Espagne

Contre l’augmentation du coût de la vie, les bas salaires et la dégradation des conditions de travail, la seule issue n’est pas celle des agitations et mobilisations symboliques des délégués syndicaux, c’est celle de la LUTTE DE CLASSE

(«le prolétaire»; N° 546; Sept.-Oct.-Nov. 2022)

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Jeudi prochain, 3 novembre, les deux principaux syndicats d’Espagne, la CC.OO. et l’UGT, ont appelé à une manifestation à Madrid pour exiger du gouvernement et des patrons des mesures visant à freiner la perte de pouvoir d’achat subie par les travailleurs sur leurs salaires et la flexibilité dans la négociation des futures réglementations du travail qui seront imposées. Cette manifestation est l’aboutissement d’une série d’actes symboliques, tels que les rassemblements devant le siège des patrons le 7 octobre et les assemblées sur les lieux de travail... Voici le fameux «automne chaud» qu’ils ont promis cet été si la situation économique ne s’améliorait pas radicalement. Voilà le véritable sens de leurs campagnes et de la férocité avec laquelle ils s’expriment dans la presse et à la télévision. Après quelques rassemblements, quelques assemblées qui en fait n’ont pas vraiment eu lieu sauf dans quelques entreprises isolées... une manifestation a été convoquée pour un jeudi pendant les heures de travail, donc, conçue pour les seuls les délégués syndicaux et ceux qui peuvent s’absenter de leur travail de bureaucrate pendant quelques heures.

 

EN ATTENDANT, QU’ARRIVE-T-IL AUX TRAVAILLEURS ?

 

Selon les publications des Commissions Ouvrières elles-mêmes, jusqu’à l’été les prix ont augmenté de 10,2 % et l’inflation structurelle de 5,5 %, tandis que les salaires n’augmentaient que de 1,33 %, ce qui représente une moyenne de 2,42 % pour les 5,8 millions de travailleurs qui ont signé un contrat et 0 % pour les 4,8 millions qui ne l’ont pas encore fait (selon la publication Análisis de la inflación, éditée par les mêmes CC.OO. en juillet de cette année).

Depuis juillet la situation n’a fait qu’empirer. Bien que, selon la CC.OO. (et cela est confirmé par les dernières données de l’INE), l’inflation soit renforcée par l’effet d’importantes marges bénéficiaires des entreprises sur la tendance déjà marquée à la hausse des prix, conséquence des politiques monétaires de la BCE et de la FED, la politique de ce syndicat, de l’UGT et du reste des petites organisations qui de gré ou de force le suivent, a été de collaborer pour maintenir les salaires à un niveau suffisamment bas pour ne pas être un frein à la croissance de l’économie espagnole. Tous les accords en cours de signature sont basés sur une augmentation des salaires nettement inférieure à la croissance des prix prévue. Il suffit de regarder les dernières grandes mobilisations que les syndicats ont convoquées, centrées sur la métallurgie en Cantabrie, à Orense et maintenant en Biscaye. Malgré la combativité dont les travailleurs ont fait preuve dans ces grèves, malgré la capacité de maintenir le conflit pendant des semaines et des semaines... de la part des CC.OO. et de l’UGT, comptant sur le soutien inestimable de la ministre du Travail Yolanda Díaz, tout a été fait pour empêcher que cette force du prolétariat ne se transforme en une victoire complète sur le terrain salarial. Ainsi, en Cantabrie, les travailleurs ont été amenés à voter (à l’exception d’une importante minorité, favorable à la poursuite de la grève) pour un accord qui prévoyait une augmentation des salaires de 4,2% en 2022 (ce qui représente, en réalité, une baisse de 6% des salaires réels pour cette année !) À Orense, les travailleurs recevront une augmentation, toujours pour 2022, de 5 %... soit une autre diminution de plus de six points. Et, si tout continue ainsi, nous verrons dans les semaines à venir comment les CC.OO. forceront à un autre accord similaire dans l’industrie métallurgique de Biscaye, malgré la combativité et la capacité de lutte dont les prolétaires du secteur métallurgique font indubitablement preuve.

Quelle est donc la réalité ? Les CC.OO. et l’UGT s’emploient à contenir la pression prolétarienne, font tout pour maintenir les salaires bas, se battent pour désorganiser les grèves et les mobilisations là où ils ne peuvent pas les empêcher de démarrer, et finissent toujours par présenter un front uni avec le gouvernement pour imposer la politique économique qu’il exige au nom de la bourgeoisie nationale. Aujourd’hui, c’est le conflit salarial, il y a dix ans, lors de la dernière crise de 2008-2013, c’étaient les licenciements et la réduction des prestations sociales... En tout cas, toujours contre la classe prolétarienne.

 

LA PROPAGANDE DE GUERRE MÊME À DOMICILE

 

C’est précisément au sein du gouvernement que s’articule une pièce fondamentale de cet effort de démobilisation et d’imposition des revendications exigées par les patrons et la bourgeoisie. Le ton de cette lutte quotidienne contre le prolétariat, la propagande qui prétend faire passer comme des avantages et des victoires des défaites et des concessions qui seront chèrement payées dans les années à venir, font partie d’un système de propagande visant à soutenir la politique syndicale et à donner une vision atténuée de ses conséquences. La social-démocratie de Pedro Sánchez, les néo-staliniens de Yolanda Díaz et les restes populistes de Belarra et Montero, ont acquis avec leur expérience historique la capacité d’utiliser les moyens de propagande nécessaires pour imposer les mesures anti-ouvrières requises par la situation. À l’heure où ces mesures peuvent encore sembler relativement légères par rapport à celles subies il y a dix ans, la coalition de gauche qui contrôle le gouvernement a encore la marge de manœuvre pour peindre en rose ce qui ne l’est pas... Mais ce qu’elle fait en réalité, c’est préparer des munitions et des réserves utiles pour le moment où elle devra intervenir avec une main lourde.

 

UNE SEULE ISSUE

 

Pendant que le gouvernement et les syndicats mettent en scène une pseudo confrontation avec les patrons, pendant qu’ils portent des toasts au soleil comme celui du jeudi 3 à Madrid... L’œuvre menaçante des forces bourgeoises, tant celles qui se montrent ouvertement comme telles que celles qui œuvrent au sein du prolétariat, se poursuit sans relâche. Les conditions de travail de tous les prolétaires vont se dégrader drastiquement, d’abord en termes de salaires, puis sous la forme de licenciements, de nouvelles réductions des prestations sociales, etc. Et ce sera la tendance des prochains mois, dans toutes les conventions collectives qui seront signées et dans toutes les initiatives gouvernementales qui seront lancées.

D’autre part, avec l’aggravation de la situation économique à la suite de la guerre en Ukraine, il devient de plus en plus nécessaire d’exiger de nouveaux sacrifices du prolétariat au nom de la sauvegarde de l’économie nationale : la «ligne dure» du gouvernement et des patrons sera imposée. Borrel, représentant historique de l’appareil socialiste, dans sa fonction de représentant de l’UE pour les affaires étrangères, défend déjà les mesures qui, tôt ou tard, seront également discutées en Espagne : exigences de guerre d’abord, sacrifices au nom de l’effort militaire, contrôle implacable de toute opposition... Ce sont des phrases qui peuvent sembler lointaines aujourd’hui, mais elles sont dans l’esprit de toute la bourgeoisie nationale.

Parler aujourd’hui de la possibilité pour la classe prolétarienne de renverser totalement cette situation est illusoire. Le contrôle de la politique de collaboration de classe qui a dominé le prolétariat pendant des décennies - articulé à travers les mécanismes démocratiques de la «participation de l’État», les formes parlementaires qui s’étendent au poste de travail, les grandes organisations syndicales intégrées dans l’appareil d’État, etc. - est encore assez fort pour faire croire aux travailleurs que, même dans les situations où les tensions sociales augmentent en raison de la détérioration générale des conditions de vie, le seul recours possible est d’exiger que la bourgeoisie accepte de ne pas être trop exigeante, afin de maintenir la «cohésion sociale»... en un mot, de respecter aussi cette politique de collaboration.

Mais la classe prolétarienne, par sa condition même, par la position qu’elle occupe dans la société capitaliste, subira inévitablement les conséquences du cours que prend la situation. En fait, elle le fait déjà sous la forme d’une baisse des salaires, d’une détérioration de la situation de l’emploi, d’une augmentation de la précarité... Et elle le fera encore plus lorsque les mesures plus exigeantes, que l’escalade de la guerre en Ukraine entraîne sans aucun doute, seront mises en œuvre. Et cette situation, qui est inévitable, doit contribuer à user lentement mais sûrement ces liens, cette confiance, ce respect de la bourgeoisie qui semble aujourd’hui inébranlable.

Les récentes grèves des métallurgistes, de Cadix à Biscaye, bien qu’elles aient été vaincues par l’action combinée des forces du syndicalisme opportuniste et de la propagande gouvernementale, montrent que lorsque les prolétaires sont poussés dans la lutte et assument de la diriger avec force et détermination, la paix sociale et la norme apparente de céder tôt ou tard à l’ennemi sont sérieusement mises en danger.

Ces impulsions élémentaires et fondamentales à la lutte sont la base sur laquelle doit revenir la capacité de résistance (et, si nécessaire, d’attaque) des prolétaires. La défense inconditionnelle des conditions de vie, la lutte menée sans respecter les règles du jeu imposées par les patrons et leurs alliés politiques et syndicaux, la force et la solidarité de classe face à une législation destinée précisément à étouffer la capacité de lutte du prolétariat... Ce sont les leçons de ces derniers mois que les prolétaires de différents secteurs et régions ont offert au reste de la classe. Elle n’a pas été généralisée et elle ne s’est pas maintenue dans le temps, mais la mobilisation des travailleurs temporaires et sous-traitants de la Baie de Cadix, rompant avec la division et la concurrence entre eux auxquelles les obligent les conditions de travail imposées par les patrons et les syndicats, a été un exemple de cette tendance à la lutte qui gagne en force lorsqu’elle se généralise par l’utilisation de moyens et de méthodes classistes. Comme ce fut le cas juste avant, avec la longue lutte des travailleurs de Tubacex ou, plus récemment, des prolétaires métallurgistes d’Orense et de Cantabrie, qui ont su adopter des méthodes (piquets de grève, affrontements avec les briseurs de grève, résistance à la police...) qui semblaient oubliées depuis des décennies.

 

Contre le cirque syndical et la démobilisation qu’il tente d’imposer au prolétariat !

Pour la défense intransigeante des conditions de vie et de travail !

Pour un retour aux moyens et méthodes de la lutte des classes !

 

30/10/2022

 

 

Parti Communiste International

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www.pcint.org

 

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