Argentine: Serrage de ceinture et matraque pour les prolétaires

(«le prolétaire»; N° 528; Avril-Mai-Juin 2018)

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En décembre 2015, Mauricio Macri a été élu président de l’Argentine. Son programme était en tous points conforme à ceux de ses homologues bourgeois d’Europe, d’Amérique et d’ailleurs: porter de durs coups aux prolétaires pour permettre aux capitalistes de continuer à s’enrichir malgré la crise.

C’est une nécessité pour le capital car l’économie stagne: une croissance de 0,5% entre décembre 2015 et novembre 2017, qui s’est traduite par la suppression de plus de 400 000 emplois. Le déficit commercial atteint un point culminant: 7,6 milliards de dollars en novembre 2017. Le déficit public, intérêts compris, est passé de 3,9% à 6,1% du PIB entre 2015 et 2017. L’inflation est galopante: 25% en 2017, la troisième plus élevée du monde. La chute rapide de la monaie nationale, le peso, face au dollar au cours des dernières semaines, a obligé la Banque centrale, pour tenter de la soutenir, à augmenter son taux d‘intérêt à 40%, le plus élevé diu monde! Les conséquences pour l’économie ne peuvent être que désastreuses et le gouvernement a donc été contraint d’appeler au secours le FMI.

 

Des coups très durs portés aux prolétaires

 

Tout en affirmant sans rire qu’il voulait s’attaquer aux «privilèges», le gouvernement Macri avait lancé de violentes attaques... contre les prolétaires et les masses pauvres. En décembre 2017, les loyers, l’eau, l’électricité, le gaz et d’autres sources d’énergie ont connu augmentation brutale de 17,8% (et 55,6% d’augmentation sur l’année). Les prix du transport ont subi une hausse de 3,2% (20,6% sur l’année). Dès le début de l’année 2018, d’autres augmentations ont touché les prolétaires et les masses pauvres : augmentation du prix des carburants de 4% à 6,5% et également du prix des transports, de l’électricité, du gaz et de l’eau. En deux ans, par exemple, le prix du gaz aura bondi de 1 000%! Les subventions des services publics ont subi des coupes sombres entraînant de fortes augmentations: 34,1% pour les communications, 31,5% pour l’éducation et 27,8% pour la santé.

Ces mesures d’austérité sont complétées par des attaques contre les revenus des travailleurs, en activité, au chômage ou à la retraite. Un des premiers objectifs du gouvernement était de faire baisser les salaires réels, qui en moyenne sont plus élevés que dans le reste de l’Amérique latine, en imposant des plafonds aux négociations salariales afin d’imposer des augmentations de salaires inférieures (+15%) à l’inflation (+25%).

A cela s’ajoutent une «réforme du travail» qui encourage la flexibilité et facilite les licenciements sans motif ni indemnisation, une «réforme des retraite » (c’est-à-dire leur baisse), une diminution des allocations familiales et autres allocations non imposables.

En tout, 17 millions de personnes verront une baisse de leurs revenus dans les prochaines années alors que la misère est galopante. La situation de l’emploi est dramatique: officiellement, le chômage n’est que de 10%, mais plus d’un tiers des Argentins travaillent au noir (c’est-à-dire sans la moindre protection face à la maladie, au chômage, aux accidents du travail…). Au total, 31,4% de la population vit dans la pauvreté, soit 13,5 millions d’Argentins sur une population de près de 44 millions de personnes, et 48% de ces pauvres sont des enfants de moins de 14 ans.

Pour accompagner ces «réformes», le gouvernement a aussi renforcé l’arsenal répressif. Macri avait promis aux bourgeois d’en finir avec les «piquetes» qui bloquent les rues et les routes, et autres formes de protestation de rue. Il a donc fait adopter un «protocole anti-piquets» par décret, ce qui lui permet de dissoudre par la force une mobilisation sans devoir avoir recours à une quelconque décision d’un tribunal.

 

Face aux luttes ouvrières, dislocation collaborationniste et répression policière

 

Cette avalanche de mesures anti-ouvrières a provoqué des réactions de colère du prolétariat, réactions canalisées par le collaborationnisme syndical, CGT et CTA en tête. En avril 2017, une grève générale d’une journée a été suivie à près de 90 % selon les syndicats. Elle a paralysé les transports et provoqué la fermeture des commerces. En décembre, une manifestation nationale a rassemblé plus de 200 000 travailleurs à Buenos Aires. En janvier puis en février, de nouvelles grèves générales ont largement mobilisées, à l’appel d’un large front syndical (une partie de la CGT et les deux ailes du CTA, le Corriente Clasista y Combative et le syndicat des chauffeurs routiers). Certains syndicats – soumission à la bourgeoisie oblige! – avaient refusé d’appeler (le syndicat de la santé, le syndicat de l’industrie, les syndicats de l’industrie alimentaire…).

Le collaborationnisme argentin utilise les mêmes méthodes de dislocation des luttes que ses homologues européens: une succession de journées de grève qui épuise et le refus de préparer l’affrontement. Ces remèdes réformistes sont totalement anti-prolétariens. Quand le prolétariat donne des signes d’agitation, les professionnels collaborationnistes du sabotage savent qu’un exutoire sans perspectives s’impose : c’est ainsi qu’ils pratiquent la «journée d’action».

Au sabotage syndical s’ajoute l’intimidation et la répression bourgeoises. Les prolétaires ont dû affronter le traditionnel matraquage médiatique mais aussi la brutale et bestiale répression policière, ce qui n’était pas arrivé depuis une décennie. Les prolétaires ont eu le droit à une large palette de moyens de «maintien de l’ordre» (bourgeois !): canons à eau, balles en caoutchouc, gaz poivre et gaz lacrymogène, arrestations, passages à tabac, véhicules de police qui foncent sur les manifestants, jets de pierre par les flics… De nombreux manifestants ont été blessés et au moins quatre ont été éborgnés lors d’une manifestation.

Face à la crise et aux réactions prolétariennes, la démocratie est contrainte de laisser tomber les voiles d’hypocrisie et de mensonge qui couvrent les mailles de fer de la dictature bourgeoise.

 

Inflation de fronts réformistes contre la lutte prolétarienne

 

L’Argentine est un pays qui a eu une réelle tradition de lutte prolétarienne au début du XXe siècle et les courants réformistes ont joué un rôle non négligeable au siècle passé. Aujourd’hui encore, les courants pseudo-révolutionnaires disposent d’une certaine influence dans la classe ouvrière et même d’une influence électorale et de quelques députés. En plus de leur participation assidue à la mystification électorale, ils sont marqués par un goût très prononcé pour la participation à de larges «fronts», anti-impérialistes ou «pour le socialisme», qui cherchent à regrouper le magma difforme des courants petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires, des courants péronistes (nationalistes bourgeois), des «anti-libéraux», des chrétiens de gauche, des «humanistes»… pour constituer une organisation commune de tout l’éventail «contestataire».

Issus de l’ancien courant pro-Moscou, le PC argentin et le PC Congrès extraordinaire ont intégré la coalition péroniste, le Front pour la Victoire. Les maoïstes du PC révolutionnaire (qui organise le Corriente Clasista y Combative), défenseurs de la «révolution nationale-démocratique» (anti-prolétarienne !) cherchent plutôt des partenaires dans le péronisme «de gauche», par exemple le Mouvement Evita (du prénom de l’épouse de Juan Peron qui était adulée par une partie des pauvres dans les années 60-70). Les PCA, PCCE et PCR n’ont pas la prétention de lutter pour le socialisme mais pour une démocratie bourgeoise un peu radicale et surtout très nationale. Les trotskistes se posent eux en défenseurs de la lutte pour le socialisme, ce qui bien entendu est entièrement frauduleux.

Les trotskistes animent eux deux «fronts» concurrents: le PTS, le PO et l’IS (soutenu par le PSTU) ont créé le Front de la gauche et des travailleurs, le Nouveau MAS et le MST un regroupement Izquierda al frente (leurs querelles autour du copyright du nom s’est même terminée devant les tribunaux bourgeois). Les deux fronts trotskistes se font concurrence avec les mêmes élucubrations: échelle mobile des salaires et des heures de travail, ouverture des livres de compte, grands travaux, nationalisations (banques, commerce extérieur, mines…), planification, assemblée constituante (bourgeoise!)… A cela s’ajoute des revendications chauvines. Le cartel MST-MAS dénonce, par exemple, les «sociétés chinoises ou d’autres puissances qui veulent prendre nos ressources stratégiques» ou proclame «les Anglais et l’OTAN hors des Malouines», en référence à l’archipel autour duquel la junte militaire d’extrême droite argentine et l’impérialisme anglais s’étaient faits la guerre au début des années 1980.

En Argentine comme ailleurs, les partis trotskistes ne sont pas une alternative aux vieux partis réformistes mais des forces qui aspirent à jouer le même rôle contre-révolutionnaire.

 

Pour le retour à la lutte de classe

 

Il serait indispensable d’opposer un front de classe prolétarien au front uni de la bourgeoisie et des opportunistes. Mais en dépit de ses traditions de lutte anciennes, le prolétariat argentin a malheureusement perdu aujourd’hui les rudiments de la mentalité anti-légaliste, anti-solidarité nationale, anti-chauvine qui est la condition et le ciment d’un de la lutte de classe. Contribuer à renouer avec cette tradition devrait être le travail d’ un véritable parti communiste s’il en existait un – ce qui n’est malheureusement pas le cas.

La tâche la plus urgente, dont l’accomplissement permettrait à terme de contrer victorieusement le sabotage opportuniste, serait de tisser un réseau durable de liaisons entre les groupes de prolétaires combatifs. Mais ceci ne peut se faire sérieusement qu’en rupture et en conflit avec la politique de trahison opportuniste qui détourne la réaction ouvrière vers la soumission aux objectifs de l’économie nationale.

 Cette organisation des prolétaires ne se fera qu’en livrant une bataille acharnée, sans trêve, contre les forces de la collaboration de classe et les bonzeries syndicales subordonnées aux exigences de l’économie bourgeoise et de la Nation. Tel est l’objectif le plus immédiat qui, une fois atteint, servirait de levier pour l’organisation des larges masses prolétariennes lorsque les luttes en grand de la classe mettront cette question à l’ordre du jour. Ce combat permettrait de briser tous les liens qui enchaînent les masses ouvrières à l’État et à la démocratie bourgeoise, en combattant sans répit l’opportunisme et son interclassisme.

Un tel objectif est complémentaire du développement d’une propagande contre les fausses solutions à la crise, contre les prétendues voies de salut présentées par les réformistes de tous poils, contre le nationalisme, et pour une issue révolutionnaire à la crise du capitalisme.

 

Contre toutes les solutions réformistes !

Pour la reconstitution du Parti de classe !

 

Seule la révolution prolétarienne peut apporter une amélioration réelle au sort de la classe ouvrière en la faisant sortir des tourments du capitalisme: le chômage, l’abrutissement au travail, l’insécurité, le despotisme dans la société et l’usine, la guerre. Seul le prolétariat, et à sa suite les masses semi-prolétarisées, peut devenir une menace pour l’ordre social bourgeois, capable d’engager une lutte de titans pour détruire non seulement le poids de l’impérialisme mais aussi les classes bourgeoises locales et leurs laquais réformistes.

Le prolétariat ne pourra apporter sa force décidée, révolutionnaire, que par la voie de la reconstitution mondiale de son parti qui, loin d’enfermer le prolétariat dans les limites étroites d’une lutte aux horizons nationaux, pourra intégrer la puissance subversive de celle-ci dans sa stratégie internationale contre l’impérialisme et les classes dominantes. La révolution prolétarienne ne peut triompher sans le Parti, à l’encontre du Parti ou avec un succédané du Parti – comme le disait Trotsky, le chef de l’Armée Rouge dans ses «Leçons d’Octobre». Ce n’est pas cette voie-là que suivent ses épigones des PTS, PO, MST et Cie.

Un Parti communiste doit donner une vision toujours plus générale des conditions et du théâtre de la guerre de classe: guerre qui est par nature non pas locale ni même étroitement nationale, mais bien internationale. Les prolétaires ont besoin d’entrevoir que l’issue de cette lutte doit être révolutionnaire sous peine de rendre vains tous les sacrifices consentis par la classe.

C’est à cette seule condition que le marxisme révolutionnaire peut permettre à la lutte immédiate de briser demain ses limites purement immédiates et contingentes pour devenir un levier d’une lutte générale contre l’État capitaliste. C’est à cette condition que la lutte immédiate pourra devenir l’école de guerre du communisme.

Le Parti – loin des lamentations de l’ «extrême» gauche sur les droits démocratiques – oppose la revendication de l’insurrection, de la dictature et de la terreur rouges à la dictature et à la terreur bourgeoises; contre les mythes paralysants de la démocratie et de la légalité. C’est ainsi qu’il peut faire comprendre que la lutte des classes exigera des organisations militaires d’autodéfense, pour affronter l’inéluctable violence capitaliste, officielle ou para-étatique.

Travailler à la constitution du parti de classe, le consolider, le centraliser toujours davantage sur la base de granit de la doctrine, du programme, des principes invariants et des orientations tactiques qui sont subordonnées à ces derniers, voilà une tâche première et urgente, à l’échelle argentine et à l’échelle mondiale.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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