Mirages et réalités indo-pacifiques

(«le prolétaire»; N° 544; Mars - Juin 2022)

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La renonciation en septembre 2021 par le gouvernement australien au “contrat du siècle” - l’achat au constructeur français Naval Group de 12 sous-marins - au profit de l’achat de sous-marins à propulsion nucléaire à technologie américaine (1), a fait la une des medias et elle a été au centre des analyses et des polémiques politiques en France. Il faut dire qu’il s’agit de la perte d’un énorme contrat, d’une valeur totale de plusieurs dizaines de milliards d’euros (2) que Naval Group avait remporté en 2016 face à une concurrence japonaise et allemande. Mais en outre les commentateurs ont parlé d’un échec de la diplomatie française dans la région, dite « indo-pacifique ».

 

« PIVOT » VERS L’ASIE 

      

En 2011, sous la présidence Obama, l’impérialisme américain avait officiellement annoncé un « pivot » vers l’Asie, c’est-à-dire à un rééquilibrage de sa politique extérieure vers une région du monde d’importance stratégique et marquée par la formidable montée en puissance, économique et militaire, de la Chine;  Celle-ci qui en 2000 ne représentait que moins de 4% des exportations mondiales de marchandises, en représentait 14,7% vingt ans plus tard, cette progression se faisant au détriment des grands pays industrialisés ; les chiffres respectifs étant un recul de 12 à 8% pour les Etats-Unis, de 7,4 à 3,6% pour le Japon, de 8,5 à 7,8% pour l’Allemagne. L’administration Obama estimait que les Etats-Unis avaient négligé cette zone parce qu’ils s’étaient trop concentrés sur les conflits en Afghanistan et au Moyen-Orient. La croissance économique chinoise bouscule inévitablement le statu quo politique et militaire dans la région : Pékin qui est lancé dans une trajectoire le conduisant à devenir en quelques années la première puissance mondiale, a un besoin vital de sécuriser ses voies d’approvisionnement et ses sources de matière première comme ses voies commerciales en général ; il ne peut se satisfaire de voir une autre puissance, opposée à ses ambitions – les Etats-Unis –, être en position de les contrôler et dominer militairement la mer de Chine. Pékin renforce son armée et se dote à vive allure d’une flotte de guerre capable de rivaliser avec celle de son rival tout en s’efforçant de constituer des bases dans des îles ou îlots à l’appartenance mal définie (3). Bien évidemment les Etats-Unis pour qui la Chine constitue une menace croissante à sa suprématie mondiale, ne restent pas les bras croisés et ils essayent de mobiliser des alliés dans la région face à cette menace.

 

LA DIPLOMATIE DES NAVIRES DE GUERRE

 

Globalement la zone indo-pacifique qui compte des pays ultra développés comme le Japon ou des pays très peuplés encore en plein développement comme l’Inde ou l’Indonésie, qui concentre le tiers du commerce international, est décrite comme « l’épicentre de l’économie mondiale ». Les impérialismes européens ne peuvent s’en détourner ; mais, signe des tensions qui s’accumulent dans la région entre la Chine et les Etats- Unis, ils ont recours à des moyens militaires pour affirmer leur présence : c’est « la diplomatie des navires de guerre » comme la presse britannique a appelé l’envoi n 2021  du porte avion britannique accompagné d’une frégate hollandaise  jusqu’au Japon. Même si ce n’est encore aujourd’hui que de la gesticulation diplomatique, cela n’a évidemment pas manqué de rappeler la « politique de la canonnière »  pratiquée par Londres au dix-neuvième siècle pour ouvrir de force le marché chinois à l’opium que les Britanniques produisaient en Inde. L’Allemagne a envoyé l’un de ses plus gros navires de guerre, la frégate « Bayern » croiser dans la région d’août 21 à février de cette année ; il s’agissait de montrer la volonté de Berlin de garantir la liberté de circulation, potentiellement menacée par les revendications territoriales chinoises – tout en affirmant ne pas être en confrontation avec l’important partenaire commercial qu’est Pékin (4).

De son côté l’impérialisme français avait envoyé en 2019 un groupe aéronaval autour de son porte-avions visiter divers pays de  la région. En 2020-21, c’était au tour d’un sous-marin nucléaire d’aller en Australie et jusqu’en mer de Chine pour, paraît-il, cartographier les fonds océaniques afin le cas échéant d’y positionner des sous-marins lanceurs de missiles…

 

POLITIQUE DE MARCHAND DE CANONS

 

 Cependant l’impérialisme français, recourant à une posture utilisée dans les années 60 et 70 notamment au Moyen-Orient, affirme offrir une troisième voie aux pays qui ne veulent pas s’aligner sur l’une ou l’autre des grandes puissances en confrontation (5). Il a élaboré une politique indo-pacifique centrée sur cette orientation ; exposée par Macron lors d’un discours en Australie en 2018, elle était censée reposer sur un « axe  Paris-New Dehli-Canberra », la France se prétendant une puissance indopacifique grâce à ses possessions océaniques : Nouvelle Calédonie, Tahiti, etc…

En réalité comme le reconnaissait naïvement un rapport parlementaire : « les exportations d’armement sont la matrice de la stratégie indopacifique de la France » (6)  l’Inde étant devenue le plus gros acheteur d’armements français entre 2011 et 2020 (l’essentiel de son armement étant cependant toujours d’origine russe) ; en clair le battage sur cette stratégie n’est que la couverture de l’éternelle politique des marchands de canon…

La suite est connue ; l’aggravation des tensions non seulement entre la Chine et les Etats-Unis mais aussi entre le Chine et l’Australie a conduit les Américains à proposer aux Australiens un renforcement de leur alliance militaire dont le point saillant consiste à un transfert de la technologie de propulsion nucléaire américaine – c’est-à-dire à la vente, pour la première fois à un autre pays si l’on excepte le cas britannique dans les années soixante, de sous-marins basés sur cette technologie, en lieu et place des sous-marins français.

Aux récriminations françaises, les autorités australiennes répondirent qu’en cas de conflit avec la Chine, ce n’est pas la France mais les Etats-Unis qui seuls pourraient les soutenir. Paris essaya d’obtenir un appui auprès de ses « partenaires européens » contre l’attitude américain, mais sans aucun succès ; personne ne voulait se brouiller avec la nouvelle administration américaine pour défendre les intérêts français, et l’Allemagne moins que les autres (7).

La mise en place de l’alliance dite « AUKUS » entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, représente sans aucun doute un pas supplémentaire dans la confrontation américano-chinoise. Mais les Etats-Unis n’ont pas réussi jusqu’ici à constituer une OTAN asiatique anti chinoise, ni même à enrôler leurs plus proches alliés comme le Japon dans un tel front.

 

Quels que soient les aléas de la situation en Europe, la confrontation entre la Chine et les Etats Unis ne va pas disparaître ; la région indopacifique est vouée à être une zone d’affrontements et de conflits dans les années qui viennent.

Mais cette région qui a connu et connaît un fort développement capitaliste, voit aussi se développer un prolétariat nombreux. Tôt ou tard il sera poussé à entrer en lutte pour ses propres intérêts, semblables à ceux des prolétaires de tous les pays et opposés aux intérêts bourgeois : la réalité de la lutte de classe dissipera alors les illusions impérialistes.

 


 

(1) Il n’est pas encore établi si ces sous-marins seront construits en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

(2) Le contrat se chiffrait à 38 milliards d’euros à l’origine; mais sur cette somme, seule une petite partie – 8 milliards – devait  revenir au groupe français et à ses sous-traitants, le reste allant aux sociétés américaines responsables des systèmes d’armements électroniques et aux contractants australiens. Le coût du contrat avait été réévalué à 56 milliards en 2021 à la suite de divers retards, modifications, etc.

(3) La première base militaire chinoise à l’étranger se trouve à Djibouti, position stratégique dans le Golfe d’Aden, où se trouvent aussi, outre la base française traditionnelle la plus importante d’Afrique, une base américaine et des installations japonaise et italienne

(4) Dans cette optique le gouvernement allemand avait demandé que sa frégate fasse escale dans le port de Shanghai, mais le gouvernement chinois refusa.

(5) Confrontée à une menace de rétorsions américaines, l’Indonésie annula en février une commande d’avions russes et annonça l’achat à la place de « Rafales » français ; mais le jour même de cette annonce les Etats-Unis proposaient la vente d’avions américains à des conditions avantageuses.

(6) https:// www.assemblee-nationale.fr/ yn/15/rapports/cion_afetr/l15b5041_rapport-information

(7) Les industriels français accusent en privé leur concurrent allemand Thyssenkrupp d’avoir alimenté une campagne d’opinion en Australie contre le contrat français.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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