Afrique

Y a-t-il le feu au pré carré?

(«le prolétaire»; N° 545; Juillet - Août 2022)

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LA FIN DE BARKHANE N’EST PAS LA FIN DE LA PRESENCE MILITAIRE FRANÇAISE EN AFRIQUE

 

Le 15 août les derniers soldats français de l’opération militaire dite «Barkhane» ont quitté le Mali; dans le cadre de l’opération onusienne de la «Minusma» il reste encore des contingents d’autres pays (près de 10 000 hommes), mais après le retrait du parrain impérialiste français le sort de cette force est incertain (1).

Ce retrait français est la conséquence logique des tensions croissantes entre le gouvernement français et la junte militaire au pouvoir à Bamako. L’ancien ministre des Affaires Etrangères Le Drian avait qualifié le gouvernement militaire malien d’«illégitime» parce qu’il était issu d’un coup d’Etat.

Mais il est facile de constater que Paris ne juge pas de la même façon les putschistes de Guinée, du Burkina Faso ou du Tchad.

En Guinée le colonel Doumbouya, dit «le Français» parce qu’il était membre de la Légion Etrangère en France où il a épousé une officier de gendarmerie, a renversé Alpha Condé en septembre 2021. Opposant historique réfugié en France où il était universitaire et proche des socialistes français, Condé fut élu président en 2010 sous la promesse d’établir la démocratie et d’en finir avec la misère, l’exploitation et la répression qui avaient conduit à la grande grève générale de 2007.

Mais en réalité rien ne changea pour les masses pauvres du pays. Et lorsque sa décision de changer la constitution pour briguer un troisième mandat provoqua des manifestations de protestation, il n’hésita pas à faire tirer sur les manifestants désarmés: il y aurait eu au moins 90 morts à Conakry et d’autres villes (y compris lors de manifestations sur des problèmes sociaux). Mais selon la presse française ce qui a suscité la «perte de confiance» de Paris envers le régime, ce n’est pas la répression sauvage contre toute forme d’opposition, mais ses liens croissants avec la Turquie et la Russie. Les médias russes de leur côté voient dans le coup d’Etat un complot occidental pour affaiblir l’influence russe qui s’était concrétisée par un soutien affiché à Condé...

Au Burkina Faso une mutinerie de soldats en janvier de cette année déboucha sur le renversement du président Kaboré. Celui-ci avait été élu après le renversement par une révolte de la population de Blaise Compaoré, pilier de l’impérialisme français pendant 27 ans, qui avait assassiné en 1987 son frère d’armes Thomas Sankara coupable de velléités anti-françaises. La crise aiguë où est plongé actuellement le pays se traduit par des violences intercommunautaires et des attaques meurtrières de groupes armés y compris contre les militaires. L’incapacité du gouvernement Kaboré à apporter une amélioration à la situation avait entraîné des manifestations antigouvernementales et alimenté l’opposition à la présence militaire française; la base militaire de Kamboisin (Kamboincé) est en effet vue avec raison comme destinée avant tout à protéger les intérêts impérialistes; cette opposition est instrumentalisée par des politiciens locaux qui demandent que le Burkina fasse appel à la Russie, à la Chine voire à la Corée du Nord! Il est donc urgent pour Paris de résoudre si c’est possible la crise politique...

Quant au Tchad, c’est le gouvernement français qui a piloté le coup d’Etat comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer (2).

Au Mali par contre c’est un fidèle serviteur de l’impérialisme français, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) qui a été renversé par les militaires en 2020; élu président après l’intervention militaire française «Serval» en 2013 et réélu en 2018, ce vieux routier de la politique malienne avait affirmé lors de son élection qu’il allait établir une «démocratie véritable» au Mali. L’Internationale socialiste, dont il avait été vice-président, écrivit après son décès en 2022 qu’il avait «œuvré sans relâche pour le renforcement de la démocratie et la recherche de la paix et de la stabilité». Pour ce qui est de la «légitimité» démocratique d’IBK, les Maliens en savent quelque chose: en juillet 2020 la répression sanglante des manifestations de protestation contre les fraudes électorales fit plus de 20 morts et plus d’une centaine de blessés; les manifestants et les grévistes protestaient aussi contre la présence française, principal soutien du président et de son gouvernement. On comprend pourquoi le coup d’Etat a été bien accueilli par la population!

L’impérialisme français «prenait acte» de la situation après que les militaires aient accepté de céder rapidement la place à un gouvernement civil et de continuer les opérations militaires. Mais un deuxième coup d’Etat en avril 2021 avec l’arrestation du président de transition civil soutenu par Paris, coupable de vouloir s’émanciper de la tutelle des militaires, a provoqué le clash. L’impérialisme français a alors poussé à l’imposition par les Etats voisins de sévères sanctions économiques contre le Mali; les autorités maliennes, soutenues par de grandes manifestations à Bamako, ont répliqué en exigeant le départ des militaires français et la fin des accords de défense entre les 2 pays; ils faisaient en outre appel, pour seconder l’armée malienne en remplacement des soldats français, aux mercenaires du groupe russe Wagner. Comble de l’affront pour l’impérialisme français, des géologues les accompagnaient pour repérer les richesses du sous-sol!

L’impérialisme français qui avait déjà commencé à se retirer du nord du pays, annonçait alors la fin de l’opération Barkhane (et parallèlement de l’opération «Takuba» censée être une force européenne d’appui). Mais cela ne signifie pas la fin de la présence militaire française dans la région; Barkhane devenait de plus en plus un fardeau pour un pays aux ressources tout sauf inépuisables, alors que sur le plan militaire son échec était de plus en plus patent; mais d’autre part l’instabilité et la présence de groupes armés, qualifiés de terroristes et djihadistes, menace de plus en plus des pays comme le Bénin, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire, outre les pays sahéliens comme le Niger ou le Burkina Faso. Confronté à une rude concurrence de la Chine, de la Russie, de la Turquie et d’autres dans ce que Mitterrand appelait le «pré carré» de la France (ses anciennes colonies) (3), Paris ne peut se permettre d’abandonner sa carte majeure: sa présence militaire. Selon l’état-major français il y aurait encore 3000 militaires français dans la région sahélienne essentiellement au Tchad et au Niger (où il s’agit de protéger les mines d’uranium) et le gouvernement français a affirmé à plusieurs reprises qu’il allait continuer à être présent militairement du lac Tchad au Golfe de Guinée. Lors du voyage de Macron au Cameroun et au Bénin en juillet qui avait prioritairement des objectifs économiques, le volet militaire n’a pas été pour autant absent – il a même été central au Bénin.

Il ne faut donc pas s’y tromper: la fin de l’opération Barkhane n’est pas la fin de la présence impérialiste et des interventions militaires françaises en Afrique; et Barkhane a démontré que ces interventions sont bien incapables d’assurer kla paix et la tranquillité des populations: leur objectif est fondamentalement de défendre l’ordre impérialiste qui est à la racine des souffrances des masses et des prolétaires, là-bas comme ici.

Le devoir impérieux des prolétaires des métropoles impérialistes est de s’opposer à toutes les exactions impérialistes, en démasquant le prétexte de «lutte contre le terrorisme».

 

Impérialisme français hors d’Afrique!

Pour la lutte unie des prolétaires et des masses exploitées d’Europe et d’Afrique afin d’incendier tous les prés carrés impérialistes!

 


 

(1) L’Egypte, qui a un des plus gros contingents, a déjà annoncé «suspendre» sa participation et la junte a expulsé le porte-parole de la Minusma.

(2) cf. «A bas le coup d’Etat au Tchad!» Le Prolétaire n°540.

(3) Au Cameroun la part de marché de la France qui était de 40% en 1990, est tombée à 10%, loin derrière la Chine (19%) et talonnée par la Russie.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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