Nicaragua

La fin sanglante du sandinisme et la nécessité d’une orientation de lutte de classe

(«le prolétaire»; N° 529; Juin - Juillet - Août 2018 )

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A la mi-juin la bestiale répression exercée depuis le mois d’avril, par la police, les militaires et les organisations liées au FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale, le parti au pouvoir), contre les manifestations de protestation dans tout le Nicaragua, avait fait 212 morts (dont des enfants et des adolescents) et plus de 1300 blessés, selon la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH).

Les protestations ont commencé après la mesure de «réforme» des retraites, instaurée sur recommandation du FMI par un décret du président Daniel Ortega le 17 avril.

Prétendument équilibrée, parce qu’elle prévoyait une augmentation des cotisations patronales en même temps que celles des salariés, cette réforme visait avant tout les travailleurs qui voyaient baisser leurs pensions de 5% – avec effet rétroactif. Cette réforme destinée à résorber le déficit de la sécurité sociale, s’ajoutait à la hausse des prix des carburant et à la baisse des aides sociales, mesures mises en œuvre dès 2017 qui ont suscité un mécontentement croissant parmi la population au fur et à mesure que leurs conséquences (augmentation du chômage et de la pauvreté) devenaient manifestes.

 La sanglante répression des étudiants qui avaient manifesté les premiers contre l’attaque contre les retraites a suscité une indignation générale et mis le feu aux poudres. Les manifestations se sont étendues à tout le pays. L’Eglise catholique ainsi que les organisations patronales (COSEP: Conseil supérieur du Secteur Privé) qui jusqu’alors soutenaient le gouvernement, ont condamné la répression. Ortega a donc été contraint d’annoncer le 22 avril le retrait de la réforme.

Mais cela n’a pas désarmé les opposants qui ont continué les manifestations : des dizaines de milliers de personnes, en majorité des jeunes ont défilé dès le lendemain 23 avril dans la capitale Managua, ainsi que dans d’autres villes du pays contre la répression et en solidarité avec les étudiants. Les manifestations et barrages de routes se sont amplifiés par la suite, tandis que la répression gouvernementale s’accentuait, mais sans pouvoir briser le mouvement qui se généralisait et entraînait divers secteurs de la population : petits commerçants, petits patrons aux côtés de prolétaires, demandant le départ d’Ortega et manifestant sous le drapeau national.

A la mi-mai un «dialogue national» a été mis en place avec l’appui des Etats-Unis et de l’Organisation des Etats Américains; mais il a été interrompu au bout de quelques jours en raison de la poursuite de la répression sanglante et du refus du gouvernement d’accéder à certaines demandes de l’opposition.

Le 14 juin la grève nationale appelée par l’«Alliance Civique pour la Justice et la Démocratie» , rassemblement regroupant organisations étudiantes, patronales, paysannes et la hiérarchie catholique, a été un grand succès, paralysant complètement le pays.

 A la suite de cette grève les réunions dans le cadre du «dialogue national» ont repris. L’opposition, qui a accepté d’appeler à la levée des barrages, demande des élections présidentielles anticipées (proposition qui avait été faite par Ortega lui-même).

 

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Le Nicaragua, peuplé d’un peu plus de 6 millions d’habitant est le pays le plus pauvre d’Amérique Latine (après Haïti). Il exporte essentiellement des produits agricoles et des produits textiles; son premier partenaire économique sont les Etats-Unis qui sont aussi le premier investisseur.

Il y a une trentaine d’années, il a connu une puissante révolte populaire qui a mis fin au régime dictatorial de la famille Somoza (installée et protégée par les Etats-Unis depuis les années trente du siècle dernier). Les guérilleros du Front Sandiniste s’étaient mis à la tête de la révolte, mais pour la canaliser et l’empêcher qu’elle prenne un tour anti capitaliste, la limitant pratiquement à la chute du dictateur (1). Cependant en dépit des ouvertures des Sandinistes envers l’impérialisme américain, en dépit du caractère très limitée des réformes sandinistes (seuls les grands propriétaires les plus liés au dictateur furent expropriés), le gouvernement Reagan soutint la lutte armée des «contras» (partisans de Somoza) contre le régime et lui imposa de lourdes sanctions économiques.

En 1990 Daniel Ortega fut battu aux élections présidentielles . Les 15 ans qui suivirent furent marquées par une politique libérale et anti sociale désastreuse pour la population déshéritée (famines, pauvreté d’un côté, corruption et enrichissement rapide de l’autre).

En 2006 Ortega était élu à la présidence; si son programme avait un volet social non négligeable (santé, lutte contre l’analphabétisme, etc.), il avait passé des accords politiques avec des politiciens de droite et pris un ancien contra comme vice-président. Pour consolider son pouvoir, le parti sandiniste prit appui sur l’Eglise catholique (le parlement vota une loi interdisant l’avortement, y compris pour des raisons thérapeutiques) et le patronat. Félicité pour sa politique économique par le FMI et les organisations financières internationales, le gouvernement nicaraguayen reçut une aide financière importante des Etats Unis et mena avec lui une coopération dans divers domaines (2) ; cela ne l’empêcha pas de recevoir également une aide importante du Venezuela (en pétrole, équivalente au quart du budget annuel) et de prendre au niveau international des positions dites «anti-impérialistes» – entièrement bourgeoises en fait – (soutien diplomatique à la Libye et à l’Iran, etc.) mais qui étaient utilisées pour se donner une image «de gauche» au plan intérieur.

Les premières années de la présidence Ortega furent celles d’une croissance économique retrouvée. Les investissements étrangers s’accrurent, attirés par les bas salaires et une politique favorable aux entreprises, rassurés par un budget équilibré, alimenté en partie par les envois des immigrés aux Etats Unis (représentant 60% du budget du pays). Ortega fut réélu en 2011 et 2016 (dans ce dernier cas avec sa femme comme vice-présidente) – en dépit de la détérioration de la situation des masses prolétarisées, des critiques sur la corruption du régime ou de l’opposition au projet pharaonique de percement d’un canal rivalisant avec celui de Panama (3); la forte hausse de l’abstention à ces élections avait sans aucun doute un caractère prolétarien.

Mais l’élection de Trump aux Etats-Unis (ils ont réduit leur aide, de 10 millions de dollars par an à seulement 200 000, et ils font peser une menace de sanctions à cause du soutien affiché du Nicaragua au Venezuela), conjuguée aux difficultés économiques vénézuéliennes (qui ont entraîné la réduction drastique de son aide et la diminution des exportations nicaraguayennes vers ce pays), et à la baisse des prix des produits agricoles, ont changé la donne dans la dernière période. Le patronat et le gouvernement ont fait retomber les difficultés économiques sur les prolétaires et les masses. Le salaire réel moyen est en baisse, et la pauvreté est telle que 60% de la population ne pourrait pas se payer la «canasta basica», les produits vitaux de base.

 

Non au dialogue national !

Oui à la lutte de classe !

 

Le responsable du sort des prolétaires et des masses pauvres nicaraguayennes n’est donc pas le seul clan Ortega et sa corruption: toute la classe bourgeoise a inspiré la politique gouvernementale et la hiérarchie catholique l’a soutenue jusqu’au bout. Mais aujourd’hui le Sandinisme semble avoir épuisé son utilité pour le maintien de l’ordre social au Nicaragua; les organisations patronales, l’Eglise catholique ainsi que les organisations étudiantes et autres participant au dit «dialogue national», ont comme but principal d’éviter que la colère généralisée contre la situation dont souffrent les masses ne prennent une orientation anticapitaliste et ne se transforment en véritable insurrection ; c’est pourquoi elles prêchent le pacifisme face aux crimes de la police et des bandes organisées du régime et c’est pourquoi elles ne préconisent d’autre alternative que des élections anticipées dans quelques mois et qu’elles sont prêtes à sacrifier le bouc-émissaire Ortega.

Mais ce ne sont pas de nouvelles élections qui peuvent modifier la situation des prolétaires et des masses exploitées, et cette perspective de nouvelles élections n’a pas d’autre but que d’arrêter le mouvement en cours. Seule la lutte prolétarienne, sur des bases de classe, pourrait arracher des concessions aux bourgeois. Mais pour cela il faut rompre avec le mensonge de l’union interclassiste qui laisse les prolétaires sous la coupe des bourgeois et des petits bourgeois, il faut rompre avec le mensonge de l’union nationale qui ne sert que les capitalistes.

Les prolétaires et les masses nicaraguayennes se sont fait duper par les illusions interclassistes et nationales au cours de leur longue histoire de lutte contre l’impérialisme et contre les dictatures. Bourgeois et petits bourgeois continuent aujourd’hui la même besogne.

Pour que les victimes du régime sandiniste ne soient pas tombées en vain, pour que la gigantesque mobilisation des masses ne débouche pas sur un énième replâtrage de la dictature bourgeoise, pour qu’il soit possible d’en finir avec la misère, la répression et l’exploitation, il ne faut pas compter sur un quelconque «dialogue national» entre bourgeois; et il ne suffira pas de remplacer Ortega par un autre politicien: c’est le capitalisme qu’il est nécessaire de combattre, et l’Etat bourgeois qu’il faudra abattre, en opposant la lutte de classe au dialogue national.

Et le premier pas sur cette voie est le travail pour la constitution de l’organisation de classe du prolétariat, en union avec les prolétaires des autres pays, qui connaissent la même situation que les prolétaires du Nicaragua.

 

24/6/2018

 


 

(1) Pour une analyse de ces événements, voir les articles sur notre presse de cette époque, notamment «La triste trajectoire du sandinisme» (Le Prolétaire n°295, 8-21/9/79), «A propos de la révolution sandiniste» (Programme Communiste n°87, décembre 1981), etc.

(2) Selon une déclaration officielle du gouvernement américain, «le gouvernement du Nicaragua et les Etats-Unis coopèrent sur le respect des lois, la lutte contre le narco-trafic, le contrôle des flux migratoires, la protection contre les catastrophes naturelles, l’amélioration du commerce et d’autres sujets d’intérêt mutuel». Le même texte précise que «les Etats Unis sont le partenaire économique dominant du Nicaragua, achetant 51% de ses exportations, fournissant 32% de ses importations, 20% de ses investissements, étant la source de 54% des envois financiers des émigrés (…) selon les chiffres des 2017» cf https://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/1850.htm.

(3) L’accord pour le percement de ce canal avec une compagnie chinoise a été entouré d’obscurité. Il a provoqué l’opposition des paysans qui auraient été situés sur le trajet du canal, l’opposition de ceux qui soupçonnaient une vaste entreprise de corruption, ainsi que celle des petits bourgeois nationalistes protestant contre le bradage des terres à des étrangers. Mais cet accord semble caduc et le milliardaire chinois promoteur du projet a disparu…

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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