Italie

Super-démocratique et doté de la «plus belle constitution du monde», l’État bourgeois italien n’a aucun problème à laisser pourrir en prison ceux qui se rebellent contre son ordre établi. Le cas des anarchistes Alfredo Cospito et Anna Beniamino en est un exemple

(«le prolétaire»; N° 547; Déc. 2022 - janv.-Févr. 2023)

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Alfredo Cospito et Anna Beniamino, deux anarchistes accusés d’avoir posé en 2005 deux engins explosifs de faible intensité près de l’ancienne école des élèves carabiniers à Fossano (dans la province de Cuneo), sont en prison depuis 10 ans. Leur action était entièrement démonstrative ; menée au milieu de la nuit, elle n’avait pas pour but de blesser ou de tuer qui que ce soit, ni de causer des dommages particuliers au bâtiment. Lors du procès, qui s’est tenu à Turin, Alfredo a été condamné à la prison à vie et emprisonné au pénitencier de Bancali (Sassari) et Anna à 27 ans et un mois à Rebibbia.

Depuis le 5 mai, Alfredo a été transféré dans un régime d’incarcération dur (en vertu de l’article «41 bis» du code carcéral, normalement infligé aux mafieux coupables de massacres), contre lequel une plainte a été déposée. Mais depuis le mois de juillet de cette année, «le crime a été reformulé et est devenu « massacre au détriment de l’État» (avant, c’était «à des fins terroristes»), le plus grave dans notre système juridique qui prévoit la possibilité de la réclusion à perpétuité même en l’absence de victimes», un crime qui prévoit également la réclusion à perpétuité incompressible, c’est-à-dire la «peine sans fin» ! (1). Contre cette véritable surenchère judiciaire, Alfredo Cospito est en grève de la faim depuis plus de deux mois ; depuis le 7 novembre, en signe de solidarité, Anna Beniamino s’est également mise en grève de la faim (Après l’avoir rencontrée le 9 décembre, son avocate, Caterina Calia, a déclaré qu’«elle n’est plus que peau et os») et de toute façon, en signe supplémentaire de protestation, elle a refusé d’être hospitalisée (2).

Alfredo Cospito, sans avoir tué personne, est le premier anarchiste à être condamné au 41 bis. Même dans ce cas, la vengeance de l’État contre ceux qui osent manifester violemment contre l’oppression et la violence, directe et indirecte, de ses forces de l’ordre est évidente (il suffit de se rappeler la très longue série de manifestants tués, matraqués, torturés, de Portella delle Ginestre le 1er mai 1947, à la période de juin-juillet 1960, au G8 de Gênes en 2001, à Stefano Cucchi en 2009).

Il y a eu plusieurs manifestations anarchistes de solidarité avec Alfredo et Anna : le 5 décembre, à Turin, le jour de l’audience d’appel au cours de laquelle le parquet général a réitéré la demande de réclusion à perpétuité et de douze mois d’isolement de jour ; le 19 décembre, à Cagliari, lorsque le tribunal de surveillance de Cagliari a confirmé le régime de prison ferme pour Alfredo Cospito ; et encore le 29 décembre, à Milan, avec une manifestation non autorisée, mais à laquelle ont participé 400 personnes, appartenant non seulement aux anarchistes mais aussi à divers secteurs syndicaux et sociaux.

Mais un État bourgeois - qui, en cent soixante ans d’existence, n’a jamais réussi à vaincre la corruption, la déviance et la violence dans ses appareils, la malfaisance, le crime organisé, et qui trouve toujours le moyen de rendre respectable la fleur des criminels, il suffit pour cela qu’ils soient milliardaires ou politiciens puissants – peut-il mettre en œuvre une application cohérente des grands principes d’«égalité» exhibés à gauche et à droite, les grands principes qui inspirent les droits civils et humains, proclamant que devant sa loi «tous sont égaux» ? Bien sûr que non ! La démonstration concrète est qu’on ne peut pas attendre de l’État et de ses institutions autre chose que la défense des intérêts de la classe dominante bourgeoise ; et cette défense prévoit que la sauvegarde des intérêts généraux de la classe dominante exige, que parfois même les membres des institutions fassent l’objet d’enquête et soient jugés et condamnés s’ils sont pris sur le fait, mais surtout que les membres de la classe prolétarienne soient systématiquement punis et jetés dans des cellules de prison s’ils s’écartent ne serait-ce que d’un cheveu des lois sacrées de l’État.

Dans la période actuelle, où la classe bourgeoise dominante renforce son contrôle social afin de pouvoir affronter la concurrence internationale et la crise de surproduction dans laquelle replongent cycliquement les pays capitalistes opulents, sans avoir à affronter aussi les fortes tensions sociales que la dégradation des conditions de vie d’une grande partie de la population génère inévitablement ; à l’heure où la classe bourgeoise dominante, pour défendre ses profits, doit frapper de plus en plus durement les conditions de vie de larges couches prolétariennes, il est normal qu’elle prenne des mesures particulièrement dures contre ceux qui non seulement ne se plient pas à l’ordre établi, mais se rebellent et pourraient servir d’exemple à beaucoup d’autres. À un moment comme celui-ci, où l’apparition de la pandémie de SRAS-CoV2 a été prise comme prétexte pour mettre davantage en cage la population et surtout le prolétariat - avec des fermetures, les obligations des masques, des Pass sanitaires et des vaccinations, jusqu’à suspendre du travail et du salaire tous les travailleurs qui refusaient de se faire vacciner - tout en les obligeant à se conformer aux exigences de la production même lorsque les environnements de travail n’étaient pas sécurisé sanitairement ; eh bien, à l’heure où la bourgeoisie craint que la dégradation des conditions de vie des larges masses n’engendre de soudaines explosions sociales, le gouvernement - entré en fonction il y a un peu plus de deux mois et en parfaite continuité avec les gouvernements précédents – s’est chargé d’intervenir sur tous les aspects sociaux qui, d’une manière ou d’une autre, pouvaient jusqu’alors sembler insuffisamment contrôlés. Le couperet est tombé sur la masse des sans travail, auxquels les gouvernements précédents avaient accordé un «revenu de citoyenneté», sur la masse des migrants qui, fuyant les conditions de guerre, la répression et l’extrême pauvreté, parviennent à atteindre le territoire italien - s’ils ne meurent pas en mer ou en traversant le désert ou de faim et de froid dans les montagnes aux frontières avec d’autres nations -, sur les groupes sociopolitiques, comme les anarchistes, qui donnent depuis longtemps du fil à retordre à la police du Val di Susa et dans certaines villes. Dans le même temps, le resserrement économique frappe aussi les catégories de travailleurs considérées comme plus exposées à d’éventuelles tensions sociales, comme celles de la santé et de l’enseignement public, en attendant de frapper aussi celles des transports publics, en utilisant le personnel de ces secteurs, qui sont normalement en contact avec toutes les couches sociales de la population, comme vecteur des règles imposées par les mesures gouvernementales. Ce n’est pas un hasard si de nombreux journaux parlent d’une manœuvre gouvernementale de larmes et de sang...

Que signifie donc imposer à un anarchiste comme Alfredo Cospito, qui a osé revendiquer l’action démonstrative dont il était responsable, en soulignant cette revendication comme «une question d’honneur» (3), la peine la plus élevée et la plus sévère prévue par le système pénal existant, comme la réclusion à perpétuité, malgré le fait que les deux engins explosifs n’aient causé ni morts, ni blessés, ni dommages graves ? Cela signifie que non seulement les actes de ce type risquent d’être considérés comme des crimes «de massacre contre la sécurité de l’État», mais qu’en perspective, de nombreux autres actes de lutte démonstratives contre la répression peuvent être considérés comme crimes contre la sécurité de l’État.

Les communistes révolutionnaires sont à mille lieues des conceptions anarchistes de l’État et de la société ; et ils ont une conception de la lutte des classes et de la lutte révolutionnaire qui est complètement différente de la conception individualiste et velléitariste qui est à la base l’idéologie anarchiste de la violence. L’histoire a amplement démontré que la lutte pour l’émancipation du prolétariat ne passe pas par des groupes conspirateurs qui se chargent d’«éveiller les consciences» aux objectifs politiques les plus élevés, mais par un long travail de préparation des masses prolétariennes à la lutte de résistance au capital, de défense des conditions de résistance sur le terrain économique et immédiat, et aussi un travail long et patient de préparation classiste et révolutionnaire par le parti communiste révolutionnaire dans les rangs prolétariens, comme l’a fait le parti bolchevik de Lénine dans un pays, la Russie, bien plus arriéré économiquement et socialement que les pays capitalistes occidentaux.

Néanmoins, aux anarchistes comme Alfredo et Anna - à qui nous exprimons notre solidarité - reconnaissons le mérite d’avoir eu le courage, et précisément l’honneur, de ne pas dissimuler leurs actes, de les revendiquer face à l’ennemi bourgeois, sachant pertinemment risquer la torture lente et systématique que représentent l’isolement et des dizaines d’années de prison. D’autre part, il faut souligner, l’attitude vindicative et lâche d’un État qui - au service d’une classe qui est née et se maintient par l’oppression de la majorité de ses «citoyens» tant aimés, chez lui comme dans les pays économiquement plus faibles, au service d’une classe qui a dans son ADN le mépris de la vie des salariés et les massacres de guerre - n’hésite pas à utiliser tous les moyens de répression au seul but de maintenir la domination capitaliste sur la société. La bourgeoisie ne s’émeut jamais vraiment des morts et des blessés des attentats, elle l’a démontré mille fois, comme par exemple en 1921 face aux victimes du théatre «Diana» causées par une bombe anarchiste ou en 1980 face au massacre de Bologne de la main des fascistes : les pistolets habituels contre le «terrorisme» sont toujours accompagnés d’une propagande pour la défense de la coexistence civile et de la paix sociale avec laquelle se dissimule le véritable intérêt bourgeois, hier comme aujourd’hui et demain, c’est-à-dire la course au profit pour lequel «la bourgeoisie, plutôt que de disparaître de l’histoire, veut la ruine générale de la société humaine» (4).

Le prolétariat, qui succombe encore aujourd’hui aux illusions de la démocratie, de la coexistence pacifique entre les classes, de la cohésion nationale, a historiquement une tâche qu’aucune autre classe sociale n’a jamais pu avoir auparavant : mettre fin à la division de la société en classes, révolutionner la société bourgeoise de fond en comble en détruisant sa domination politique et son économie basée exclusivement sur le mercantilisme et l’exploitation de l’homme par l’homme ; c’est-à-dire transformer la production pour le marché en production pour les besoins vitaux des êtres humains. Cette société sans classe, que nous appelons communisme depuis plus de deux cents ans, et que nous aimons appeler société de l’espèce, ne se réalisera que par la révolution prolétarienne et communiste, au niveau international et conduite par le parti communiste révolutionnaire. Les premiers exemples historiques de cette révolution ont été la Commune de Paris de 1871 et la Révolution russe de 1917 ; à cette époque, le prolétariat européen et américain n’était pas prêt pour la révolution internationale car, bien qu’il existât, le parti communiste n’était pas encore assez ferme et fort au niveau international pour pouvoir assurer à la révolution la victoire au niveau mondial.

L’histoire ne se laisse pas dicter par la volonté de groupes conspirateurs ou de partis révolutionnaires. Les facteurs objectifs (le développement économique et politique de la société et le développement du mouvement prolétarien indépendant) et les facteurs subjectifs (le développement du parti de classe) doivent tous deux être présents et actifs à un moment donné. De même que la classe bourgeoise, depuis les premiers exemples historiques de capitalisme dans l’Italie du 15e siècle, puis dans l’Angleterre du 17e siècle, a dû arriver à la fin du 18e siècle en France pour imposer le saut révolutionnaire historique du féodalisme au capitalisme, de même la classe prolétarienne devra se réorganiser - malgré les défaites accumulées au cours de ses 175 ans d’existence comme classe sociale et politique, mais en tirant de ces défaites toutes les leçons historiques nécessaires - indépendamment de tout appareil bourgeois en se reconnaissant comme une classe qui a sa propre tâche historique qu’elle ne partage et ne peut partager avec aucune autre classe. En fait, cette tâche historique est représentée par le parti de classe, par le parti communiste révolutionnaire, depuis le Manifeste des communistes de Marx-Engels en 1848. C’est donc le parti communiste qui «attend» la maturation classiste du prolétariat et qui a la tâche de préparer les avant-gardes pendant ce temps, et non l’inverse ; en effet, l’histoire a montré que si le prolétariat se déplace sur le terrain révolutionnaire, mais que le parti de classe n’est pas prêt à le conduire à la conquête révolutionnaire du pouvoir politique - comme cela se produisit en 1919-1920 dans l’Allemagne développée - alors la révolution prolétarienne ne gagnera pas au niveau international.

La voie à suivre, pour les prolétaires conscients des tâches historiques de leur classe, n’est pas celle de la violence individuelle et velléitaire, dans la fausse croyance qu’«il suffit de donner l’exemple» pour que les «consciences» se réveillent. La voie à suivre est celle de la lutte pour retrouver le terrain de classe où les revendications des travailleurs qui ne dépendent pas de la «possibilité ou non» des capitalistes, ou de l’État, de les satisfaire, et qui ne sont pas partagées par le patron, l’entreprise ou l’État, car l’intérêt du capital est d’exploiter le plus possible, et le plus longtemps possible, la force de travail salariée : en cela consiste la «croissance économique» et la productivité du travail, tant aimées par les gouvernants et les capitalistes.

Comme par le passé, ce seront les forces objectives des contradictions du capitalisme qui pousseront les masses prolétariennes à s’affronter aux forces organisées de l’Etat bourgeois et aux forces de l’opportunisme et du collaborationnisme interclassiste qui le soutiennent, pour se défendre même déjà dès les premiers niveaux d’organisation classiste sur le terrain immédiat. La lutte sera extrêmement dure car la classe bourgeoise ne négligera rien pour se maintenir au pouvoir, et aucun raccourci individualiste, aventurier ou brigadiste ne pourra accélérer le processus historique de maturation de la lutte de classe. Les facteurs matériels contradictoires que le capitalisme ne cesse de développer sont à la base des antagonismes de classe et donc de la lutte entre les classes : de par son expérience historique, la classe dominante bourgeoise le sait bien, et elle ne cesse de travailler pour que le rendez-vous historique avec la révolution prolétarienne soit repoussé le plus longtemps possible. Mais l’histoire du développement des forces productives, et de la lutte entre les classes, comme nous l’avons dit, ne se laisse pas dicter le calendrier ni par des groupes subversifs, ni par la classe dominante bourgeoise. Comme en 1871 et 1917, la révolution prolétarienne surprendra inévitablement la classe dominante bourgeoise par sa force imparable. Ce qui ne devrait pas manquer, c’est la direction du parti communiste révolutionnaire, un parti qui ne peut naître de la révolution elle-même, mais qui devra être présent et actif bien avant. C’est pour ce parti que nous nous battons et résistons au cours du temps.

En 1848, face aux tentatives révolutionnaires du prolétariat à Berlin, Vienne, Paris, Milan, Prague, et à la réponse contre-révolutionnaire de l’absolutisme et de la bourgeoisie unis contre le prolétariat, Marx écrivait : «Nous ne l’avons jamais caché. Notre terrain n’est pas le terrain juridique, c’est le terrain révolutionnaire. Le gouvernement vient de renoncer pour sa part à l’hypocrisie du terrain juridique. Il s’est placé sur un terrain révolutionnaire, car le terrain contre-révolutionnaire lui aussi est révolutionnaire.» (5).

Ainsi, le moment viendra à nouveau - comme en 1919-1920 face au fascisme - où, face au prolétariat en mouvement sur le terrain de la lutte de classe et révolutionnaire, le gouvernement bourgeois abandonnera l’hypocrisie du terrain légal et agira ouvertement sur le terrain de la violence contre-révolutionnaire ; le terrain contre-révolutionnaire est, dialectiquement, également révolutionnaire. Aujourd’hui, nous sommes encore au milieu d’une longue période de forte dépression du mouvement de classe prolétarien ; mais les facteurs de crise du capitalisme travaillent objectivement à une solution de la crise générale du capitalisme par une guerre future, donc à une ouverture objective de la lutte entre les classes, mais sur le terrain d’une contre-révolution préventive. C’est sur ce terrain que le parti de classe doit être établi et renforcé, et il importe peu que ce parti soit représenté par une poignée de militants, parce que ce qui est essentiel et indispensable, c’est la continuité théorique-programmatique avec le marxisme, grâce à laquelle il sera possible - lorsque le mouvement de classe prolétarien se relèvera, en se réorganisant sur le terrain de l’indépendance de classe - un contact étroit entre le parti de classe et les masses prolétariennes, qui trouveront dans le parti leur direction, comme elles l’ont trouvée dans le parti bolchevique de Lénine non seulement en Russie mais dans le monde entier.

 


 

(1) Cf. https://www.rainews.it/ articles/ 2022/ 12/ alfredo- cospito- ricorso- in-cassazione- entro-41-bis- dda1bed1- 5f87-4285- b704- 3a01b2cac90.html - et https:// www.milanotoday.it/ cronaca/ manifestazione- anarchica- alfredo.html du 29 décembre 2022.

(2) Cf. https://torino.correire.it/ notizie/ cronaca/22_ dicembre_ 09/ processo- agli- anarchici- anna- beniamino- rifiuta- il-ricovero- e-in-sciopero- della-fame- da-un-mese- 2e3a4d37-88ac- 457b-a35f- 793931 fc3xlk.shtml.

(3) Cf. https://www. radion dadurto. org/ 2022/12/05/ torino- día- di- lotta- contro-  il-carcere- e-solidarietà-ad- alfredo-cospito- e-anna-beniamino.

(4) Cf. Per i funerali delle vittime del «Diana», «Il Comunista», 30 mars 1921, dans «Manifesti ed altri documenti politici, 21 janvier-31 décembre 1921», du Parti communiste d’Italie, Reprint Feltrinelli

(5) Cf. K. Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution («Neue Rheinische Zeitung», n° 165, 10 décembre 1848), Marx-Engels, Il Quarantotto, La Nuova Italia , Florence 1970.

 

 30/12/2022

 

 

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