Bilan des élections présidentielles:

Recomposition du théâtre politique bourgeois pour mieux défendre le capitalisme

(«le prolétaire»; N° 524; Mai - Juin 2017)

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L’interminable campagne pour les élections présidentielles, avec ses multiples et sensationnels rebondissements, qui a duré presqu’une année, vient donc de se conclure par l’élection d’un jeune «homme neuf», Macron. Il a obtenu 20 millions 753 mille voix (66% des bulletins exprimés) contre 10 millions 643 mille (34% des exprimés) à sa concurrente Le Pen; il y a eu plus de 12 millions d’abstentions et 4 millions de bulletins blancs ou nuls, chiffre particulièrement élevé. Les élections législatives de juin ne serviront qu’à confirmer ce résultat. Résultat inattendu: il y a à peine quelques mois la plupart des dits «politologues avertis» et des politiciens en place, estimaient que sa candidature était vouée à l’échec en raison de son positionnement centriste, «ni à gauche ni à droite», de l’absence d’un parti avec un minimum d’implantation et de cadres politiques un tant soit peu expérimentés, et de l’absence de tout programme politique digne de ce nom. Jusqu’au bout certains analystes (et les candidats concurrents) n’ont vu dans le succès croissant de sa campagne qu’une «bulle médiatique» prête à éclater à tout moment ou que le résultat chanceux d’un concours de circonstances, et dans Macron un candidat «fragile» et finalement «mal élu»!

 

Les enseignements de l’élection présidentielle

 

La dénonciation par les marxistes du mensonge démocratique, leur lutte contre les illusions électorales et pour l’abstentionnisme révolutionnaire, n’ont rien à voir avec l’indifférentisme anarchisant envers les élections. Celles-ci sont en effet un moment clé de la vie politique bourgeoise et à ce titre elles doivent être combattues et non pas ignorées. L’une de leurs fonctions est de permettre l’expression et la solution des divergences entre fractions de la classe dominante; mais leur but principal est le maintien de la paix sociale (1), autrement dit le maintien de la paralysie du prolétariat, son abandon de ses intérêts de classe et son adhésion aux impératifs du capitalisme (déguisé sous le nom de «patrie», d’«économie nationale», etc.). C’est sous cet angle qu’il est possible de les analyser, de déterminer les causes des changements et d’en tirer les enseignements utiles pour le prolétariat.

Il n’est pas besoin d’être très perspicace pour comprendre que la victoire de Macron et la défaite des deux partis qui depuis plus de trente ans constituaient les 2 piliers du théâtre politique bourgeois ne doit rien au hasard. A gauche, le Parti Socialiste, profondément déconsidéré après la succession des attaques anti-ouvrières, la persistance d’un chômage de masse et la dégradation des conditions de vie de larges secteurs de la population sous le quinquennat de Hollande (au point que ce dernier a finalement renoncé à se représenter) s’est effondré à un niveau qu’il n’avait pas connu depuis presque 50 ans: son candidat Benoit Hamon (qui appartenait pourtant à son «aile gauche») avec 6,3% des voix a fait pratiquement le même score que Defferre (5%) le candidat de la moribonde SFIO pourrie jusqu’à la moelle en 1969, alors que Hollande avait dépassé les 28,6% il y a 5 ans! A droite le candidat des Républicains (nouvelle appellation du vieux parti gaulliste) a bien mieux résisté, puisqu’il a atteint les 20%. Mais les profondes divisions internes de son parti lui ont fait perdre toutes chances de se qualifier pour le second tour, puisqu’il n’est arrivé qu’en troisième position (alors qu’au début de la campagne tous les sondages le donnaient largement vainqueur).

La poussée électorale puis la victoire de Macron ne peuvent pas être mises sur le compte des médias, comme s’il s’agissait d’un effet de mode, d’une sorte d’engouement passager envers un jeune premier. Au-delà des contingences et des péripéties diverses, elles s’expliquent par l’usure, la perte d’efficacité, en un mot l’incapacité croissante de la «vieille politique», comme disent les Macronistes, à répondre aux besoins généraux du capitalisme français: tant d’ailleurs pour ce qui est de l’adaptation aux réalités nouvelles des rapports inter-impérialistes (économiquement, contrairement à l’allié-concurrent allemand, le capitalisme français n’arrive pas à sortir du marasme, tandis que sur le plan de la politique étrangère l’impasse de son positionnement trop pro-américain et anti-russe est apparu au grand jour avec la nouvelle administration Trump) que pour ce qui est du maintien de la paix sociale, comme démontré par la tendance croissante du gouvernement socialiste à tourner le dos à l’entente avec les appareils syndicaux et à privilégier la répression (les brutalités policières lors du mouvement contre la loi El Khomri ont fait plus d’un millier de blessés rien qu’à Paris, plusieurs centaines de manifestants sont passés en procès, écopant parfois de peines de prison fermes, etc.).

Il est certain que des organes de presse influents ont soutenu efficacement la candidature de Macron, propulsée et financée également par des groupes capitalistes du secteur des Nouvelles Technologies (2); elle a en outre bénéficié dès le début du ralliement de cadres du PS et du gouvernement, et de hauts fonctionnaires.

L’obstination de Fillon, vainqueur de la primaire de la droite grâce au soutien actif des réseaux catholiques intégristes, à conserver son programme économique «de choc libéral», a peut-être été autant la cause de l’échec de sa candidature, que la révélation dévastatrice des «emplois fictifs» de son épouse et de ses enfants. Nombre de politiciens et de responsables bourgeois se sont en effet publiquement inquiétés que la brutalité de ce programme risquait de déclencher des affrontements sociaux (3).

La plupart des structures du parti Les Républicains ont refusé de faire campagne pour «leur» candidat, tandis qu’une partie des responsables prenait langue avec Macron. C’est ainsi que ce dernier est peu à peu devenu le candidat bourgeois «naturel», avec le grand avantage d’apparaître aux yeux des électeurs comme un homme politique nouveau et sans tache, c’est-à-dire ne suscitant pas a priori de réactions aussi négatives parmi les prolétaires qu’un Fillon, premier ministre de Sarkozy pendant 5 ans. Mais en dépit de son «jeune» âge (39 ans) l’ancien banquier de chez Rothschild est tout sauf un homme neuf. Sous Hollande il a d’abord été, au secrétariat de la présidence, «la courroie de transmission entre les grandes entreprises et le pouvoir» (4). Il a ensuite été nommé ministre de l’économie, poste où il a mis en oeuvre diverses mesures de «libéralisation» économique répondant aux voeux du patronat, conformément à l’orientation gouvernementale pro-capitaliste.

Mais les vicissitudes de cette action l’ont convaincu, ainsi que ses sponsors, qu’il fallait dépasser des blocages de nature politique si l’on voulait aller plus loin dans les attaques anti-prolétariennes. La fameuse loi El Khomri n’était ainsi qu’un premier pas largement insuffisant pour les capitalistes; mais alors qu’elle avait pourtant suscité une opposition prolétarienne dans la rue, elle n’avait pas été soutenue par la droite au parlement, ce qui avait exposé le gouvernement à une motion de censure de la part de députés PS «frondeurs» qui aurait pu le faire chuter (5). La question de savoir si ces députés voulaient vraiment la chute du gouvernement, ou si, plus vraisemblablement, il ne s’agissait de leur part que d’un geste démagogique, est tout à fait secondaire par rapport au fait que le gouvernement Valls a rencontré des difficultés pour faire passer sa loi, à cause bien sûr de la pression du mécontentement de la rue, quand bien même celui-ci était étroitement canalisé par les syndicats.

La conclusion tirée probablement par des cercles bourgeois influents était que ce gouvernement à bout de souffle avait définitivement épuisé son utilité au service du capitalisme; il devait donc céder la place à un nouveau jouissant de la légitimité fournie par une victoire électorale; mais il fallait en outre que ce nouveau gouvernement ait l’habileté de ne pas provoquer inutilement les prolétaires.

C’est en tout cas à la suite de cet épisode que ses sponsors décidèrent Macron à sauter le pas, à quitter le gouvernement et à créer un mouvement politique indépendant dépassant le traditionnel clivage droite-gauche de la politique bourgeoise. Sa victoire écrasante, qui s’explique par le fait qu’il se trouvait au deuxième tour face à la candidate du Front National, et la formation de son gouvernement avec des ministres de droite, de gauche et du centre, ont accentué le désarroi des partis bourgeois traditionnels qui s’interrogent anxieusement sur leur avenir ou préparent leur ralliement.

Mais elle a été saluée chaleureusement par les milieux patronaux (6); nous ne donnerons qu’un exemple, parce qu’il nous semble résumer un sentiment général dans ces milieux, celui d’un PDG disant à propos de Macron: «Il est pro-business, mais avec un vernis social. Ce qui est important, car cela accroît les chances que les travailleurs soient derrière son programme» (7).

 

Le rôle de l’extrême-droite

 

Comme en 2002 vis-à-vis de Chirac, le Front National a de nouveau servi à provoquer un ralliement presque général autour du futur vainqueur désigné de la présidentielle. Le «réflexe démocratique», qui fait soutenir un candidat bourgeois classique contre un candidat bourgeois d’extrême droite, a été cependant moins puissant qu’il y a 15 ans. La propagande sur le prétendu danger que ferait courir à la démocratie une victoire du FN a indéniablement perdu de sa force.

D’une part parce que le F.N. s’est efforcé depuis quelques années de changer son image, allant jusqu’à adopter une orientation réformiste démagogique à destination des prolétaires (son programme comporte des mesures sociales comme le retour à la retraite à 60 ans, l’abrogation de la loi El Khomri, etc.); et aussi parce qu’il a réussi à rassembler quelques autres forces bourgeoises autour de lui (le petit parti gaulliste de Dupont-Aignant ou le courant catholique traditionnaliste de «La manif pour tous», etc.).

Mais surtout parce que le souvenir du mouvement contre la loi El Khomri (dont l’ancien ministre de l’économie était le véritable responsable) était encore suffisamment fort pour rendre difficile le vote Macron chez beaucoup d’électeurs prolétariens. Lors des rassemblements du premier mai on a ainsi pu constater que de nombreuses discussions portaient sur ce thème, et qu’une partie, minoritaire sans doute, mais significative des manifestants se disaient hostiles à un soutien à Macron. Ce n’est pas par hasard si entre les deux tours la propagande des grands médias n’a cessé de dénoncer l’abstention.

La bourgeoisie française considère que le FN est très utile dans l’opposition, d’une part pour rabattre les électeurs vers les urnes au nom de la défense de la démocratie «menacée», et d’autre part diviser les prolétaires en attisant la xénophobie et le racisme; mais elle n’envisage aucunement de le laisser accéder au pouvoir, non seulement à cause des orientations économiques qu’il défend (sortie de l’euro et de l’Union européenne, etc.), mais surtout parce que cela risquerait fortement de déboucher sur des affrontements qu’elle veut justement éviter

Les dirigeants du FN ne se faisaient évidemment aucune illusion sur la possibilité de victoire de Marine Le Pen; cette dernière se positionnait clairement comme la future opposante n°1 à Macron, sur une plate-forme social-nationaliste, s’adressant aux électeurs de gauche tout en ayant l’objectif de récupérer une partie de la droite classique.

 Mais son résultat moins bon qu’espéré a signé l’échec relatif de cette orientation contradictoire; et il se pourrait bien que le FN n’échappe pas à la recomposition générale des forces politiques bourgeoises, au vu de la manifestation de ses lignes de fracture internes entre des courants prônant une adaptation au consensus bourgeois sur l’Europe et l’abandon de la rhétorique «sociale», d’autres insistant au contraire sur le «souverainisme», etc.

Quoi qu’il en soit, la persistance d’une force d’extrême-droite sur une base nationaliste et xénophobe anti-prolétarienne est hors de doute car elle est l’expression de certaines couches petite-bourgeoises et d’aristocratie ouvrière dont le statut et les positions sociales relativement privilégiées sont menacées par l’aggravation de la concurrence et les mutations de l’exploitation capitalistes.

Rappelons que si cette extrême-droite est bien évidement une force anti-prolétarienne, elle ne représente pas une menace fasciste, pour la bonne et simple raison que la bourgeoisie n’a aujourd’hui aucune raison de recourir au fascisme: la démocratie est une méthode encore amplement suffisante pour obtenir la soumission du prolétariat. Ce n’est pas le FN mais les partis démocratiques de droite ou de gauche qui, en tant que gestionnaires de la domination bourgeoise, ont au cours des décennies écoulées porté les attaques contre le prolétariat.

 

Le succès de «La France Insoumise»

 

Une des caractéristiques de cette élection a été le succès, lui aussi inattendu, de «La France Insoumise», rassemblement électoral pour la candidature Mélenchon avec le soutien du PCF. Mélenchon a obtenu plus de 7 millions de voix, soit 19,6% des suffrages exprimés (contre seulement 11% à la précédente élection présidentielle); s’il a raté (de peu) son objectif d’arriver en troisième position en passant devant Fillon, il a tout de même réussi, en siphonnant les voix de Hamon, le candidat du PS et des écologistes, à s’imposer à gauche.

Sa capacité à élargir sa base électorale, particulièrement auprès d’électeurs du PS, a reposé en grande partie sur son tournant à droite; dans ses meetings l’Internationale a été remplacée par la Marseillaise, les drapeaux rouges par les drapeaux tricolores, les mots de «travailleurs» et «camarades» par «les gens», le soutien aux travailleurs immigrés sans-papiers par la dénonciation des étrangers «qui prennent le pain des travailleurs français», etc., etc. Le «souverainisme» affiché de Mélenchon, qui se traduit notamment par un nationalisme anti-allemand, débouche sur des positions pro-impérialistes bien dans la continuité du social-impérialisme du PCF. Le Pen, en lançant un appel à ses électeurs pour le deuxième tour, n’a guère forcé le trait en accordant un satisfecit à Mélenchon parce «qu’à la différence de sa campagne menée en 2012, celle-ci était plus apaisée et positive. Il ne s’agissait plus de s’en prendre comme à l’époque aux patriotes mais au contraire de s’adresser à la Nation et de viser son unité» (9).

Rappelons que Mélenchon n’était en réalité pas candidat à la présidence de la République, mais à la constitution d’une force suffisamment crédible pour occupper la place laissée vacante sur l’échiquier politique par la déliquescence accélérée des vieux partis réformistes PS et PCF (10).

L’existence d’une telle force est indispensable au contrôle politique du prolétariat; elle sert de garde-fou à l’ordre bourgeois en fournissant aux mécontentements et aux poussées de luttes ouvrières l’exutoire inoffensif d’une alternative sur le terrain électoral et parlementaire. Etant donné l’accentuation en préparation des attaques contre les conditions de vie et de travail des prolétaires, son absence est un problème qui pourrait devenir menaçant pour la stabilité du système de domination bourgeois. Le succès électoral de Mélenchon ne peut suffire à combler ce vide; «La France Insoumise» peut bien revendiquer des dizaines de milliers de partisans reliés par internet (Mélenchon a par exemple organisé une consultation par internet de ses partisans pour déterminer l’attitude par rapport à Macron), elle n’est pas un parti. Les «réseaux sociaux» peuvent être très utiles pour diffuser des informations et amplifier les mouvements d’opinion, ils ne peuvent remplacer une organisation structurée et implantée parmi les prolétaires.

 

L’«extrême» gauche: faire entendre le camp des travailleurs ou la voix du réformisme?

 

Une fois de plus les groupes dits d’«extrême» gauche (en réalité pas extrémistes du tout) «trotskystes» (en réalité les premiers à trahir les enseignements de l’auteur de «Terrorisme et communisme»), Lutte Ouvrière et NPA ont participé au grand cirque électoral, alors que les Lambertistes, divisés en deux factions rivales (le Parti Ouvrier Indépendant et le Parti Ouvrier Indépendant et Démocratique), n’ont pas eu cette année la force de le faire.

Leurs résultats sont sans doute bien loin de ceux atteints il y a 15 ans, lors de la présidentielle de 2002 où les 3 candidats se réclamant du trotskysme avaient au total obtenu un peu plus de 10% des voix au premier tour (contre 1,73% cette année); démonstration, s’il en était besoin que les succès électoraux sont éphémères et qu’ils ne peuvent à eux seuls changer les rapports de force réels entre les partis, et encore moins entre les classes.

Mais, surtout par leur présence médiatique au cours de la campagne, ces candidatures ont contribué à renforcer parmi une frange de travailleurs en rupture avec le réformisme traditionnel, la croyance martelée par la propagande bourgeoise selon laquelle les élections sont le seul moyen pour modifier l’ordre établi.

On pourrait nous objecter que le NPA et LO disent bien qu’il ne faut pas se faire d’illusions sur la portée des élections.

Les déclarations de ce genre existent en effet, mais elles ne valent pas grand-chose si ‘l’on considère que ces organisations consacrent une partie très importante de leurs forces, de leurs énergies militantes et de leurs ressources matérielles à la participation systématique à toutes les élections: ces faits démontrent que pour elles les élections sont très importantes! Sans doute elles ne donnaient plus à leur participation électorale des objectifs aussi ambitieux qu’auparavant; il ne s’agissait plus comme en 2012 d’en faire «une étape importante dans la construction du parti révolutionnaire» (Lutte Ouvrière) ou tout en l’utilisant pour contribuer à «dégager Sarkozy», «une nécessité absolue», promouvoir «un plan d’urgence anticapitaliste» (NPA), mais plus simplement de «faire entendre le camp des travailleurs». Utiliser la «tribune électorale» donc, mais pour dire quoi?

Tout le monde a pu constater que les candidats de ces partis n’ont fait aucune propagande même vaguement révolutionnaire, qu’ils se sont bornés à avancer des revendications comme l’interdiction des licenciements, la défense des services publics, etc.: c’est la voix du réformisme qu’ils ont fait entendre!

Les prolétaires (nous préférons utiliser ce terme à ceux plus vagues de «travailleur» ou «monde du travail» qui sont souvent utilisés à dessein par les opportunistes de tout poil pour englober les couches de la petite bourgeoisie) ne peuvent «se faire entendre» que par la lutte et sur leur terrain de classe, et non par le bulletin de vote et sur le terrain de la démocratie bourgeoise. Le problème en réalité n’est pas de se faire entendre (de qui sinon des bourgeois?), mais d’imposer un rapport des forces suffisant pour arrêter ou faire reculer l’ennemi de classe quand on n’a pas encore la force de le renverser. L’«extrême gauche» électoraliste qui appelle régulièrement les prolétaires à participer au cirque électoral, et avance des revendications de réforme du capitalisme, les détourne du même coup du terrain de classe et de la préparation à la future lutte révolutionnaire.

 

Ce qui attend le prolétariat

 

 A ce jour le nouveau gouvernement n’a pas annoncé de façon précise ses objectifs, période électorale oblige! Mais des documents révélés par la presse indiquent qu’il entend faire droit à des revendications patronales pour faciliter les licenciements, les contrats de travail temporaires, etc. On sait aussi qu’il veut aller vite pour faire passer des «réformes» pour «libérer» le travail – autrement dit des contre-réformes pour abroger certaines restrictions à l’exploitation des prolétaires qui avaient été concédées dans les périodes d’expansion économique afin de permettre le maintien de la paix sociale.

«Avec cette litanie de “bombes”, le gouvernement est assuré de braquer tous les syndicats et de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes» s’effraie Le Monde en rapportant les intentions gouvernementales (10). Il est sûr que le gouvernement a prévu d’éviter de longs débats parlementaires, en légiférant par ordonnances, non pas parce qu’il craindrait une opposition des députés, mais parce qu’il ne veut pas laisser le temps à un mouvement de lutte de se développer; c’est aussi la raison pour laquelle ces ordonnances devraient être prises durant la période estivale où il est bien sûr plus difficile pour les prolétaires de se mobiliser.

Mais le gouvernement s’emploie à déminer le terrain en associant l’opportunisme syndical à la discussion des futures mesures – ce qu’avait négligé de faire le gouvernement socialiste lors de loi El Khomri. Les premiers contacts lui ont permis d’enregistrer l’appui non seulement de la centrale ultra-collaborationniste CFDT (qui est devenue lors des dernières élections syndicales, le premier syndicat de France dans le secteur privé, devant la CGT), mais aussi de FO qui avait joué au syndicat combatif lors du mouvement contre la loi El Khomri (11); quant à la CGT, tout en déclarant ne pas être d’accord avec les orientations gouvernementales, elle s’est félicitée que le dialogue soit possible. Démonstration supplémentaire que ses déclarations martiales d’il y a à peine quelques mois selon lesquelles le combat contre la loi El Khomri et autres mesures anti-ouvrières allait reprendre, n’étaient que de la poudre aux yeux. Un magazine grand public titrait il y a quelques semaines: «ça va cogner. Emmanuel Macron résistera-t-il à la CGT et à l’extrême-gauche?» (12).

En réalité la CGT et les autres syndicats collaborationnistes (bien plus que l’«extrême-gauche» de Mélenchon ou des trotskystes) sont la carte maîtresse de la bourgeoisie dans la période qui vient, comme ce fut le cas dans la période précédente. Les attaques capitalistes entraîneront inévitablement des ripostes des prolétaires; dans ces affrontements sociaux qui vont inévitablement se déclencher, les grands appareils syndicaux s’emploieront à stériliser, isoler et canaliser les luttes.

On peut déjà le constater dans les conflits locaux ou partiels qui ont éclaté ou se sont prolongés sans respecter l’habituelle «trêve électorale» comme la grève des ouvriers de Whirlpool, la lutte des ouvriers de GMS (entreprise sous-traitante de Renault et Peugeot placée en redressement judiciaire) qui en avril occupaient leur usine et y plaçaient des engins explosifs pour détruire les machines, ou celle des camionneurs transporteurs d’essence en mai.

Les syndicats ont pu faire reprendre le travail aux camionneurs sans que rien n’ait été obtenu, sinon une entrevue avec le ministre du travail (!), au moment où leur grève allait atteindre son maximum d’efficacité en entraînant une pénurie de carburant en région parisienne; de même les travailleurs de GMS avaient été convaincus de reprendre le travail après que des promesses de reprise de l’entreprise aient été faites; mais début juin rien ne s’était concrétisé... Quant à Whirlpool, c’est Macron lui-même qui avait salué l’intersyndicale qui «a pris ses responsabilités», «n’a pas été dans la surenchère» qui n’a pas «tout bloqué» comme à Goodyear et négocie un «plan social» avec la direction. Les ouvriers ont repris le travail et attendent d’éventuels repreneurs... La conclusion est claire: la méthode des organisations collaborationnistes conduit inéluctablement à la défaite, dans les petits comme dans les grands conflits.

A travers les élections actuelles, la bourgeoisie a donné le coup d’envoi à une recomposition de son système politique pour mieux répondre aux besoins du capitalisme français. En dernière analyse la cause de cette réorganisation est la recherche d’une exploitation plus efficiente et plus sûre du prolétariat, cible des attaques qui se préparent dans le secret des conciliabules entre hauts fonctionnaires, représentants patronaux et bonzes syndicaux.

Pour y faire face le prolétariat sera lui aussi contraint de se «réorganiser», c’est-à-dire de rompre avec «l’organisation» – la désorganisation en fait – qui lui imposent toutes les forces de l’opportunisme politique et syndical, tous les agents de la collaboration de classe, et de retrouver la voie de l’organisation indépendante de classe, tant sur le terrain de la lutte économique ou immédiate, que sur celui politique et révolutionnaire.

 Cette voie ne pourra être ni automatique ni rapide et sans effort. Mais tous les pas qui, sous la poussée des affrontements sociaux, seront faits dans cette direction, dans la direction de la reconstitution du parti révolutionnaire communiste et des organisations classiste de lutte «économique» utilisant les méthodes et les moyens de la lutte de classe, seront fructueux: car ce sont eux qui permettront au prolétariat de se préparer avec des chances de succès à l’affrontement historique décisif avec la classe ennemie et tout son système économique et politique.

Les élections peuvent faire communier les larges masses dans le culte de la démocratie, les grandes manoeuvres politiques bourgeoises peuvent rencontrer un succès momentané, la tranchée entre les classes ne va pas pour autant cesser de se creuser.

C’est d’elle que renaîtra tôt ou tard la lutte de classe révolutionnaire!

9/6/2017

 


 

(1) Ce n’est pas par hasard si une des questions finales du débat télévisé entre les candidats était: comment unir les Français?

(2) Mais parmi ses premiers financiers il y avait aussi des capitalistes de l’économie traditionnelle, comme Henry Hermand, un riche milliardaire (décédé depuis) qui avait fait fortune dans la création de centres commerciaux. Hermand avait déjà financièrement soutenu la carrière politique de l’ancien Président centriste du Conseil Mendès-France dans les années 50 (!), et plus récemment celle de l’ancien Premier Ministre socialiste Rocard.

(3) Dans un éditorial remarqué, le Financial Times, la voix des milieux financiers de la City londonienne, avait écrit à propos de ce programme que l’économie française n’avait pas besoin d’une «révolution». Fillon n’avait accepté que de surseoir à ses projets de réduction drastique de la couverture maladie de la sécurité sociale à la suite du tollé qu’ils avaient suscités.

(4) Le Monde Diplomatique, mai 2017.

(5) Les tentatives de déposer des motions de censure par les députés PS «frondeurs» ont échoué de peu.

(6) Enthousiasmé, Gattaz, le président du Medef a déclaré: «nous sommes sur un nuage» Le Figaro, 16/5/17.

(7) Financial Times, 11/5/17

(8) Selon Le Nouvel Observateur (21/5/17) les autorités auraient préparé diverses mesures en cas de victoire de Le Pen pour «geler la situation politique», faire face à des manifestations d’«extrême gauche» «dont certaines pourraient entraîner des troubles sérieux » et «assurer la sécurité de l’Etat» par des mesures de police extraordinaires comme l’utilisation d’«armes létales» contre les manifestants,etc.

(9) http://www.ouest-france.fr/politique/marine-le-pen/marine-le-pen-appelle-les-electeurs-de-melenchon-faire-barrage-macron-4956079. Le Pen disait avoir noté que «de belles Marseillaises ont été entonnées par les partisans de la France insoumise»...

(10) L’ancien sénateur et ministre socialiste l’a déclaré ouvertement: «je ne veux pas affaiblir le PS, je veux le remplacer». Son alliance difficile avec le PCF a tourné court; celui-ci se raccrochant au PS comme à une bouée pour tenter de sauver ses derniers élus, a toutes chances d’être entraîné dans son naufrage.

(11) Il est vrai que la nouvelle ministre du travail est, selon la presse, très appréciée par FO. Ce n’est pas un hasard: l’ancien négociateur de FO a été nommé directeur-adjoint du cabinet ministériel, le directeur étant un cadre du Medef. Le bonze et le cadre patronal vont ainsi travailler en commun contre les prolétaires. Au moins, les choses seront claires!

(12) Le Point, 23/5/17

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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