le jeu «des partis du pouvoir et de l’oligarchie» (6). Des trotskystes à contre-courant, ce n’est pas banal; mais il s’agissait de «se saisir de la tribune électorale [pour] présenter ses propositions politiques». Et quelles sont ses propositions? – «Cristalliser sur le plan politique une convergence démocratique, anti-libérale et anti-impérialiste» (7). Traduite en langage marxiste, cette formule où l’on voit que toute référence à l’anticapitalisme est exclue, signifie: alliance interclassiste, nationaliste et pro-capitaliste d’Etat. Pour aller vers une telle alliance avec des forces petite-bourgeoises et bourgeoises, il est parfaitement naturel de tourner le dos à la réaction spontanée des prolétaires et d’utiliser le mécanisme, même frelaté, de la démocratie bourgeoise...

C’est la voie inverse que doivent prendre les prolétaires: celle de la lutte et de l’organisation indépendante de classe, en dehors et contre les institutions bourgeoises, y compris démocratiques! C’est ce que semblent avoir compris des groupes de jeunes (et moins jeunes) manifestants, accusés par les autorités et les médias d’être des anarchistes, fauteurs de troubles, des violents, etc.: ils ont brûlé les urnes, saccagé les bureaux de vote, barré les routes et se sont affrontés à la police dans diverses localités des wilayas de Bouira, Béjaïa et Tizi-Ouzou le jour des élections. Ils entendaient dénoncer la «mascarade électorale» et appeler à la lutte «car seule la lutte paie» (8). Voilà un bon début!

 


      

(1) D’après la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme. Cf http://www.lematindz.net/news/22055-un-algerien-sur-trois-vit-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete.html

(2) Cf http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/03/07/article. php? sid= 210369& cid=2

(3) Le PT (Parti des Travailleurs, «trotskyste» lambertiste) a d’abord fait mine de s’interroger, avant de décider bien sûr d’y participer. Il a été récompensé par l’octroi de11 députés.

(4) Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs), organisation sympathisante de la IVe Internationale (SU), n’était présent, pour des raisons de force, que dans la wilaya de Béjaïa.

(5)  Voir l’article instructif du Soir d’Algérie sur les manipulations de l’administration: http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/05/06/print-2-213252.php

(6) https://npa2009.org/actualite/international/legislatives-en-algerie-abstention-et-climat-de-fin-de-regne

(7) http:// tendanceclaire.org/ breve. php?id =23837

(8) Selon le tract distribué à Raffour (wilaya de Bouira). On pouvait aussi y lire: «A ceux qui disent que notre refus des élections est une forme de violence [nous répondons] que cette dernière a toujours été exercée par l’Etat et toutes ses institutions y compris le parlement avec sa nouvelle loi de finance qui remet en cause tous les acquis des luttes sociales depuis 1988 jusqu’à nos jours, en adoptant une batterie de mesures antisociales».

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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