Inde: flambée de violences contre les musulmans
Seule la lutte prolétarienne pourra mettre fin aux crimes nationalistes et racistes et émanciper les minorités opprimées, en renversant le capitalisme !
(«le prolétaire»; N° 536; Février-Mars-Avril 2020 )
Du 22 au 26 février, alors que le président indien Modi recevait en grande pompe à New Dehli le président américain Trump, les quartiers prolétariens du nord-est de la capitale indienne, où vit une forte minorité de musulmans, étaient le théâtre d’ actes de terreur raciste. Des bandes de nationalistes extrémistes hindous se sont déchaînés en attaquant des musulmans, vandalisant et brûlant des maisons et des commerces leur appartenant. Le tout sous le regard des policiers qui ne sont pas intervenus.
Les médias internationaux ont parlé de « violences intercommunautaires » ou d’affrontements religieux. En réalité les dirigeants locaux du parti réactionnaire suprémaciste hindou Bharatiya Janata (BJP) au pouvoir et du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation nationaliste paramilitaire hindoue qui est la matrice du BJP, sont directement responsables des actes de violence. Depuis des semaines, ils incitaient à la violence contre ceux qui protestent contre la nouvelle loi de citoyenneté anti musulmane (CAA) du gouvernement du BJP. Les attaques ont suivi un discours enflammé lors d’un meeting de Kapil Mishra, candidat malheureux du BJP aux élections régionales à Dehli du début du mois. Mishra exigeait de la police la dispersion des manifestants boquant une artère principale de New Dehli en protestation contre la récente loi, sinon ses partisans s’en chargeraient. Quelques heures plus tard, ces menaces étaient mises à exécution, d’abord contre les manifestants, puis contre les habitants musulmans.
Le bilan humain est lourd : près de quarante morts, certains brûlés vifs dans leur habitation, d’autres tués par balles, d’autres encore lynchés par les nervis aux cris de « l’Inde aux Hindous », « Gloire à Rama ! » (slogans du BJP), et plusieurs centaines de blessés.
Ces victimes s’ajoutent aux nombreuses autres de la répression frappant les opposants à la CAA dans toute l’Inde. Pour avoir les mains libres, dans de vastes régions du pays, dont l’ensemble de l’Uttar Pradesh (230 millions d’habitants) et du Karnataka (65 millions) et certaines parties de la capitale, le gouvernement a eu recours à l’article 144 du Code pénal, qui interdit tous les rassemblements de plus de quatre personnes.
La principale cause de ces violences n’est pas à rechercher dans une quelconque spécificité indienne ou dans un héritage d’un antagonisme multiséculaire entre religions. Non ! La violence ethnique ou religieuse est le résultat direct de la domination du Capital.
Les nationalistes hindous perpétuent le « diviser pour régner »…
La population indienne a été divisée en communautés distinctes et hermétiques par les colonisateurs britanniques avec une nette coupure entre hindous et musulmans. Passés maîtres dans l’art de «diviser pour régner», les Britanniques n’ont eu de cesse d’opposer les Indiens de confession musulmane au reste de la population. Cette politique a débouché sur un bain de sang lors de l’indépendance de l’Inde et du Pakistan. Un à deux millions de personnes ont péri dans des massacres ou à la suite des déplacements massifs de populations. Cela a abouti à la création d’un Etat indien avec une minorité musulmane qui constitue près de 15% de sa population.
La haine des musulmans fait partie de l’idéologie du BJP. Ce parti d’extrême droite est responsable de l’un des pogroms anti musulmans les plus sanglants de l’histoire récente du pays. Le chef du BJP, l’actuel Premier ministre Narendra Modi, était aux commandes du Gujarat en 2002 lorsqu’il a orchestré un massacre inter communautaire dans cet État qui a causé probablement plus de 2000 morts, la plupart musulmans.
Depuis qu’il a pris le contrôle du gouvernement fédéral, les crimes anti musulmans, les expulsions et les campagnes de « reconversion » des non-hindous, se sont multipliés. Des membres du RSS et du BJP agissent en toute impunité, avec la passivité complice de la police et de l’appareil judiciaire. A cette violence extra-légale s’ajoute l’adoption de plusieurs lois discriminatoires à l’égard des musulmans. Dans l’État d’Assam, le BJP a établi l’an dernier un registre privant 4 millions d’habitants de leur citoyenneté (nombre ramené ensuite à près de deux millions).
En août le gouvernement a révoqué le statut d’autonomie du Cachemire, Etat du nord de l’Inde à majorité musulmane. Ce statut était inscrit dans la constitution indienne depuis l’indépendance qui avait vu la partition de cette région entre l’Inde et le Pakistan qui le revendiquent tous les deux et qui se sont déjà livrés à deux guerres à son sujet. Depuis des décennies, affrontements, répression et actions de guérilla se succèdent au Cachemire indien, faisant des dizaines de milliers de victimes. La suppression de l’autonomie du Cachemire était une vielle revendication des nationalistes indiens ; lorsqu’elle a été finalement décidée par le gouvernement Modi, du jour au lendemain les 13 millions d’habitants du l’Etat ont été soumis à l’état de siège et des milliers de personnes ont été arrêtées ; 6 mois plus tard le Cachemire vit toujours sous un état d’exception.
Enfin, le 4 décembre 2019, le Citizenship Amendment Act (CAA) a été promulgué. Cette loi facilite l’accès à la citoyenneté pour les réfugiés, mais à la condition qu’ils ne soient pas des musulmans. Ces derniers sont menacés d’être déclarés « apatrides », perdant ainsi tous leurs droits de citoyenneté et risquant la détention et l’expulsion. Cela a entraîné de nombreuses protestations et manifestations (auxquelles le gouvernement a répondu par une brutale répression) car le CAA apparaît comme une étape dans le projet du BJP d’exclure les 200 millions de musulmans de la citoyenneté ou d’en faire des citoyens de seconde zone.
… en espérant faire diversion aux conflits de classe
Le chauvinisme hindou est utilisé par la bourgeoisie indienne pour lier les exploités à leurs exploiteurs et ainsi favoriser les attaques bourgeoises.
Modi et le BJP sont arrivés au pouvoir pour lancer de féroces attaques contre les conditions de vie, de travail et de lutte des prolétaires. Ils se font les promoteurs d’une « thérapie de choc » basée sur des « réformes structurelles » censées assurer le développement rapide de l’économie nationale. Ces « Modinomics » ont reçu les félicitations du FMI. La législation sociale et le droit du travail, qui avaient été octroyés lors de l’indépendance pour empêcher que la contestation sociale ne prenne de l’ampleur, sont attaqués, au nom d’une « simplification » de la législation sociale pour « faciliter le business ». Les quelques règles relatives aux licenciements, aux salaires et aux conditions de travail ont été modifiées. Le droit syndical est lui aussi réduit. Dans le même temps, les coupes radicales dans les dépenses sociales, les privatisations et les réductions massives de l’impôt sur les sociétés s’accentuent.
Face au mécontentement inévitable devant ces mesures anti-prolétariennes, mécontentement exacerbé par le ralentissement économique brutal depuis quelques mois, le gouvernement recourt à la vieille méthode utilisée par la bourgeoisie dans le monde entier en accentuant sa propagande nationaliste et raciste qui fait des musulmans des bouc-émissaires, des agents de l’ennemi pakistanais.
Les bourgeois britanniques utilisaient le « diviser pour régner » en vue d’assurer leur domination coloniale. La bourgeoisie indienne fait de même pour maintenir la brutale exploitation du prolétariat et des masses paysannes, et le BJP est le digne rejeton de cette « plus grande démocratie du monde ».
Contre ces divisions ethniques, racistes et religieuses, le prolétariat devra affirmer son unité et sa solidarité de classe, s’il veut pouvoir combattre victorieusement les attaques bourgeoises, qu’elles soient menées par les « fascistes » du BJP, les « démocrates » du Parti du Congrès ou… les faux communistes de matrice stalinienne.
L’oppression des Dalits et des Adivisis continue
A côté des musulmans, l’Inde abrite également d’autres minorités, de nature très différente : les peuples autochtones ou tribaux (adivasis) et les « intouchables » (dalits).
Les 80 millions d’adivasis constituent la population la plus pauvre de toute l’Inde. Ils vivent dans les forêts, les jungles et n’ont presque pas accès aux écoles, aux hôpitaux ou aux services de base à commencer par un assainissement de l’eau. L’alphabétisation est inférieure à 25% et la malnutrition est très présente. Ces populations sont régulièrement en butte à des violences pour leur faire quitter les villages et livrer leurs terres à l’industrie minière. Des maisons sont incendiées, des autochtones internés dans des camps de détention pour que les capitalistes puissent exploiter les riches réserves de minerai de fer, de charbon et de calcaire ainsi que des gisements de bauxite.
L’intouchabilité a été formellement abolie par la constitution de l’Inde mais peu de choses ont changé pour la grande majorité des 220 millions de Dalits indiens. Le système des castes est installé de longue date dans les villages ruraux de l’Inde. Les castes supérieures dominent les castes inférieures et les innombrables sous-castes, et les sans-castes, les « intouchables » sont séparés de force, socialement et souvent physiquement, sous toutes les castes. Ils ont le rôle spécial et héréditaire de travailler dans les domaines des autres ou de faire d’autres travaux que la société hindoue considère comme dégradantes. Ils doivent vivre en dehors des limites du village et ne peuvent pas pénétrer dans les temples. A cela s’ajoutent de multiples interdictions : de s’approcher des sources d’eau potable utilisées par d’autres castes, de manger assis à côté d’une caste hindoue ou d’utiliser les mêmes ustensiles… Cette ségrégation est appliquée par la violence : toutes les 15 minutes, un crime est commis contre les Dalits. Certains sont assassinés pour avoir fait du vélo, être monté à cheval, porté des sandales, portés une moustache…
La « plus grande démocratie du monde » a pavé la voie au suprémacisme hindou
Les chauvins hindous et les démocrates du Parti du Congrès (et leurs larbins des partis « communistes ») sont les deux faces d’une même pièce.
Quelques années après l’indépendance, les dirigeants du RSS – admirateurs de Mussolini et d’Hitler – offrirent leurs services au Parti du Congrès de Nehru, au nom de la lutte contre le communisme et du rejet de la lutte de classe. Le RSS créa, sous le regard bienveillant de l’État démocratique, des syndicats dans le but déclaré de favoriser la collaboration entre les employeurs et les travailleurs. Plus tard les hommes de main du RSS ont fait campagne pour la chef du Parti du Congrès Indira Gandhi (la fille du Premier ministre indien Nehru) lors des élections de 1971 et 1984. Rajiv Gandhi, devenu Premier ministre après l’assassinat de sa mère, s’est ensuite associé à la croisade du RSS contre la mosquée d’Ayodhya. Construite en 1525, elle était un symbole de la présence musulmane en Inde, et à ce titre une cible des nationalistes et religieux indous. En 1985, son gouvernement ordonna l’ouverture forcée des portes de la mosquée. Il a ensuite mené sa campagne électorale de 1989 au nom de l’hindouisme. L’aboutissement a été, en décembre 1992, la destruction de la mosquée par une gigantesque foule mobilisée par le RSS, ce qui a entraîné de violents affrontements qui ont fait près de 2000 morts, la plupart musulmans.
Aujourd’hui la défense du « sécularisme » par le Parti du Congrès et les faux communistes du PCI et du PCI (marxiste) est totalement hypocrite. Tout comme leur « opposition » aux mesures anti-ouvrières, qui ne font que poursuivre leurs attaques précédentes. Tous ces démocrates ont soutenu par exemple la brutale répression contre les Kashmiris musulmans qui revendiquent davantage d’autonomie ou l’indépendance pour le Cachemire indien. Tous ces démocrates se sont faits les promoteurs du nationalisme indien contre le Pakistan et le Bangladesh musulmans.
Tous ces démocrates et faux communistes ont le sang des Dalits et des Adivasis sur les mains. Le PCI(M) (Parti Communiste d’Inde-Marxiste, scission du Parti Communiste d’Inde PCI) au pouvoir au Bengale occidental en 1979, a massacré des centaines de réfugiés hindous dalits du Bangladesh. En 2006, les paysans résistant à l’expropriation de leurs terres par Tata Motors, l’un des plus grands conglomérats capitalistes de l’Inde, ont été arrêtés et férocement battus et une jeune militante était violée et assassinée. L’année suivante, dans cette même région, des hommes de main du PCI (M) se sont joints aux flics dans un massacre de peut-être 100 personnes qui protestaient contre l’accaparement des terres.
En outre PCI et le PCI(M) ont soutenu les offensives militaires gouvernementales contre les guérillas maoïstes qui mobilisent largement les Adivisis contre le pillage de leurs terres.
Une nécessité : le parti de classe, internationaliste et international
L’Inde n’a jamais connu de Parti de classe. Le Parti communiste fondé en 1925 s’est rapidement soumis au nationalisme bourgeois. A la tentative de construction d’un parti « ouvrier-paysan », a succédé celle d’un parti « populaire » nationaliste. C’est pourquoi le PCI a soutenu politiquement le parti du Congrès, à l’image du soutien apporté par le PC chinois au Kuomintang, alliance qui déboucha sur l’écrasement des prolétaires chinois de 1927. Cela s’accompagna inévitablement du refus de lutter contre l’oppression des Dalits. A la fin des années 1920, des manifestations de masse contre l’intouchabilité éclatèrent dans l’État du Maharashtra. Les dirigeants du PCI refusèrent de mobiliser les prolétaires dans cette bataille en présentant la lutte contre l’oppression des castes comme un détournement de la lutte « anti-impérialiste ».
La constitution du parti de classe – en Inde et ailleurs – doit marquer une rupture radicale avec cette tradition pourrie de soumission à l’interclassisme et au nationalisme. Elle ne pourra se faire que dans la réaffirmation du marxisme véritable, de son caractère antinational, international et internationaliste. Elle ne pourra se faire que sous le drapeau de la révolution communiste, contre la « révolution » par étapes ou la transition pacifique.
Seul le prolétariat peut s’attaquer aux fondements de l’État bourgeois indien et orienter les combats des masses paysannes, des Dalits et des Adivisis vers la lutte révolutionnaire contre le capitalisme
Seule la révolution prolétarienne pourra aider la masse de parias réduits à la misère et à la famine que les réformistes s’évertuent tant bien que mal à maintenir dans une impasse où la seule révolte possible est de nature religieuse ou ethnique, c’est-à-dire en fait réactionnaire et débouchant une fois de plus sur la victoire du capitalisme.
Parti communiste international
www.pcint.org