«Révolution Permanente» ou la permanence du réformisme

(«le prolétaire»; N° 548; Mars-Avril-Mai 2023)

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«Révolution Permanente» (RP) est une nouvelle organisation trotskyste très active dans les luttes actuelles, avec un discours d’apparence plus combative que celui des organisations traditionnelles du style NPA, LO, POI -POID (les frères ennemis du Lambertisme). Qu’en est-il en réalité ?

 

RP s’est constituée comme organisation indépendante en décembre dernier; auparavant elle faisait partie du NPA, en tant que tendance «de gauche» créée en 2010 par des militants de la «Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale» (FT-QI), un regroupement trotskyste international surtout présent en Amérique Latine et dont la principale section est le PTS (Parti des Travailleurs Socialistes) argentin (1). Cette tendance, le «Courant Communiste Révolutionnaire», a donc été membre du NPA pendant plus de 12 ans pour «refonder» celui-ci afin qu’il devienne «un outil pour la construction d’un parti révolutionnaire des travailleurs qui ait la lutte de classe comme centre de gravité».

Pourquoi alors le CCR est-il resté pendant plus de 12 ans dans un parti qui selon ses propres dires n’était pas révolutionnaire ni n’avait la lutte de classe comme centre de gravité, sinon parce que pour lui ces caractéristiques du NPA n’étaient pas si importantes ?

Dans une vidéo de septembre 2020 la porte-parole du CCR expliquait que leur objectif était de faire du NPA «un outil de recomposition de l’extrême gauche qui reprend l’audace tactique de Trotsky, pour construire en France un parti révolutionnaire puissant qui soit composé de militants de traditions différentes (…)» (2). Bref un parti qui serait puissant parce qu’il regrouperait des militants aux positions différentes: au diable l’homogénéité programmatique et politique, vive l’auberge espagnole comme l’a été le NPA dès sa fondation !

La cause immédiate de la rupture avec celui-ci a été une question électorale, RP ayant décidé de présenter son propre candidat aux Présidentielles alors que Poutou était le candidat officiel du NPA; la rupture n’a rien eu de principiel, de programmatique ou de classiste et d’ailleurs si RP dénonce une «droitisation» du NPA, cela ne l’empêche pas de se plaindre d’avoir été injustement exclue de cette pétaudière...

En réalité il y a belle lurette que non seulement le NPA, mais tout le courant qui en est l’origine et qui porte le nom de trotskysme, s’est «droitisé». Sous ses innombrables variantes, ce courant qui porte, bien à tort, le nom du chef de l’Armée rouge, n’a retenu de ce dernier que les lourdes erreurs «tactiques» et les manœuvres commises au cours des années trente dans ses tentatives désespérées d’accroître artificiellement la force des groupes militants révolutionnaires : entrisme dans les partis sociaux-démocrates, défense de la démocratie, etc. Après l’assassinat de Trotsky ses partisans engagés sur cette pente fatale, se sont éloignés toujours davantage du marxisme et du communisme révolutionnaire; ils ont fini par se satelliser autour des partis réformistes, au nom du «front unique» et de la défense de l’Union Soviétique et des Etats dits «ouvriers».

La présence internationale de ce courant et son succès relatif tiennent au fait qu’il remplit une fonction utile à l’équilibre de l’échiquier politique bourgeois: paralyser les prolétaires poussés à rompre avec l’influence et l’encadrement des appareils contre-révolutionnaires et les ramener dans leur giron. Les partis appartenant à ce courant que les bolcheviks appelaient «centrisme» et qu’ils considéraient comme le principal obstacle à la formation d’authentiques partis révolutionnaires communistes, combinent une phraséologie révolutionnaire nécessaire pour séduire les prolétaires les plus combatifs à une pratique opposée, suiviste par rapport aux forces de l’«opportunisme» contre-révolutionnaire.

RP qui prétend construire une organisation révolutionnaire, correspond précisément à cette définition comme nous allons le constater.

Si l’on examine les textes publiés lors de sa fondation on ne trouve aucun programme théorique ou politique digne de ce nom. Ce qui en tient lieu c’est un texte intitulé: «Bases politiques pour une nouvelle organisation révolutionnaire» (3). Il dresse le tableau d’«un long processus de radicalisation parmi les travailleurs et la jeunesse» dans le cadre d’un «nouveau cycle de lutte des classes» qui se serait ouvert en France depuis 2016. Arrêtons-nous un moment à cette année; il y avait eu alors le long mouvement contre la «loi El Khomri» (ou «loi travail») du gouvernement PS, loi qui avait l’objectif de réformer le code du travail pour mieux répondre aux besoins des entreprises. L’échec du mouvement dû au sabotage des directions syndicales permit par la suite la promulgation des décrets Macron en 2017 qui aggravaient les mesures prévues dans la loi.

En marge des luttes contre la loi El Khomri était apparu le mouvement «Nuit debout» dont les figures de proue étaient le journaliste cinéaste François Ruffin et l’économiste philosophe Frédéric Lordon (4); selon RP «Nuit Debout» (ND) faisait partie de «l’expression d’une certaine conscience anticapitaliste avec une aspiration à des formes de démocratie directe et de radicalité».

Cette caractérisation est significative de l’activisme immédiatiste de RP marquée par l’absence de position de classe dans les analyses; attirée par un mouvement qui rassembla plusieurs milliers de personnes pendant quelques mois, elle met de côté la nature petite bourgeoise de ce mouvement pacifiste et «citoyen» qu’un sociologue avait bêtement appelé «le premier mouvement social post-marxiste» parce que comme tous les mouvements de ce type il prétendait être au-dessus des classes et de la lutte des classes…

Bien loin d’être l’expression d’un processus de radicalisation anticapitaliste, ND était gros d’un nouveau réformisme de base dans une situation marquée par la forte désillusion vis-à-vis des partis de gauche traditionnels, en commençant bien sûr par le PS. En Espagne un mouvement similaire donna naissance au parti «Podemos» qui entend revitaliser le réformisme; en France c’est «La France Insoumise» qui s’attelle à la même besogne. L’apparition de forts mouvements petits bourgeois ou interclassistes peut bien être le signe de la montée des tensions sociales et de l’affaiblissement à un moment donné du cirque politique bourgeois, cela n’entraine pas nécessairement ni automatiquement une radicalisation des prolétaires ni un affaiblissement de la domination politique de la bourgeoisie comme le démontre le cas espagnol.

A la radicalisation qu’elle décrit, répond selon RP la «passivité et le scepticisme» de l’extrême gauche «plus affaiblie et plus marginale que jamais», incapable de «politiques audacieuses menées dans les mouvements depuis 2016». Devant ce marasme «poser aujourd’hui la nécessité d’une refondation de la gauche révolutionnaire est décisif» sinon «le risque est grand que la crise économique et politique et même les phénomènes embryonnaires de radicalisation politique à l’œuvre au sein du prolétariat conduisent à la démoralisation de notre classe et soient capitalisés par des variantes réactionnaires d’extrême-droite» ! Difficile de ne pas voir ici l’écho des craintes classiques des petits bourgeois démocrates que la radicalisation des prolétaires ne les conduise au fascisme si elle n’est pas canalisée…

La nouvelle organisation qui comblera ce vide, est paraît-il, révolutionnaire: elle revendique en effet le «renversement de l’Etat bourgeois». Pour le remplacer par quoi? Par «un pouvoir démocratique de la majorité exploitée, à travers de ses organes d’auto-organisation». Le mot «dictature du prolétariat» que tous les opportunistes, tous les révisionnistes du marxisme ont toujours rejeté, est trop difficile à prononcer pour nos «révolutionnaires» ! Mais est-ce le mot ou la chose qui leur fait peur ? RP avance la perspective d’un «bloc ouvrier et populaire, unissant tous les exploités et opprimés» c’est-à-dire d’une alliance interclassiste, pour «vaincre le bloc bourgeois aujourd’hui rassemblé derrière Macron». Ce n’est plus du marxisme, c’est du mélenchonisme ! Comment se fera la révolution ? Par «la transformation d’un mouvement social en grève générale politique, qui paralyse la marche de l’économie capitaliste et pose le problème de qui dirige la société».

Le problème étant posé comment sera-t-il résolu ? Nous n’en saurons pas plus.

 Lénine écrivait dans «L’Etat et la révolution»: «La nécessité d’inculquer systématiquement aux masses cette idée - et précisément celle-là - de la révolution violente est à la base de toute la doctrine de Marx et d’Engels. La trahison de leur doctrine par les tendances social-chauvines et kautskistes, aujourd’hui prédominantes, s’exprime avec un relief singulier dans l’oubli par les partisans des unes comme des autres de cette propagande, de cette agitation». Pour les révolutionnaires en peau de lapin de RP il est inconcevable de faire cette propagande, d’expliquer avec Lénine que: «sans révolution violente, il est impossible de substituer l’Etat prolétarien à l’Etat bourgeois», de parler d’insurrection armée, de recours à la violence pour écraser les forces bourgeoises et la contre-révolution. Elle préfère diffuser la vieille illusion de la grève générale pacifique qui, on ne sait comment, ferait disparaître le capitalisme.

 Encore un point à relever: RP veut mener un combat politique «pour imposer les idées révolutionnaires dans le débat national [?] en se servant pour cela des élections». En prétendant utiliser le cirque électoral pour «imposer» les positions révolutionnaires, elle cache aux yeux des prolétaires qu’il s’agit d’un mécanisme bien rôdé au service de la domination bourgeoise: au lieu de combattre les illusions trop répandues sur les élections, elle les renforce!

Nous avons déjà illustré son réformisme dans la question cruciale de l’Etat lorsqu’elle appelait en 2014 à une «réelle mobilisation populaire de fond» pour des «réformes constitutionnelles» démocratiques (5)...

Pacifiste, électoraliste et réformiste, RP qui prétend sans rire «réhabiliter un marxisme vivant» en réalité trahit complètement la doctrine marxiste authentique.

 

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Il nous reste à dire quelques mots de son action pratique dans les luttes. RP affirme vouloir mener un «combat à mort» contre la bureaucratie qui est «un agent du patronat à l’intérieur du mouvement ouvrier», pour lui «arracher le contrôle des syndicats» et pour l’«auto-organisation» des travailleurs.

Fortes paroles, mais pas suivies d’effets.

A l’automne 2019 lors de la grève sauvage du Technicentre de Châtillon, elle resta silencieuse devant le blocage par SUD-Rail (où elle a des militants) de l’appel des grévistes à l’extension de la lutte à tous les cheminots et qui appela à la reprise du travail au nom du «dialogue social» (6). Au contraire elle valorise l’action de SUD-Rail dans le conflit (7) ! En décembre 2019 la coordination RATP-SNCF à Paris où ses militants (délégués syndicaux de SUD-Rail) ont joué un rôle-clé et qui semble-t-il avait étouffé la formation d’un comité de grève à la RATP, en refusant d’appeler à une direction alternative, en détournant la colère des cheminots et traminots contre la CFDT (opposée au mouvement) et dans des «actions spectaculaires» sans intérêt, a en fait servi de couverture au sabotage de l’intersyndicale. Pendant tout ce mouvement contre la réforme des retraites, la position de RP a été d’appeler à un «plan de bataille»; elle cachait ainsi aux prolétaires que le problème avec l’intersyndicale n’était pas qu’elle manquait d’un bon plan de bataille, mais qu’elle ne voulait pas se battre ! Autrement dit-elle cachait que si l’intersyndicale privilégiait toujours le dialogue social à la lutte, comme l’avait avoué ingénument SUD, c’est parce que ces organisations sont intégrées dans le réseau serré de collaboration de classe, et qu’il faudra contre ces appareils reconstituer des organisations de classe.

Dns les luttes actuelles RP suit la même orientation; bien loin de mener une «lutte à mort» contre les bureaucraties syndicales, elle se contente de critiquer leur «manque de détermination» et leur «stratégie». Mieux (ou pire !), elle n’hésite pas à les appeler à la rescousse: «Martinez et Berger doivent aller soutenir les raffineurs sur les piquets !» écrit-elle ainsi le 23/3 en appelant la CGT et la CFDT à condamner les réquisitions – ce que ces syndicats ont d’ailleurs fait...

Mais nous dira-t-on, RP a lancé un appel à la constitution d’un «réseau pour la grève générale» et de «comités d’action pour la grève générale» pour dépasser l’intersyndicale qui «ne parvient pas à insuffler à la majorité de la population active» conviction et détermination. Cet appel s’adresse «aux secteurs en lutte, aux syndicats combatifs et aux coordinations interpro». Cela sonne très radical, mais si cet appel rencontrait un écho réel il reviendrait non pas à ce que les travailleurs prennent en mains la lutte, mais que le fassent certaines structures syndicales pseudo-combatives (SUD...) et certains groupes qui leur sont liés. La petite expérience que nous avons des AG interpro ne laisse guère de doute à ce sujet. Une grève générale qui ne serait pas menée sur des orientations de classe ne mènerait qu’à l’échec...

Le refus de combattre ou dénoncer frontalement l’emprise des appareils syndicaux collaborationnistes (qui s’explique par la présence en leur sein de quelques-uns de ses militants), s’accompagne d’une appréciation apocalyptique de la situation sociale: après le vote du 49.3 nous serions en effet entrés dans un «moment pré-révolutionnaire» pouvant devenir «même révolutionnaire» (8)!

Paradoxalement, cette analyse d’un optimisme délirant démontre d’une façon aveuglante le réformisme foncier de RP; les revendications qu’elle avance dans une telle situation ne vont en effet pas plus loin que le réformisme le plus creux: démission de Macron, changement de constitution, «défense d’un programme démocratique radical face au pourrissement des institutions autoritaires de la République bourgeoise, qui facilite la lutte pour un gouvernement des travailleurs et des classes populaires».

Nous ne saurons pas ce que serait un tel gouvernement hybride et comment il apparaîtrait, sinon qu’il serait le fruit de la démocratie. Le marxisme a expliqué dès le début que la démocratie est une forme bourgeoise; elle avait une valeur révolutionnaire face au féodalisme basé sur l’inégalité des individus selon leur naissance, elle n’en a plus aucune face au capitalisme développé.

Croire ou faire croire qu’un «programme démocratique» peut être révolutionnaire dans les conditions de la domination bourgeoise complète (comme le soutenait Moreno), c’est ou bien retarder de deux siècles, ou bien plutôt s’aligner sur l’idéologie dominante; dans les deux cas c’est s’opposer à la perspective de la révolution communiste, c’est-à-dire à la seule voie de l’émancipation prolétarienne.

La conclusion est donc sans appel: malgré tout son activisme tapageur, RP ne peut constituer un quelconque point d’appui pour les prolétaires en lutte, mais un facteur de confusion et donc d’affaiblissement.

 


 

(1) Le PTS et la FT-QI viennent du «morenisme», du nom du militant trotskyste argentin Nahuel Moreno dont la trajectoire politique fut toujours placée sous le signe de l’opportunisme le plus éhonté: depuis l’entrisme dans le péronisme (parti bourgeois nationaliste) dans les années 50, à la «révision» ouverte des positions de Trotsky et Marx, à l’intégration dans l’union nationale contre «le terrorisme et la subversion», la dénonciation des grèves qui risquaient d’affaiblir le gouvernement péroniste, jusqu’aux compromissions avec la sanglante dictature du général Videla (appelée par lui en 1976 «la  dictature la plus démocratique d’Amérique Latine» – voir Le Prolétaire n°232) – ce qui n’empêcha pas son parti, le PTS, d’être interdit comme tous les autres partis et de subir la répression.

En 1982 Moreno fondit le MAS (Mouvement vers le Socialisme, aujourd’hui disparu) qui avec la quasi-totalité des partis de gauche et d’«extrême» gauche, guérilleros y compris, soutint la guerre de la dictature pour conquérir les Îles Malouines. Après le retour pacifique à la démocratie bourgeoise en décembre 1983, (qualifié par lui de «révolution démocratique») le MAS se développa peu à peu au point de devenir le plus important parti d’«extrême gauche» argentin. Le PTS naquit d’une scission du MAS en 1988 qui reprit le nom de l’ancien parti en revendiquant l’héritage de Moreno (mort l’année précédente). Mais quelques années plus tard, tout en demandant son adhésion au regroupement international moreniste (la LIT-QI), il annonçait se démarquer de cet héritage et revenir aux positions trotskystes traditionnelles. Aujourd’hui l’activité principale du PTS se mène depuis 2011 dans le cadre d’un front électoral avec d’autres partis trotskystes et morenistes, le «Frente de Izquierda-Unidad» (Front de Gauche-Unité) qui a un programme réformiste classique (nationalisations, etc). Le FIT-U a obtenu 5,4% des voix et 4 députés aux législatives de 2021.

La «Tendance Claire», une autre tendance «de gauche» du NPA que nous avons déjà eu l’occasion d’épingler, a elle aussi été un moment liée à la FT-QI avant de se rapprocher de la LIT-QI. Lors des dernières présidentielles cette tendance plutôt… trouble, décida de soutenir Mélenchon et de faire de l’entrisme dans «La France Insoumise» – tout en continuant à appartenir au NPA

(2) https://www. revolutionpermanente. fr /Trotsky2020-hommage-internationaliste-aux-80-ans-de-son-assassinat …

(3) https://www.revolutionpermanente.fr/Bases-politiques-d-une-nouvelle-organisation-revolutionnaire

(4) Ruffin est depuis devenu député de la NUPES. Lordon était présent comme invité au Congrès de RP où il déclara «il est vital de tout niquer, mais avec méthode» en expliquant qu’il faut convaincre une partie de la bourgeoisie en lui faisant comprendre que «dans ses intérêts matériels il entre aussi ses intérêts de terrestre».

(5) cf. Le Prolétaire n°518. Polémiquant avec Mélenchon et son projet de VIème République, ils écrivaient qu’il ne remettait pas en cause «la caractéristique centrale» du régime actuel qui est... le caractère de classe bourgeois de l’Etat ? Vous n’y êtes pas: «la fonction présidentielle» !

(6) cf. Le Prolétaire n°535.

(7) https://revolutionpermanente.fr/SNCF-Retour-sur-la-greve-du-technicentre-de-Chatillon-qui-a-paralyse-la-moitie-de-la-France?fbclid=IwAR2f7J6.

(8) https://www.revolutionpermanente.fr/Bataille-des-retraites-Du-moment-Berger-au-moment-pre-revolutionnaire

 

 

Parti Communiste International

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