Il y a 50 ans le réformisme menait le prolétariat chilien à l’abattoir

(«le prolétaire»; N° 550; Sept.- Oct.-Nov. 2023)

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L’élection au Chili en 1970 d’un président «marxiste» (Salvador Allende) et l’arrivée au gouvernement d’une coalition de gauche autour du parti socialiste et du parti communiste (l’«Unité Populaire») avait revêtu une portée dépassant largement les frontières de ce pays.

 Pour les partis de gauche en Europe et ailleurs l’«expérience chilienne» faisait la démonstration qu’il était possible d’aller au «socialisme» par une voie pacifique et démocratique, grâce à des réformes passées en utilisant les institutions étatiques.

En réalité le «socialisme» que faisaient miroiter l’Unité Populaire et son président tout sauf marxiste n’était rien d’autre qu’un capitalisme légèrement réformé et «amélioré» : il n’était pas question de toucher au mode de production capitaliste et de se fixer l’objectif d’une société radicalement nouvelle, sans exploitation, sans marché ni argent, sans classes sociales ni Etat – le socialisme véritable. Celui-ci ne peut être réalisé qu’au niveau international et seulement après avoir brisé l’Etat bourgeois et la résistance des classes possédantes par l’instauration de la dictature du prolétariat.

L’UP n’envisageait rien de tel son programme était un ensemble de réformes économiques visant à accélérer le développement capitaliste en liquidant les secteurs archaïques (grandes propriétés latifundiaires) en accroissant le rôle économique de l’Etat pour pousser à l’industrialisation, en desserrant l’emprise impérialiste (nationalisations des grandes entreprises minières américaines) tout en accordant des mesures sociales nécessaires pour calmer le mécontentement des prolétaires et des masses pauvres.

Il n’est donc pas surprenant que le principal parti bourgeois, la Démocratie Chrétienne, ait voté l’investiture de Allende (celui-ci n’ayant pas obtenu une majorité suffisante pour être élu directement, l’investiture dépendait d’un vote au parlement où l’UP était minoritaire). Pour plus de sûreté la DC avait posé comme condition (texte du 24/9/1970) que le futur président s’engage entre autres à respecter «les structures organiques et hiérarchiques des Forces Armées et du corps des carabiniers» : «Nous voulons que les Forces Armées et le corps des carabiniers continuent d’être une garantie de notre système démocratique». La suite démontrera une fois de plus que ce système démocratique défendu par l’Armée et la police n’est autre que la domination de la bourgeoisie …

Le gouvernement de l’UP avait des adversaires plus ou moins virulents : à commencer par les grands propriétaires fonciers (les «momios» – les momies) qui redoutaient les occupations de terre, des secteurs de la petite et moyenne bourgeoisie inquiets des velléités modernisatrices du gouvernement (le projet de création d’une entreprise nationale de transport entraîna la révolte des propriétaires de camions) et l’impérialisme américain évidemment hostile aux tentatives de s’attaquer à ses intérêts et de se rapprocher de Cuba. L’UP s’efforça d’amadouer ces opposants : limitation de la «réforme» agraire (elle n’avait jamais songé à une révolution agraire) et condamnation des occupations par les paysans sans-terres, rachat au prix fort des entreprises américaines nationalisées (pas question de les exproprier), etc.

Cela ne suffit pas à amadouer les opposants qui au contraire trouvaient une énergie toujours plus grande dans chaque recul de l’UP.

A mesure que les difficultés économiques attisaient les tensions sociales, poussant d’un côté les prolétaires à la lutte, et de l’autre de plus en plus de secteurs petits bourgeois et bourgeois à la révolte contre un gouvernement incapable de maintenir la paix sociale, ce dernier se tournait de plus en plus vers les militaires.

Lorsqu’apparurent et commencèrent à se généraliser les «cordons industriels» comme organes territoriaux de centralisation de la résistance ouvrière, cela entraîna la dénonciation violente des medias bourgeois et l’opposition ouverte du PC et des bureaucrates du syndicat CUT, tandis que le «camarade président» Allende, soucieux de maintenir l’influence paralysante de l’UP sur la classe ouvrière, adoptait une attitude en apparence moins hostile à leur égard. Parallèlement le gouvernement donnait carte blanche à l’armée contre les cordons, pavant la voie au coup d’Etat militaire. Les pompiers sociaux se révélant finalement de plus en plus incapables de calmer les prolétaires et les masses déshéritées, ils avaient épuisé leur utilité pour les bourgeois. La Démocratie Chrétienne rompit les négociations avec le gouvernement : il fallait passer à la répression brutale, en balayant au passage les laquais réformistes même si jusqu’au bout ils avaient servi l’ordre bourgeois en livrant les prolétaires pieds et poings liés à leurs bourreaux. Les victimes du coup d’Etat du «général démocrate» Pinochet se comptèrent par milliers de morts et disparus, des dizaines de milliers d’emprisonnés souvent sauvagement torturés, et des centaines de milliers de personnes durent fuir le pays.

Malheureusement il n’existait pas au Chili de parti qui ait pu avertir le prolétariat du danger mortel qu’il y avait à faire confiance à l’UP et le diriger sur des orientations indépendantes de classe. Le MIR (Mouvement de la Gauche Révolutionnaire) avait acquis une certaine influence parmi les couches les plus combatives né d’une fusion de divers courants trotskystes, castristes et autres, se revendiquant du marxisme, il se disait opposé au réformisme et au pacifisme des partis de gauche, à une alliance avec la «bourgeoise nationale» qui faisait partie du programme du PC et il prônait la lutte armée et l’insurrection.

 La venue au pouvoir de l’UP montra ce que valaient ces discours. Si le MIR alla jusqu’à critiquer certaines actions ou le «légalisme» du gouvernement, il se rangea cependant immédiatement à son côté et il le défendit obstinément au point de s’opposer aux luttes qui risquaient de l’affaiblir. Il fit sien le fameux slogan de l’UP : El pueblo unido jamas sara vencido ! (le peuple uni ne sera jamais vaincu), qui est la formule de la défaite prolétarienne, puisqu’au nom de cette unité populaire le prolétariat était appelé à mettre de côté la défense de ses intérêts propres. Il joua le rôle funeste d’une aile gauche de l’UP ramenant dans le giron du réformisme gouvernemental social démocrate et néo stalinien, les prolétaires qui tendaient à lui échapper et à prendre le chemin de l’indépendance de classe.

En 1922 le jeune Parti Communiste d’Italie écrivait dans ses Thèses de Rome :«Une des tâches essentielles du Parti Communiste pour préparer idéologiquement et pratiquement le prolétariat à la prise révolutionnaire du pouvoir est de critiquer sans pitié le programme de la gauche bourgeoise et tout programme qui voudrait se servir des institutions démocratiques et parlementaires bourgeoises pour résoudre les problèmes sociaux.» (…) «Le Parti communiste a le devoir de proclamer ce qu’il sait grâce non seulement à la critique marxiste, mais à une sanglante expérience/ : de tels gouvernements pourraient bien laisser sa liberté de mouvement au prolétariat aussi longtemps qu’il les considérerait et les appuierait comme ses propres représentants, mais ils répondraient par la réaction la plus féroce au premier assaut des masses contre les institutions de l’État démocratique bourgeois. (…). Il est évident que le Parti communiste ne sera en mesure d’utiliser efficacement cette expérience qu’autant qu’il aura dénoncé par avance la faillite de ces gouvernements et conservé une solide organisation indépendante autour de laquelle le prolétariat pourra se regrouper lorsqu’il se verra contraint d’abandonner les groupes et les partis dont il avait initialement soutenu l’expérience gouvernementale.»

 (…) La situation que nous envisageons peut prendre l’aspect d’une attaque de la droite bourgeoise contre un gouvernement démocratique ou socialiste. Même dans ce cas, le Parti communiste ne saurait proclamer la moindre solidarité avec des gouvernements de ce genre: s’il les accueille comme une expérience à suivre pour hâter le moment où le prolétariat se convaincra de leurs buts contre-révolutionnaires, il ne peut évidemment les lui présenter comme une conquête à défendre.»

Personne n’était là pour tenir ce langage marxiste de l’intransigeance classiste aux prolétaires chiliens qui furent menés les yeux bandés à l’abattoir…

 

*      *      *

 

A la fin des années 80, après avoir imposé pendant 17 ans une exploitation capitaliste débridée qui faisait l’admiration des économistes bourgeois, la dictature de Pinochet céda tranquillement la place à la démocratie les partis de la Concertación por la Democracia (Concertation pour la démocratie) aux premiers rangs desquels se trouvaient les vieux partenaires-adversaires, le PS et la Démocratie Chrétienne, avaient promis de respecter la Constitution promulguée par les militaires, de continuer la même politique économique et de garantir l’impunité des crimes commis. Enième confirmation que dictature et démocratie sont deux formes politiques interchangeables selon les besoins de la préservation de la domination bourgeoise…

Les «mille jours» de l’Unité Populaire représentent une dramatique expérience dont les prolétaires du monde entier doivent se souvenir des leçons écrites dans le sang de leurs frères de classe.

Août 2023

 

( Voir aussi sur ce sujet notre brochure: « 1973. Coup d'Etat au Chili. Tragique expérience à ne pas oublier! » (Septembre 2023)  - 2 € - pdf )

 

Parti Communiste International

Il comunista - le prolétaire - el proletario - proletarian - programme communiste - el programa comunista - Communist Program

www.pcint.org

 

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