Haïti : nécessité impérieuse de la lutte de classe face à une  crise politique et sociale dévastatrice

(«le prolétaire»; N° 540; Février-Mai 2021)

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ETAT D’URGENCE ET BANDES CRIMINELLES AU SERVICE DU POUVOIR

 

Le 17 mars le gouvernement haïtien a décrété l’état d’urgence dans divers quartiers de la capitale pour lutter contre les gangs, après des affrontements qui ont fait 4 morts parmi les policiers ; il a précisé que cet état d’urgence pourrait être étendu. Si la recrudescence de la criminalité dans les derniers mois est indéniable dans un pays ravagé par la misère, il faut savoir que pour se maintenir face à une colère croissante des prolétaires et des larges masses, le gouvernement du président Jouvenel Moïse a recours non seulement à la répression policière « classique » mais aussi à des bandes criminelles qui se livrent à diverses exactions armées et crimes : en 2018 ces gangs ont massacré plus de 70 personnes et commis de nombreux viols dans le quartier de la Saline de la capitale ; de 2018 à 2020 on a répertorié plus de 10 massacres commis par ces bandes pro-gouvernementales dans la capitale, qui  ont fait plus de 300 morts. Nul doute que le gouvernement utilisera l’état d’urgence pour renforcer son pouvoir.

Moïse avait remporté en 2015 une première élection, mais celle-ci a été annulée en raison de « fraudes massives » ; il a finalement été élu en novembre 2016 – avec environ 10% du corps électoral. Son mandat aurait dû se terminer le 7 février de cette année, mais il a décidé de se maintenir une année encore en s’appuyant sur diverses arguties juridiques.

Bien qu’il s’affirmât proche de l’ancien président américain Trump, il a reçu l’appui sans équivoque du gouvernement Biden à ses prétentions de se maintenir au pouvoir (de même que celui de l’ONU et de l’Union Européenne). Soutenu par la plupart des grandes familles de la bourgeoisie haïtienne (ainsi que par les capitalistes de la république Dominicaine pour qui Haïti est le deuxième marché extérieur), Moïse avait bénéficié de l’aide de l’administration Obama pour accéder à la présidence : ce qui dicte cette attitude de l’impérialisme américain, quel que soit le président en exercice, ce sont avant tout les intérêts des entreprises américaines implantées dans les zones franches du pays où les prolétaires sont soumis à une exploitation bestiale (1).

Le mandat de Moïse a coïncidé avec une grave crise sociale dans le pays ; d’après la Banque Mondiale, 60% de la population selon les estimations officielles vivait en 2012 sous le seuil de pauvreté (revenu de moins de 2,5 dollars par jour) dont 25% en « extrême pauvreté » (moins de 1,2 dollars); d’après un rapport de l’ONU, près d’un tiers des enfants sont mal nourris : l’ « insécurité alimentaire » affecte 4 millions de personnes (sur 11 millions d’habitants). Le chômage et le sous-emploi touchent 60% de la population active, 80% de l’emploi se trouvant dans le secteur informel. Les derniers chiffres officiels connus donnent une inflation à plus de 23 %, alors que les augmentations salariales prévues dans le budget pour les fonctionnaires sont en général bien inférieures. Quant au salaire minimum qui ne dépasse pas les 3 euros par jour (250 gourdes), il n’est en général pas respecté…

De plus l’économie qui était déjà en récession en 2019, devrait avoir connu en 2020 selon les estimations du FMI un recul du PIB de 4%

Le mécontentement provoqué par cette situation sociale catastrophique a été accru par les révélations du scandale Petrocaribe : une aide fournie par le Venezuela sous forme de livraisons à bas prix de pétrole, a été détournée ; aucun des projets prévus n’a vu le jour et de 2 à 4 milliards de dollars auraient fini, selon une enquête judiciaire, dans les poches de responsables politiques, d’hommes d’affaires, d’anciens présidents et du président actuel!

Ces révélations ont provoqué dès 2019 de nombreuses manifestations, violemment réprimées, pour protester contre la corruption et demander la démission du président.

Le parlement n’étant plus en fonction depuis le début de 2020 (les élections législatives n’ayant pas été organisées), Moïse gouverne par décrets. Il veut organiser un référendum pour modifier la constitution et tenir de nouvelles élections à la fin de cette année – ce que conteste l’opposition, qui exige son départ.

 

UNE GREVE GENERALE AUX ORIENTATIONS INTERCLASSISTES

 

Au début de février les syndicats réunis dans le « Collectif des syndicats haïtiens pour le Respect de la Constitution de 1987 » ont appelé à une grève générale de 48 heures ; cet appel, soutenu par les partis d’opposition, a été largement suivi. Les revendications étaient la fin du climat de violence et d’impunité et le départ de Moïse. Le porte-parole du Collectif syndical a demandé à « tous les secteurs » du pays de contribuer à remédier à la « crise systémique » qui frappe le pays.

Mais cette concertation de toutes les classes ne peut se faire qu’à l’avantage des classes exploiteuses et au détriment des classes exploitées ! En effet la crise systémique qui frappe le pays, ou plutôt qui frappe les prolétaires et les masses pauvres, est due au système capitaliste : sans combattre celui-ci, en s’associant au contraire avec les capitalistes, il est impossible d’y remédier ! Les prolétaires haïtiens ont appris dans leur chair que la démocratie bourgeoise avec ses élections n’est qu’une triste comédie, tout autant au service de la classe dominante et de ses parrains impérialistes que l’était la dictature duvaliériste.

Le salut ne peut pas venir d’une bonne constitution et d’une « véritable » démocratie, du remplacement de Moïse par un politicien bourgeois intègre – les opposants ont ainsi joué la farce ridicule de désigner un « président de transition » sans aucun pouvoir : ces bourgeois et petits bourgeois ne veulent surtout pas mettre en cause le capitalisme et leurs perspectives ne sont que des pièges destinés à calmer la colère des exploités

La grève générale a montré la force des prolétaires, qui sont capables d’entraîner derrière eux les masses pauvres ; mais elle a montré aussi que cette force est détournée par les partis bourgeois et petits bourgeois d’opposition pour servir à un replâtrage de la domination bourgeoise et au sauvetage du capitalisme haïtien.

Il est indispensable de rompre avec cette orientation imposée au sein du prolétariat par les syndicats, agents de la collaboration entre les classes. La seule issue réside dans la lutte intransigeante en défense des intérêts de classe des prolétaires et des masses exploitées, indépendamment et contre toutes les classes possédantes et leurs valets.

 

Pour résister au système capitaliste et dans la perspective de le renverser, le prolétariat en Haïti devra prendre la voie de la lutte et de l’organisation de classe, en rupture complète avec l’interclassisme et la collaboration avec des forces bourgeoises – et il devra trouver le soutien du prolétariat des pays impérialistes qui porte la responsabilité de combattre les agissements de « sa » bourgeoisie dans les pays dominés.

 

8/04/2021

 


 

(1) Ayant échappé aux griffes du colonialisme français en battant les armées napoléoniennes venues rétablir l’esclavage, Haïti est tombé ensuite sous la coupe de l’impérialisme américain qui a notamment été le pilier de la dictature des Duvalier (1957-1986). Le rétablissement de a démocratie n’y a rien changé. Wikileaks a révélé les interventions à tous les niveaux de l’ancien président américain Bill Clinton, dans son poste de  « délégué spécial » de l’ONU pour Haïti à la suite du terrible tremblement de terre de 2010, et de son épouse Hillary, secrétaire d’Etat d’Obama, dans les affaires intérieures du pays ; ils se sont entre autres opposés à l’augmentation du salaire minimum « en étroite liaison avec les propriétaires des usines des zones franches » comme Levi’s, etc. https://www.thenation.com/article/archive/wikileaks-haiti-let-them-live-3-day/ Démocrates et Républicains sont des partis également pro-impérialistes et anti-prolétariens.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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