Ford Blanquefort

Quand Le Maire félicite Poutou...

(«le prolétaire»; N° 531; Décembre 2018 - Janvier 2019)

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Le 13 décembre dernier, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie a publiquement «rendu hommage» à Philippe Poutou, le candidat du NPA aux dernières Présidentielles, à propos de l’usine Ford de Blanquefort (dans la banlieue de Bordeaux): «Les salariés, les syndicats, monsieur Philippe Poutou, ont été à la hauteur de leurs responsabilités, là où Ford ne l’a pas été», a-t-il déclaré lors des «questions d’actualité» au Sénat où il s’exprimait sur le refus de la société américaine de donner son accord au plan de reprise de l’entreprise par Punch Powerglide, une société belge.

Il est pour le moins inattendu de voir un ministre de Macron, qui plus est issu de la droite sarkozyste, féliciter un «révolutionnaire». Comment cela s’explique-t-il?

Ford a décidé de fermer son usine qui emploie actuellement environ 850 salariés, parce que le marché des boîtes de vitesse automatiques qui y sont fabriquées n’est pas porteur; et que d’autre part ,en difficulté comme son concurrent General Motors qui a vendu en particulier son usine de boîtes de vitesses strasbourgeoise à cette même société belge (1), l’entreprise américaine qui est en train de réorganiser ses usines américaines et asiatiques aurait prévu de réduire ses activités sur le marché européen; selon certains analystes des milliers emplois seraient menacés en Europe (bien qu’en 2017, Ford avait annoncé que ses divisions européennes seraient épargnées par la purge); outre l’usine de Blanquefort, la fermeture de l’établissement de Brentwood (Grande-Bretagne) employant 1700 personnes a été annoncée par la direction.

 

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L’usine de Blanquefort, qui a compté jusqu’à plus de 3500 salariés, avait déjà connu une grave crise en 2007; la direction avait alors annoncé la fin de la fabrication de boîtes de vitesse et en conséquence la fermeture était probable en 2010: les 1600 emplois de l’établissement étaient menacés.

Alors qu’ils étaient réputés ne jamais faire grève, les travailleurs réagirent; une longue lutte s’engagea au cours de laquelle l’usine fut bloquée par les piquets de grève pendant une semaine, des cadres de la direction furent séquestrés, etc. Un accord fut finalement trouvé entre l’intersyndicale et la direction en mars 2008 pour mettre fin au conflit.

Mais en raison de la chute du marché de l’automobile aux Etats-Unis à cause de la crise économique Ford mit l’établissement à l’arrêt pendant 6 semaines à la fin de la même année.

 A la suite de plusieurs mois de tractations avec divers repreneurs potentiels, l’usine fut vendue en février 2009 à un groupe allemand; il devait y fabriquer, outre les boîtes de vitesse pour Ford, des pièces d’éoliennes. Mais ce projet se révéla être finalement du vent et, en 2010, Ford, avec des subventions de l’Etat et de la région, reprit l’usine en promettant d’y investir pour de nouveaux projets industriels qui allaient – évidemment!– y développer l’emploi.

Ces investissements tardant à se concrétiser, après des années de chômage technique à répétition, un accord entre la direction, l’Etat, les collectivités locales et les syndicats fut signé en 2013. Il prétendait «pérenniser 1000 emplois» (sur les 1200 existant alors) pour 5 ans sur le site; des subventions seraient accordées à Ford par les autorités. Poutou, délégué et secrétaire de la section CGT de l’usine, s’estimait alors «satisfait» de cet accord (2), bien que 200 travailleurs restaient sur le carreau.

Cependant dès 2014 les périodes de chômage technique recommencèrent (au mois de juin seul le quart de l’effectif était employé) et la direction annonça que les conditions n’étaient plus réunies pour le maintien des mille emplois....

En juillet 2017 Ford affirmait aux syndicats, lors de la réunion du «comité de suivi» à la Préfecture de Bordeaux, avec des représentants des élus, que l’entreprise girondine pourrait se voir confier la fabrication d’une nouvelle boîte de vitesses, ce qui permettrait de maintenir 600 emplois (sur les 900 existants) – sachant que l’établissement était aussi en concurrence avec d’autres de Ford en Europe pour la fabrication d’un autre modèle.

Mais en 2018 la menace ne cessait de se faire plus précise sur le sort de l’entreprise et les emplois des travailleurs. Les syndicats menaient la mobilisation des travailleurs, toujours sur la même ligne collaborationniste suivie auparavant. Le 17 mars Poutou expliquait ainsi cette collaboration avec le gouvernement et les bourgeois locaux: «Ça fait bizarre comme ça, mais en tout cas, aujourd’hui, le positionnement du gouvernement, avec le ministre Le Maire, et puis le positionnement de Juppé et du préfet, pour parler d’ici et nos positionnements se rejoignent. Donc on a visiblement un intérêt commun» (3). Son bredouillis révélait peut-être la gêne de notre trotskyste...

Quoi qu’il en soit, un repreneur s’était manifesté: l’entreprise belge Punch. Des négociations s’engagèrent avec les syndicats et les pouvoirs publics sur sa proposition de reprise. Mais les exigences de Punch étaient telles que la CFTC, guère connue pour sa combativité, quitta en novembre la table de négociation et l’intersyndicale: Punch ne s’engageait à reprendre que 3 à 400 personnes, exigeait des baisses de salaire, la flexibilisation des horaires, etc., bref elle exigeait que les travailleurs acceptent de sacrifier leurs intérêts pour assurer les siens en jouait cyniquement sur la précarité de leur situation. C’était déjà ainsi qu’elle avait agi à Strasbourg en exigeant une baisse de 10% des salaires et des pertes d’emploi (alors que les ouvriers avaient déjà dû accepter des sacrifices pour satisfaire General Motors), sans parler d’autres usines qu’elle a reprise avant de les liquider après avoir touché des subventions comme à Montataire (Oise).

Les discussions continuèrent donc à Bordeaux comme à Paris entre la CGT FO et la CFE-CGC (cadres), Punch, les autorités locales et les services du ministère et finalement les travailleurs acceptèrent les conditions de Punch. C’est après l’avoir vu à l’oeuvre dans ces négociations que Le Maire a félicité Poutou parce qu’il avait «pesé pour que son syndicat accepte l’offre de Punch» (4) – et surtout pour que les salariés l’acceptent!

La suite est connue: Ford a refusé la proposition de Punch, préférant fermer l’usine. L’orientation collaborationniste, l’acceptation des sacrifices par les travailleurs n’a abouti à rien. Certes il n’y a aucune garantie qu’une orientation de lutte de classe ait pu déboucher sur une victoire dans les conditions difficiles où se trouvaient les travailleurs face à une multinationale. Mais orienter la mobilisation sur la défense de l’entreprise plutôt que sur la défense des prolétaires, permet sans doute l»unité avec les bourgeois, mais cela signifie le sacrifice des intérêts ouvriers, tout en étant le meilleur moyen pour éviter que la lutte prenne une orientation anti-capitaliste.

A Ford Blanquefort les militants trotskystes du NPA n’ont pas agi autrement que les bonzes collaborationnistes traditionnels des appareils syndicaux: cela méritait bien la reconnaissance du ministre!

 


 

(1) General Motors a surtout vendu ses filiales automobiles anglaise et allemande à Peugeot.

(2) cf Sud Ouest, 24/5/2013

(3) Lors d’une manifestation en novembre Poutou déclarait encore: «c’est en étant tous unis avec les salariés et avec tous les élus qu’on pourra gagner ce bras de fer. Il y aura d’autres actions et si on peut le faire avec monsieur Juppé ou madame la maire de Blanquefort, on le ferra». cf rue89bordeaux.com, 25/11/2018.

Mais la voie la plus sûre pour la victoire, c’est l’unité des prolétaires entre eux, et non l’unité avec les bourgeois qui signifie très concrètement diviser les prolétaires entre ceux qui seront licenciés et ceux qui sauveront leur poste...

(4) cf Le Monde Eco, 15/12/2018

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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