Présentation de la réédition de «Dialogue avec les morts»

(extraits)

(«le prolétaire»; N° 549; Juin-Juillet-Août 2023)

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Du 14 au 25 février 1956 a eu lieu le XXe congrès du PCUS, le parti qui, depuis 1926, avec la théorie stalinienne du «socialisme dans un seul pays», s’est transformé de parti révolutionnaire en parti contre-révolutionnaire.

En réponse à ce congrès, où tous les textes théorico-politiques qui avaient caractérisé la propagande russe pendant trente ans avaient été révisés et remplacés par de nouveaux textes, falsifiant également le marxisme, notre parti – après avoir «répondu» en 1952 par le Dialogue avec Staline (1) au Manuel d’économie politique qui rassemblait certains écrits de Staline (parus plus tard sous le titre Problèmes économiques du socialisme en URSS, en polémique avec trois importants économistes russes qui avaient posé une série de problèmes sur l’économie de la Russie «socialiste») – a publié précisément ce Dialogue avec les morts

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Dans le Viatique pour les lecteurs qui précède le texte, on expliquait succinctement la nécessité de notre nouvelle «réponse» après que, avec le XXe congrès du PCUS, lorsque la nomenclatura soviétique fit tomber le «père de la patrie» Staline de son piédestal pour ouvrir davantage la Russie au développement du capitalisme national et au marché international, mais avec la prétention de continuer à parler «la langue de Marx et de Lénine». La critique des méthodes répressives que le stalinisme a appliquées à tous ceux qui lui résistaient – des tristement célèbres «purges» des années 1930 au massacre des paysans, notamment en Ukraine, qui ne voulaient pas se plier à la «collectivisation forcée» – ne nous a jamais incité à rejoindre le chœur bourgeois et petit-bourgeois qui condamnait la violence et  la terreur au nom de la démocratie et de la collaboration de classe. Les «pitoyables contorsions du XXe congrès et la comédie de l’abjuration de Staline» ont prétendu être interprétées comme un retour aux classiques de la doctrine marxiste, alors qu’en réalité, elles étaient un pas de plus vers les superstitions classiques de l’idéologie bourgeoise centrées sur le «respect sacré de la personne humaine», du marché et des puissances impérialistes avec lesquelles la Russie de Staline avait forniqué avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

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Le travail de notre parti d’hier, surtout de la part d’Amadeo Bordiga et des camarades qui partageaient avec lui toute la formulation du travail du parti tant sur le plan théorique que sur le plan politico-tactique et organisatif (approche qu’une tendance activiste-velléitaire, présente dans le parti depuis sa fondation en 1943, fut au cœur de la scission de 1952 entre ceux qui suivirent Damen avec Battaglia Comunista et Bordiga avec il Programma Comunista), s’était fixé comme objectif premier la restauration de la doctrine marxiste et, par conséquent, la formation de l’organe révolutionnaire par excellence, le Parti Communiste International. La question russe – c’est-à-dire la question liée à la révolution prolétarienne victorieuse en Russie en octobre 1917, à la fondation de l’Internationale Communiste en 1919 et à ses thèses des IIe, IIIe et IVe congrès, à l’échec de la révolution victorieuse en Europe occidentale et à ses causes, à l’isolement de la Russie soviétique et au processus de dégénérescence qui a autant frappé l’I.C. que le parti bolchévique russe et, par conséquent, tous les partis membres de l’I.C.,  et à l’avancée et à la victoire de la contre-révolution bourgeoise dite stalinienne vis-à-vis prolétariat mondial –, ne pouvaient qu’être au centre du bilan dynamique des évènements historiques qui ont secoué la première moitié du XXe siècle. D’autre part, ce travail de bilan ne pouvait être mené qu’en même temps que la restauration de la doctrine marxiste par le courant marxiste le plus cohérent et le plus intransigeant qui s’était constitué dans les années précédant la première guerre impérialiste mondiale et qui représentait – au-delà de sa réelle consistance numérique – le lien direct possible et nécessaire avec les forces du communisme révolutionnaire qui conduiront le mouvement communiste dans la révolution russe et dans la lutte révolutionnaire en Europe dans les années cruciales de la première guerre impérialiste et de son après-guerre: le courant de la Gauche Communiste d’Italie.

Le courant marxiste russe, qui avait en Lénine son représentant le plus important et au sein du parti bolchévique qu’il dirigeait dans sa meilleure mise en œuvre formelle, n’a pas trouvé en Europe occidentale un parti d’une telle qualité, théoriquement solide et trempé dans des batailles classistes contre le réformisme, le syndicalisme révolutionnaire, l’anarchisme, le social-chauvinisme et le nationalisme, si ce n’est dans le courant de gauche du Parti Socialiste Italien (le seul parti socialiste, avec le parti serbe, à ne pas avoir voté les crédits de guerre), courant qui allait former le Parti communiste d’Italie, section de l’Internationale Communiste, en 1921. 

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Comme le rappelle le texte de 1957, Le marxisme et la Russie (4), la révolution qui avait eu lieu en Russie avait une double tâche: renverser l’empire médiéval et aristocratico-militaire et renverser la bourgeoisie capitaliste qui était arrivée au pouvoir, pour greffer la révolution prolétarienne (réaliser la révolution permanente, chère à Trotsky) dans l’exceptionnel cycle historique révolutionnaire bourgeois. Une telle tâche ne pouvait être assumée que par le prolétariat, seule classe révolutionnaire jusqu’au bout de l’époque moderne, seule classe pouvant entraîner derrière elle, grâce à la direction du parti prolétarien, l’immense paysannerie russe. Mais la conquête du pouvoir politique, prioritaire et nécessaire pour la révolution du prolétariat dans tous les pays, avait face à elle la grave situation économique d’un pays non seulement ravagé par la guerre, mais caractérisé par une économie particulièrement arriérée où coexistaient l’économie primitive, le servage et l’économie capitaliste, et donc le salariat. Seule la victoire de la révolution prolétarienne  dans un pays capitaliste avancé – l’Allemagne  –  aurait pu accélérer le développement des forces productives en Russie et renforcer le pouvoir politique du communisme révolutionnaire au niveau international. Pour Lénine, Trotsky et tous les marxistes révolutionnaires, la révolution d’Octobre en Russie n’était en fait que le premier maillon de la révolution internationale. Dans la vision de Marx-Engels et de Lénine, la victoire révolutionnaire en Allemagne après celle en Russie ouvrirait les portes à la révolution prolétarienne mondiale par vagues successives, d’abord en Europe (Italie, France, Angleterre) puis en Amérique, en Chine, au Japon. Mais, laissée à elle-même, la Russie révolutionnaire a subi les fatales conséquences économiques et politiques de la contre-révolution en marche, cédant – malgré les tentatives de maintenir cette vision vivante, comme Lénine l’affirmait lorsqu’il parlait de vingt ans de bonnes relations avec les paysans, et Trotsky lorsque, face à Staline, il déclarait que la Russie révolutionnaire pouvait résister même pendant cinquante ans – progressivement sur le plan politique et théorique jusqu’à ce que la perspective de la révolution communiste internationale se transforme avec Staline en une théorisation de la construction du socialisme dans un seul pays, aussi arriéré que l’était la Russie.

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Le cycle contre-révolutionnaire, en décrivant inexorablement sa trajectoire, a inévitablement débouché sur la deuxième guerre impérialiste mondiale dans laquelle l’affrontement entre les États les plus forts visait à établir un nouvel ordre mondial différent de celui qui était sorti de la première guerre impérialiste. Et dans cette deuxième guerre impérialiste, la participation active de la Russie stalinienne à l’un des deux blocs impérialistes, a démontré concrètement qu’elle était désormais  –  au grand dam de Trotsky – aux yeux des communistes révolutionnaires et internationalistes survivants de l’holocauste contre-révolutionnaire  –  une puissance irréversiblement contre-révolutionnaire engagée comme toutes les autres puissances impérialistes non seulement dans la lutte pour la conquête de territoires économiques à son profit, mais surtout dans la lutte contre le prolétariat, tant comme classe bourgeoise internationale, que comme classe opérant au niveau national dans chaque pays.

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L’Internationale Communiste, née pour unir les partis communistes du monde en une organisation mondiale unique et compacte visant à diriger le mouvement prolétarien, en particulier dans les pays capitalistes développés, aurait dû être le point culminant du communisme révolutionnaire, non seulement d’un point de vue programmatique, en réunissant sous son égide les partis communistes de tous les pays, mais aussi d’un point de vue politico-tactique. Et en effet, les thèses de son IIe Congrès en 1920, auquel la Gauche Communiste d’Italie avait également apporté une contribution importante, constituaient le plus haut niveau jamais atteint par le mouvement communiste international. Les défaillances tactiques, dues surtout à la faiblesse théorico-programmatique des partis communistes des pays les plus importants après la Russie, l’Allemagne et la France, et justifiés par l’urgence de profiter d’une situation considérée comme encore favorable à la révolution en Europe, commencèrent avec la tactique du front unique politique (en 1921) et, plus tard, avec l’acceptation au sein de l’I.C. de partis sympathisants pour assurer la soi-disant «conquête des masses», avec les mots d’ordre de «gouvernement ouvrier» ou même de «gouvernement ouvrier et paysan» passant comme des synonymes de dictature du prolétariat, etc... Ainsi s’ouvrit dans le puissant bloc théorico-programmatico-tactique établi au IIe Congrès de l’I.C. une brèche qui ne se refermera plus (6). La dégénérescence opportuniste s’empara de l’Internationale Communiste et du parti bolchévique qui en avait objectivement la direction. Il était inévitable d’en arriver à la théorie du «socialisme dans un seul pays» pour justifier le repli de la Russie révolutionnaire dans les limites de la seule révolution bourgeoise et de la contre-révolution mondiale contre le prolétariat international.

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(1) Le Dialogue avec Staline, qui fait partie de la série Sur le fil du temps, fut publié dans les numéros 1 à 4 entre octobre et décembre 1952 dans Il programma comunista. Rassemblé ensuite en un petit volume pour les Edizioni Prometeo en avril 1953, il a été réédité en 1975 par les Edizioni Sociali, Borbiago (VE). Dans une édition plus récente (Reprint «il comunista» n° 15, septembre 2022), nous avons ajouté plusieurs compléments en annexe.

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(4) Paru initialement sous le titre 7 novembre 1917-1957. Quarant’anni di una organica valutazione degli eventi di Russia nel drammatico svolgimento sociale  e storico internazionale dans il programma comunista n° 21, 8-25 novembre 1957. Paru ensuite en français sous le titre Le marxisme et la Russie dans la revue programme communiste n° 68 (1975)

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(6) Voir notamment à ce sujet l’article de A. Bordiga, Il pericolo opportunista e l’Internazionale, publié dans L’Unità le 30/9/1925; également dans A. Bordiga, Scritti 1911-1926, vol. 9, pp. 135-151, Fondazione Amadeo Bordiga, Formia 2021.

 

Juin 2023

 

 

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