Guerre en Ukraine. La «Tendance Claire» dans le sombre bourbier de la défense nationale et de la realpolitik

(«le prolétaire»; N° 550; Sept.- Oct.-Nov. 2023)

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La «Tendance Claire» (TC) est issue du Groupe CRI (Communiste Révolutionnaire Internationaliste), lui-même né d’une scission du POI lambertiste. Lors de sa naissance le groupe CRI déclara qu’il y avait suffisamment de partis centristes (les groupes trotskystes existants), il fallait passer à la constitution d’un véritable parti révolutionnaire. Mais pour accomplir cette tâche, la rupture organisationnelle avec le trotskysme lambertiste ne suffisait pas; il aurait fallu rompre politiquement, programmatiquement et théoriquement avec le mouvement trotskyste dans son ensemble et revenir au marxisme authentique – ce dont le CRI était incapable.

Il rejoignit donc bien vite l’une des organisations qu’il dénonçait comme centriste, le NPA; il assurait évidemment que c’était pour y constituer une tendance communiste ayant comme objectif de faire du NPA un véritable parti révolutionnaire. Dans la dernière période, tout en restant membre du NPA, la TC a soutenu Mélenchon aux élections présidentielles (comme le POI!), en dénonçant le «sectarisme» de LO et du NPA qui refusaient de faire de même. Avant même cette dernière contorsion, nous avions eu l’occasion de démontrer que ses prétentions à défendre les positions marxistes et révolutionnaires n’étaient que du vent (1). Il apparaît qu’avec la guerre en Ukraine la TC a fait un pas supplémentaire dans le reniement ouvert de ces positions.

Dans le cas d’une guerre entre Etats bourgeois, d’une guerre impérialiste (les choses sont différentes dans une guerre de type colonial), les positions internationalistes communistes ont été définies de façon indélébile par Lénine et les bolcheviks: opposition à l’union sacrée et à la défense nationale, dénonciation du pacifisme bourgeois, défaitisme révolutionnaire, fraternisation des prolétaires des deux côtés du front et transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, etc. L’adhésion à la politique de la «défense nationale», de «défense de la patrie», par les socialistes opportunistes est stigmatisée comme une trahison de l’internationalisme et des principes socialistes. Au début de la guerre, lorsque règne l’ivresse patriotique, de telles positions sont ultra-minoritaires, complètement à contre-courant. Mais, disait Lénine, évoquant l’exemple du révolutionnaire socialiste Karl Liebknecht arrêté pour avoir distribué seul des tracts contre la guerre: mieux vaut être seul avec Liebknecht que très nombreux avec les opportunistes, car demain c’est par millions que les masses seront sue ses positions. La TC, elle n’aurait pas été seule avec Liebknecht: Lénine, elle l’a «oublié» pour se rallier comme les opportunistes férocement combattus par lui, à la défense nationale.

Dès le début de l’invasion russe le ton était donné: «Soutien à la résistance du peuple ukrainien!» (2):

«Nous soutenons inconditionnellement la résistance armée du peuple ukrainien»: comme la plupart des groupes dits d’extrême gauche, la TC faisait ainsi passer effrontément l’armée ukrainienne bourgeoise, entraînée et équipée par l’impérialisme américain, pour «le peuple» en armes! Tout le texte était farci de notions bourgeoises sur «le peuple ukrainien souverain» et le territoire lui «appartenant» (à la différence des prolétaires, ce peuple a une propriété à défendre!). En outre la TC appelait à l’ouverture de négociations de paix pour «mettre fin au calvaire que subit le peuple ukrainien». Comme le Pape et l’ONU?

C’est ça, à ceci près qu’elle trouvait «justes» les sanctions prises par les impérialismes occidentaux «à condition toutefois que ces sanctions ne visent pas le peuple russe lui-même» (sans doute ce qu’on appelle, en langage trotskyste, un «soutien critique», c’est-à-dire avec des restrictions mentales). La TC a développé ses positions dans d’autres articles; le dernier en date a comme titre «Guerre en Ukraine: imposer [sic!] une solution diplomatique» (3). On peut y lire:

«(...) le premier intérêt du peuple [re-sic!] ukrainien, c’est la fin de la guerre. De ce point de vue, deux stratégies se font face»: la continuation de la guerre jusqu’à la victoire ou «la négociation d’un accord de paix acceptable pour les deux parties. (...) L’alternative ici ne repose pas sur une question de principes abstraits, mais de realpolitik [souligné dans le texte]. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’Ukraine, pour ou contre Poutine, mais de décider par quelle voie sortir à moindre frais de la situation meurtrière qui existe aujourd’hui».

La notion de realpolitik a été créée par le chancelier allemand Bismarck au XIXème siècle pour définir sa politique extérieure centrée sur les seuls intérêts immédiats de l’Allemagne. Il est pour le moins étonnant de la voir reprise par une organisation qui se dit communiste et révolutionnaire!

Pour la TC dans la guerre en Ukraine, l’objectif de tous est la paix et il n’y a donc qu’une alternative: «La voie belliciste soutenue à bout de bras par l’impérialisme occidental», mais qui «risque donc bien de mener à une impasse. (...). A continuer la guerre, on n’œuvre pas pour la paix, mais pour la guerre elle-même [Lapalisse n’aurait pas dit mieux!]»; ou les négociations diplomatiques de paix sans attendre. Et elle renvoie à un véritable plan de paix détaillé qu’elle a élaboré (4), discutant «concrétement» de ce qui est selon elle «acceptable» ou non: par exemple la démilitarisation de l’Ukraine n’est pas acceptable parce que «l’Ukraine doit conserver (...) les moyens de se défendre» tandis qu’est acceptable sa «neutralité (...) sous la forme de son inscription dans la Constitution»; l’organisation dans les territoires contesté de référendums d’autodétermination «dans des conditions démocratiques garanties», «après un vrai débat libre» d’une durée par exemple de 3 mois, etc., etc.

Les lecteurs intéressés par ces élucubrations peuvent se reporter au texte en question; pour nous ce qu’il faut souligner c’est que ces propositions de solution diplomatique (on se demande à qui elles s’adressent), comme toute l’analyse de la TC se situent intégralement dans le bourbier de l’idéologie bourgeoise: souveraineté nationale, défense nationale, démocratie, pacifisme – en tant que légitimation du ralliement à la défense de la patrie... On chercherait en vain la moindre mention de classes sociales, la moindre référence à la lutte des classes. A un moment la TC semble bien nourrir un doute sur la notion de peuple omniprésente dans sa prose: «le peuple se présente rarement comme un sujet unifié dans les processus sociaux qu’on observe» (5) dit-elle mélancholiquement; ce n’est pas pour rappeler que selon le marxisme le «peuple» est un ensemble de classes sociales aux intérêts divergents, mais pour avertir que «certains secteurs, notamment dans la droite nationaliste, mais peut-être aussi à gauche, s’opposeront à une paix négociée, et chercheront à continuer la guerre». Mais ajoute-t-elle «Il n’y a là rien d’exceptionnel : en toutes circonstances, les organisations du mouvement ouvrier doivent s’employer à un travail d’analyse concrète des processus sociaux et de leurs contradictions pour soutenir efficacement les luttes d’émancipation des peuples du monde entier». Quant aux luttes d’émancipation du prolétariat, elles sont inconnues pour la TC...

Ce rapide examen nous montre comment en quelques années un groupe qui se présentait comme trotskyste de gauche a sombré dans le marécage bourgeois, par mépris des principes qu’il prétendait défendre. Nous terminerons par quelques phrases claires de Lénine, toujours valables après plus de cent ans, qu’il faudrait graver sur le front de ces faux communistes. Il s’agissait du compte-rendu d’une réunion du parti bolchevik pour fixer les positions sur la guerre en cours. Après avoir dénoncé la «défense de la patrie» et réaffirmé le mot d’ordre de la «transformation de la guerre impérialiste en guerre civile», Lénine aborde la question du «pacifisme et (de) la propagande pour la paix»:

« L’une des formes de mystification de la classe ouvrière est le pacifisme et la propagande abstraite pour la paix. (...)  A l’heure actuelle, une propagande de paix qui n’est pas accompagnée d’un appel à l’action révolutionnaire des masses, ne peut que semer des illusions, corrompre le prolétariat en lui inculquant confiance dans l’esprit humanitaire de la bourgeoisie et en faire un jouet entre les mains de la diplomatie secrète des pays belligérants. Notamment l’idée qu’on pourrait aboutir à une paix dite démocratique sans une série de révolutions est profondément erronée (6)

 


 

(1) cf. «A propos de la réforme territoriale: une Tendance Claire...ment réformiste», Le Prolétaire n° 511.

(2) https://tendanceclaire.org/article. php?id=1759, 5/3/22. Il existe une minorité dans la TC qui soutenait l’envoi d’armes à l’Ukraine, ce que refusait la majorité. Elle semble alignée sur les positions jusqu’au boutistes des morénistes de la LIT-QI qui dénoncent les «pressions» en faveur de négociations de paix...

(3) https://tendanceclaire.org/article. php?id=1889, 17/9/23

(4) cf. «Penser concrètement les conditions de la paix en Ukraine», 28/3/2 https:// tendance claire.org/article. php? id=1780

(5) cf. «Penser concrètement...», cit.

(6) cf. «La conférence des sections à l’étrange du P.OS.D.R.», mars 1915. Oeuvres, Tome 21, p. 161, 162

 

 

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