Lettre d’Espagne

Avec les élections, l’ordre et le contrôle restent garantis

(«le prolétaire»; N° 551; Décembre 2023 - Janvier 2024)

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Selon l’atmosphère créée par les médias liés au Parti socialiste et à Sumar (la nouvelle coalition de gauche) (1), les élections législatives du 23 juillet auraient été une sorte de réédition de la situation italienne du 25 avril, date à laquelle, comme on le sait, les troupes nazies ont été vaincues par l’action conjointe des partisans et des armées alliées dans la Seconde Guerre mondiale. Si le principal parti de droite, le Parti Populaire, est devenu le premier parti en Espagne avec une hausse de plus de 12% des suffrages, il échoue à obtenir la majorité au Parlement, son allié Vox (extrême droite) perdant des voix et des députés ; quant aux socialistes du PSOE, loin de la déroute annoncée, ils augmentent leurs suffrages de presque 4%, faisant presque jeu égal avec le PP (31,6% des voix  et 121 députés contre 33% et 130 députés). La soi-disant « gauche alternative » de Sumar, alliée du PSOE,  recule encore plus que Vox mais finit pratiquement au même niveau que celui-ci : un peu plus de12% des suffrages pour tous les deux et 31 députés contre 33 pour Vox (à noter dans la coalition Sumar l’effondrement de Podemos, l’ancienne star de la gauche pseudo radicale européenne) ; mais l’appui des partis indépendantistes permettra de donner aux socialistes la majorité nécessaire pour former un gouvernement.

La défaite électorale de la droite et, avec elle, l’impossibilité pour le parti Vox  d’entrer au gouvernement ont été célébrées comme un événement d’importance internationale, comme s’il s’était passé quelque chose au-delà de ces élections, semblables à celles qui se répètent tous les quatre ans et comme si l’histoire avait été écrite, pour une fois, avec des votes et des urnes.

Mais au-delà de cette joie « de gauche », qui plus qu’un combat politique clôt un combat de type professionnel (où le camp largement vainqueur exprime son soulagement de rester au sommet de la politique nationale pendant quatre ans de plus et non sa volonté de changer quoi que ce soit), le seul exploit qui a réellement eu lieu, le seul point important qui mérite d’être noté c’est l’abominable exaltation de la démocratie, de la confiance aveugle dans l’électoralisme le plus grossier. Car ce que ces élections sont venues confirmer une fois de plus, c’est que la bactérie qui fait accepter la voie démocratique et électorale comme seule voie possible de lutte, continue d’infecter le corps prolétarien sans que rien ne parvienne à limiter sa virulence.

Mais il y a plus : les élections du 23 juillet ont abouti au résultat le plus conservateur de ces dernières décennies car si il y a 4 ans il était possible de camoufler  la stupidité démocratique de l’élection du parti bourgeois du moment, aujourd’hui, avec le vote pour le « bloc progressiste », alors que nous avons subi les conséquences de ce gouvernement, le résultat qui peut porter au pouvoir la coalition PSOE-UP garantit en fait sans aucun espoir, encore plus de la même chose

En 2008, la crise capitaliste a commencé à ébranler les rouages du pacte établi lors de la « Transition » post-franquiste. Le grand accord national de 1978 impliquait une répartition du pouvoir, à tous les niveaux, entre deux grands partis nationaux, tout en reconnaissant les forces nationalistes et le PCE comme le moyen d’intégrer les bourgeoisies basque et catalane et le parti qui, à l’époque, représentait la grande  force pour contrôler la classe prolétarienne comme le moyen d’obtenir son consentement pendant la période de changement de régime. Au début, cette structure n’avait que le PSOE comme grand parti national, car la droite était sortie défaite de la période de réforme constitutionnelle ; elle n’a réussi à se reconstruire qu’en 1989, lorsque le gouvernement socialiste se mit à battre de l’aile et que le changement de nom, de direction et de perspective de l’ancienne « Alliance Populaire » fut réalisé.

Il y a eu aussi des changements à la gauche du Parlement lorsque le PCE, très affaibli par son rôle clairement anti-prolétarien pendant les années de la Transition et, plus tard, pendant la reconversion industrielle, forma la coalition électorale Izquierda Unida (Gauche Unie) dans le but de redorer son blason et de conserver les petites positions acquises dans les institutions. Mais de façon générale, au niveau national, régional ou municipal, le mécanisme basé sur deux grands regroupements politiques représentant les principales fractions bourgeoises s’est  maintenu. Il l’a fait parce qu’il était stable, parce que le nouveau régime issu de la Constitution était structuré sur le plan politique et juridique autour de ces organisations et des partis nationalistes dans leurs sphères respectives, et parce que certaines couches de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, plus limitées sur le plan territorial, trouvèrent une représentation satisfaisante en particulier au sein du PSOE.

Au cours des années 2012-2013, le bipartisme avait déjà subi un fort affaiblissement : les conditions sociales créées par la crise économique avaient brusquement sapé les bases du consensus social qui permettait un tel régime politique, entraînant la désaffection des classes petites bourgeoises les plus durement touchées par la crise, la concurrence entre les secteurs bourgeois, etc. D’autre part, une manifestation timide (extrêmement timide) de la classe prolétarienne en dehors des institutions politiques et syndicales correspondant à un tel système politique, a également favorisé son érosion

Dans le monde capitaliste contemporain, que Lénine qualifia d’impérialiste par opposition aux vieilles démocraties libérales du XIXe siècle, la démocratie en tant que principe et sa concrétisation institutionnelle dans chaque pays sont le principal rempart bourgeois contre le prolétariat. La politique de collaboration des classes instituée par les bourgeoisies européennes après la Seconde Guerre mondiale grâce à la mise en place des amortisseurs sociaux qui, en terme économique, libèrent les prolétaires des pires misères, est organisée et maintenue dans le temps à travers le système politique complexe qui garantit au prolétariat l’illusion de « pouvoir intervenir » et de « pouvoir changer » la situation politique, économique et sociale. Cette démocratie, avec ses partis, ses élections, ses institutions sociales, etc., fait croire aux prolétaires, qu’elle est la voie réaliste pour défendre leurs intérêts, les éloignant de la lutte, de l’affrontement classiste, tant politique que strictement syndicale, avec la classe bourgeoise. Les réserves matérielles accordées aux prolétaires par le biais du dit système de protection sociale sont à la base de  cette organisation politique de la démocratie, mais c’est elle qui agit – bien que transformée de « libérale » en impérialiste – comme un défenseur efficace des intérêts, tant politiques qu’économiques, de la bourgeoisie.

Lorsque la situation économique s’aggrave, comme cela s produit dans les années de la crise capitaliste, la classe prolétarienne est poussée à lutter contre la détérioration de sa condition, contre  l’augmentation du chômage, la baisse des salaires, les expulsions, etc. C’est à ce moment-là que la démocratie apporte sa plus grande contribution au maintien de l’ordre. Car si, en temps de paix sociale, elle peut simplement maintenir une inertie qui permet à la bourgeoisie de ne pas perdre le contrôle, dans les moments difficiles, elle joue son rôle essentiel  non seulement en maintenant plus ou moins passivement l’ordre, mais en désactivant toute possibilité de rupture de la part de la classe prolétarienne.

De 2008 à 2014, la classe prolétarienne a vu ses conditions de vie chuter drastiquement à des niveaux impensables quelques années plus tôt. Elle a également vu comment la classe bourgeoise, qui depuis des décennies brandissait le mot d’ordre de l’intérêt général, de la défense des intérêts communs des ouvriers et des patrons, des prolétaires et des bourgeois, lança une campagne impitoyable pour faire retomber le fardeau de la crise sur ses épaules. Et elle a donc vu comment les représentants politiques de cette classe bourgeoise ne faisaient que défendre leurs intérêts. C’est le gouvernement socialiste de Zapatero (dont se souvient aujourd’hui avec nostalgie toute la gauche institutionnelle) qui a réformé les retraites, réduit les salaires des fonctionnaires et laissé le chômage augmenter sans arrêt. Et c’est le gouvernement successif de droite Rajoy qui a approfondi toutes les réformes anti prolétariennes indispensables à la bourgeoisie nationale et internationale. C’était la base de la « crise du bipartisme » dont on faisait alors grand bruit.

Si le système démocratique est la grande digue que la bourgeoisie impose entre son pouvoir politique, économique et social et la classe prolétarienne, c’est parce que la démocratie permet l’intégration de ces courants qui prétendent représenter la classe prolétarienne parce qu’ils parviennent à avoir une situation difficile et une influence décisive parmi elle. La démocratie impérialiste permet, en fournissant des accommodements politiques et juridiques, l’existence d’organisations syndicales, en les intégrant pratiquement dans la structure de l’État et en les liant à la défense ultime de l’économie nationale. Elle permet et promeut également les grandes organisations politiques « prolétariennes », principalement la social-démocratie et le stalinisme, qui, après la Seconde Guerre mondiale, ont été l’axe principal avec lequel les bourgeoisies nationales ont transmis leurs revendications dans tous les domaines aux prolétaires. Bref la démocratie  permet d’intégrer une partie des prolétaires, ceux qui appartiennent à cette « aristocratie ouvrière » qui a des liens directs avec les bureaucraties syndicales et politiques, et à travers laquelle la bourgeoisie diffuse sa politique.

 La « crise du régime de 78 » dont on a tant parlé il y a 10-15 ans, était précisément la crise de cette représentation prolétarienne dans le système bourgeois, l’érosion des forces qui avaient traditionnellement servi à la bourgeoisie pour contrôler le prolétariat et lui imposer ses exigences. À cela s’ajoutait une certaine poussée vers la lutte indépendante parmi certains secteurs du prolétariat, qui contribuait à la crise du panorama politique et social en crise. C’est alors que ces nouveaux courants politiques tels que Podemos, Sumar, etc. sont apparus sur la scène. Aujourd’hui, alors que l’on parle tant d’une vague réactionnaire, d’une dérive droitière de tous les secteurs de la société, c’est un bon exercice de mémoire que de se rappeler comment toutes les télévisions appelaient les dirigeants de Podemos à faire entendre leurs opinions

Alors que beaucoup de ces dirigeants ont déjà écrit leur biographie en faisant de cette période un épisode épique, il convient de rappeler qu’ils étaient en réalité les enfants gâtés de la bourgeoisie qui avait besoin de leurs services. Si Podemos, par exemple, voulait se définir à l’époque comme une « machine de guerre électorale », il était déjà évident que cette machine se battrait toujours aux côtés de la bourgeoisie précisément en réactivant la lutte électorale et démocratique.

Le système bipartite a trouvé ses plus chauds partisans parmi ces partis de la « nouvelle politique ». À Madrid et à Barcelone, ils ont gouverné pour la première fois avec le soutien du PSOE, le principal parti de l’État espagnol, qui leur a ouvert les portes des mairies. Des années plus tard, ils sont arrivés au gouvernement du pays. Et partout où ils sont passés, ils ont contribué de manière décisive au maintien de l’ordre bourgeois, à la revitalisation des illusions démocratiques avant tout et à l’imposition sans discussion de toutes les exigences que la bourgeoisie a mises sur la table au cours de ces années.

Pour le prolétariat, le résultat de ces 10 années de « nouvelle politique » est que la classe bourgeoise a imposé une à une toutes ses besoins, politiques et économiques, tandis que toute tentative de lutte indépendante était durement réprimée, et que la foi aveugle dans la démocratie en tant que système de cohésion sociale auquel rien ne peut échapper était renforcée. Au fur et à mesure que la tension sociale s’est apaisée, les variantes les plus radicales de ces courants opportunistes ont fait de même, jusqu’à ce qu’on aboutisse à la situation actuelle dans laquelle la vieille Izquierda Unida sous des habits neufs gouvernera sûrement avec le Parti socialiste.

C’est pourquoi nous avons dit plus haut que le résultat du 23 juillet a été le plus conservateur de ces dernieres années, car il consolide même la fin des attentes que, d’une manière ou d’une autre, certains avaient placé dans le « changement politique » et il liquide toute variante étrangère à l’ordre imposé après la Transition. Le PSOE, le vrai vainqueur, a liquidé les partis qui lui étaient favorables il y a dix ans et il s’appuie sur l’ancien PCE pour accéder au pouvoir. Cela donne une idée claire de ce qui attend les prolétaires : les mesures prises ces dernières années marquent la voie à suivre et même les voix ridicules et bizarres qui prétendaient encore vouloir limiter les excès ont été jetées à la poubelle.

 

LE PARTI DE CLASSE FACE A LA DEMOCRATIE

 

Pour nous, marxistes révolutionnaires et qui travaillons pour la reconstitution du Parti communiste dans les termes que la Gauche communiste italienne a historiquement défendus, l’analyse de la situation politique du pays a un caractère bien défini. Nous essayons de montrer avec cette analyse la situation concrète de l’affrontement qui existe entre les deux principales classes de la société capitaliste (prolétariat et bourgeoisie), mais aussi entre les différents secteurs de la bourgeoisie, qui doivent inévitablement se battre les uns contre les autres pour maintenir leur part du profit tiré de l’exploitation du prolétariat, et la force politique qui en découle. Cette confrontation traverse tous les pays capitalistes avancés et c’est ce qui définit réellement leurs caractéristiques politiques et juridiques essentielles.

La forme constitutionnelle d’un pays est un sous-produit des tensions latentes qui persistent malgré l’équilibre que toute forme juridique cherche à consolider, et c’est pourquoi aucune évaluation qui ne prend pas en compte cette hiérarchie rigoureuse (mode de production-classes sociales-État-formes politiques circonstancielles) ne peut donner une vision réaliste de la nature du développement d’un pays.

C’est pour cette raison que les lignes d’appréciation de la situation politique d’un pays telles que celles décrites dans cet article n’ont rien à voir avec une quelconque « analyse conjoncturelle de la situation ». Les différentes formes politiques adoptées par un État et, à l’intérieur de celles-ci, les mille variantes possibles permises par le rapport de forces entre les différentes classes sociales existantes ne peuvent pas être vues comme essentielles : les grands cycles historiques, qui sont ceux qui délimitent les formes politiques générales au sein d’un même mode de production et par conséquent, la domination généralisée d’une classe sociale, ne dépendent pas de petites variations conjoncturelles, aussi spectaculaires soient-elles. Prenons, par exemple, la distinction classique entre formes capitalistes-impérialistes et pré-impérialistes avec laquelle Lénine, et avec lui les partis communistes de la IIIe Internationale non dégénérée, caractérisaient le développement du capitalisme à partir de la fin du XIXe siècle.

La phase impérialiste du développement capitaliste, que l’on peut décrire en termes de concentration monopolistique des moyens de production, de fusion du capital industriel et du capital bancaire pour donner naissance au capital financier, et de division du monde en sphères d’influence appartenant aux grandes puissances, correspond à la forme sociopolitique fasciste. Cela ne signifie pas, comme on le sait, que l’impérialisme nie les formes politiques démocratiques caractéristiques de l’époque antérieure, mais que la structure politique fasciste, bien développée en Italie ou en Allemagne dans l’entre-deux-guerres, s’y ajoute et permet de modeler l’État bourgeois en fonction des besoins que lui impose la nouvelle phase de développement, tant en termes de lutte contre la classe prolétarienne que de lutte entre fractions bourgeoises d’un même pays ou entre bourgeoisies nationales opposées

Ainsi, l’intégration des anciens syndicats de classe dans la structure de l’État, la suppression d’une grande partie des libertés démocratiques soumises à la réglementation de l’État, l’intervention constitutionnellement prévue de l’État dans l’économie nationale, etc., sont des caractéristiques de cette forme fasciste que les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale ont développée au sein de leurs régimes démocratiques, exactement comme l’ont fait l’Allemagne hitlérienne ou l’Italie de Mussolini. Cette affirmation générale selon laquelle la forme fasciste a été celle qui a défini les puissances impérialistes pendant des décennies n’implique pas qu’il n’y ait pas de nombreuses variantes à la fois en termes de régimes politiques et de formes particulières de ceux-ci. Mais l’essentiel reste intact, et seul un changement soudain dans les rapports entre les classes bourgeoise et prolétarienne pourrait conduire à sa variation.

Les phases du développement capitaliste ne peuvent pas être comprises au moyen d’une « analyse conjoncturelle », une méthode qui remplaça dans l’Internationale communiste dégénérée les bilans dialectiques de la méthode de travail marxiste. Mais les changements que peut subir un pays comme l’Espagne en l’espace de dix ou quinze ans ne peuvent pas non plus être compris par ce type d’analyse, parce que l’essence fondamentale de la domination bourgeoise ne change pas, elle n’est pas conjoncturelle, et les expressions plus ou moins accessoires de celle-ci n’ont d’autre importance que celle de découler de cette domination, d’être des expressions particulières qui ne peuvent contrevenir (ou être comprises sans) la perspective du développement général.

Les lecteurs réguliers de notre presse savent que tous les articles et éditoriaux que notre courant consacre aux vicissitudes particulières d’un pays particulier, qu’il s’agisse de l’Italie, de l’Espagne, de la France ou de n’importe quel autre, n’ont qu’un seul sens : montrer comment les formes particulières que la dictature bourgeoise sur la société dépendent toujours au caractère invariant de cette dictature, et ils l’expliquent... C’est pourquoi nous essayons de les décrire en montrant la dialectique interne qui domine leurs changements, et non parce que nous considérons, d’une manière ou d’une autre, qu’il y a dans ces changements une sorte de vérité cachée.

Notre courant, la Gauche communiste d’Italie, a toujours dénoncé la démocratie comme la méthode de gouvernement préférée de la classe bourgeoise, soit dans sa forme libérale primitive, soit dans sa version fasciste (ou blindée pour utiliser un terme un peu plus précis).

La crise capitaliste de 2008-2012 a renforcé l’illusion démocratique chez les prolétaires. Pendant ces années, loin d’assister à une rupture avec les concessions à la collaboration entre les classes qui est au cœur du système démocratique, on a assisté à une offensive bourgeoise réussie d’amortissement par le jeu électoral des tensions sociales qui s’accumulaient à la suite de la débâcle économique. Durant cette période tout notre travail (mené avec des forces numériquement réduites mais théoriquement et politiquement cohérentes) a eu pour but de montrer que la démocratie, autrement dit la croyance que la classe bourgeoise et la classe prolétarienne peuvent coexister dans un régime politique supposé bénéfique à l’une et à l’autre, était la pierre de touche de la conservation sociale.

Nous avons ainsi montré à la fois la réalité du moment (c’est-à-dire une classe prolétarienne qui, même quand elle était poussée à la lutte par la nécessité économique, retombait encore et encore dans les filets des courants opportunistes qui lui promettaient un système libéré des impuretés, des partis plus transparents ou un retour aux temps d’abondance passés) et la continuité historique de l’exercice de la domination implacable de la bourgeoisie, de la fonction de ses agents au sein du prolétariat et de son seul but de maintenir les prolétaires sous contrôle tout en renforçant la capacité de rivaliser avec les bourgeoisies étrangères rivales.

Face à la « conjoncture », le marxisme défend l’invariance parce que son travail critique vise à montrer à la classe prolétarienne les conditions réelles dans lesquelles son émancipation peut (et doit) avoir lieu et, par conséquent, à déchirer le voile de toutes les illusions provoquées par les changements superficiels et les variations ostentatoires mais vides que la bourgeoisie a appris à utiliser pour se renforcer.

De cette position, qui explique et défend la nature de l’arme de la critique marxiste contre toute prétendue innovation, amélioration ou adaptation, en découle une autre, celle de la critique des armes. Pour le marxisme, l’invariance de la nature de la domination bourgeoise correspond à l’invariance de la doctrine communiste : tant que les fondements de la société capitaliste restent constants, la nature de la lutte de classe prolétarienne reste également constante, sans qu’aucune « variation de conjoncture » ne puisse altérer les termes dans lesquels elle se développe.

De même que sur le plan théorique, le marxisme nie la validité de toute innovation, quelle qu’elle soit, sur le plan de l’action du parti, aussi bien sur le terrain de l’intervention dans la lutte immédiate du prolétariat ou sur le terrain de la lutte politique générale (quelles que soient les forces dont dispose le parti, tous ces terrains font au moins potentiellement partie de sa sphère d’activité) ; il nie la possibilité qu’une quelconque forme de volontarisme, de recours à l’activisme, puisse forcer la situation, qu’elle soit favorable (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) ou défavorable (comme c’est le cas depuis des décennies)

Malgré les forces limitées dont dispose le parti aujourd’hui, son travail n’est marqué que par une différence quantitative par rapport à l’époque où celles-ci étaient beaucoup plus importantes. Le travail de développement théorique, d’évaluation politique, d’intervention dans la vie quotidienne et la lutte de la classe prolétarienne (tant dans le domaine spécifiquement syndical que dans d’autres domaines) font toujours partie, dans les limites de ce qui est possible, de l’action du parti.

Aujourd’hui où nous vivons une longue période où la lutte de la classe prolétarienne est pratiquement absente de la scène (ce qui est nouveau, d’ailleurs, pour le parti de classe), il est normal que le travail théorique occupe une place beaucoup plus importante dans le travail du parti, alors que dans un futur qui viendra sans aucun doute, l’action d’intervention politique et insurrectionnelle impliquera inévitablement la plus grande partie de l’activité du parti ; mais le travail théorique ne sera pas abandonné, comme Lénine et Trotsky l’ont démontré pendant la guerre civile russe contre les gardes blancs avec leurs travaux sur le renégat Kautsky et sur le terrorisme.

Si la difficulté de la période, qui n’est pas réactionnaire, mais de contre-révolution permanente depuis près de cent ans, devait modifier de quelque manière que ce soit cette perspective du travail révolutionnaire du parti de classe, cela impliquerait que la contre-révolution finirait par détruire définitivement le parti. C’est pour cette raison que, de même que le marxisme proscrit toute « analyse de la conjoncture » entendue dans les termes que nous avons exprimés ci-dessus, il oppose son veto à tout recours à des « évaluations stratégiques » qui cherchent à placer la volonté, « l’action concrète » ou tout autre fétiche similaire au centre de l’action politique. La situation n’est pas défavorable à cause d’un manque de capacité, d’un manque de plan ou de quelque chose de similaire... En venir à penser cela, c’est accepter comme point de départ les termes dans lesquels la bourgeoisie présente la réalité.

Cette perspective caractéristique des classes petite-bourgeoises est la base, le ferment d’un nouvel opportunisme (nouveau dans la forme, non dans le contenu) qui, comme toujours, apparaît à cause de la pression que la petite bourgeoisie et sa conception de la réalité exercent sur la classe prolétarienne. Et, comme toujours, cette conception a pour noyau le recours à la démocratie (non pas bourgeoise mais « prolétarienne » ou « populaire », bien sûr...) comme méthode d’organisation, comme horizon politique, comme principale ressource théorique, etc.

Dans la société bourgeoise, il n’y a pas d’équilibre permanent. La nature même de la concurrence capitaliste oppose sans cesse les prolétaires aux bourgeois, les bourgeois aux bourgeois et les nations aux nations. La paix n’est durable ni entre les nations, comme le montre la récente guerre aux portes de l’Europe, ni entre les classes sociales. Quelle que soit la forme que prendra la tendance au déséquilibre, à la crise et à la guerre, l’essence de celle-ci sera intimement liée à la nature même du capitalisme. Et quand, avec les grands bouleversements sociaux à venir, les vieilles formules opportunistes réapparaîtront, l’éternel mot d’ordre démocratique, si nouvelle que puisse être sa forme, son contenu continuera à être le même, de même que la tâche du parti de classe contre lui.

 


 

(1) Dirigée par la ministre du travail Yolanda Diaz (ancienne militante du PCE), la coalition Sumar regroupe une quinzaine de formations, dont Podemos, Izquierda Unida (alliance autour du PCE), des organisations régionalistes, écologistes, etc.

 

 

Parti Communiste International

Il comunista - le prolétaire - el proletario - proletarian - programme communiste - el programa comunista - Communist Program

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