Quand le cci «polémique», c’est pour noyer le poisson!
(«le prolétaire»; N° 525; Juillet-Août-Septembre 2017)
Sur son journal Révolution Internationale n°464 (mai-juin 2017), le CCI a publié un article intitulé: «Polémique avec le PCI. Daech, un avatar décomposé de la lutte de libération nationale!». C’est une réaction à un article sur l’attitude de ce groupe par rapport aux attentats de Paris, paru un an auparavant sur les colonnes du Prolétaire n°519: «Le CCI et les attentats. Stupeur et tremblements». Dans notre article, nous écrivions que «l’impressionnisme et la superficialité de l’analyse» du CCI à ce sujet (analyse qui n’était pas autre chose qu’un décalque de la propagande bourgeoise la plus éculée) faisait la démonstration de sa «déviation par rapport au marxisme»; cette fatale déviation l’amenait à chercher une explication dans le domaine fumeux de l’idéologie, l’empêchant de comprendre ce qui se passait et le condamnant à se borner à émettre des gémissements impuissants.
Le CCI a jugé nécessaire de répliquer à notre article par une «polémique»; mais ce qui saute aux yeux à la lecture ce celle-ci, c’est qu’elle ne répond à aucun de nos arguments! On y trouve juste une petite note indiquant que, dans le cadre de son article, il ne peut traiter «d’autres questions importantes», comme les accusations de pacifisme que nous portons contre lui, le rapport de forces entre les classes (en fait: son invraisemblable conception selon laquelle le prolétariat et la bourgeoisie auraient une force équivalente, ce qui entraînerait, depuis des décennies, un «blocage» de la société), etc., et sa théorie de la «décomposition», utilisée pour «expliquer» tout et n’importe quoi, depuis les scores électoraux de Marine Le Pen jusqu’aux attentats djihadistes...
Comme il ne veut pas ou ne peut pas répondre sur les «questions importantes» où nous l’avons attaqué, il ne reste plus au CCI qu’à noyer le poisson. Il consacre donc son long article à parler d’autre chose: notamment la question des luttes nationales et anticoloniales, où il pense nous trouver en défaut.
Suivons-le donc sur ce terrain. Le CCI cite des extraits d’articles du Prolétaire datant de plus de trente et quarante ans (1) pour affirmer que nous conservons «certaines confusions qui [nous ont] conduit par le passé à abandonner ponctuellement la position de l’internationalisme prolétarien en soutenant, même si ce fut de manière critique, les forces capitalistes de l’Organisation de Libération de la Palestine».
Ces extraits ne disent rien de tel et le parti n’a jamais soutenu l’OLP ni abandonné l’internationalisme prolétarien; mais il est vrai qu’au début des années 80 des positions erronées sont apparues dans la presse du parti qui ont contribué à la crise de notre organisation internationale en 1982-83. Une vision trop optimiste de la situation générale et des attentes démesurées sur ce que cette situation pouvait donner, alimentaient un affaiblissement théorico-politique du parti dont, dialectiquement, elles étaient aussi la conséquence. Considérant que le parti restait irrémédiablement accroché à des orientations politiques et tactiques trop rigides qui faisaient obstacle à des succès rapides qu’ils croyaient à la portée de la main, certains éléments ne virent de solution que dans la rupture avec notre organisation, voire avec le courant de la Gauche communiste dite «italienne».
Ce fut le cas, entre autres, des militants algériens d’«El Oumami» qui accusèrent le parti d’ «indifférentisme» parce que nous avions écrit par exemple qu’il ne s’agissait pas «pour les communistes révolutionnaires de refaire la carte capitaliste du Moyen Orient en devenant les “héritiers conséquents” de la vague nationale-bourgeoise arabe» (2): l’objectif des communistes est la révolution prolétarienne, la révolution socialiste internationale et non une révolution bourgeoise nationale. Les communistes ne se détournent pas des révolutions bourgeoises; au contraire ils appellent les prolétaires à y participer et à la pousser à fond, non pas comme une fin en soi, mais dans le but de déblayer la voie pour le passage ultérieur à leur propre révolution internationale, selon le schéma tracé par Marx et Lénine.
Mais en réalité la divergence avec les militants d’El Oumami ne portait pas fondamentalement sur cette question, mais sur leur activisme – cette maladie récurrente des mouvements révolutionnaires qui pousse à la recherche de succès immédiats au détriment de la fidélité aux principes politiques et programmatiques.
En mettant, momentanément jurent-ils, de côté ces derniers, les activistes croient faire une habile manoeuvre, alors qu’en réalité ils cèdent à la pression des courants dominants; et les succès espérés n’étant évidemment pas au rendez-vous, ils accentuent encore l’abandon de leurs positions politico-programmatiques initiales, jusqu’à disparaître dans le meilleur des cas, où à se transformer, dans le pire, en simple appendice des partis réformistes contre-révolutionnaires. Après avoir rompu avec le parti tout en jurant rester fidèle à son programme, El Oumami se mit à courir après les nationalistes bourgeois palestiniens, puis après les démocrates bourgeois, les ben bellistes, etc. jusqu’à finir par flirter avec les Islamistes. Entre-temps, il avait découvert que le programme du parti ne valait rien, puis au fond que c’était la perspective révolutionnaire qu’il fallait abandonner: la seule chose restant à faire étant le ralliement individuel à l’ordre établi...
* * *
Revenons au CCI. Nous avons signalé avoir eu à défendre dans une réunion les positions marxistes face à un intervenant qui évoquait un éventuel soutien à Daech, tout en se réclamant de la gauche communiste italienne. Aussi minoritaire et paradoxale soit-elle, c’est une position qu’on retrouve chez les trotskystes de la LTF et chez d’autres groupes marginaux, c’est pourquoi nous l’avons évoquée, un peu comme un exemple de la confusion régnante. Le CCI fait grand cas de cette histoire, écrivant qu’elle provoque effectivement chez lui «stupeur et tremblements»! Comme il est assez clair que son indignation à ce sujet relève du rideau de fumée et après avoir rappelé que nous ne sommes pas responsables des positions que nous combattons, nous ne nous y attarderons pas davantage.
Le CCI nous reproche aussi de parler dans un autre article de pays impérialistes et d’autres qui ne le sont pas, et des tâches particulières des prolétaires des pays impérialistes pour rendre possible l’unité avec les prolétaires des pays dominés.
Mais cette situation, est-ce que c’est nous qui l’avons inventée? Les villes françaises seraient-elles par hasard bombardées par l’aviation syrienne, tandis qu’au sol des troupes mercenaires payées, disons par la Libye, le Mali et la Centrafrique s’empareraient de portions du territoire, tandis que de grandes entreprises tchadiennes ou afghanes mettraient en coupe réglée ce qui reste de l’économie du pays et que des centaines et des centaines de milliers de prolétaires français seraient prêts à risquer leur pour essayer d’émigrer en Afrique ou au Moyen Orient?
Le CCI reconnaît d’ailleurs que notre position était celle de Lénine et «du mouvement ouvrier du passé»; mais selon lui les conditions historiques auraient changé radicalement depuis un siècle, et il produit contre la reconnaissance du droit à l’indépendance nationale de pays colonisés une citation plutôt malencontreuse de Rosa Luxemburg: elle écrit que cette reconnaissance par les bolcheviks va amener «la ruine de la Russie en tant qu’Etat» (3)... C’était bien le dernier souci des bolcheviks qui avaient le regard fixé sur la révolution mondiale!
Les conditions historiques ont en effet changé. Le cycle des luttes et des révolutions anticoloniales est terminé; il est terminé, non pas depuis un siècle comme le croyait Rosa Luxemburg et comme le croit encore le CCI, mais depuis quelques décennies à peine. Au cours de cette vague gigantesque qui a touché, après la deuxième guerre mondiale, des centaines de millions de personnes, les masses opprimées et colonisées ont dû combattre seules les puissances coloniales et impérialistes, sans trouver aucune aide auprès des prolétaires de ces pays, paralysés par la domination du réformisme collaborationniste, cet agent de la corruption démocratique.
Cette absence de soutien du prolétariat à ces luttes hier, comme l’absence aujourd’hui de soutien aux masses de réfugiés et migrants, est un fait historique de grande portée qui pèsera négativement demain sur les efforts d’unification prolétarienne. Dès aujourd’hui il rend difficile la compréhension que les sociétés des opulentes métropoles impérialistes sont divisées en classes antagonistes aux intérêts opposés, ce qui donne quelque crédibilité aux discours, religieux ou non, qui n’y voient qu’une masse indifférenciée de personnes solidaires des agissements de leur Etat, donc, même quand ce sont des civils, responsables et coupables de ses crimes.
Car si le cycle révolutionnaire bourgeois s’est achevé avec l’apparition de dizaines de nouveaux Etats bourgeois indépendants, les oppressions nationales et les exactions et les pillages impérialistes n’ont pas disparu pour autant. Cela oblige et obligera le prolétariat à reprendre à son compte la lutte contre ces injustices et ces oppressions (et d’autres, non réductibles au simple antagonisme prolétariat-bourgeoisie) qui ne pourront plus être résolues, en règle générale, que par la révolution prolétarienne. Reprendre à son compte ne signifie pas reprendre les orientations démocratiques ou nationalistes habituelles sur ce terrain, mais au contraire intégrer la lutte contre ces oppressions dans la lutte de classe anti-bourgeoise. Le combat des prolétaires des grands Etats capitalistes contre les interventions impérialistes, armées ou non, contre tous les méfaits de leur Etat vis-à-vis des populations qui en souffrent, est une nécessité pour que puisse se concrétiser demain l’union internationale des prolétaires.
Mais le CCI ne soupçonne rien de tout cela; et ses appels à la «solidarité» entre prolétaires ne peuvent que sonner creux aux oreilles des victimes de l’impérialisme à qui il explique doctement que celui-ci n’existe pas, comme aux victimes d’autres oppressions (sexuelles, raciales, etc.) dont il ne parle jamais.
Contrairement à ce qu’insinue le CCI nous ne préconisons pas à la classe ouvrière de se défendre exclusivement dans un cadre national; il est cependant inévitable ainsi que l’écrivait le Manifeste qu’elle doive d’abord lutter contre sa propre bourgeoisie, dans le cadre national donc (4).
Mais elle ne peut s’en tenir là; la classe ouvrière doit comme le disait l’Adresse de 1850 rendre la révolution permanente jusqu’à ce qu’elle ait conquis le pouvoir au moins dans les principaux pays du monde. Mais pour cela il lui faudra reconstituer son parti, retrouver son programme.
Nous ne savons pas pourquoi le CCI a jugé nécessaire d’écrire un article pour ne pas nous répondre – et à vrai dire cela nous préoccupe fort peu; mais ce qui est sûr c’est qu’il ne pourra apporter aucune contribution utile à l’exaltant mais difficile chemin de la réorganisation classiste et révolutionnaire du prolétariat.
(1) Il s’agit d’un article du Prolétaire n°164 (janvier 1974) présentant l’exposé de Bordiga sur «Les révolutions multiples» (Gênes, 1953) et d’un autre du n°370 (mars 1983) polémiquant avec El Oumami.
(2) cf Le Prolétaire n°365, texte défendu dans l’article du n°370
(3) Rosa Luxemburg, «La révolution russe».
(4) «Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétaire doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, il est encore par-là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie», Le «Manifeste du Parti Communiste», chapitre II. Etre internationaliste ne signifie pas refuser de voir que la lutte ouvrière ne peut pas ne pas se mener d’abord dans un cadre «national»: c’est un état de fait qui ne peut être dépassé que lorsque la lutte a atteint un certain niveau.
Parti communiste international
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