L’impérialisme français sur de multiples fronts (3)

(«le prolétaire»; N° 541; Juin-Juillet-Août 2021)

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La france et le rwanda: une réconciliation pour défendre les intérêts impéralistes

      

En mars de cette année une commission créée par le gouvernement pour établir la vérité sue le génocide au Rwanda a rendu public son rapport; il a fait grand bruit parce que pour la première fois, contrairement à la thèse officielle défendue mordicus depuis 27 ans par les autorités françaises, le rôle des responsables français de l’époque dans le génocide sont enfin reconnues.

Fort de ce rapport public, Macron a pu aller en voyage officiel au Rwanda ce printemps; il y a prononcé le 27/5 un discours devant le mémorial aux 800 000 victimes des massacres, dans lequel il parlait de la «responsabilité écrasante» de la France – tout en affirmant qu’ «elle n’était pas complice» du génocide.

Ce discours, salué par le président Kagamé, dirigeant d’une poigne de fer le Rwanda depuis plus de vingt ans, après la prise du pouvoir par le FPR en 1994, a sanctionné la réconciliation entre les deux Etats; elle faisait suite à un «rapprochement économique» entamé depuis 2 ans, selon Le Monde (1).

Cette thèse de la non-responsabilité de la France, c’est-à-dire de l’Etat et de l’impérialisme français est, faut-il s’en étonner? , celle du rapport de la commission officielle. Le rapport ne parle que de «l’aveuglement» des responsables, plus précisément de «l’aveuglement idéologique de François Mitterrand et de ses conseillers, imposé au reste de l’appareil d’État».

L «aveuglement» d’un petit groupe se serait ainsi imposé à l’Etat qui par conséquent ne serait pas coupable! Il y a là la volonté d’absoudre non seulement l’«appareil d’Etat» (sous-entendu: l’armée), mais aussi les responsables politiques alors au gouvernement de cohabitation, les Juppé, Sarkozy et autres... Mais l’action du gouvernement français ne relevait pas d’un quelconque «aveuglement»: les responsables gouvernementaux savaient pertinemment ce qui se préparait et ce qui se passait. Lorsque l’impérialisme français prit peu à peu la place de l’impérialisme belge au Rwanda, il ne mégotta pas son appui à un gouvernement dictatorial qui pour se maintenir n’hésitait pas à s’appuyer sur les tensions ethniques au point d’inciter à de sanglants pogroms contre les Tutsis.

Lorsqu’émergea la guérilla du FPR tutsi, le gouvernement français envoya armes et soldats soutenir le gouvernement de Kigali; selon l’analyse des milieux impérialistes français, il fallait faire échec –par tous les moyens– à ce qu’ils voyaient comme une tentative des impérialistes anglo-saxons de saper la présence française dans le région (le FPR étant soutenu par l’Ouganda dont Kagamé était le chef des renseignements militaires). Lorsque débutèrent les massacres, les troupes belges qui étaient la colonne vertébrale des troupes de l’ONU présentes sur place pour s’interposer entre les belligérants, quittèrent le pays, laissant la voie libre aux tueurs gouvernementaux dans la capitale; mais certains témoignages font état de la présence de militaires français (il y en avait alors quelque uns, en tant que «conseillers militaires», dans le pays) sur des barrages gouvernementaux où étaient arrêtés et tués les habitants tutsis.

Quoi qu’il en soit, l’impérialisme français a très probablement continué à livrer des armes (comme Israël) aux génocidaires malgré l’embargo décrété par l’ONU. Et lorsqu’il obtint l’accord de celle-ci pour une intervention militaire (dite «opération Turquoise») dans le but de mettre fin au génocide, c’est en réalité pour «exfiltrer» les responsables de celui-ci qu’elle fut mise en place (2).

Il n’y a donc aucun doute à avoir: contrairement aux conclusions du rapport et aux affirmations de Macron, l’impérialisme français a été bel et bien complice du génocide!

Mais Kagamé n’a pas tenu rigueur à son «ami» Macron de ses mensonges; plus important pour le régime est d’attirer des investisseurs comme le dit Le Monde (3); et aussi, ce que ne dit pas le quotidien, de trouver un appui au niveau international, alors qu’il est critiqué pour la répression des opposants, avec l’assassinat en Afrique du Sud de plusieurs d’entre eux.

 

Les troupes rwandaises au secours de Total

 

Mais ce qui a été encore plus important et qui a été discuté discrètement à Kigali, n’est devenu évident que quelques semaines plus tard: l’envoi de soldats rwandais au Mozambique pour y sécuriser un important projet de Total qui avait dû être interrompu par l’avancée de rebelles dits «djihadistes». Total pilote un méga-projet de construction d’un ensemble de production de gaz liquéfié d’une valeur totale de près de 20 milliards d’euros dans les environs de la ville de Palma, au nord du pays. Après qu’un raid d’un groupe armé se revendiquant de l’Etat Islamique ait fait des dizaines de morts le 24 mars à Palma, il avait été obligé d’annncer le 2/4 l’arrêt des travaux et le rapatriement de son personnel. Il avait fait appel à des mercenaires pour épauler les troupes mozambicaines régulières, mais sans succès.

Le gouvernement mozambicain n’était pas favorable à une intervention militaire étrangère, mais il s’y est finalement résolu après des discussions de son président avec Macron et le PDG de Total (4). Quelques jours plus tard le Rwanda annonçait l’envoi d’un corps expéditionnaire d’un millier d’hommes dans la région; le 9 août il annonçait avoir mis en fuite les guérilleros et établi une zone de sécurité de 50 km de long dont il aura le contrôle, autour du projet de Total. Selon les «experts» cela aurait été négocié «au plus haut niveau» entre le Mozambique, le Rwanda et la France, cette dernière étant prête, le cas échéant, à envoyer ses propres soldats (5)...

27 ans après le génocide perpétré avec la complicité française pour empêcher la victoire du FPR au Rwanda, le gouvernement issu du FPR envoie ses soldats combattre pour défendre les intérêts de l’impérialisme français: démonstration que quels que soient les crimes commis, les bourgeois arrivent toujours à s’entendre s’ils y trouvent intérêt – et tant pis pour les victimes...

 

La fin officielle de l’«opération Barkhane» au Mali n’est pas la fin de l’intervention militaire française

 

Le 24 mai dernier les militaires maliens qui avaient renversé en août 2020 l’impopulaire président Boubakar Keita, destituent le «président de transition» et son gouvernement pis en place après le coup d’Etat. Ce nouveau putsch est aussitôt condamné par les pays africains comme par les Etats-Unis et les pays européens; la France annonçant même la suspension de ses actions militaires communes avec l’armée malienne.

Mais ces opérations ont repris fin juillet, après cependant que Macron ait annoncé la fin de «l’opération Barkhane», appellation de l’intervention militaire française dans le pays. Cela ne signifie cependant la fin de la présence militaire de Paris dans la région.

Si le nombre de soldats au Sahel devait passer «à terme» à 2500-3000 hommes contre plus de 5000 aujourd’hui et que 3 bases militaires au Mali devaient être fermées, cette réduction est dépendante d’un engagement militaire européen – qui est tout sauf acquis – et de l’évolution de la situation sur le terrain; elle devrait s’accompagner en outre de l’envoi de militaires dans les états-majors des armées de la région pour accroître leur «efficacité».

Cherchant à éviter un coûteux enlisement, les dirigeants français veulent surtout effectuer un redéploiement militaire vers d’autres pays de la région plus importants pour les intérêts impérialistes français que le nord désertique du Mali: Niger, Côte d’Ivoire, etc. Il est difficile de dire ce qu’il en sera en définitive; la seule chose qui est sûre c’est que l’impérialisme français n’entend pas abandonner une région qu’il continue à dominer des décennies après l’indépendance des pays qui s’y trouvent.

La conclusion est claire: la dénonciation de la domination impérialiste, alors même qu’elle est présentée par tous les médias comme une nécessité de la «lutte contre le terrorisme», est un devoir impérieux pour les prolétaires d’ici. Elle doit se manifester par la solidarité de classe avec les populations qui en sont victimes (6), avant même de pouvoir se traduire par la reprise générale de la lutte révolutionnaire contre le capitalisme.

 


 

(1) Le Monde, 26/5/21. Macron était accompagné à Kigali par les représentants d’une dizaine d’entreprises françaises et de l’ «Agence Française pour le Développement», organisme chargée du soutien au développement... des investissements impérialistes.

(2) Par exemple le témoignage d’un soldat de l’opération Turquoise a révélé que, les soldats français n’ont pas reçu l’autorisation des chefs militaires de secourir des réfugiés tutsi qu’ils avaient découvert, les laissant se faire massacrer. Par contre il fallait détourner l’attention des journalistes du passage d’un convoi d’armes à destination des génocidaires. cf. Europe 1, 28/6/2017 et Jeune Afrique, 2/4/2021

(3) Le gouvernement rwandais a adopté des mesures libérales très favorables aux investisseurs étrangers; mais. pour l’instant les investissements et projets d’investissement français sont limités. Les principaux pays investisseurs sont le Portugal, la Grande Bretagne l’Inde et les Emirats Arabes Unis, la principale richesse et le principal secteur d’exportation de ce petit pays étant la production de thé et de café.

(4) cf. Jeune Afrique, 7/7/21

(5) cf. https://www.dw.com/en/rwandas-military-intervention-in-mozambique-raises-eyebrows/a-58957275. Les troupes mozambicaines sont redoutées par la population pour les exactions qu’elles commettent.

(6) Selon une enquête de l’ONG Acled, davantage de civils ont été tués au Sahel par les armées régulières censées les protéger que par les «terroristes djihadistes» https://www. franceinter. fr/monde/les-armees-regulieres-seraient-tout-aussi-meurtrieres-voire-plus-que-les-terroristes-au-sahel       

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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