Panique sexuelle, contrôle social et oppression des femmes

(«le prolétaire»; N° 537; Mai-Juin-Juillet 2020 )

Retour sommaires

 

 

Depuis de longs mois, l’espace médiatique est submergé par une rhétorique soi-disant féministe autour de « Me Too », de «balance ton porc» puis de multiples scandales sexuels concernant des célébrités.

Au contraire de ce que peuvent laisser croire les médias et les politiciens bourgeois, la principale préoccupation de ces campagnes n’est pas la lutte contre l’oppression des femmes sous le capitalisme. Loin de là !

Nos pourfendeurs du sexisme sont souvent les mêmes qui se font les chantres des « réformes » de l’assurance chômage ou des retraites qui frappent encore plus durement les femmes travailleuses que les autres car ce sont souvent elles qui occupent les emplois les plus précaires et les moins bien rémunérés.

Tout ce battage mené au nom des bons sentiments est totalement étranger au combat de classe, n’en déplaise aux féministes « révolutionnaires » de toutes obédiences.

Il ne remet pas en cause l’oppression des femmes sous le capitalisme. Au contraire, il sert à détourner l’attention de l’avalanche d’attaques anti-prolétariennes.

 

Chasse aux sorcières et démocratie blindée

 

La dénonciation des violences sexuelles et sexistes – bien réelles – s’accompagne d’une véritable chasse aux sorcières. Des noms sont jetés en pâture dans les médias et les accusés sont immédiatement présentés comme des coupables. Finies la présomption d’innocence ou la prescription, finis les investigations ou les procès contradictoires !

De plus, certains des faits reprochés ne sont même pas des infractions : des avances, des allusions suggestives, des messages vulgaires, des plaisanteries, des rapports sexuels consentis sous l’emprise de l’alcool, des expériences sexuelles désagréables... sont assimilés à des crimes comme les agressions sexuelles et les viols, au nom de la théorie de la « culture du viol ».

Cette théorie de la « culture du viol » est profondément réactionnaire : elle édicte un code de bonnes mœurs qui ne peut être qu’une arme aux mains de la bourgeoisie pour renforcer son contrôle social, et en particulier sur les femmes.

L’universitaire féministe étasunienne Laura Kipnis juge que « Sur les campus, le terme de culture du viol, comme le terme de terrorisme, est devenu la rhétorique de l’urgence. La peur devient la directive, provoquant davantage de peur (…). La guerre échouée exacerbe les peurs, ce qui justifie le renforcement de l’État de sécurité : dépenses énormes, niveaux de bureaucratie supplémentaires, surveillance, restitutions secrètes, justice sommaire » (1). Nous ne nous lamentons pas sur le viol des méthodes démocratiques. Non, nous faisons le constat qu’en prévision des affrontements de classe à venir, l’État démocratique se blinde et fait tomber le masque de la légalité et de l’État de droit.

Ces campagnes servent de prétexte pour accentuer le contrôle social. Elles renforcent les moyens de répression, elles font fi de tous les principes judiciaires actuellement en vigueur avec une présomption de culpabilité. Et nous savons très bien que ces méthodes frapperont demain les prolétaires en lutte.

 

Féminisme contre communisme

 

Non seulement les féministes – y compris les « révolutionnaires » – se font les vecteurs du blindage de l’Etat mais elles divisent aussi les rangs du prolétariat en prônant une union sacrée de toutes les femmes, prolétaires comme bourgeoises.

Pour les féministes, la plus importante division dans la société est celle entre les hommes et les femmes. Pour les marxistes, c’est celle entre exploiteurs capitalistes et prolétaires exploités. Les communistes reconnaissent et combattent l’oppression des femmes mais ne se feront pas les défenseurs des femmes bourgeoises. Ils défendent les droits des femmes prolétaires et travailleuses.

Le féminisme représente avant tout les préoccupations des femmes de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie qui veulent briser le « plafond de verre » sexiste qui les cantonne à un rôle subalterne et les empêche d’intégrer dans les couches supérieures de la société bourgeoise. Le communisme n’a que faire que les exploiteurs soient des hommes ou des femmes !

Le communisme revendique la réelle libération des femmes par la destruction de l’institution capitaliste de la famille.

 

La révolution russe a brisé l’oppression légale des femmes

 

Pour éradiquer les stéréotypes, les discriminations, les violences et les crimes sexistes et sexuels, il faudra une révolution socialiste qui brise la domination bourgeoise et son organisation sociale qui ne peut que générer ce genre de pratiques. La révolution russe a montré les réalisations que pouvait accomplir un pouvoir prolétarien.

En pleine guerre civile, malgré l’assaut des armées impérialistes qui voulaient étrangler la jeune République des soviets, le pouvoir bolchevik jugea que les droits des femmes étaient une urgence.

Un peu plus d’un mois après la révolution, deux décrets instauraient le mariage civil et autorisaient le divorce à la demande d’un des deux partenaires. On considérait désormais comme mari et femme tout couple qui vivait d’un commun accord en concubinage. L’homme perdait son pouvoir sans limites au sein de la famille, la femme devenait un partenaire égal en droits au sein du couple.

Un Code sur le mariage, la famille et la garde des enfants a été adopté en octobre 1918. Il mettait à bas des siècles de pouvoir patriarcal et clérical en adoptant une nouvelle doctrine basée sur les droits individuels et l’égalité des sexes. En 1922, une brochure de l’Institut d’hygiène sociale de Moscou rappelait le fondement des nouvelles lois : « La législation soviétique se base sur le principe suivant : Elle déclare la non-ingérence absolue de l’Etat et de la société dans les affaires sexuelles, tant que cela ne porte atteinte à personne et que les intérêts de personne ne sont lésés. » (2).

La législation garantissait aussi des droits aux travailleuses, en particulier autour de la grossesse et de la maternité. Même des historiennes non marxistes le reconnaissent : cela s’explique car pour les bolcheviks « La préservation de la santé des travailleurs semble avoir été une préoccupation centrale de la recherche sur la protection de la main-d’œuvre pendant cette période » (3).

Un programme d’assurance maternité de 1918, conçu et défendu par Alexandra Kollontaï, instaurait un congé de maternité de huit semaines à plein salaire, des pauses pour l’allaitement et des salles de repos dans les usines, la gratuité des soins pré- et postnatals et des allocations en espèces. Le Code du travail de 1918 prévoyait une pause rémunérée de 30 minutes toutes les trois heures pour allaiter un nourrisson. Pour leur protection, le travail de nuit et les heures supplémentaires furent interdits aux femmes enceintes et aux mères qui allaitaient. Dans les années 1920 et 1930 on accordait couramment aux travailleuses quelques jours de repos sous forme de congé menstruel.

En 1920 le gouvernement soviétique abolissait les lois contre l’avortement car « pour préserver la santé des femmes et protéger la race contre des profiteurs ignorants ou intéressés, il a été résolu ce qui suit : L’avortement gratuit, l’interruption de la grossesse par des moyens artificiels, sera pratiqué dans les hôpitaux d’Etat, où les femmes sont assurées que cette opération sera effectuée avec un maximum de sécurité».

 

Le pouvoir bolchevik a promu la réelle égalité homme / femme

 

Pour les communistes russes, la libération des femmes était loin d’être seulement une question légale. C’est pourquoi, dans tous les domaines, il a cherché à briser l’ancien modèle familial qui enfermait la femme au foyer.

Lénine a été un des principaux défenseurs de cette politique. Devant la IVe Conférence des ouvriers sans-parti de la ville de Moscou, en septembre 1919, il aborde le problème de la libération de la femme : « Pour que la femme soit complètement libérée et réellement l’égale de l’homme, il faut que les travaux domestiques soient transformés en service public et que la femme participe au travail productif général. Alors la femme aura une position égale à celle de l’homme ». Détruire l’oppression sexiste passe par la suppression du travail domestique : « même quand il existe une complète égalité de droits, cette oppression de la femme continue en réalité parce que sur la femme tombe tout le poids du travail domestique, lequel, dans la plupart des cas, est le travail le moins productif, le plus fastidieux, le plus barbare. C’est un travail extrêmement mesquin qui ne peut, pas même dans une petite mesure, contribuer au développement de la femme ».

Le dirigeant bolchevik, dans son article sur « La contribution de la femme à l’édification du socialisme » du 28 juin 1919, précise les termes du problème : « La femme, malgré toutes les lois libératrices, est restée une esclave du foyer, parce qu’elle est opprimée, étouffée, abêtie, humiliée par la mesquine économie domestique qui l’enchaîne à la cuisine et aux enfants et épuise ses forces en un travail improductif, misérable, énervant qui l’hébète et l’accable. La véritable émancipation de la femme, le véritable communisme commencera seulement où et quand commencera la lutte des masses (dirigée par le prolétariat qui détient le pouvoir d’Etat) contre la petite économie domestique ou, mieux, où commencera la transformation en masse de cette économie dans la grande économie socialiste ».

 La réponse passe par la socialisation de ce travail domestique : « Nous inquiétons-nous suffisamment des germes de communisme que nous avons déjà dans ce domaine ? Encore une fois non, non et non ! Les restaurants populaires, les crèches et les jardins d’enfants, voilà des exemples de ces germes, les moyens simples, communs, qui n’ont rien de pompeux, de grandiloquent, de solennel, mais qui sont en mesure d’émanciper la femme, qui sont réellement en mesure de diminuer et d’éliminer – étant donné la fonction que la femme a dans la production et dans la vie sociale – son inégalité vis-à-vis de l’homme. Ces moyens ne sont pas nouveaux : ils ont été créés (comme en général toutes les prémices matérielles du socialisme) par le grand capitalisme ; sous le capitalisme cependant, ils ont d’abord été une rareté, ensuite - et c’est particulièrement important - ils sont devenus ou des entreprises commerciales avec tous leurs pires aspects : spéculation, recherche du profit, fraude, falsification, ou ‘’acrobatie de la philanthropie bourgeoise» qui, avec raison, était exécrée et dédaignée par les meilleurs ouvriers ».

Dans le même temps, ont été publiés de nombreux articles de presse, brochures ou livres sur la sexualité. Ils permettaient de nourrir les débats autour des mœurs, de l’amour libre… Comme le dit l’historien russe contemporain Alexandre Rojkov : « L’entremêlement chaotique de différentes pratiques sexuelles, le retour de la question de l’amour libre et la destruction rapide des anciens principes de morale sexuelle permettent de parler de changements explosifs et dionysiaques. Le rapport aux relations sexuelles a surtout évolué dans la psychologie féminine. Une étudiante des années 1920 reconnaissait avec fierté : “Nos filles savent parfaitement ce qu’elles attendent des gars. Beaucoup d’entre elles s’accouplent avec eux sans ‘remords’ particulier, suivant leur inclination naturelle” » (4).

Voilà le programme du communisme pour mettre fin à l’oppression des femmes. Il n’a rien de commun avec les lamentations des féministes bourgeoises et petites bourgeoises car il s’inscrit dans un projet d’émancipation de l’Humanité toute entière.

 

La libération de l’espèce humaine passera par la révolution communiste

 

Pour expliquer ce que sera la révolution morale du communisme, il nous suffit de reprendre un extrait d’un article paru il y a fort longtemps dans notre revue Programme Communiste (5) :

Le prolétariat révolutionnaire n’invente pas de nouveaux mythes moraux, ainsi que le faisaient autrefois les classes dominantes, parce qu’il n’a pas à s’opposer à la nature humaine. L’idéal moral du communisme révolutionnaire c’est la libération de l’instinct social ; de cet instinct animal profond, sain et vital qui est à l’origine du prodigieux phénomène de la matière vivante. Tout au long de millénaires ensanglantés, l’instinct social – qui a déterminé les hommes à s’unir, à lutter, à produire en commun, à assurer, avec le minimum de peine, la perpétuation et l’amélioration de l’espèce – a été obscurci et réprimé par l’égoïsme des classes dominantes. La révolution morale du communisme consiste en la destruction de ce qui empoisonne l’existence des hommes : la classe sociale. Le prolétariat ne tend pas seulement à détruire la classe bourgeoise, mais aussi – tout paradoxal que cela puisse paraître – à sa propre destruction en tant que classe distincte. Seule l’abolition des classes peut mettre l’homme sous l’empire de l’instinct social. La vraie liberté pour l’homme consiste à prendre conscience de sa véritable nature. (…)

Le communisme entend réveiller les instincts sociaux qui plongent leurs racines, c’est certain, dans la nature animale de l’homme. (…) Mais il est un fait certain : l’incontinence, le cynisme, les perversions, la tromperie, l’hypocrisie qui rendent répugnante la vie sexuelle de l’homme «civilisé», c’est-à-dire habitué à vivre dans la jungle de la société de classe, sont des déformations psychologiques ignorées des populations primitives.

Avons-nous l’intention de ramener les hommes au niveau de celles-ci ? Non.

Par contre nous demande-t-on si nous formons le projet d’insuffler, d’une manière révolutionnaire, à l’homme de «l’ère atomique» tant glorifiée, les règles morales qui sont celles des peuples primitifs, sans hésitation nous répondons : oui.

De longs siècles de domination de classe n’ont pas étouffé l’instinct social chez les hommes, l’esprit grégaire qui permit à l’anthropoïde de devenir «l’homo sapiens». A la révolution prolétarienne appartient la tâche historique de libérer entièrement les hommes de l’infection de l’égoïsme. Les hommes du communisme moderne se proposent de produire les moyens de subsistance en utilisant ces «germes de communisme» représentés par la grande industrie capitaliste, et de vivre selon la loi morale du communisme primitif, aurore de l’humanité. Ce n’est pas autrement que l’on pourra dépasser la monstrueuse contradiction qui oppose la société à la nature humaine.

 


 

(1 ) « Le sexe polémique - Quand la paranoïa s’empare des campus américains », Liber Québec, 2020.

(2) Cité dans John Lauritsen et David Thorstad, «The Early Homosexual Rights Movement (1864-1935)», New York, Times Change Press, 1974.

(3) cf Melanie Ilic, «Women Workers in the Soviet Interwar Economy», New York, St. Martin’s Press, 1999.

(4) cf Courrier International, 2 août 2017

(5) «La dissolution de la morale bourgeoise est l’œuvre du capitalisme», Programme Communiste n°13, octobre – décembre 1960. A consulter ou télécharger sur notre site : www.pcint.org

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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