Dialogue avec les morts

(Extraits)

(«le prolétaire»; N° 550; Sept.- Oct.-Nov. 2023)

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Nous publions ci-dessous quelques extraits de «Dialogue avec les morts», brochure  dont nous venons de publier une nouvelle édition; ils rappellent quelques points fondamentaux sur le rôle de l’individu et  du parti. et de son fonctionnement.

 

 

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MANUEL DES PRINCIPES

 

Le marxisme (ici nos congressistes auraient bien besoin du petit traité historico-philosophique dont il a été question plus haut!) ne considère comme sujets de la décision historique ni la Personne, ni une collectivité de personnes. Il fait dériver les rapports historiques et les causes des événements des rapports des hommes avec les choses, et dans ces rapports, ce sont les résultats communs à tous les individus qu’il met en évidence, négligeant les caractéristiques personnelles et individuelles.

Le marxisme nie qu’une quelconque formulation «constitutionnelle» et «juridique» transcendant le cours concret de l’histoire puisse représenter une solution de la «question sociale». C’est pourquoi il considère comme mal posée la question de savoir si c’est un homme, un collège d’hommes, tout le corpus du parti ou tout le corpus de la classe qui doit décider. Il n’a pas de réponse pour une pareille question et ne marque aucune préférence entre ces formules.

Tout d’abord, personne ne décide si ce n’est le champ des rapports économico-productifs communs aux grands groupes humains. Il s’agit non de piloter, mais de déchiffrer l’histoire, d’en découvrir les courants, et le seul moyen de participer à leur dynamique est d’en avoir à un certain degré la science, chose possible seulement de façon très diverse selon les phases historiques.

Qui donc alors est le plus à même de déchiffrer l’histoire, d’en faire la science, d’en expliquer les nécessités? Cela dépend. Il se peut qu’un individu le fasse mieux que le comité, le parti, la classe. Consulter «tous les travailleurs» n’avance pas plus que de consulter tous les citoyens comme dans cette comptabilité insensée que la démocratie bourgeoise fait des opinions. Le marxisme combat le labourisme, l’ouvriérisme, parce qu’il sait que, dans bien des cas, les résultats d’une pareille consultation seraient en majeure partie contre-révolutionnaires et opportunistes. On ne sait si, aujourd’hui, le vote serait favorable à la peste ou au choléra, c’est-à-dire à Staline ou aux anti-Staline; il est même difficile d’exclure que la dernière solution soit la pire. En ce qui concerne le Parti, la solution du problème de son fonctionnement n’est pas non plus donnée par la formule selon laquelle «la base a toujours raison»; le fait que ceux qui nient les «principes intangibles» l’aient choisie pour dernière pierre angulaire n’y changera rien!

Le parti est une unité historique réelle, non une colonie de microbes-hommes. A la formule du «centralisme démocratique» attribuée à Lénine, la Gauche communiste a toujours proposé de substituer celle de centralisme organique. Quant aux comités, nombreux sont les cas historiques où la direction collégiale a été dans son tort: nous ne développerons pas ici les rapports entre Lénine et le Parti en avril 1917 et Lénine et le Comité central en octobre 1917 (17).

En conclusion: dans certains rapports sociaux et productifs, le meilleur détecteur des influences révolutionnaires peut être la masse, la foule, la consultation de plusieurs personnes, ou un seul homme; le critère discriminant est ailleurs.

 

PETIT SCHEMA ELEMENTAIRE

 

Il est bien connu que nous sommes schématiques: que l’on se réfère à cet égard aux thèses soutenues par la Gauche à l’époque de l’Internationale Communiste dans les congrès communistes italiens et mondiaux. On a assisté, certes, à des révoltes très saines des partis contre les comités, comme par exemple, à cette Conférence illégale du Parti Communiste d’Italie qui fut tenue dans les Alpes en 1924, alors que le courant de centre détenait la direction depuis un an. Non seulement la grande majorité des inscrits, mais également celle de l’appareil central, vota pour l’opposition de gauche. Personne ne s’en étonna ni d’un côté ni de l’autre, mais le comité ne «tomba» pas pour autant. S’il est «tombé», c’est dans un tout autre sens: il a dégénéré. Mais c’est encore lui qui commande, avec ou sans Staline!

La question de l’action et des facteurs qui la guident (?) peut être ramenée à trois principaux moments.

 Premier stade: apparition d’un nouveau mode de production, tel le capitalisme industriel. Révolution politique par laquelle la classe qui, dans ce système, contrôle les moyens de production, accède au pouvoir et fonde son Etat. Apparition de la classe qui, dans cette nouvelle forme de société donne son travail sans participer au contrôle social: le prolétariat.

Pour Marx, le concept de classe ne réside pas dans cette constatation et cette description, mais dans l’apparition historique d’actions communes déterminées par des conditions communes, actions qui, dans un premier temps, ne sont ni voulues, ni décidées par personne. Formation d’une nouvelle théorie-programme de la société qui s’oppose à celles qui font l’apologie de la classe dominante.

C’est seulement à ce moment (avec, naturellement, des complications infinies, des avances et des reculs) que l’on a la «constitution du prolétariat en parti politique»; seulement à ce moment, une classe historique. Donc, les conditions historiques pour qu’agisse une nouvelle classe sont: théorie-organisation politique de classe.

Second stade: Dans ces conditions, la nouvelle classe mène la lutte pour chasser l’autre du pouvoir. Dans le cas que nous examinons: constitution du prolétariat en classe dominante. Destruction de l’ancien Etat. Nouvel Etat. Dictature de classe, dont le sujet est le parti. Terreur. La révolution bourgeoise elle-même a connu ces phases, comme toutes les révolutions.

Troisième stade. Il est transitoire à l’échelle historique, mais long et complexe. Sous la dictature du prolétariat, les rapports de production défendus par la vieille classe et qui barraient le chemin à de nouvelles forces productives sont anéantis les uns après les autres. L’influence des idéologies, et des coutumes de toutes natures auxquelles la classe ouvrière était soumise sont graduellement extirpées. Après la révolution du prolétariat moderne, les classes disparaissent, mais avant de le faire, elles continuent à lutter, dans un rapport inversé. Avec elles, l’appareil de coercition de l’Etat disparaît.

Tout ceci peut sembler une répétition bien inutile. Si nous nous sommes attardés à remettre en place ces éléments de la doctrine, c’est pour qu’on nous pose la vieille question: où prendrons-nous la conscience, la volonté, la «direction» de l’action? Et, si vous voulez, l’autorité? Nous n’avons laissé aucune pièce hors de l’échiquier.

Citant Lénine, nos congressistes ne se sont pas avisés d’un magnifique passage qui conduit à bien autre chose qu’au... Comité central (vol. II, p. 374-375, Pravda, 28-3-56):

«La classe ouvrière... dans sa lutte dans le monde entier... a besoin d’une autorité... dans la mesure où le jeune ouvrier a besoin de l’expérience de ceux qui luttent depuis plus longtemps contre l’oppression et l’exploitation... de militants qui ont pris part à de nombreuses grèves et à diverses révolutions, à qui les traditions révolutionnaires ont donné de la sagesse et qui ont donc une ample vision politique. L’autorité de la lutte mondiale du prolétariat est nécessaire aux prolétaires de chaque pays... Le corps collectif des ouvriers de chaque pays qui mènent directement la lutte sera toujours l’autorité suprême sur toutes les questions».

Au centre de ce passage on trouve les concepts de temps et d’espace, portés à leur extension maxima: tradition historique et arène internationale de la lutte. Nous ajouterons à la tradition l’avenir, le programme de la lutte de demain. Comment convoquera-t-on, de tous les continents et de toutes les époques, ce corpus dont parlait Lénine, auquel nous donnons le pouvoir suprême dans le parti? Il est fait de vivants, de morts, d’hommes encore à naître; cette formule, nous ne l’avons pas «créée», puisque la voilà dans Lénine, dans le marxisme.

Qu’a-t-on alors à bavarder de pouvoirs et d’autorité confiées à un chef, un comité directeur, une consultation de groupes contingents, dans des territoires contingents? Toute décision sera bonne à nos yeux si elle est dans la ligne de cette ample vision mondiale; mais celle-ci peut tomber dans un oeil ou dans des millions d’yeux.

C’est Marx et Engels qui érigèrent cette théorie lorsque, dans leur lutte contre les libertaires, ils expliquèrent dans quels sens sont autoritaires les processus de la révolution de classe, dans laquelle l’individu, et ses caprices d’autonomie, disparaît comme une quantité négligeable mais ne se subordonne pas à un chef, un héros ou une hiérarchie d’institutions.

C’est là bien autre chose que l’histoire stupide et mesquine des ordres féroces donnés par Staline et du respect qu’il fallait lui témoigner, facteurs dont seuls des imbéciles peuvent croire qu’ils ont déterminé des dizaines d’années d’histoire.

 

SENS DU DETERMINISME

 

Pour le déterminisme, la conscience et la volonté d’un individu ne comptent pour rien: son action est déterminée par ses besoins et ses intérêts, et peu importe la façon dont il formule l’impulsion dont il croit après coup qu’elle a éveillé sa volonté, dont il s’aperçoit avec retard. Cela vaut aussi bien pour ceux d’en bas que pour ceux d’en haut, pour les pauvres et les riches, les humbles et les puissants. Nous marxistes, nous n’avons donc rien à chercher dans la personne, ni dans les personnes; et dans la «personnalité», pauvre marionnette de l’histoire, encore bien moins, car plus elle est connue, plus nombreux sont les fils par lesquels elle est manoeuvrée. Dans notre jeu grandiose, elle ne représente même pas un pion. Mais dira-t-on, aux échecs, il y a un roi? Oui, mais sa seule fonction est de se faire mettre mat!

Dans la classe, l’uniformité et le parallélisme des situations crée une force, constitue une cause de développement historique. Mais là aussi, l’action précède la volonté, et à plus forte raison la conscience de classe.

La classe devient sujet de conscience (c’est-à-dire de buts programmatiques) quand s’est formé le parti, quand s’est formée la doctrine. C’est dans la collectivité plus restreinte constituée par le parti que l’on commence, en tant qu’il est organe unitaire, à trouver un sujet d’interprétation de l’histoire, de ses possibilités et de ses voies. Non à tout moment, mais seulement dans de rares situations dues à la complète maturation des contrastes de la base productive, le parti est non seulement un sujet de science, mais aussi, nous l’admettons, de volonté dans le sens où il peut choisir entre divers actes, choix influant sur les événements. Pour la première fois apparaît la liberté, qui est liberté du parti, non la dignité des personnes. La classe trouve dans l’histoire un guide, dans la mesure où les facteurs matériels qui la meuvent se cristallisent dans le parti, et où il possède une théorie complète et continue, une organisation elle aussi universelle et continue qui ne se fait ni ne se défait à chaque tournant par des agrégations et des scissions. Ces scissions sont cependant la fièvre, c’est-à-dire la réaction de l’organisme du parti à ses crises pathologiques.

 

OU SONT LES GARANTIES?

 

Où trouverons-nous donc les garanties contre le dévoiement du mouvement et la dégénérescence du parti? Dans un homme? Mais l’homme est peu de chose: il est mortel et les ennemis peuvent l’abattre. Même si l’on pouvait croire un instant qu’il est susceptible d’en représenter une, ce serait une garantie bien fragile, surtout s’il était seul.

Faut-il donc croire sérieusement qu’avec la direction collégiale on a découvert, après la disparition du chef qui pratiquait l’arbitraire personnel, la garantie cherchée? C’est ce dont Moscou se vante, mais tout cela n’est qu’une plaisanterie. En Russie, il ne reste plus rien à sauver, puisque tout a déjà été perdu. Le tournant effectué par rapport à Staline se présente sous des dehors pires encore que la dégénérescence stalinienne, dont il n’a corrigé - ni ne pouvait corriger - aucune des tares.

Nos garanties à nous sont bien connues et fort simples:

1. Théorie. Comme nous l’avons déjà dit, la théorie ne surgit pas à n’importe quel moment de l’histoire - et elle n’attend pas non plus pour le faire la venue du Grand Homme, du Génie. Elle naît à certains tournants du développement de la société humaine; on connaît dans ses généralités la date de cette naissance, pas sa paternité.

Notre théorie devait naître après 1830, sur la base de l’économie anglaise. Même si l’on admet qu’il est vain de se donner pour but la vérité et la science intégrales, et que tout ce que l’on peut faire est de progresser dans la lutte contre la grandeur de l’erreur, elle constitue une garantie, mais à condition qu’on la maintienne fermement sur les lignes directrices qui font d’elle un système complet. Historiquement, elle est placée devant une alternative: ou se réaliser ou disparaître. La théorie du parti est le système des lois qui régissent l’histoire passée et future. La garantie que nous proposons est donc la suivante: interdiction de revoir et même d’enrichir la théorie. Pas de créativité.

2. Organisation. Elle doit être continue au cours de l’histoire, c’est-à-dire à la fois rester fidèle à sa propre théorie et ne pas laisser se rompre le fil des expériences de lutte du prolétariat. Les grandes victoires ne viennent que lorsque cette condition est réalisée dans de vastes espaces du globe et pour de longues périodes. Contre le centre du parti, la garantie consiste à lui dénier tout droit de créer, et à ne lui obéir qu’autant que ses directives rentrent dans les limites précises de la doctrine et de la perspective historique du mouvement, qui a été établie pour de longs cycles et pour le monde entier. Il faut donc réprimer toute tendance à exploiter les situations locales ou nationales «spéciales», des événements imprévus, des contingences particulières. En effet, où il est possible d’établir que dans l’histoire certains phénomènes généraux se reproduisent d’un lieu et d’une époque à l’autre, aussi éloignés qu’ils soient dans l’espace et le temps, ou bien il est inutile de parler d’un parti révolutionnaire luttant pour une forme nouvelle de société. Comme nous l’avons souvent développé, il existe de grandes subdivisions historiques et «géographiques» qui déterminent les cycles fondamentaux de l’action prolétarienne, cycles qui s’étendent à des moitiés de continents et à des cinquantaines d’années et qu’aucune direction de parti n’a le droit de proclamer changés d’une année à l’autre. Nous avons un théorème, qui s’appuie sur mille vérifications expérimentales: annonciateur de «cours nouveau» égale traître.

Contre la base, la garantie est l’action unitaire et centrale, la fameuse «discipline»: on l’obtient quand la direction est bien attachée aux règles théoriques et pratiques dont il vient d’être question et quand les groupes locaux se voient interdire de «créer» pour leur compte des programmes, des perspectives et des mouvements autonomes.

Cette relation dialectique entre la base et le sommet de la pyramide est la clef qui assure à l’organe impersonnel et unique qu’est le parti la faculté exclusive de déchiffrer l’histoire, la possibilité d’y intervenir et la capacité de signaler celle-ci lorsqu’elle apparaît. De Staline au comité de sous-staliniens, rien n’a changé.

3. Tactique. Le mécanisme du parti interdit les «créations» stratégiques. Le plan des opérations est public et notoire, ainsi que les limites précises de celles-ci dans l’histoire et dans l’espace. Un exemple facile: en Europe, depuis 1871, le parti ne soutient plus aucune guerre d’Etat. En Europe, depuis 1919, le parti ne participe pas (ou n’aurait pas dû participer) aux élections. En Asie et en Orient; aujourd’hui encore, le parti appuie dans la lutte les mouvements révolutionnaires démocratiques et nationaux et l’alliance du prolétariat avec d’autres classes, y compris la bourgeoisie locale elle-même. Nous donnons ces exemples pour qu’on ne puisse pas parler de la rigidité d’un schéma qui soi-disant resterait le même en tout temps et en tous lieux, et pour éviter l’accusation courante selon laquelle notre construction doctrinale dériverait de postulats immuables d’ordre éthique, esthétique ou même mystique, alors qu’elle est intégralement matérialiste et historique. La dictature de classe et de parti ne dégénérera pas en des formes diffamées comme «oligarchiques» à condition d’être ouvertement une dictature, de se déclarer publiquement liée à un ample arc historique prévu, et enfin de ne pas conditionner hypocritement son existence à des contrôles majoritaires, mais seulement à l’épreuve de force avec l’ennemi. Le parti marxiste ne rougit pas des conclusions tranchantes de sa doctrine matérialiste et aucune position d’ordre sentimental ou décoratif ne peut l’arrêter.

Le programme doit contenir de façon nette les grandes lignes de la société future comme négation de toute l’ossature de la société présente et déclarer qu’elle constitue le point d’arrivée de toute l’histoire, pour tous les pays. Décrire la société présente n’est qu’une partie des tâches révolutionnaires.

Ce n’est pas notre affaire d’en déplorer l’existence ou de la diffamer, non plus que de construire dans ses flancs la société future. Mais les rapports de production actuels devront être impitoyablement brisés selon un programme clair qui prévoit scientifiquement comment apparaîtront sur leurs ruines les nouvelles formes d’organisation sociale parfaitement connues par la doctrine du parti.

 

 

 ( Voir aussi notre brochure:  « Dialogue avec les Morts ( Le XXe Congrès du Parti Communiste Russe ) », accompagné des textes suivants: « Repli et déclin de la révolution bolchévique - L'opposition mensongère entre les formes sociales de Russie et d'Occident - Le système socialiste à la Fiat?» - 8 €  - pdf  )

 

 

Parti Communiste International

Il comunista - le prolétaire - el proletario - proletarian - programme communiste - el programa comunista - Communist Program

www.pcint.org

 

Parti communiste international

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