Compétition mondiale pour l’«intelligence artificielle»

(«le prolétaire»; N° 551; Décembre 2023 - Janvier 2024)

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Ces derniers mois, surtout dans les milieux anglo-saxons, on a beaucoup parlé de la diffusion de nouveaux systèmes d’«intelligence artificielle» de soutien au travail intellectuel et à la vie du citoyen moyen. Nous disons «intelligence artificielle» entre guillemets car, en effet, il ne s’agit pas d’intelligence au sens commun du terme. L’espèce humaine est une espèce dotée d’intelligence, comme l’enseigne Engels (dans son article sur la part du travail dans le processus d’humanisation du singe), parce qu’elle est une espèce dotée d’une structure civile construite sur l’existence du travail social. S’il n’y avait pas de travail social, l’homme ne serait qu’un singe dépourvu d’intelligence au sens propre. La conscience humaine n’a pas d’égal dans le monde naturel, ni dans le monde artificiel. La soi-disant «intelligence artificielle» d’aujourd’hui n’est rien d’autre qu’un système de langage qui élabore ses réponses en fonction de ce que l’utilisateur est censé vouloir (avec une prévision statistique, totalement dépourvue de conscience). Nous en donnerons des exemples dans ce qui suit. Le double problème de ce qui s’est passé ces derniers mois est le suivant : d’une part, bien qu’extraordinairement puissante, la technologie développée est sous le contrôle d’un nombre très restreint de gigantesques sociétés d’origine nord-américaine ; d’autre part, l’existence de ce modèle de langage interagit comme toute technologie sur la vie des populations et surtout sur ce que le prolétariat doit et peut en faire. Il s’agit finalement d’un seul problème, à double face, dérivé naturellement du système capitaliste et des critères de la concurrence internationale sur le marché, qui conduit naturellement à la concentration monopolistique des technologies les plus avancées dans la phase impérialiste actuelle du capitalisme.

Analysons tout d’abord le facteur de la détention de la technologie entre les mains de ces quelques énormes sociétés. La technologie dont nous parlons, comme nous l’avons dit précédemment, vise à programmer des systèmes de conversation et de recherche sensés faciliter la vie quotidienne de tous. Au lieu de devoir chercher une information sur Internet, de faire une recherche approfondie et de comparer plusieurs sources, on pourrait obtenir n’importe quelle information en cliquant sur un bouton, en posant une simple question et en recevant une réponse articulée et apparemment naturelle. Il est évident que ce système atrophie la capacité de l’individu à rechercher et à comparer les sources, et favorise grandement aussi la construction d’une connaissance totalement superficielle, mais seule compte pour l’individu moyen une réponse simple, rapide, facile à trouver, mais pourtant formellement nuancée. C’est aussi la raison pour laquelle le marxisme révolutionnaire ne fait pas tache d’huile.

Cette technologie ne repose pas sur une intelligence supérieure extraordinaire, mais simplement sur un système mathématique de base : si je fournis à une machine suffisamment d’exemples de requêtes, de réponses et d’affirmations, la machine, disposant ainsi d’une base de données suffisante, sera en mesure de répondre aux requêtes sur un mode réaliste. Cependant, la machine ne comprend pourtant pas vraiment ce qu’on lui demande, elle ne fait que traiter les données de manière à ce que la réponse soit réaliste. En bref, il ne s’agit pas d’un processus conscient, mais d’un processus entièrement mécanique et mathématique dérivé d’équations relativement simples. Ce qui rend ces systèmes extraordinairement impressionnants, c’est le naturel des réponses qui semblent être formulées par une personne réelle : cela se produit essentiellement parce que le modèle a été «entraîné» avec une grande quantité d’exemples de conversations à imiter.

Le problème du développement de ces technologies, c’est que pour fonctionner, elles doivent nécessairement disposer d’immenses bases de données numériques et d’exemples à imiter, qui compte tenu de leurs volumes, sont généralement très difficiles à obtenir et très coûteuses à maintenir. Ces bases de données ne sont donc accessibles qu’à de très grandes organisations prêtes à dépenser des milliards pour pouvoir disposer d’un prototype fonctionnel commercialisable. Un des moyens utilisé pour commercialiser ce système consiste à limiter l’accès des requêtes qui peuvent être effectuées gratuitement, et exiger un paiement pour les requêtes suivantes.

Quoi qu’il en soit, la situation actuelle est la suivante: une entreprise (Microsoft) a acheté la meilleure entreprise du marché, OpenAI (qui, soit dit en passant, a été créée dans le but de rendre publics tous les projets et codes de programmation, ce que Microsoft n’a pas respecté après l’achat), et commercialisé le meilleur système de langage déjà en circulation aujourd’hui, le Chat-GPT. En riposte, d’autres sociétés (par exemple Google avec son Bard) se sont empressées de publier leurs propres systèmes propriétaires, certes encore lacunaires. Malgré cela, une bataille mondiale s’est engagée pour la conquête de cette nouvelle part de marché. Suivant les lois de Marx sur la péréquation des capitaux, chaque grande entreprise technologique déverse son capital dans cette branche, dotée de grands profits et encore inexplorée, entrainant une concurrence très féroce.

La compétition n’est pas encore terminée, mais quelques faits remarquables sont déjà évidents : premièrement, il est clair que le projet initial d’OpenAI de mettre l’intelligence artificielle à la disposition du public gratuitement (ou presque) et en toute transparence a échoué en raison de la privatisation capitaliste ; deuxièmement, il est clair que la mainmise exclusive de gigantesques entreprises sur ces outils, leur permet d’exercer un immense contrôle sur la culture mondiale et les sources utilisées par la population dans son éducation et sa recherche. Et pour cause, il est déjà devenu un outil essentiel et répandu, avec 1,16 milliard d’utilisateurs depuis sa commercialisation, soit plus d’un huitième de la population mondiale. Comme beaucoup d’autres outils sur Internet, au lieu d’être gratuit et librement utilisable grâce à un code divulgué publiquement, cet outil est maintenant entre les mains d’hommes d’affaires sans scrupules, qui veulent en tirer profit, en cachant les processus mathématiques qui sous-tendent leurs produits.

Le deuxième aspect du problème, plus politique et moins économique, est l’influence que ce système peut avoir sur la culture et la société. Il s’agit d’un système conçu pour contredire le moins possible l’utilisateur : en posant des questions sur des choses inventées - si elles sont réalistes - le programme fera semblant de les connaître et fournira d’autres données, également inventées. Par exemple, une question sur un personnage historique inexistant peut déboucher sur une biographie totalement fictive. Bien sûr, les données réelles sont utilisées correctement (fournissant, par exemple, des biographies relativement précises), mais lorsqu’il s’agit d’inventer, le système est prêt à tout pour venir en aide à l’utilisateur. Il est clair que de cette manière, l’utilisateur, n’étant pas confronté à des contradictions, se sentira en sécurité dans ses idées, tant qu’elles sont alignées sur les valeurs bourgeoises de liberté et de démocratie.

En effet, le modèle est programmé pour toujours défendre, dans toute discussion et argumentation, les valeurs de la société libérale : la démocratie, la souveraineté du vote populaire, l’utilisation de moyens non violents et la légalité. Il s’agit clairement d’un système de propagande et de contrôle de l’opinion mal dissimulé. Plus le système se propage, plus la société moderne en devient dépendante, plus la propagande démocratique et capitaliste peut s’étendre, putride jusqu’aux racines et s’étaler sans ambiguïté comme la seule interprétation possible du monde. Dans le cas de requêtes politiques spécifiques, en tant que système de langage apolitique, cette intelligence artificielle proposera un refus de réponse, mais la démocratie sera de toute façon toujours défendue. En fait, même au nom d’une neutralité proclamée, elle prend des positions politiques claires en faveur de la société capitaliste dans laquelle nous vivons, en essayant de convaincre tout le monde de la même chose.

Un parti comme le nôtre, un parti qui fait du progrès de la civilisation un étendard, ne peut pas être contre les progrès de la technologie lorsqu’ils aident l’humanité. Il peut en revanche dénoncer, comme il se doit, l’utilisation rapace de ces technologies par des capitalistes sans scrupules qui, au nom de la société bourgeoise, transforment des instruments qui pourraient aider l’humanité en outils de diffusion d’idéologies patronales et démocratiques, et qui de plus en tirent profit. Cette bataille ouverte dans le domaine de l’intelligence artificielle n’est rien d’autre qu’une preuve supplémentaire de la pourriture atteinte par le système capitaliste dans ses relations de marché, dans ses luttes commerciales pour la conquête des capitaux. Nous sommes convaincus que ce système, comme tant d’autres, ne pourra être utilisé de la manière la plus efficace, la plus civilisée, la plus bénéfique pour l’humanité qu’avec la victoire du socialisme et la démolition totale du capitalisme. Tant qu’il y aura du profit à faire, tant que la technologie sera asservie à la logique du capital, il n’y aura pas d’instrument totalement construit pour le bien de l’Humanité.

 

 

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