Mobilisation du 20 décembre en Argentine :

Ni Milei, ni péronisme, ni syndicats collaborationnistes, ni farce parlementaire !

La seule voie est celle de la lutte des classes !

(«le prolétaire»; N° 551; Décembre 2023 - Janvier 2024)

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Le 20 novembre prochain, les principales organisations politiques et syndicales de la gauche argentine ont appelé à une grande manifestation sur la Plaza de Mayo, dans la capitale Buenos Aires, pour protester contre l’approbation du premier paquet de mesures dudit «plan tronçonneuse» du gouvernement nouvellement élu de Milei, Caputo et Bullrich. La mobilisation, qui intègre les différents courants syndicaux nationaux, regroupés autour de la CGT, ainsi que les plus grandes assemblées de piqueteros et les partis qui composent la coalition du Front de Gauche (PTS, Partido Obrero, etc.), vise à paralyser la ville pendant toute la journée et à montrer la capacité de l’opposition parlementaire et du monde syndical à s’opposer aux récentes mesures gouvernementales et à celles qui sans aucun doute arriveront dans un proche avenir.

A l’intérieur et à l’extérieur du pays, la victoire électorale de Milei a été présentée comme la victoire d’un courant de droite anti-establishment, comme si une force souterraine de mécontentement plébéien, anti-gauche et anti-étatiste avait soudainement émergé pour «mettre de l’ordre» dans le pays et ramener l’Argentine à un rang de première classe dans la hiérarchie mondiale qu’elle occupait autrefois, selon Milei. A cette fin, et dès que l’actuel président fut élu député de l’opposition au gouvernement d’Alberto Fernández, un programme de réformes économiques drastiques a été lancé, visant à contrôler l’inflation, la dollarisation du pays, et même l’abolition de la Banque Centrale, le tout enveloppé de slogans violents contre «la caste», le péronisme, et aussi les syndicats et la gauche en général.

Mais en réalité, le gouvernement Milei n’apporte absolument rien de nouveau. Il ne peut même pas être considéré comme «le gouvernement Milei», car il n’est rien d’autre qu’un regroupement derrière le drapeau de ce personnage histrionique, de la vieille droite dirigée par Macri et ses associés. Dans la pratique, les mesures économiques adoptées avec cette première loi omnibus, qui touche autant aux questions monétaires que fiscales, n’ont absolument rien d’hétérodoxe : là où il y avait une lutte contre l’inflation qui «ne touchait pas le peuple» (l’expression est de Milei lui-même), il y avait en fait des mesures de dévaluation salariale causées par la dévaluation du peso ; là où les impôts devaient être réduits, ils ont été augmentés pour faciliter la tâche des grands exportateurs ; là où les avantages de la «caste» étaient sur le point de prendre fin, il y a eu une nationalisation partielle de la dette des entreprises privées. Tout cela s’est accompagné de l’élimination des subventions, telles que les subventions aux transports dans le Grand Buenos Aires, ou de leur réduction en raison de l’inflation.

Aucune des mesures prises ne peut surprendre ou être comprise comme une rupture dans le comportement typique de la bourgeoisie et de ses dirigeants politiques dans les pays qui ont besoin d’un ajustement économique. La seule différence, et il faut le souligner, c’est la force avec laquelle les réformes sont censées être mises en œuvre. Tout le jeu démocratique, le spectacle créé autour de la figure de Milei, etc., visent à gagner le soutien (au moins temporaire) des classes petites-bourgeoises qui seront affectées par les mesures et auxquelles s’adresse sa rhétorique d’économies, de sacrifices, etc. Avec cela, avec la mobilisation de type populiste visant à impliquer les classes moyennes appauvries par la crise de ces dernières années, l’objectif est de contrer le prolétariat et d’éviter toute forme de sa riposte, en le faisant sombrer dans la marée montante de la mobilisation nationaliste. C’est là le vrai pouvoir de la démocratie, du respect de l’intérêt suprême de la patrie et du jeu électoral lui-même, qui sert de levier pour mobiliser les couches sociales les plus ouvertement réactionnaires afin d’imposer ce qui est en définitive les intérêts de la grande bourgeoisie financière et de l’oligarchie agraire du pays. Milei fera ce que Macri a voulu et n’a pas pu faire, et il le fera le plus rapidement et violemment que possible, car son seul recours est d’exploiter la force de la mobilisation démocratique qu’il a réalisée autour de lui.

La classe ouvrière argentine, l’une des plus nombreuses du continent mais aussi l’une des plus pauvres de ces dernières décennies, a derrière elle une longue histoire de révoltes et de mobilisations : du Cordobazo de 1969 aux soulèvements de 2001, en passant par la dure répression de la dictature militaire. Et c’est précisément parce que son histoire de lutte (au cours des dernières décennies, mais aussi à des époques antérieures, lorsque les quartiers ouvriers de Buenos Aires voyaient croître la force d’un vaste prolétariat immigré italien et espagnol) est longue et intense que les grands courants de la bourgeoisie de gauche - y compris principalement le péronisme sous toutes ses formes et le syndicalisme de concertation - se sont développés et ont gagné une grande influence parmi le prolétariat : ils ont été le moyen de la bourgeoisie nationale pour contenir, dans la mesure du possible, la lutte des classes.

Après les soulèvements de 2001, la pression de la gauche bourgeoise sur les prolétaires a redoublé, surtout lorsque le mouvement piquetero est apparu, exprimant la tendance des prolétaires les plus pauvres, des chômeurs et des précaires, à lutter par leurs propres moyens contre les patrons et leur État. Les gouvernements péronistes de la famille Kirchner (pour la plupart une véritable structure mafieuse) ont surfé sur la vague du «socialisme du 21ème siècle» venant du Venezuela et de la Bolivie pour tenter de mettre la classe ouvrière hors de combat et lui faire abandonner la voie de la lutte classiste. La crise économique de 2008-2013, qui a durement frappé un pays qui survit essentiellement grâce à l’exportation de matières premières et de produits agricoles, ainsi que les déséquilibres successifs dans la demande internationale de produits tels que le soja, etc., ont abouti à une situation économique structurellement impossible à résoudre et sur laquelle toutes sortes de recettes ont été appliquées. De la stimulation de la demande aux prêts du FMI, aucune formule n’a fonctionné et la conséquence en est une inflation galopante et une augmentation de la misère de la classe prolétarienne sans précédent ces dernières années.

C’est pourquoi le prolétariat argentin doit concentrer sa colère et sa haine de classe tant sur le gouvernement Milei que sur les partis qui l’ont précédé et les syndicats sur lesquels ils se sont appuyés. Il doit rompre avec une tradition qui ne concerne pas la lutte, mais la collaboration avec la bourgeoisie, et qui l’a conduit à cette situation. Il doit bannir le mythe de la patrie, de l’intérêt supérieur du pays, qui est la doctrine de tous les syndicats et des courants syndicaux majoritaires et qui empêche la confrontation nécessaire et ouverte avec la bourgeoisie (avec les patrons, avec la véritable caste politique et affairiste, etc.). Elle doit aussi rompre avec les courants qui soutiennent le parlement comme un lieu dans lequel on puisse stopper l’offensive bourgeoise, qui soutiennent que la lutte électorale peut renverser la situation créée par les derniers gouvernements : ce sont les urnes qui ont créé toute la force dont dispose aujourd’hui l’ennemi de classe, et cela sera toujours le cas parce que le parlement est l’organe par excellence de la collaboration entre les classes et donc de la soumission du prolétariat à la bourgeoisie.

La classe prolétarienne argentine a devant elle un long chemin de souffrance et de misère. Si ce chemin la conduit à se débarrasser des illusions politiques et syndicales qui la lient à la bourgeoisie et à ses alliés, s’il la conduit à reprendre la lutte de classe à la fois sur le terrain immédiat de l’affrontement économique et sur le terrain plus large de la lutte politique pour ses propres fins... alors, que le défi que lui lance aujourd’hui la bourgeoisie soit le bienvenu.

Si la classe bourgeoise veut la guerre, le prolétariat doit répondre par la guerre, mais par la guerre de classe, la seule qui puisse lui donner un espoir de victoire.

 

18/12/2023

 

 

Parti Communiste International

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