Russie-Ukraine: Crise de guerre, carnage sans fin

(«le prolétaire»; N° 550; Sept.- Oct.-Nov. 2023)

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En mars 2022, quelques semaines après l’invasion russe et le déclenchement de la guerre en Ukraine, nous écrivions que ni Washington, ni Londres, ni Paris, ni Berlin, ni Rome, ni aucun autre pays de l’Union Européenne n’avait l’intention de «mourir pour l’Ukraine», tandis que la Chine se contentait de regarder (1). Comme le prédisait déjà l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la guerre entre la Russie et l’Ukraine était tout sauf une lointaine probabilité; et certainement que les chancelleries de Washington et de Londres, principaux partisans de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en avaient préparé le terrain depuis longtemps, et qu’elles ont ensuite mis en place les mesures pour affronter une telle situation et pour transformer l’Ukraine en un avant-poste stratégique de l’OTAN, utile pour barrer le passage à Moscou vers la Méditerranée. La tendance de Kiev à courir dans les bras de l’OTAN et de l’Union européenne, dans une tentative de se libérer de sa dépendance historique de la Russie, aurait pu servir à accrocher Kiev de manière stable aux intérêts impérialistes occidentaux. Mais seule, l’Ukraine n’aurait jamais pu sortir de l’emprise russe; une partie de sa population et de son territoire «national» était encore trop russe - langue, culture, traditions - pour que l’Ukraine puisse se prouver à elle-même et au monde qu’elle était une nation compacte et unie, capable de se soulever comme «un seul homme contre l’envahisseur».

 

REGARD SUR LE PASSE

 

Sur le terrain, il n’y avait pas seulement la présence encombrante et oppressante du monstre impérialiste russe; il y avait aussi l’histoire d’un développement historique pluriséculaires d’une population qui a donné naissance à la Russie elle-même, bien que différenciée, mais avec des imbrications denses de nature ethnique, religieuse, linguistique, culturelle, politique et sociale. Des imbrications qui, à leur tour, se sont mêlées au fil des siècles, à travers les guerres, invasions, divisions et annexions, avec les Suédois, Polonais, Finno-ougriens, Turcs, Cosaques, Mongols et Slaves.

Dans ces vastes régions où le développement humain s’est fait au gré des guerres et des conquêtes par des vainqueurs temporaires, retrouver la souche originelle à partir de laquelle s’est développé le peuple «ukrainien» est un rébus inextricable, comme d’ailleurs dans de nombreuses régions du monde. Il faut remonter à l’Empire russe, vers la fin du XVIIIe siècle, pour identifier un territoire appelé Ukraine, partagé entre la Pologne, la Russie et l’Autriche, puis à la première guerre mondiale et à la révolution bolchevique, lorsque ce territoire est divisé en trois républiques: la partie «occidentale» (Lviv) de l’ex-Empire des Habsbourg, comme République Nationale Ukrainienne de l’Ouest; la partie centrale (Kiev), sous l’influence directe de l’empire germanique, puis devenue centre de l’Armée Blanche, comme République populaire d’Ukraine; et la partie orientale et méridionale (Kharkov), devenue la République Socialiste Soviétique d’Ukraine. Une fois la guerre terminée, la Galicie et la Volynie passeront à la Pologne, le reste à l’URSS, et les régions de l’Empire des Habsbourg seront divisées entre la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Roumanie, régions qui, après la seconde guerre impérialiste mondiale, finiront dans les griffes de l’URSS de Staline. Il faut dire que pour le peuple ukrainien, harcelé et opprimé par le tsarisme, de même pour les Polonais, les Austro-Hongrois et les Allemands, seule la dictature prolétarienne dirigée par Lénine a garanti et mis en œuvre l’autodétermination, mais dans le cadre de la lutte sans répit contre l’oppression nationale et, en même temps, contre les pouvoirs autocratiques et bourgeois, sur la ligne de la lutte révolutionnaire communiste internationale. Autodétermination des peuples et lutte révolutionnaire communiste internationale qui seront ensuite complètement enterrées par Staline.

Déjà sous l’Empire tsariste, l’Ukraine était devenue le grenier à blé de l’Europe et Odessa le port céréalier et la ville ukrainienne la plus importante. Sous Staline, la volonté de faire de l’URSS une puissance industrielle - qui a coïncidé avec la collectivisation forcée des terres entraînant des millions de morts de faim en Ukraine (le Holodomor) - a transformé l’Ukraine, grâce aux ressources minérales du Donbass, en un pays capitaliste moderne. Mais le développement capitaliste, en Russie comme en Ukraine, nécessitait non seulement un prolétariat soumis à la dure loi du salariat et de l’exploitation d’autant plus féroce que les bases de départ sont économiquement arriérées, mais aussi un pouvoir à la hauteur de la tâche historique.

Notamment par le biais de la NEP, la dictature prolétarienne dirigée par Lénine en a jeté les bases, en attente d’une révolution prolétarienne et communiste en Europe qui, malheureusement, n’a pas eu lieu, mais qui, grâce aux économies européennes avancées, aurait pu soutenir le développement économique de la Russie sous le signe de la seule lutte qui puisse s’appeler la lutte pour le socialisme, c’est-à-dire la lutte anticapitaliste. Par son pouvoir Staline était contre-révolutionnaire non pas au sens anti-bourgeois comme l’étaient les Empires européens d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et de Russie, mais au sens prolétarien et communiste. Il était donc un grand représentant de la révolution bourgeoise - historiquement nécessaire et à l’ordre du jour en Russie comme dans de nombreuses autres parties du monde - et, par conséquent, d’un pouvoir bourgeois qui avait devant lui, étant donné que le tsarisme avait déjà été renversé par la révolution prolétarienne de 1917, la tâche de faire plier les prolétaires et les paysans aux exigences du capitalisme national et de sa course pour réduire l’écart, également en termes de pouvoir impérialiste, avec les autres grandes puissances mondiales, en Europe, aux Amériques et en Asie.

La bourgeoisie russe avait été vaincue, soumise au pouvoir dictatorial du prolétariat et dépouillée de tout pouvoir, tant politique qu’économique; terrifiée par la révolution, elle se réfugia en grande partie dans les pays d’Europe occidentale, surtout en France. Mais ce n’est pas l’individu bourgeois qui invente le mode de production capitaliste; c’est le mode de production capitaliste tel qu’il se développe qui produit des marchandises et du capital et qui engendre ceux qui s’approprient à titre privé les marchandises et le capital, c’est-à-dire précisément les capitalistes. Ainsi en Russie, à l’époque de Staline, bien que les grands capitalistes ne puissent pas être identifiés comme en Amérique, en Angleterre, en France et en Allemagne parce que les grandes industries étaient étatisées, c’était le même mode de production capitaliste, nécessaire au développement économique de la Russie arriérée, mais qui n’était plus contrôlé avec rigidité par le pouvoir dictatorial prolétarien et communiste, qui a régénéré la bourgeoisie en tant que classe sociale. Une classe sociale composée: 1) des représentants du pouvoir politique désormais voués au développement du capitalisme sous les oripeaux du «socialisme» et à la lutte contre le prolétariat révolutionnaire et contre tous les obstacles qui empêchaient l’industrialisation du pays et son cours violent; 2) des petits propriétaires et producteurs agraires et urbains, des commerçants et des usuriers. Une classe qui a fait son grand retour dans les années 1930 et se présenta, tant dans la Fédération de Russie que dans toutes les républiques fédérées, et donc aussi en Ukraine, avec toute son agressivité et sa cruauté, dans le but de soumettre les masses prolétariennes et la vaste paysannerie aux exigences urgentes du développement accéléré du capitalisme en URSS. Mais, comme toute classe bourgeoise en Europe et dans le monde, la bourgeoisie russe ne dément pas l’affirmation du Manifeste de Marx-Engels: elle est toujours en lutte, d’abord contre l’aristocratie, plus tard contre les parties de cette même bourgeoisie dont les intérêts entrent en conflit avec le progrès de l’industrie, et toujours contre la bourgeoisie de tous les pays étrangers. Plus l’industrie se développe, plus le commerce et la bourgeoisie d’un pays se développent, et plus cette bourgeoisie se heurte aux bourgeoisies des autres pays dans une lutte de concurrence qui, le temps passant, devient de plus en plus impitoyable, internationale et impérialiste.

Avec la deuxième guerre impérialiste mondiale, la Russie - qui se présente encore au monde comme URSS, mais avec la caractéristique chère au tsarisme, d’opprimer les peuples que les développements historiques lui ont permis de soumettre, avec un pouvoir aussi ouvertement dictatorial que l’ont été le fascisme et, plus encore, le nazisme - revient sur la scène internationale en tant qu’impérialisme protagoniste de cette guerre mondiale, prêt à partager le monde avec les autres «vainqueurs». Un impérialisme qui, pendant cinquante ans, depuis le début de la guerre en 1939, a partagé le destin de l’Europe et du monde avec l’impérialisme américain le plus puissant. En Europe, après la défaite des impérialismes concurrents allemand et japonais, et le partage des zones d’influence et de domination militaire convenu avec Washington, Londres et Paris, la lutte entre les bourgeoisies impérialistes s’est poursuivie sur tous les autres continents.

Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que la dynamique économique du capitalisme et la concurrence mondiale fassent sauter les équilibres en Europe, frappant d’abord le capitalisme le plus «faible», déjà fortement ébranlé par la crise de 1975 puis celle de 1987, à savoir celui de la Russie, qui, malgré son développement accéléré - elle a atteint en soixante ans un niveau industriel et impérialiste important - a dû céder une très grande partie de ses zones d’influence en Europe à ses concurrents européens et américains (2) et, sur le continent asiatique, a dû accepter le passage à l’indépendance des anciennes républiques soviétiques qui faisaient partie de l’ancienne URSS. Tout cela se déroule dans une phase historique où, à l’Est, une autre «superpuissance», la Chine (3), se développe et s’impose avec toujours plus de force sur le marché mondial, tandis qu’à l’horizon, un autre grand pays progresse, l’Inde, quoique plus lentement que la Chine.

 

LA RUSSIE ASSIÉGÉE PAR DES IMPÉRIALISMES CONCURRENTS

 

Mais c’est la Russie européenne qui a toujours été la partie dominante sur son vaste territoire eurasiatique. Et historiquement, c’est en Europe que se joue le destin de la Russie. Après l’effondrement de l’URSS et la perte des pays satellites d’Europe de l’Est, il ne suffisait pas à Moscou d’entretenir de bonnes relations avec les anciennes républiques soviétiques d’Asie. Le sort du marché mondial, et donc de chaque pays impérialiste, ne dépendait certainement plus uniquement des pays capitalistes d’Europe, comme c’était le cas au 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle. Les États-Unis et le Japon d’abord, la Chine ensuite, sont devenus les protagonistes à la fois de la puissante expansion capitaliste et des crises auxquelles le capitalisme mondial est inévitablement confronté dans des cycles de plus en plus rapprochés. Des crises commerciales et industrielles auxquelles, dans la phase impérialiste du développement du capitalisme, se sont ajoutées des crises financières. Des crises auxquelles plus personne n’a pu échapper, pas même la Russie qui, dans les premières décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, a pu se protéger de leurs chocs les plus violents grâce au prétendu «rideau de fer», à l’intérieur duquel elle a pu sucer le sang prolétarien et la plus-value, non seulement de son propre prolétariat national, mais aussi de celui des pays satellites, sur lesquels elle s’est en outre déchargée des effets des crises internationales qui ont de toute façon affecté l’économie russe, en particulier dans l’exportation de matières premières (telles que le pétrole).

Dans la phase impérialiste du capitalisme, le capitalisme russe doit suivre la règle de toutes les autres puissances impérialistes, celle de l’oppression et de la domination des pays plus faibles, malgré la réduction considérable de sa zone d’influence après l’effondrement de l’URSS. Il reste un puissant producteur de pétrole, de gaz naturel, de céréales et d’armes, et demeure la seule puissance nucléaire et militaire qui rivalise, à ce niveau, avec les États-Unis d’Amérique. Un impérialisme qui ne peut permettre à ses concurrents - en l’occurrence principalement les États-Unis et les pays de l’OTAN - de l’emprisonner dans les frontières de l’État redessinées en 1992. Si, dans une certaine mesure, il peut encore compter sur un intérêt anti-américain partagé avec la Chine - dont la préoccupation la plus pressante s’est concentrée sur le Pacifique -, il n’est cependant pas disposé à se laisser menacer à sa porte. Seule une force militaire beaucoup plus puissante et beaucoup plus agressive que la sienne, combinant les attaques de l’Ouest et de l’Est, pourrait faire plier la Russie devant les intérêts de Washington et occidentaux. C’est déjà arrivé dans le passé, à l’Allemagne, puissance impérialiste de premier ordre capable, en quelques années de guerre, de soumettre l’Europe continentale, mais qui, attaquée militairement à l’Ouest et à l’Est, a dû céder aux impérialistes concurrents finalement vainqueurs.

 

L’UKRAINE DISPUTÉE ENTRE L’OTAN ET LA RUSSIE

 

L’«opération militaire spéciale», comme Poutine a appelé l’invasion de l’Ukraine, n’était pas seulement une réponse directe à la tentative des États-Unis et de l’OTAN d’inclure l’Ukraine dans leurs rangs, après avoir fait main basse sur les pays d’Europe de l’Est, autrefois satellites de Moscou et, depuis des années, satellites de Washington. Il s’agissait également, au moins temporairement, d’un mouvement pour contrer la volonté anglo-américain de priver constamment la Russie de ses ramifications politiques et de ses débouchés économiques et financiers en Europe, dans le but simultané de plier encore davantage l’Europe (c’est-à-dire l’Allemagne, surtout, mais aussi la France) aux intérêts atlantistes américains (pour lesquels Londres joue le rôle de facilitateur stratégique). Ces trente dernières années, l’Ukraine est devenue en quelque sorte la Pologne du XXIe siècle, le pays dans lequel se concentrent les contrastes les plus graves émergeant de la lutte inter-impérialiste en Europe.

Comme pour la Pologne au XXe siècle, le sort que les impérialismes les plus forts ont réservé à l’Ukraine est celui d’un pot de terre parmi les pots de fer; un pays que l’histoire a placé dans une position telle que chacun de ses concurrents-adversaires, surtout s’il s’agit d’un voisin, s’il ne peut pas tout avoir pour lui, en veut au moins un morceau. Déjà en 1922, avec la «paix de Riga», la Pologne avait pris possession de la Galicie et de la Volhynie ukrainiennes, tandis que le reste sera attribué à «l’Ukraine» et fera partie de l’URSS. Mais la population ukrainienne était également présente dans les territoires dominés par l’Empire des Habsbourg, qui a perdu la guerre, et a vu ces territoires répartis entre la Pologne (Lviv et autres provinces voisines), la Tchécoslovaquie (Transcarpatie) et la Roumanie (province de Tchernivtsi), pour finalement à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous revenir à l’Ukraine, et donc à l’URSS.

En 1954, à l’occasion de l’anniversaire du «traité de Pereïaslav» (conclu entre les Cosaques et le tsar Alexis Ier à la fin de la guerre russo-polonaise, 1664-1667), Khrouchtchev fit un geste de paix en transférant la Crimée (peuplée majoritairement de Cosaques) à l’Ukraine, qui faisait néanmoins partie de l’URSS. Pour les Ukrainiens pro-russes, ce traité signifiait l’union des peuples slaves, des Russes, des Ukrainiens et des Biélorusses, mais pour les nationalistes, il signifiait le début de la domination russe sur l’Ukraine dont il fallait se débarrasser.

La propagande de Poutine et de Zelensky est basée sur ces deux aspects du problème: d’une part, une union des peuples qui, sous le capitalisme, signifie simplement les soumettre aux lois du profit capitaliste sous le fouet de Moscou; d’autre part, une indépendance vis-à-vis de la domination de Moscou pour unifier la population dans les frontières convenues autrefois entre les deux bourgeoisies et revendiquées aujour-d’hui comme intouchables et seulement disponible à la bourgeoisie nationale dirigeante à Kiev. Comme toujours, la question de la «souveraineté nationale» n’est que le résultat d’un rapport de force.

Aussi longtemps qu’elle l’a pu, cette bourgeoisie ukrainienne, dont Zelensky se tient à la tête, a tenté de contrôler les zones russophones - la Crimée et les provinces de Lougansk et de Donetsk - par tous les moyens, y compris la répression la plus violente; mais face à l’invasion des troupes de Moscou - d’ailleurs menaçante depuis longtemps et prévue par les Anglo-Américains eux-mêmes - le nationalisme ukrainien ne pouvait que demander l’aide des impérialistes concurrents de Moscou, les Etats-Unis et l’Union européenne à laquelle il tentait depuis longtemps de s’affilier. Washington, Londres, Bruxelles n’attendaient que cela: la guerre russe sur le territoire ukrainien ! Une occasion construite au fil du temps pour porter un coup dur à la Russie. C’est ainsi que l’armée ukrainienne est devenue la seule ligne de front pour défendre les intérêts de l’OTAN, et donc principalement les intérêts américains, contre les intérêts russes. Dès le premier mois de la guerre, face aux bombardements russes massifs sur Kiev, Soumy, Kharkov, Kherson, etc., l’Ukraine a fait preuve d’une grande faiblesse militaire, à tel point de pousser le gouvernement Zelensky à envisager la possibilité d’une négociation avec Moscou qui éviterait une longue guerre avec son lot de milliers de morts et d’immenses destructions. Mais ce sont les Anglo-Américains qui ont retenu Zelensky en lui promettant un énorme soutien, tant militaire qu’économique et financier, ainsi que l’adhésion à l’OTAN et, par l’intermédiaire des Européens, à l’Union européenne; ils ont poussé le gouvernement ukrainien à mettre sa propre population et son armée à la disposition de l’impérialisme euro-américain. A un moment donné, même les médias occidentaux ont commencé à parler d’une «guerre par procuration» de l’Ukraine contre la Russie, au nom des États-Unis et de l’Union européenne. Dans cette guerre de plus de 500 jours maintenant, où le nationalisme grand russe s’est heurté au nationalisme ukrainien, les morts et les blessés se sont élevés à plus de 500 000. Dans quel but ?

La plaisanterie euro-américaine selon laquelle la Russie voulait englober l’Ukraine pour pouvoir ensuite s’emparer de morceaux de l’Europe ne tenait pas debout à l’époque et tient encore moins aujourd’hui. L’enjeu pour la Russie était, et est toujours, l’annexion de la Crimée et des provinces de Lougansk et Donetsk dans le Donbass, afin de s’assurer un contrôle plus large de la mer Noire; des territoires certainement d’une grande valeur économique que l’Ukraine ne veut pas perdre, trompée par les États-Unis et l’Union européenne qui pensent qu’elle pourra les regagner grâce à une contre-offensive importante et rapide soutenue par l’armement de l’OTAN. Mais comme tous les nationalismes, surtout quand il y a des centaines de milliers de morts et de blessés sur la balance, le nationalisme ukrainien à la Zelensky exige que les promesses de ses bailleurs de fonds soient tenues. Les vicissitudes des chars Leopard allemands (dont quelques dizaines seulement ont été livrés, et très tardivement), des missiles à longue portée pour pouvoir frapper des cibles en territoire russe (jamais accordés), et des F-16, qui peuvent transporter des armes nucléaires (promis non par les Américains, mais par les Néerlandais et les Danois, et en tout cas pas livrés avant un an), montrent comment, dans cette guerre, les intérêts de tous les pays du front euro-américain jouent en réalité contre les intérêts de l’Ukraine bourgeoise. Bien que dépendants des décisions de l’OTAN, et donc des Américains, les pays européens eux-mêmes se mobilisent, à la fois pour tester leur propre préparation et celle de l’ennemi potentiel (en l’occurrence la Russie) à une guerre mondiale, et pour se préparer aux affaires (on parle d’un «gâteau» de 400 milliards de dollars) en vue de la reconstruction d’un pays à moitié détruit.

Les chancelleries de Washington, Londres, Paris, Berlin, Varsovie et Rome ont parlé d’une guerre longue, déterminée aussi bien par le désir de Moscou d’obtenir un résultat «positif» de son intervention militaire, que par la résistance obstinée de l’Ukraine à ne pas baisser les bras (non sans avoir militarisé tout le pays selon les lois de la guerre les plus dures), et que par la pression des impérialistes euro-américains sur l’économie russe à travers des vagues continues de sanctions et d’activités diplomatiques visant à isoler Moscou du reste du monde.

Comme l’ont souligné les médias occidentaux eux-mêmes, les sanctions contre Moscou nuisent finalement davantage aux économies européennes qu’à l’économie russe (selon le Financial Times du 6 août, elles ont coûté aux pays européens plus de 100 milliards d’euros). L’économie russe, qui aurait dû s’effondrer en quelques mois, connaîtra au contraire une croissance de 1,5 % cette année (données du FMI), supérieure à celle de l’Allemagne et, bien sûr, de l’Italie, tandis que les États-Unis accumulent une dette publique colossale qui fait prédire aux agences de notation une récession pour l’année prochaine (4).

Sur le plan militaire, les arsenaux des pays de l’UE se sont pratiquement vidés, compte tenu des livraisons continues d’armes à l’Ukraine en un peu plus d’un an, à tel point qu’ils ont dû allouer des milliards à leurs budgets nationaux pour reconstituer leurs équipements militaires.

La guerre en Ukraine, d’abord considérée par les chancelleries euro-américaines comme une opportunité de frapper sérieusement la Russie, en affaiblissant ses visées impérialistes sur l’Europe, se révèle être un cul-de-sac pour lequel la solution la plus évidente, même si elle n’est pas à portée de main, serait une division du territoire ukrainien - à la «coréenne» (5) - à laquelle non seulement l’administration Biden, mais aussi le directoire de Xi Jinping semblent être favorables, afin de mettre fin à une guerre qui s’avère être la cause d’une nouvelle crise économique imprévue.

Il est désormais bien établi que la contre-offensive ukrainienne, censée reconquérir la Crimée et le Donbass, a lamentablement échoué. Aujourd’hui, Zelensky lui-même, soucieux de ne pas finir sa carrière en passant de «héros» loué par toutes les chancelleries à «stratège de la défaite», accusé par les Américains de ne pas avoir envoyé ses propres soldats se faire massacrer dans les champs de mines russes pour la gloire de la «souveraineté nationale» et de la «démocratie» (américaine, bien sûr !), n’a plus le courage d’envoyer à la boucherie des soldats qui ne croient plus aux illusoires reconquêtes, comme il l’a fait jusqu’à présent sans y réfléchir à deux fois... La découverte de milliers d’appelés payant des recruteurs pour ne pas être envoyés au front a été un signe qu’on ne pouvait pas cacher.

D’autre part, cela s’était déjà produit au cours des mois précédents, y compris du côté russe, ce qui prouve que personne ne va volontairement à la guerre, sauf ceux qui sont imbibés de nationalisme jusqu’à la moelle ou qui le font par métier, donc pour l’argent, comme mercenaires.

Les mercenaires, en revanche, organisés en groupes bien entraînés pour éliminer l’«ennemi» par tous les moyens, constituent depuis des années ces forces spéciales que toutes les armées du monde utilisent dans des situations où des actions à haut risque sont nécessaires.

Les Russes ont utilisé le groupe Wagner organisé par Prigojine dans de nombreuses situations avant l’Ukraine: au Mali, au Burkina Faso, en République Centrafricaine, au Soudan. Et ils ont utilisé les groupes tchétchènes de Kadyrov non seulement en Tchétchénie, mais aussi en Ukraine. Pour leur part, les Ukrainiens ont utilisé le bataillon Azov, rendu célèbre à la fois pour son caractère nazi et pour avoir résisté pendant des mois dans les aciéries Azovstal à Marioupol avant de se rendre aux Russes, et récemment incorporé dans l’armée ukrainienne à l’instar des forces spéciales telles que les Navy SEALs américains utilisés dans les guerres dites «non conventionnelles». Mais les «contractors», utilisés par les Américains notamment en Irak, en Afghanistan et en Syrie, étaient célèbres depuis des années.

Et tandis que les Russes utilisent le groupe Wagner et les Tchétchènes de Kadyrov, et les Ukrainiens le bataillon Azov, les Anglo-américains et les pays de l’OTAN, bien qu’ils ne soient pas présents en Ukraine avec leurs propres mercenaires et troupes, sont présents avec un autre type de mercenaires: l’ensemble de l’armée ukrainienne, avec Zelensky à son commandement. Et, comme toujours, lorsqu’ils fonctionnent selon les souhaits de ceux qui les paient, les mercenaires sont tenus dans le creux de la main, mais lorsque leurs opérations ne répondent pas aux délais et aux objectifs dictés par ceux qui les paient, leur destin est d’être écartés, voire de payer de leur vie leurs «erreurs» (comme cela semble s’être produit récemment pour Prigojine, dans le ciel entre Moscou et Saint-Pétersbourg).

De toute façon, la guerre en Ukraine n’est pas prête de se terminer, même si - d’après ce que révèlent les médias internationaux - il semble que les Etats-Unis et la Chine s’accordent pour faire pression, chacun sur le belligérant qu’ils soutiennent, afin que les opérations militaires tendent à s’atténuer, laissant place à des négociations de «cessez-le-feu», voire de «paix».

Mais y aura-t-il un jour la paix en Ukraine après cette guerre ?

Les contrastes entre les deux blocs impérialistes à l’origine de la guerre ne disparaîtront pas; ils continueront à couver sous la cendre pour réexploser à d’autres occasions, continuant à générer des affrontements politiques, économiques et militaires qui conduiront tôt ou tard, ensemble avec d’autres zones de crise dans le monde, à la troisième guerre impérialiste mondiale.

Cette guerre mondiale peut-elle être évitée par les diplomaties des grands pôles impérialistes mondiaux ? La première n’a pas été évitée, la deuxième n’a pas été évitée, la troisième guerre mondiale ne sera pas évitée non plus, parce que leur déflagration n’a jamais dépendu et ne dépend pas de la bonne ou de la mauvaise volonté des gouvernants, mais des contradictions toujours plus grandes que le mode de production capitaliste engendre en quantités toujours croissantes. Les facteurs matériels, combinés aux facteurs politiques et à la politique impérialiste, sont générateurs de contrastes et d’antagonismes sociaux sur les plans économique, politique et militaire, et constituent la base des affrontements entre factions bourgeoises, entre États et entre classes. Dans tous les pays, la classe dirigeante bourgeoise a plus que démontré dans son histoire nauséabonde qu’elle n’est plus qu’une classe vampire: elle se nourrit de toutes les énergies sociales, productives et intellectuelles, pour survivre à elle-même, pour continuer à se nourrir du sang et de la sueur des prolétaires du monde entier et des populations les plus faibles qui ont eu le malheur de s’installer dans des régions où l’arrivée de la civilisation capitaliste a été destructrice et désastreuse.

Mais le capitalisme n’a pas seulement répandu l’oppression, la destruction, les pandémies, les guerres, il a en même temps engendré la classe des travailleurs salariés, des prolétaires, des esclaves salariés modernes, classe qui tient objectivement et historiquement l’avenir de l’humanité entre ses mains. Mais à condition qu’elle se reconnaisse comme une classe révolutionnaire, anticapitaliste et antibourgeoise, capable d’utiliser les méthodes de production les plus modernes et les moins nocives pour l’homme et l’environnement naturel afin de répondre aux besoins de vie et de développement de l’humanité et non du marché, du capital et donc de la classe encore dominante aujourd’hui.

L’avenir révolutionnaire du prolétariat n’est pas un cadeau qui tombe du ciel, il ne se forme pas à la naissance de chaque individu que les conditions sociales jettent dans la classe des exploités et des opprimés, et il n’est pas déterminé par la propagande des visionnaires ou des utopistes. L’avenir révolutionnaire du prolétariat - et donc de tout le genre humain - dépend de la lutte des classes, de la lutte qui conduit et conduira une fois de plus le prolétariat international à suivre les traces de la révolution d’Octobre 1917, en unissant les prolétaires les plus conscients du monde entier sous la direction d’un parti de classe, communiste et révolutionnaire.

La guerre russo-ukrainienne, comme toutes les guerres bourgeoises précédentes, montre pour la énième fois que les bourgeoisies, plus ou moins fortes qu’elles soient, n’ont qu’un seul grand objectif: défendre leur domination sociale, car c’est à cette seule condition qu’elles peuvent continuer à exploiter l’immense majorité de la population mondiale.

La révolution prolétarienne ne se contente pas d’enlever le pouvoir politique à la bourgeoisie, elle ne se contente pas de transformer l’économie capitaliste en économie communiste - en transformant l’économie de marché en économie humaine - mais elle va au-delà, car son véritable objectif historique est l’élimination de la société divisée en classes. Ce n’est qu’en éliminant les classes de la société que nous parviendrons finalement à une société dans laquelle disparaitront les antagonismes sociaux, toutes les formes d’oppression, toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme; nous parviendrons à la société communiste, à la société de l’espèce humaine.

Comme les communistes révolutionnaires de tous les temps, nous travaillons dans ce sens, même si nous ne sommes aujourd’hui qu’une poignée de militants.

                  


 

(1) Voir «il comunista» n° 172, mars 2022, Alcuni punti sulla situazione storica che ha prodotto anche la guerra russo-ucraina.

 (2) A ce sujet, voir notamment «il comunista» n° 30-31, déc. 1991/mars 1992, Con lo sfascio dell’URSS è incominciata una nuova spartizione del mercato mondiale.

(3) Voir notamment «le prolétaire» n° 295, septembre 1979, La Chine, future puissance capitaliste» (rapport de la Réunion Générale du Parti de juin 1979), paru aussi dans «il programma comunista» n° 14, juillet 1979, La Cina sulla strada di superpotenza capitalista.

(4) Voir «il fatto quotidiano», 23 et 24 août 2023,

(5) Voir à ce sujet «le prolétaire», n° 547, janvier-février 2023 et n° 548, mars-avril-mai 2023, L’Ukraine, Corée du XXIe siècle ?, paru aussi dans «il comunista» n° 176, janv.-fév. 2023, Ucraina, Corea del XXI secolo?

 

 

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