Les réactions aux émeutes :

Entre condamnations brutales et «compréhensions» hypocrites

(«le prolétaire»; N° 549; Juin-Juillet-Août 2023)

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Pendant des mois lors du mouvement sur les retraites, les dirigeants syndicaux n’ont cessé d’évoquer le risque d’une «explosion sociale» pour convaincre  le gouvernement d’accorder des concessions. L’explosion sociale a finalement bien eu lieu, mais, ce n’est pas par hasard, dans un secteur où l’influence des pompiers sociaux est très faible, parmi les jeunes prolétaires ou enfants de prolétaires. Le fait que l’indignation et la colère ressenties par le meurtre policier de Nahel ait entraîné une vague de révolte qui a touché tout le territoire, y compris outre-mer, est le signe de l’intensité des tensions sociales dans le pays. Il est inévitable qu’elles se traduisent tôt ou tard par de nouvelles poussées de lutte et en prévision des futurs affrontements il est  important de voir comment les diverses forces ont réagi à ces évènements.

 

Il était inévitable que le gouvernement, les partis de droite et d’extrême droite, les medias et les institutions bourgeoises réagissent avec une furie égale à l’inquiétude ressentie pour le maintien de l’ordre devant cette flambée de révolte des jeunes prolétaires. Répondant 5 sur 5 aux instructions du ministère de la Justice bourgeoise, les juges ont eu la main lourde contre les jeunes arrêtés (3400 interpellations, des centaines de jeunes déférés devant les tribunaux) distribuant à tour de bras des peines de prison fermes

Les syndicats policiers majoritaires «Alliance» et «Unsa-police» ont publié le 30 juin un communiqué martial où ils disaient être «en guerre»«au combat contre ces «nuisibles», «ces «hordes sauvages» face auxquels il fallait «imposer» l’ordre. Il n’y manquait même pas la  menace qu’ils pourraient agir seuls si le gouvernement ne réagissait pas suffisamment. Ce ne sont pas des paroles en l’air : à Lorient une milice formée d’une dizaine de militaires (commandos de marine et fusiliers marins de la base navale locale, dans la nuit du 30 juin s’est livrée «pour aider la police» à une chasse et à l’«arrestation musclée» (1) de supposés émeutiers. Le commandement de la base a annoncé avoir ouvert une enquête, mais c’est bien sûr pour la forme : ces militaires n’ont fait que remplir la fonction de l’armée qui est d’être le rempart du capitalisme, en anticipant pratiquement ce dont discutaient alors les autorités : décréter l’ «état d’urgence» comme lors des émeutes de 2005…

Les partis de droite ou d’extrême droite, tout en réclamant à corps et à cris un renforcement de la répression, n’ont pas attendu pour trouver la cause des émeutes, qualifiées souvent d’ «ethniques», dans l’immigration, voire dans la race des habitants, à l’instar de Retaillau, le président des sénateurs LR, déclarant à propos des Français d’origine étrangère que «pour la deuxième et troisième générations, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques» (2) !

Rien d’étonnant si ces ennemis ouverts du prolétariat font dans la surenchère répressive mais qu’en est-il de l’autre côté de l’échiquier politique ?

 

LES ADVERSAIRES DECLARES A L’ «EXTREME GAUCHE»

 

«Lutte Ouvrière» a publié un éditorial où elle se dit «révoltée» contre le meurtre de Nahel. Mais cette prétendue révolte n’est qu’une figure de style pour pouvoir exprimer sa «colère» contre les émeutes, sa condamnation de «la violence destructrice» où elle assimile les émeutiers à des «petits voyous» : «Il y a des jeunes qui vivent la rage au cœur. C’est ce qui pousse une petite partie d’entre eux à ne rien respecter, à tremper dans des trafics (…). Et c’est cette rage qui a explosé en violence aveugle. La furie destructrice qui a frappé certains quartiers suscite la consternation, le désarroi et même la colère» (…) «Parmi ceux qui ont passé plusieurs nuits à casser tout ce qu’ils avaient à leur portée (…) se retrouvent d’ailleurs de petits voyous et les trafiquants» (3).

La calomnie de LO tombe à plat. Lors des émeutes de 2005 les quartiers qui n’avaient pas bougé  étaient ceux «tenus» par les dealers et les trafiquants ; selon la police ce phénomène classique ne s’est pas répété cette fois-ci car les dealers ont été dépassés par l’intensité de la révolte (4). LO termine son article par une profession de foi pacifiste typique de cette organisation : «Nous n’obtiendrons la paix et la justice que lorsque nous enlèverons à cette grande bourgeoisie les commandes de la société». Parler de révolution risquerait de consterner ses lecteurs !

Une réaction semblable est celle du CCI. Il a publié le 4 juillet un article intitulé «Face à la barbarie de l’Etat bourgeois, les violences aveugles sont une impasse». C’est là aussi une condamnation des émeutes, «rage aveugle de jeunes sans boussole» qui constituent «un danger pour le prolétariat», entre autres parce qu’elles sont utilisées par la bourgeoisie pour tirer un trait d’égalité entre «la lutte consciente et organisée» et «la violence aveugle et gratuite». Et le CCI donne l’exemple du mouvement contre les retraites ; en instrumentalisant les épisodes de violence en marge des manifestations, «Il s’agissait [pour la bourgeoisie] de tirer un trait d’égalité entre ces deux expressions de luttes sociales, de nature radicalement différente, pour tenter d’en donner l’image d’une continuité et d’un dangereux désordre. L’objectif était de gommer et d’empêcher les ouvriers de tirer les leçons de leurs propres luttes, de saboter la réflexion amorcée sur la question de l’identité de classe». Le CCI se met ainsi du côté d’un mouvement bien ordonné, pacifique et contrôlé par le collaborationnisme syndical, contre le dangereux désordre de la violence des jeunes prolétaires ; «La lutte de classe n’a strictement rien à voir avec les destructions, les incendies, le sentiment de vengeance et les pillages qui n’offrent ni perspective ni lendemains», assène-t-il doctement.

Ce n’était pas l’avis de Marx et Engels ; ils écrivaient en 1850 dans l’Adresse à la Ligue des Communistes : «Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction».

Les malheureux n’avaient pas eu l’opportunité de lire les sages préceptes du CCI : «La classe ouvrière doit prendre garde de ne pas se laisse entraîner sur le terrain pourri des émeutes, de la violence aveugle et gratuite et encore moins dans des affrontements stériles avec les forces de l’ordre, ce qui ne fait que justifier la répression». Mais le CCI ne va pas assez loin : le meilleur moyen d’éviter a répression est encore de ne pas lutter !

En réalité contrairement à ce qu’affirment LO et le CCI, la violence des émeutiers était tout sauf aveugle ; si on laisse de côté des cas montés en épingle par les medias, leurs cibles ont été prioritairement des commissariats et des postes de police, des prisons et  des institutions étatiques, des mairies, etc., avant même le pillage de grandes surfaces et de magasins divers. Il est certain que les jeunes qui s’affrontaient à la police n’avaient pas une vision claire de la nécessité de la révolution et des voies qui y conduisent ; mais du moins étaient-ils animés de la  haine contre l’ordre établi nécessaire à la lutte révolutionnaire qui fait complètement défaut au sein des organisations collaborationnistes. En ce sens leur révolte offre infiniment plus de perspective que les rituelles mobilisations moutonnières derrière les chefs syndicaux !

 

LES POMPIERS SYNDICAUX

 

S’il existait des syndicats de classe, ils se seraient mobilisés aux côtés des jeunes prolétaires, et ils les auraient soutenus face à la répression. Il n’en a rien été comme on s’en serait douté de la part des pompiers sociaux endurcis qui viennent encore une fois de le démontrer lors du mouvement sur les retraites. Le communiqué de la CFDT du 29/ 6 intitulé «Il faut agir vite» (la situation était en effet… brûlante !) demandait de ne pas «souffler sur les braises de la colère» ; et il appelait «immédiatement» à… «une réflexion pour (…) améliorer les relations entre la population et la police» ! De son côté la CGT s’adressait le 1/7 au gouvernement pour lui demander de «créer les conditions de l’apaisement» (objectif suprême de tout pompier social). Aucune solidarité avec les jeunes révoltés, mais une condamnation des violences et des gémissements sur l’extrême droite qui «instrumentalise la violence» et  menace «notre démocratie». Le communiqué se terminait par la demande que s’ouvrent «immédiatement» divers «chantiers de fond» pour «refonder notre police républicaine», combattre le racisme, etc., etc.

 

LES FAUX AMIS

 

Après avoir lu cette prose proprement révoltante, c’est avec l’impression de respirer une goulée d’oxygène qu’on prend connaissance du titre de la position du NPA : «Soutenir et étendre la révolte» (30/6/23).

Mais ce prétendu «soutien» se résume en fait à un appel à l’union des pompiers sociaux ! C’est ainsi que le NPA «appelle les organisations du mouvement ouvrier, syndicats, associations, partis, à se réunir au plus vite pour discuter de comment construire une mobilisation à la hauteur et avec les formes qui permettent de soutenir la révolte en cours, d’obtenir la justice et de lancer la contre-offensive contre le pouvoir antidémocratique et   antisocial de Macron et son gouvernement». Des réunions auront effectivement lieu et les négociations aboutiront finalement à un appel à des manifestations, pardon à des «marches citoyennes», en faveur de demandes adressées au gouvernement pour qu’il «apporte des réponses immédiates» sur une réforme «en  profondeur» de la police, la suppression de la loi de 2017 sur les contrôles routiers et la lutte contre le racisme (5). A se demander dans quel monde vivent les rédacteurs…Ce texte lamentable qui évite soigneusement de prendre partie sur la révolte et de soutenir les jeunes prolétaires frappés par la justice de classe expéditive, a été signé par près de 90 organisations. Parmi ce front des pompiers sociaux se trouvent les syndicats CGT, FSU, Solidaires, CNT-SO, divers syndicats étudiants, etc. ; les partis France Insoumise, les Verts, le NPA, l’UCL, le POI, etc. (6); et une ribambelle d’organisations de soutien aux immigrés, écologistes, etc. Le PCF et le PS n’ont pas signé parce que le texte allait trop loin dans la critique de la politique répressive menée depuis des années –donc y compris par des gouvernements de gauche… 

Pour conclure ce rapide tour d’horizon, nous dirons un mot de la position du PEPS (Pour une Ecologie Populaire et Sociale) non pour l’influence, très réduite, de ce groupe, mais parce qu’il synthétise une tentative pittoresque de récupération petite bourgeoise. Son texte se présente comme un soutien à la révolte : «La révolte de la jeunesse des quartiers populaires est une révolte politique» (11/7/23). Toute la question est ramenée à un problème des quartiers pauvres qui font sécession d’avec les riches, que le PEPS entend résoudre par l’application d’orientations tirées du mouvement écologiste, comme la création de ZAD (Zones A Défendre) dans ces quartiers contre la «gentrification» ou l’utilisation des moyens législatifs pour redonner le pouvoir à leurs habitants, etc. Cela culmine par la revendication du «droit à la sécession des quartiers populaires» ! Le PEPS voudrait isoler les prolétaires dans leurs quartiers en faisant miroiter un chimérique «pouvoir communal»…

La position correcte est au contraire l’inverse : unir les prolétaires au-delà de leurs quartiers respectifs (ce qu’ont fait spontanément les jeunes révoltés) avec la perspective de la prise du pouvoir à l’échelle de la société tout entière – ce qui ne sera possible qu’à l’issue d’une lutte révolutionnaire contre l’Etat bourgeois.

 

*   *   *

 

A la différence des émeutes de 2005 contre lesquelles s’étaient élevés pratiquement tous les partis, on a vu cette fois des forces politiques prétendre être du côté des jeunes révoltés ou au moins les «comprendre». La France Insoumise (LFI) de Mélenchon a refusé d’appeler au calme, suscitant la condamnation du gouvernement et de la droite et les critiques du PS et du PCF  (mais elle a participé à la mobilisation réactionnaire des maires). Il ne faut pas s’y laisser prendre : la tactique de LFI est de se présenter comme un débouché crédible aux mobilisations contre les autorités en les ramenant dans l’impasse du cadre démocratique institutionnel. Elle est comme les autres l’ennemi des prolétaires, mais c’est un ennemi masqué, donc plus dangereux.

Contre les uns comme contre les autres, les prolétaires, jeunes ou vieux, français «de souche» ou d’origine étrangère, devront retrouver la voie de la lutte de classe contre le capitalisme, ils devront reconstituer leur parti révolutionnaire, indispensable pour diriger le combat de tous les opprimés jusqu’à la prise du pouvoir et l’instauration de leur dictature internationale.

La révolte des jeunes prolétaires n’est pas encore le début de la lutte révolutionnaire, mais la reprisé de celle-ci n’aura pas lieu sans des épisodes de ce type, sans des explosions momentanées qui brisent la paix sociale, annonçant le futur grand incendie prolétarien et remettant sur le tapis la nécessité de la violence en riposte à la violence bourgeoise.

 


 

(1) La formule est du journaliste du Figaro après avoir visionné des vidéos de ces arrestations, cf. Le Figaro, 3/7/23. D’autres cas ont été signalés à Angers et Chambéry par la presse.

(2) Sur France-Info  5/7/23

(3) Lutte Ouvrière, 5/7/23

(4) Le Canard Enchaîné, 12/7/23

(5) «Notre pays est en deuil et en colère», 5/7/23

(6)  Révolution Permanente a jugé le texte «progressiste» mais ne l’a pas signé parce qu’il s’adressait au gouvernement.

 

 

Parti Communiste International

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