Le capitalisme mondial de crise en crise (2) 

(La première partie de cet article est parue sur le n°527 du Prolétaire)

(«le prolétaire»; N° 529; Juin - Juillet - Août 2018 )

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Guerre commerciale?

 

Depuis quelques mois, la menace d’une guerre commerciale déclenchée par le gouvernement américain fait la une des médias, inquiète les chancelleries et trouble les boursicoteurs. Au cours de sa campagne électorale, Trump n’avait cessé de s’en prendre à la Chine qu’il accusait de concurrence déloyale ainsi qu’aux divers traités commerciaux internationaux dénoncés comme désavantageux pour son pays. Dans les premiers mois qui suivirent son accession à la présidence, ces déclarations parurent ne pas devoir avoir de traduction pratique vraiment sérieuse.

Mais mars dernier Trump annonça solennellement des taxes de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur celles d’aluminium aux Etats-Unis, au nom de la «sécurité nationale»; les règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce, institution censée régir les échanges commerciaux internationaux justement pour éviter les guerres commerciales qui eurent des effets dévastateurs dans les années trente du siècle dernier) autorisent en effet l’imposition de taxes dans un tel cas. Les pays occidentaux, notamment le Canada et l’Union européenne qui sont les premiers exportateurs d’acier vers les USA, eurent beau protester (Merkel, Macron et autres firent le voyage de Washington pour tenter d’amadouer Trump), rien n’y fit: au contraire Trump a brandi la menace de taxer également à 25% les importations allemandes d’automobiles, ce qui fermerait pratiquement le juteux marché américain aux véhicules made in Germany, faisant perdre à l’Allemagne jusqu’à 5 milliards d’euros (selon l’estimation d’un institut économique de Munich).

Il faut rappeler que l’imposition de ce genre de taxes par les gouvernements américains, censés être les champions du libre-échange, est tout sauf nouvelle; à plusieurs repris au cours des dernières décennies des meures de ce type ont été prises par Washington pour soutenir les sidérurgistes américains. Mais parfois, comme lors du gouvernement de Bush père en 2002, la réaction unie des Etats européens leur a permis d’obtenir des exemptions. Rien de tel aujourd’hui: au moment où nous écrivons, seule la Corée du Sud a en définitive été exemptée de ces taxes, après qu’elle ait accepté fin mars d’ouvrir plus largement son marché aux produits américains.

Les velléités allemandes de négocier un compromis (l’Allemagne étant un pays comme on l’a vu qui aurait beaucoup à perdre dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis) n’ont pas suffi, non plus que les «menaces» européennes de porter plainte auprès l’OMC ou de taxer en représailles les jeans américains, le bourbon et les motos Harley Davidson – menaces qui démontraient en réalité l’impuissance européenne face au colosse américain.

Mais si les européens et autres canadiens ou mexicains ont été les premiers frappés, c’est en fait la Chine qui est dans le viseur américain.

Lors des discussions commerciales à Pékin début mai les représentants américains ont présenté un projet qui demandait à la Chine les «actions concrètes et vérifiables» suivantes:

Selon ce document, Pékin devrait réduire de 100 milliards de dollars son surplus commercial avec les Etats-Unis en 12 mois à partir de juin 2018 et de 100 autres milliards de dollars l’année suivante, elle devrait éliminer immédiatement les «subventions qui déforment le marché» en conduisant à des excès de production; elle devra renforcer les protection de la propriété intellectuelle et supprimer les exigences technologiques requises pour la constitution de «joint-ventures»; «la Chine accepte en outre de... cesser de cibler la technologie et la propriété intellectuelle américaines par l’espionnage, la piraterie et la contrefaçon (!)» et devra «accepter de se conformer aux lois américaines de contrôle des exportations».

De plus la Chine devra retirer toutes ses demandes auprès de l’OMC au sujet des actions tarifaires et de protection de la propriété intellectuelle; «en outre la Chine ne prendra aucune mesure de rétorsion (...) en réponse à des actions prises ou à prendre par les Etats-Unis y compris de nouvelles restrictions (...). La Chine doit cesser immédiatement toutes ses actions actuelles de rétorsion». Elle «ne s’opposera pas, ne ripostera pas, ne réagira pas (...) à l’imposition par les Etats Unis de restrictions aux investissements chinois dans les secteurs technologiques américains sensibles ou critiques pour la sécurité nationale américaine»; mais de l’autre côté, «les investisseurs américains en Chine doivent jouir d’un traitement et d’un accès libre, effectif et non discriminatoire au marché [chinois], (...) comprenant la levée des restrictions à l’investissement étranger et à la propriété [des entreprises chinoises]».

 D’ici à 2020 la Chine doit réduire ses taxes «dans les secteurs non-critiques à des niveaux qui ne doivent pas être supérieurs» à ceux des Etats-Unis. Elle devra ouvrir son marché aux services et aux produits agricoles américains tels que définis par les Etats-Unis. L’application des accords devra être vérifiée tous les trimestres et si les Etats-Unis estiment que Chine ne les respecte pas, ils pourront imposer des taxes ou des restrictions aux importations auxquelles la Chine «ne devra pas s’opposer, qu’elle ne devra pas contester et contre lesquelles elle ne devra entreprendre aucune action»; elle devra aussi retirer sa plainte auprès de l’OMC selon laquelle elle n’est pas traitée comme une économie de marché (1).

Nous avons cité un peu longuement ce document car il jette une lumière crue sur la façon dont les grands Etats impérialistes entendent les relations avec d’autres jugés plus faibles. En pratique il a servi à l’ouverture de négociations – négociations sous la menace – des Etats-Unis avec la Chine. Cette dernière a d’abord réagi de manière conciliante, en faisant des concessions aux Etats-Unis qui ont en leur faveur le rapport des forces économique; le gouvernement américain a lui aussi fait des gestes, mais l’escalade a continué par la suite, y compris contre les pays européens: dans une interview à une chaîne de télé américaine le 17 juillet Trump a cité l’Union Européenne comme le premier «ennemi» des Etats-Unis en raison de ce qu’«ils font sur le commerce» avec son pays.

Les médias accusent Trump de faire ce genre de déclarations et de décider ces différentes mesures sur des coups de tête, ou pour des raisons électorales. Rien de plus faux! Il est vrai qu’elles ne font pas l’unanimité parmi les capitalistes et les dirigeants politiques américains (y compris et peut-être surtout parmi ceux du parti Républicain qui est traditionnellement libre-échangiste; mais elles sont l’expression de puissants groupes d’intérêt industriels et financiers qui s’alarment de la concurrence toujours plus pressante de nombre de partenaires économiques des Etats-Unis (2).

 

Déficit commercial américain

 

Les Etats-Unis sont toujours la première puissance économique mondiale; selon les estimations du FMI pour 2018 (3), le PIB américain s’élèvera à 20 413 milliards de dollars (en augmentation de 4%), représentant près du quart du PIB mondial, (23%) contre 14000 milliards pour la Chine (augmentation de 10%) soit 16% de ce même PIB mondial. Ces deux pays sont suivis à distance par le Japon, l’Allemagne, le Royaume Uni, la France, etc.

Les entreprises capitalistes et les économies nationales qu’elles composent se livrent en permanence à une concurrence entre elles. Cette concurrence se traduit par un important déficit commercial américain. Jusqu’en 1975 les échanges commerciaux des Etats-Unis étaient globalement équilibrés; puis à partir des années 80 et surtout 90 du siècle dernier, ils enregistrèrent un déficit qui depuis n’a cessé de croître jusqu’à atteindre un maximum de 760 milliards de dollars en 2006 (équivalent à 5% du Produit National Brut). La crise économique de 2007-2008, en ralentissant fortement les importations américaines, a amélioré mécaniquement la balance commerciale: les importations américaines baissèrent ainsi de 1800 milliards de dollars en 2008 à 1500 milliards en 2009, tandis que les exportations enregistraient une baisse moins forte: de 1800 milliards en 2008 à 1500 milliards en 2009. Le déficit commercial se réduisit donc pendant quelque temps, mais il recommença à croître avec la reprise économique, pour arriver en 2017 à près de 500 milliards de dollars (équivalent à environ 2,7% du PNB) (4).

Mais pour avoir une idée plus juste de la situation de l’économie américaine par rapport au reste du monde, il faut avoir en tête que les Etats-Unis enregistrent un surplus dans le commerce des services (5) qui atténue le déficit dans le commerce des marchandises qui en 2017 était de 795 milliards de dollars.

Les principaux importateurs aux Etats-Unis sont la Chine (22% du total des importations), le Canada et le Mexique (13% chacun), le Japon (5,9%) et l’Allemagne (5,1%). Ils sont suivis de la Corée du sud (3,1%), la Grande-Bretagne (2,3%), l’Italie (2,2%), l’Inde et la France (2,1% chacun).

Les 10 principaux marchés d’exportation américains sont le Canada (19% des exportations américaines), le Mexique (16%), la Chine (8,6%), le Japon (4,4%), la Grande Bretagne (3,7%), l’Allemagne (3,5%), la Corée du sud (3,2%), les Pays-Bas (2,8%), Hong Kong (2,6%) et le Brésil (2,4%).

(A suivre)

 


 

(1) cf Financial Times, 9/5/18. L’éditorialiste de cet organe officieux des milieux financiers londoniens écrit en commentaire qu’aucun grand pays souverain ne pourrait accepter une telle humiliation: «Pour la Chine ce serait une version moderne des “traités inégaux” du dix-neuvième siècle». Le journaliste sait de quoi il parle étant donné que la Grande-Bretagne fut la première des puissances occidentales à impose ces traités à l’empire chinois en déliquescence.

(2) La puissante Chambre de commerce américaine a déclaré dans un communiqué du 31 mai son opposition à l’imposition de tarifs douaniers, alors que les patrons de la sidérurgie ont bruyamment félicité Trump.

(3) cf. International Monetary Fund (IMF) World Economic Outlook, April 2018. Les chiffres sont dits «nominaux» et en dollars courants.

(4) cf. www.census.gov/foreign-trade/balance/c0004.html#2008

(5) Les principaux postes du commerce des services sont, par ordre d’importance, la «propriété intellectuelle» (droits d’auteurs, royalties et autres droits de licence), le tourisme, les services informatiques, les assurances et les services financiers.

 


 

PIB des 20 plus grandes économies

 

 

PIB nominal en dollars courants 

Etats-Unis: 

20.412, 87 

(23,3%) 

Chine: 

14.092,51

(16,1%)

Japon: 

5.167,05 

(5,9%)

Allemagne: 

4.211,64 

(4,8%)

Grande-Bretagne:

2.936,29 

(3,36%)

France: 

2.925,10 

(3,34%)

Inde: 

2.848,23 

(3,25%)

Italie: 

2.181,97 

(3,25%)

Brésil: 

env. 2.135

(2,44%) 

Canada: 

1.798,51 

(2,06%)

Russie: 

1.719,90 

(1,97%)

Corée du Sud: 

1.693,25 

(1,94%)

Espagne: 

1.506,44 

(1,72%)

Australie: 

1.500,26 

(1,71%)

Mexique: 

1.212,83 

(1,39%)

Indomésie: 

1.074,97 

(1,23%)

Pays-Bas: 

945,33 

(1,08%)

Turquie: 

909,89 

(1,04%)

Arabie Saoudite: 

748.00 

(0,85%)

Suisse: 

741,69 

(0,84%)

 

 Rang selon le PIB par habitant

Etats-Unis: 

9e

Chine: 

72e

Japon: 

25e

Allemagne 

17e

Grande-Bretagne:

23e

France:

21e

Inde: 

142e

Italie: 

27e

Canada: 

20e

Russie: 

65e

Corée: 

29e

Espagne: 

31e

Australie: 

11e

Mexique: 

74e

Indonésie: 

116e

Turquie: 

65e

Arabie Saoudite: 

22e

Suisse: 

2e

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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