A propos de la guerre en Ukraine

L’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire dans la tradition marxiste

(«le prolétaire»; N° 549; Juin-Juillet-Août 2023)

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Au moment où nous écrivons la guerre en Ukraine redouble d’intensité. La fameuse contre-attaque ukrainienne, annoncée sur tous les tons depuis des mois par la propagande occidentale (après qu’elle aît avec autant d’assurance une attaque russe qui n’est jamais venue), s’épuise dans des combats meurtriers. Les pays de l’OTAN, désireux de poursuivre la guerre jusqu’au dernier ukrainien, continuent d’accroître leurs livraisons d’armes. Les dernières en date vont être des «armes à sous munitions» fournies par les Etats-Unis en dépit du traité de l’ONU les interdisant à cause des ravages qu’elles causent aux civils des années après la fin du conflit comme le démontre encore aujourd’hui le Cambodge.  Il est vrai que ni les Etats Unis, ni la Russie ni l’Ukraine, n’ont signé ce traité; quant aux pays de l’OTAN signataires ils laissent faire: nouvelle démonstration que ces traités ne sont que des chiffons de papier. La guerre a des conséquences désastreuses pour les prolétaires, que ce soit au front où ils sont transformés en chair à canon ou à l’arrière ils restent de la chair à exploitation, mais à un degré supérieur, ou dans l’émigration forcée. Elle en a aussi au plan international en aggravant les facteurs de crise que la bourgeoisie fait toujours payer au prolétariat. Comparé à la situation des prolétaires des deux côtés du front des épisodes comme la tragi-comédie de la «rébellion» de la milice Wagner et de sa pseudo marche sur Moscou n’ont pas d’importance: ce n’est pas des dissensions au sein des classes dirigeantes et de leurs hommes de main que peut venir le salut du prolétariat, mais seulement de la reprise de ses traditions de lutte classiste.

 

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Chaque fois que l’histoire lance les Etats impérialistes les uns contre les autres dans des guerres forcément barbares, forcément suceuses de sang, forcément injustes, toute la panoplie politique de l’opportunisme (1) se met en émoi devant le désastre humain qu’elles représentent et se disperse dans toutes les directions politiques allant des appels à la paix ou à la retenue des belligérants, au soutien à la guerre de l’un ou l’autre camp estampillé du sceau de la vertu démocratique qui défend les droits humains ou de la victime innocente contrainte à la guerre. Toutes ces variations politico-musicales sur un même thème, dans la même octave, se relient entre elles et en chœur dans la défense du camp de sa nation, de son Etat, de son capitalisme. Ce faisant, l’opportunisme confirme agir comme représentant de la domination bourgeoise sur les prolétaires, comme représentant de l’exploitation des prolétaires par le capital.

L’attitude politique qui consiste à transformer une guerre impérialiste à laquelle participe sa bourgeoisie pour la défense de ses intérêts – que cette guerre soit directe ou par procuration comme cela est le cas avec l’Ukraine – en une guerre juste, méritant le soutien de la classe ouvrière afin de renforcer les forces du bien démocratique contre celles du mal autocratique, est totalement à bannir de la ligne politique internationaliste du prolétariat. Il en est de même pour l’attitude pacifiste trompeuse, qui masque la nature profonde de la guerre, qui déforme ses causes matérielles réelles, donc qui éloigne la classe ouvrière de ses perspectives et devoirs classistes et internationalistes, pour finalement toujours dans l’histoire, ralier le camp des bellicistes, voter les crédits de guerre et honorer la bravoure son l’armée nationale.

Dans ces situations où les conflits entre puissances capitalistes quittent le terrain de la guerre économique pour glisser sur le terrain de l’affrontement militaire, la bourgeoisie a plus que jamais besoin de l’alignement des prolétaires sur ses intérêts nationaux, notamment pour le pousser à accepter les sacrifices directs et indirects de la guerre et à mettre de côté sa lutte pour la défense de ses conditions de vie propres à sa classe. Aujourd’hui, plus la guerre empire, plus elle entraîne les puissances occidentales dans une escalade et une spirale incontrôlables, et plus s’amplifie cette exigence d’alignement ; elle se renforcera toujours sauf si la classe ouvrière sort de cette ornière de la collaboration de classe, sort donc aussi de l’indifférence feinte ou non et embarrassée face à la guerre, ou de son empathie vis-à-vis de l’engagement guerrier de sa bourgeoisie justifié par les massacres de civils, en renouant avec une lutte classiste et indépendante des intérêts nationaux.

Les prolétaires dudit Occident doivent toujours se rappeler que ce sont leurs frères de classe ukrainiens et russes qui sont les victimes de la guerre impérialiste en cours sur le champ de bataille de l’Ukraine et ceci quelle que soit la perception politique qu’ils peuvent en avoir et quel que soit d’un côté ou de l’autre la comptabilité morbide du nombre de victimes civiles et militaires ou la comparaison voyeuriste entre les atrocités de l’armée russe et les « civilités » de l’armée ukrainienne.

Pas un sous pas un arme pour la guerre, refus d’ordre, insubordination, rébellion et mutinerie des prolétaires mobilisés, fraternisation des combattants des deux camps, propagande pour le défaitisme révolutionnaire, autant de mots d’ordre et d’objectifs de lutte qui résonnent aux oreilles des internationalistes, qui rappellent les grandes luttes insurrectionnelles du prolétariat russe et allemand à la fin de la première guerre mondiale et qui reflètent le grand principe d’internationalisme appliqués à la question de la guerre.

Ce grand principe dont découle toute l’action du prolétariat s’est celui de la transformation de la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire contre la domination bourgeoise, contre la société capitaliste, contre la société de classes, contre l’aveuglement nationaliste et chauvin qui paralyse la classe ouvrière. Il a toujours guidé les communistes. Depuis le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, publié en 1848, qui proclamait que « Les ouvriers n’ont pas de patrie » et « Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », la position des communistes d’alors par rapport à la guerre entre les nations bourgeoises formées et abouties, devenues aujourd’hui impérialistes, entre les patries des unes et des autres bourgeoisies nationales, a toujours été limpide : le prolétariat ne participe pas à ces guerres quelles qu’en soient les causes formelles et apparentes et quels qu’en soient les présumés coupables, ni d’un côté ni de l’autre. Sa position n’est en tout cas pas attentiste de la fin des hostilités dans un repli sur lui-même, elle est offensive contre sa bourgeoisie, son Etat et son armée. Il lui déclare la guerre de classe. D’un côté comme de l’autre des tranchées, les prolétaires doivent souhaiter la défaite de leur propre camp, de leur propre bourgeoisie nationale et ce souhait ne doit pas rester platonique mais doit trouver sa réponse dans la lutte de classe contre la guerre impérialiste, par la révolution prolétarienne et internationale contre cet ordre mondial établi qui transforme les prolétaires de chair pour le capital en chair pour les canons.

Bien sûr cette perspective, dans la situation d’amortissement social général du prolétariat, est un objectif qui apparait lointain, mais dans toute activité immédiate contre la guerre impérialiste, fût-elle de seule propagande, se dévier d’un cheveu de cette ligne provoquerait immanquablement les glissades vers des positions pacifistes de compromis avec la bourgeoisie. L’histoire nous enseigne la nécessaire rigueur sur ces questions. De la même manière qu’on revient au Manifeste pour aborder les grands principes du communisme, il faut revenir à la guerre franco-prussienne de 1870-1871 pour comprendre comment ces principes ont été appliqués dans la question des guerres bourgeoises de cette période et comment ils se sont pratiquement manifestés dans la lutte politique.

L’Allemagne en pleine effervescence révolutionnaire démocratique est le berceau du communisme, ses protagonistes les plus éminents que furent Wilhem Liebknecht et August Bebel, ont été confrontés à cette guerre que « leur » bourgeoisie pensait si « juste », puisque la France s’opposait à l’unification de l’Allemagne et la Prusse, et ils durent défendre comme députés au Reichstag les principes de l’internationalisme communiste contre la guerre de Bismarck. A ce moment-là, tous les deux appartiennent au SDAP (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, parti ouvrier social démocrate), qu’ils avaient eux-mêmes fondé en 1869 au Congrès d’Eisenach, qui était membre de l’AIT (l’Association Internationale des Travailleurs, dite Première Internationale) et en défendait programmatiquement le principe fondamental de l’internationalisme. En juillet 1870, en accord avec leurs principes, ils s’abstiendront de voter les crédits de guerre au Reichstag et en novembre ils s’élèveront contre une nouvelle demande de crédits des hobereaux de la guerre et s’opposeront à l’annexion de l’Alsace et la Lorraine. Pour ce crime politique, ils seront tous les deux arrêtés en décembre et condamnés à deux ans de forteresse pour haute trahison. Au nom de l’unité de la classe ouvrière de tous les pays et sans jamais rentrer dans le jeu des argumentaires bourgeois allemand ou français sur la justesse de la guerre, ils ont magistralement défendu ce principe gravé dans le marbre de l’histoire ouvrière : l’internationalisme.

Mais leur juste rigueur programmatique ne résista malheureusement pas aux poussées du socialisme collaborationniste en Allemagne.

Dans cette période historique, le prolétariat allemand s’attelait aux tâches d’organisation politique de sa classe en parti. Il existait deux partis se réclamant du socialisme : l’ADAV (Association générale des travailleurs allemands) sous l’influence du très réformiste, opportuniste et aristocratique Lassalle ainsi que le parti de Liebknecht, Bebel et Bracke cité plus haut, le SDAP.

Leur fusion au Congrès de Gotha en 1875, qui avait le parfait accord de Marx,  se fit sur la base d’un programme largement inspiré du lassallisme qui s’attira les foudres de Marx et d’Engels (voir Critique du programme de Gotha de Marx). Foudres qui allèrent aussi frapper Liebknecht et Bebel, coupables de s’être laissé imposer un programme qui, en faisant la part belle aux hérésies de Lassalle, n’avait plus rien de révolutionnaire et d’internationaliste et se transformait en salmigondis de principes bourgeois chimériques sur la nation, réduisant l’internationalisme à une vague « fraternité internationale des peuples » qui n’imposait aucun devoir aux communistes et à la classe ouvrière.

La critique de Marx et d’Engels appuyait donc tout son poids sur la question de l’internationalisme ouvrier. Engels, dans une lettre adressée à Bebel en 1875 (2), souligne que le devoir du parti était de «(…) faire de l’agitation contre la menace ou le déchainement effectif de guerre ourdies par les cabinets, et se comporter comme on l’a fait de manière exemplaire en 1870 et 1871 (référence au refus des crédits de guerre, Ndr.) (…) ».

Les deux phares du socialisme allemand avaient donc éteint leur lanterne et perdu leur chemin si clair auparavant!

Dans cette même lettre, après avoir posé comme première condition d’unification des deux partis le rejet du principe lassalliste de l’«aide de l’Etat» pour faciliter la formation d’associations ouvrières, bases de la société lassalienne du socialisme petit-bourgeois, Engels passe à la deuxième condition : « Deuxièmement, le principe de l’internationalisme du mouvement ouvrier est pratiquement repoussé dans son entier pour le présent, et ce, par des gens qui, cinq ans durant et dans les conditions les plus difficiles, ont proclamé ce principe de la manière la plus glorieuse. Si des ouvriers allemands sont à la tête du mouvement européen, ils le doivent essentiellement à leur attitude authentiquement internationaliste au cours de la guerre. Aucun autre prolétariat n’aurait pu ainsi bien se comporter. Or aujourd’hui que partout à l’étranger les ouvriers revendiquent ce principe avec la même énergie que celle qu’emploient les divers gouvernements à réprimer toute tentative de s’organiser, c’est à ce moment qu’ils devraient le renier en Allemagne ! Que reste-t-il dans tout ce projet de l’internationalisme du mouvement ouvrier ? Pas même une pâle perspective de coopération future des ouvriers d’Europe en vue de leur libération ; tout au plus une future « fraternité internationale des peuples » - les « Etats-Unis d’Europe » des bourgeois de la ’’Ligue de la paix’’. » (3).

Pour Engels, la force et l’influence politique du communisme comme doctrine et programme dans la classe ouvrière se forgent sur les questions aussi basiques et vitales que peuvent être l’internationalisme et la position contre la guerre, toutes deux inflexiblement liées. Reculer sur ces questions, comme on put le faire Liebknecht et Bebel quelques années après leur magnifique combat contre la guerre prussienne en France, c’est abandonner le terrain de classe, abandonner toute perspective révolutionnaire, abandonner les fondements du communisme et s’en remettre finalement à l’idéologie du pacifisme bourgeois vulgaire.

Cette leçon, que reprendra Lénine dans sa lutte pour le défaitisme révolutionnaire et contre le pacifisme, le nationalisme et le chauvinisme qui divisaient les rangs ouvriers, est plus que jamais valable aujourd’hui, mais il reste à la faire revivre dans les rangs du prolétariat.

 


 

(1) Par opportunisme nous désignons dans cet article toutes les écoles du réformisme bourgeois ou assimilées. Pour la France, des sociaux-démocrates de gauche de l’hémicycle, y compris l’«extra-gauche» mélanchoniste, aux rescapés parlementaires refardés du stalinisme, aux organisations thématiques écologistes, mais aussi à tout l’arc de l’ «extrême-gauche» dont les positions souvent très tortueuses cachent tant bien que mal la réalité d’un pacifisme contre-révolutionnaire.

(2) Cf. Lettre de Engels à August Bebel, du 18-28 mars 1875. In La social démocratie allemande, éd. 10/18.

(3) Ibidem

 

 

Parti Communiste International

Il comunista - le prolétaire - el proletario - proletarian - programme communiste - el programa comunista - Communist Program

www.pcint.org

 

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