«Maghreb Socialiste» à contre-sens des exigences de la lutte prolétarienne

(«le prolétaire»; N° 533; Juin - Juillet - Août 2019)

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«Maghreb socialiste » (MS) est un petit groupe trotskiste lié au Comité pour le Parti Ouvrier Révolutionnaire, une vieille scission du lambertisme (autour de Stéphane Just) qui publie le bulletin Combattre pour le socialisme.

Ce groupe dénonce – à juste titre – la politique pourrie du Parti des Travailleurs (PT) de Louisa Hanoune qui s’était mise au service de Bouteflika pendant des années, ainsi que celle du PST (IVe Internationale) ultra-réformiste.

Les manifestations de masse en Algérie contre le pouvoir bourgeois ont vite montré que les prétentions révolutionnaires de MS n’étaient que de la poudre aux yeux.

A la différence de la plupart des groupes trotskystes, MS dénonce comme réformiste la revendication du PT d’une «Assemblée constituante» et celle du PST d’une «Assemblée constituante souveraine». Il lui préfère le mot d’ordre d’une autre politique : «la première revendication politique, c’est l’élection d’une Assemblée nationale souveraine au suffrage universel, élection contrôlée par les masses en lutte dans le cadre de la plus totale liberté de constitution des partis» (déclaration du 5 mai). Selon MS, «on ne peut qu’être inconditionnellement pour une assemblée nationale souveraine se substituant à l’ancien régime» (7 avril) .

Suivre les démonstrations de MS donne le tournis. «Le combat pour l’Assemblée nationale souveraine, c’est le combat qui pose en définitive la question du démantèlement de l’état bourgeois et de ses institutions, en filigrane c’est le combat pour la conquête du pouvoir» mais «Quant à l’illusion selon laquelle une telle assemblée puisse par elle-même satisfaire les “aspirations sociales” des masses, elle doit être combattue» (7 avril). Comprenne qui pourra les contorsions de MS !

En Allemagne en 1918, Rosa Luxemburg s’opposait avec véhémence aux manœuvres des sociaux démocrates pour liquider la mobilisation prolétarienne dans cette version du parlementarisme bourgeois :

«Que gagne-t-on alors par ce lâche détour de l’Assemblée Nationale. On renforce la position de la bourgeoisie, on affaiblit le prolétariat, on le plonge dans la confusion par des illusions vides de contenu, on gaspille du temps et des forces en «discussions» entre le loup et l’agneau, en un mot, on fait le jeu de tous ces éléments dont le but est de frustrer la révolution prolétarienne de ses objectifs socialistes, d’en faire, en l’émasculant, une révolution démocratique bourgeoise. […]. L’Assemblée Nationale est un héritage suranné des révolutions bourgeoises, une cosse vide, un résidu du temps des illusions petites-bourgeoises sur le “peuple uni”, sur la “liberté, égalité, fraternité” de l’Etat bourgeois». («L’Assemblée Nationale», Die rote Fahne, 20 novembre 1918).

 Dans toutes ses déclarations, MS associe la revendication de l’ANS à celle du «gouvernement ouvrier» qui au fil des lignes se transforme en «gouvernement des organisations ouvrières».

Cela fait des décennies que notre courant a combattu l’ambiguïté du mot d’ordre de «gouvernement ouvrier»

Nous ne pouvons mieux faire ici que de rapporter le discours d’Amadeo Bordiga au Ve Congrès de l’Internationale Communiste: «La dictature du prolétariat, cette merveilleuse expression de Marx, il est déplorable qu’on veuille la balancer en douce par la fenêtre d’un congrès communiste. Dans ces quelques mots s’exprime toute notre conception politique, tout notre programme. Dictature du prolétariat, cela me dit que le pouvoir prolétarien s’exercera sans aucune représentation politique de la bourgeoisie. Cela me dit aussi que le pouvoir prolétarien ne peut être conquis que par une action révolutionnaire, une insurrection armée des masses. Lorsque je dis “gouvernement ouvrier”, on peut entendre tout cela, si l’on veut; mais si on ne le veut pas, on peut entendre aussi tout autre chose». Et c’est bien cette autre chose, c’est-à-dire diverses formules de gouvernements dans le cadre du système politique bourgeois, qu’avaient en tête les promoteurs du «gouvernement ouvrier».

Au final, MS en arrive à «un gouvernement des organisations syndicales: UGTA – débarrassée de Sidi Saïd et des agents de l’actuel pouvoir – et CSA». Remplacer le pouvoir des militaires par celui du collaborationnisme syndical qui l’a fidèlement servi depuis l’indépendance!

L’UGTA n’est pas un syndicat ouvrier né des luttes des prolétariennes, mais un rejeton des nationalistes bourgeois du Front de Libération Nationale qui ont mené la guerre d’indépendance. Dès celle-ci obtenue, l’UGTA est devenu un simple rouage de l’appareil d’État contrôlé par l’armée et le FLN. La CSA regroupe des syndicats «autonomes», c’est-à-dire qui ne sont pas sous la tutelle de l’UGTA. Ces syndicats sont souvent victimes de l’ostracisme de l’UGTA et de la répression étatique mais ils veulent surtout se faire une place dans les négociations avec le patronat et l’État. Leur indépendance de classe est aussi inexistante que celle de leur rivale.

La conséquence logique est que MS fixe un programme bourgeois à ce «gouvernement ouvrier» (déclaration du 7 avril). A côté des revendications de l’échelle mobile des salaires et des heures de travail, on retrouve: la «nationalisation ou renationalisation immédiate des grands moyens de production», le «monopole de l’état sur le commerce extérieur» et l’ «expulsion de la caste parasitaire et corrompue qui gouverne aujourd’hui l’Algérie sous la houlette des puissances impérialistes». Le programme des nationalistes bourgeois des pays dominés. Cette filiation peut se voir dès la une du site: les portraits de Marx et Lénine sont surmontés d’une carte qui intègre le Sahara occidental au Maroc, un soutien ouvert à l’oppression nationale de la population et des prolétaires sahraouis. 

La dénonciation nette des positions capitulardes des trotskistes du PT et du PST par MS peut sembler être une rupture avec le réformisme et le collaborationnisme pour des prolétaires algériens au pays ou dans l’immigration. En réalité, il n’en est rien. Son refus des exigences de la lutte prolétarienne – indépendance de classe, revendications classistes, lutte pour la dictature de classe – place MS à contre-sens des exigences de cette lutte que seul le parti véritablement marxiste peut mener de façon conséquente.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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