«Ultra-violence», terrorisme bourgeois et gémissements réformistes
(«le prolétaire»; N° 532; Février - Mai 2019)
Après les manifestations de «l’acte 18» des Gilets Jaunes», les autorités, suivies par les médias, ont repris leur discours contre l’«ultra violence». Elles ne parlaient pas des victimes de la violence policière qui depuis le début du mouvement se montent à 564 blessés, dont un mort (une vieille dame à Marseille atteinte par un tir de grenade) (1), 22 personnes ayant perdu un oeil, 5 ayant eu une main arrachée, etc.
Non, cette «ultra-violence», ce «terrorisme urbain» désignait le saccage du restaurant «Le Fouquets» (où Sarkozy avait fêté son élection présidentielle) et de boutiques de luxe sur les Champs Elysées: pour les bourgeois ces faits étaient proprement intolérables, bien plus graves que la mort ou les blessures infligées à des prolétaires! D’ailleurs quand ce sont des policiers qui sont les auteurs des violences, il n’y a rien à dire: si un boxeur frappe un policier tout harnaché il est puni d’un an de prison; mais si ce sont des CRS qui tapent sur des manifestants sans protections, ils sont félicités!
Pour répondre à l’indignation des bourgeois, le gouvernement, qui vient de faire adopter une nouvelle loi répressive, a sorti le grand jeu. Après le limogeage du préfet de police de Paris, coupable de ne pas avoir su protéger les beaux quartiers, une mobilisation sans précédent des moyens de police a été décidée (avec des drones, des marqueurs chimiques, la création des «brigades de répression des actes violents», etc.); les manifestations ont été interdites dans certains lieux et dans certaines villes, et le gouvernement a fait appel à l’armée pour seconder les «forces de l’ordre» bourgeois.
Le général Bruno Le Ray, «gouverneur militaire» de Paris et responsable de l’opération «Sentinelle», mise en place après les attentats terroristes mais mobilisée pour faire face à la manifestation des Gilets Jaunes, déclara sur France Info le 22 mars que ses soldats «pourront effectivement tirer» en cas de menace. Ces déclarations ont provoqué un tollé de l’opposition de droite et de gauche (2) et le gouvernement, embarrassé, a assuré que les militaires ne seraient «pas au contact des manifestants». Le général était dans son rôle: faire peur, terroriser les manifestants potentiels – ce qui est la logique de la répression bourgeoise en général et de la répression du mouvement des Gilets Jaunes en particulier. Depuis le début du mouvement plus de 2000 personnes ont ainsi été condamnées.
Au point que même Toubon, le «défenseur des droits», constatait dans un rapport le «renforcement (...) de la répression» pour gérer la contestation sociale à la suite de l’état d’urgence décrété en 2015; il pointait entre autres le nombre «jamais vu» d’interpellations et de gardes à vue avant les manifestations de Gilets Jaunes, etc. (3).
Par la bouche de Castaner, le gouvernement lui a séèchement signifié qu’il devait s’occuper d’autre chose, et que «nos forces de l’ordre ont le droit de se défendre face à l’hyper violence»: être «défenseur des droits», c’est bien joli, mais à condition de ne pas entraver la besogne policière!
Gémissements réformistes
Les mesures gouvernementales ont provoqué les réactions des adorateurs de la paix sociale, les démocrates bourgeois et les organisations réformistes. Les Verts ont trouvé les mesures gouvernementales «liberticides et inefficaces» (4). Ces petits bourgeois écologistes veulent donner des conseils pour la répression: «d’autres doctrines du maintien de l’ordre sont pourtant possibles (...). Elles permettent de miser sur la désescalade en ciblant uniquement les éléments les plus violents». Et ils se lamentent que les mesures gouvernementales se fassent «au détriment de l’ordre public et au prix de l’épuisement des forces de l’ordre». Sans commentaires...
Dans un communiqué, le syndicat Solidaires (SUD) dénonçait le 22 mars «l’escalade du pouvoir dans la répression et la limitation des libertés» (5); «Le gouvernement alimente donc la violence, souffle sur les braises et propage l’incendie social». Et il conclut mélancoliquement: «Notre société brûle et se consume des injustices sociales toujours plus violentes, et Macron regarde ailleurs et envoie l’armée...». Il y a bien là de quoi attrister un pompier social. Ah, si seulement Macron voulait bien regarder ce qui se passe...
Le même jour une réunion unitaire a eu lieu; y étaient présents le PCF, GénérationS (mouvement de Benoit Hamon), le NPA, le PCOF, la France Insoumise, POI et POID, (les Dupont-Dupond du Lambertisme), ainsi que les syndicats FSU, Solidaires, UNEF et UNL, le Syndicat de la Magistrature et le Syndicat des Avocats de France, plus des personnalités diverses, etc.
Le communiqué final affirmait: «Un Etat de droit, une démocratie, la République ne sauraient accepter que l’armée se retrouve face au peuple comme s’il était un ennemi». La très démocratique république bourgeoise française, qui a semé le sang et le feu dans ses colonies tout au long de sa triste histoire (et encore récemment en étant responsable du génocide au Rwanda), a à de nombreuses reprises lancé son armée contre les prolétaires en France même, notamment après la deuxième guerre mondiale, contre les mineurs. Mais par la suite des corps spécialisés de répression furent mis en place: CRS, Gendarmes Mobiles, qui étaient d’une utilisation plus souple et avec moins de risque d’entrainer des morts d’hommes, ce qui peut provoquer des réactions incontrôlables. Il n’empêche que ces corps répressifs ont fait de nombreuses victimes en France même, notamment les dizaines de morts à Paris lors de la guerre d’Algérie, mais aussi en d’autres occasions comme le massacre commis en 1967 lors d’émeutes en Guadeloupe par les Gendarmes Mobiles (probablement plus de 80 morts).
Mais nos unitaires ne veulent rien savoir de tout ça; pour eux la France est «le pays des droits de l’homme» et elle doit respecter «ses engagements pour les libertés fondamentales» (?). Donc le problème n’est évidemment pas de lutter contre l’Etat bourgeois; ils demandent au contraire que cet Etat en finisse «avec les provocations» afin que puisse se renouer «le dialogue» et que soit possible «une issue positive aux crises de notre époque».
Les réformistes gémissent toujours que par leurs actions, les bourgeois provoquent les prolétaires et mettent ainsi en danger la paix et le dialogue social. Il faut au contraire «penser les conditions de la désescalade» et «cesser de nourrir les tensions» par l’utilisation d’armes dangereuses, etc
Et pour terminer ces pompiers sociaux pourris jusqu’à la moëlle de pacifisme et de démocratisme, appellent «toutes les forces vives progressistes [qu’est-ce à dire? Ce sont les macroniens qui se définissent comme «progressistes»!] du pays à faire cause commune pour que le gouvernement change de ton et de réponse, pour que la démocratie ne soit pas bafouée, mais renforcée», etc. Amen!
* * *
Selon le marxisme la plus démocratique des Démocraties bourgeoises n’est qu’une dictature de la bourgeoisie; en «temps normal» cette dernière impose ses buts de manière douce et indolore, y compris par la corruption ou le mensonge, en s’appuyant sur ses laquais réformistes. Dans ces moments-là la violence n’a pas disparu, mais elle est à l’état latent; la «peur du gendarme» suffit à maintenir l’ordre. Mais en période de crise, quand commence à brûler l’incendie social, elle a inévitablement recours à la force et à la violence ouverte.
La démocratie alors n’est pas «bafouée», elle révèle son véritable visage au service de l’ordre bourgeois. La crise des Gilets Jaunes a contraint l’Etat et son appareil judiciaire et policier à montrer à des masses relativement larges qui ne le soupçonnaient pas, quelle est leur véritable nature: violente, terroriste et au service de la classe dirigeante.
Les agents de la bourgeoisie s’emploient à dissimuler cette réalité avec leurs discours soporifiques sur la démocratie, l’Etat de droit et autres mensonges, car ils veulent empêcher que les prolétaires comprennent que contre le capitalisme et son Etat, il n’y a pas d’autre alternative que d’opposer la force à la force, la violence à la violence. Jamais les gémissements réformistes, les condamnations de l’ONU ou les prières des démocrates, ne protègeront les prolétaires du terrorisme bourgeois!
Comme l’écrivait Lénine, dans «L’Etat et la révolution»:
«La nécessité d’inculquer systématiquement aux masses cette idée – et précisément celle-là – de la révolution violente est à la base de toute la doctrine de Marx et Engels. La trahison de leur doctrine par les tendances social-chauvines et kautskistes, aujourd’hui prédominantes, s’exprime avec un relief singulier dans l’oubli par les partisans des unes comme des autres, de cette propagande, de cette agitation». (6)
(1) Les morts lors d’accidents (ou de passages en force des barrages) sur des ronds-points ne sont pas comptés: il y en aurait eu une dizaine.
(2) A quelques rares exceptions près comme l’ancienne candidate PS à la présidentielle Ségolène Royal, regrettant que le recours à l’armée n’ait pas été décidé plus tôt!
(3) Rapport publié le 12/3. Toubon, en bon politicien bourgeois, redoute dans ce texte que la politique gouvernementale «sape la cohésion sociale».
(4) «Manifestations et violences: Non à des mesures liberticides et inefficaces», communiqué du 18/3.
(5) «Et maintenant Macron sort l’armée et interdit les manifestations», communiqué du 22/3
(6) «L’Etat et la révolution» Chapitre 1, point 4.cf https://www. marxists. org/ francais/ lenin/works/1917/08/er1. htm#c1.4
Parti communiste international
www.pcint.org