Grève de la Fonction Publique au Québec

(«le prolétaire»; N° 552; Février-Mars-Avril 2024)

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Il y a eu à la fin de l’année 2023 une lutte d’envergure dans la fonction publique québécoise. Une lutte qui, par sa combativité et son ampleur, rappelait au moins en partie la grande lutte du « Front Commun » de 1972. La plupart des prolétaires du secteur public provincial se sont trouvés simultanément sans contrat de travail. Les grandes centrales syndicales québécoises – la Centrale des Syndicats Nationaux (CSN) (1), la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) (2) et la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ) (3) – ont formé un Front Commun intersyndical afin de faire pression sur le gouvernement provincial pour renouveler les conventions collectives de plus d’un demi-million de prolétaires. Deux autres syndicats de prolétaires des services publics ont participé à la lutte sans être membres du Front Commun. Il s’agit de la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) (4) ainsi que de la Fédération Autonome de l’Enseignement (FAE) (5).

Au début novembre, le Front Commun a entamé une escalade des moyens de pression selon l’expression syndicale consacrée, c’est-à-dire que le mouvement a commencé par une journée de grève le 6 novembre. Environ un mois plus tard, le Front Commun reprend la grève pour quelques jours consécutifs, en faisant miroiter que la grève générale était un moyen disponible, mais seulement en cas de dernier recours, bien sûr. La tactique syndicale de l’escalade des moyens de pression revient donc invariablement à faire miroiter des moyens de pression plus radicaux, telle la grève générale, pendant qu’on essouffle en parallèle la combativité ouvrière dans une série de petits combats isolés et sans impact politique.

La FAE a quant à elle décidé de faire cavalier seul en se mettant en grève générale illimitée dès la fin du mois de novembre. Ce fait seul exprime une certaine hausse de la combativité ouvrière. Mais, de toute évidence, la FAE ne s’attendait pas sérieusement à ce que ses membres poussent aussi massivement vers la grève générale. Elle a été prise de court et toute sa stratégie subséquente a été d’essayer de réparer les pots cassés en désaffûtant toujours davantage la lame d’une grève générale dont elle ne voulait manifestement pas. Néanmoins, en décembre 2023, les prolétaires des services publics étaient dans la situation suivante : alors que dans l’ensemble, les travailleurs de l’État étaient combatifs comme ils ne l’ont pas souvent été ces dernières décennies, un petit syndicat était – complètement seul – en grève générale illimitée et l’ensemble du Front Commun s’en tenait à des journées de grèves isolées et inoffensives.

Le cas des travailleuses de la santé, surtout les infirmières, est tout à fait symptomatique du collaborationnisme syndical. À cause d’une loi sur le maintien des services essentiels, elles n’ont à toute fin pratique pas le droit de faire la grève. Par respect pour l’ordre social, les syndicats les obligeaient à faire des grèves rotatives inefficaces et démobilisatrices puisqu’elles devaient souvent reprendre par la suite tout le travail perdu pendant la période chômée en travaillant alors davantage en intensité durant le reste du quart de travail. La grève, dans ce cas, au lieu d’être un moment propice à la lutte collective et à la politisation, devient au final un fardeau qui accable les prolétaires de davantage de travail.

Comme il s’agissait de prolétaires travaillant tous directement ou indirectement pour les services publics (éducation, hôpitaux, ouvriers et employés divers, etc.), les syndicats et les partis réformistes mettaient bien entendu de l’avant des revendications pour la défense des services publics en soi : éducation publique de qualité, soins de santé universels et gratuits, etc. Les prolétaires ne devaient pas tomber dans ce piège qui n’est en somme que la promotion d’une version « de gauche » de l’économie capitaliste nationale et de l’État bourgeois. Ils devaient centrer leur lutte sur la défense et même l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie. En effet, une grève doit se mener selon ses propres intérêts, c’est-à-dire selon les intérêts de l’ensemble des prolétaires, et non pas selon l’humeur de « l’opinion publique », encore moins selon l’intérêt de la nation.

Évidemment, avoir accès à une éducation de base gratuite et à des soins de santé universels, entre autres choses, sont des revendications qui intéressent grandement le prolétariat en ce qu’elles ont un effet très direct sur ses conditions de vie. Elles peuvent donc faire partie dans certaines limites bien précises des revendications de classe. Mais, il existe un monde entre la conception de la gratuité des services publics présentée comme étant un moyen de réformer et ainsi pérenniser la société capitaliste et la revendication en faveur de la gratuité des services publics face au caractère insoutenable pour le prolétariat de la société capitaliste et démontrant ainsi la nécessité de la transformer de fond en comble. La première exprime l’influence du pacifisme bourgeois au milieu ouvrier – incarné en particulier par les syndicats – mettant de l’avant une perspective nettement interclassiste (« des services de qualités pour tous ») alors que la deuxième exprime la perspective prolétarienne : la lutte de classes.

Le mouvement s’est rapidement essoufflé durant la période des fêtes. En effet, un des syndicats faisant partie du Front Commun a rapidement signé une première entente de principe avec le gouvernement, le Front Commun pliant tout aussi rapidement bagage sans avoir vraiment lutté, mais coupant dès lors l’herbe sous les pieds des prolétaires de la FAE qui, eux, étaient toujours en grève générale. La FAE a emboîté le pas à son tour avec une entente de principe, prenant acte du changement de rapport de force concret entre les travailleurs et le gouvernement. Mais entretemps, la direction de la FAE est sortie publiquement en affirmant – alors que l’entente de principe n’était pas encore acceptée par ses membres – que le moyen de pression de la grève générale allait cesser immédiatement, mettant les prolétaires devant le fait accompli : la grève est bel et bien terminée.

Cela s’est traduit par un dilemme très dur pour les prolétaires de la FAE : se résigner à refuser l’entente de principe tout en sachant qu’il n’y a virtuellement plus de moyens de lutte immédiats à leur disposition – la grève venant tout juste d’être bureaucratiquement cassée – ou bien accepter l’entente de principe par résignation et par découragement après avoir déjà fait le sacrifice d’un mois de salaire. Entre deux formes de résignation, c’est la deuxième qui a pris finalement le dessus, de très peu. La lutte du Front Commun aura donc eu comme gain global pour les prolétaires du secteur public des hausses de salaire qui suivent de très près le taux d’inflation. En ce qui concerne tout le reste des revendications des prolétaires qui avaient trait aux conditions de travail (heures supplémentaires obligatoires pour les infirmières, quantité d’élèves par classe pour les profs, la fameuse « flexibilité » exigée par le patronat, etc.), c’est au mieux le statu quo, au pire un recul.

Dans le Manifeste (6), Marx et Engels affirment que la véritable victoire d’une grève – en plus des gains et améliorations partiels qui, même si souvent fragiles, peuvent représenter un véritable soulagement pour les prolétaires en lutte – est l’unification et la solidarité toujours croissante du prolétariat, donnant ainsi des forces à une classe qui commence de plus en plus à se concevoir comme étant porteuse d’un but politique qui, bien que basé sur des intérêts économiques immédiats, tend finalement à les intégrer tous pour les dépasser dans une lutte contre la bourgeoisie et son État. Force est de constater que dans le cas de cette grève, le bilan politique pour les prolétaires n’est que sentiment de défaite, amertume, résignation, impuissance, désunion. Seuls les syndicats collaborationnistes peuvent croire à la victoire puisqu’en effet leur victoire est dialectiquement la défaite des prolétaires.

Près d’un mois après la fin de la grève, le Premier-Ministre du Québec, François Legault, annonçait publiquement que le prochain budget du gouvernement serait déficitaire. Legault est pourtant un apôtre du dogme très populaire pour la bourgeoisie québécoise du « déficit zéro », dogme légitimant toutes les coupes dans les programmes sociaux, l’austérité et les baisses de salaires des dernières décennies dont ont souffert les prolétaires du Québec. Mais ce manquement aux principes sacro-saints de la saine gouvernance capitaliste n’est pas de sa faute. Selon le comité de gestion de la bourgeoisie québécoise, les finances de l’État québécois seront déficitaires en raison des demandes jugées déraisonnables des prolétaires « bébés gâtés » du secteur public. L’effet désiré par le gouvernement est d’exciter contre le prolétariat les secteurs de la petite-bourgeoisie déjà largement pro-gouvernementale, mais surtout de mettre en opposition les travailleurs du secteur public faussement considérés comme étant « choyés » et le reste des travailleurs du secteur privé.

Le gouvernement Legault a d’ailleurs été particulièrement méprisant lors de la grève. Legault lui-même fit une sortie médiatique absolument pathétique, intimant les profs à arrêter leur grève « pour le bien des enfants ». Comme si le bien des enfants était vraiment une préoccupation de ce gouvernement qui pressurise systématiquement les prolétaires, y compris les travailleuses du secteur de l’éducation qui exercent leur profession dans des conditions très difficiles, pour faciliter des profits mirobolants pour la bourgeoisie. Conditions de travail qui ont d’ailleurs nécessairement un impact réel sur les conditions d’apprentissage et de socialisation des enfants du prolétariat – population largement majoritaire dans les écoles publiques sous-financées du Québec – enfants pour lesquels le gouvernement se découvre soudainement une empathie bien hypocrite… qui n’est qu’un rideau de fumée pour servir sa vile propagande anti-grève et anti-prolétaire.

Les larmes de crocodile de Legault ne font que démontrer concrètement la haine de classe qui meut ce gouvernement. Il est à abattre, comme tous les États bourgeois par ailleurs : les prolétaires devront s’en souvenir au Québec comme partout.

 


 

(1) Ancien syndicat catholique qui a été sécularisé dans les années 1960. Équivaut donc en quelque sorte à la CFDT en France.

(2) Il s’agit du pendant québécois de l’AFL-CIO américain.

(3) Centrale syndicale qui a elle aussi une origine catholique, mais qui est particulièrement présente dans le secteur de l’éducation.

(4) Syndicats regroupant majoritairement des infirmières et d’autres corps de métiers du secteur de la santé.

(5) Syndicat qui est à l’origine une scission de la CSQ et qui regroupe des enseignants et enseignantes du niveau primaire et secondaire.

(6) De temps à autres, les travailleurs sont victorieux, mais leur triomphe est éphémère. Le vrai résultat de leurs luttes, ce n’est pas le succès immédiat, mais l’union de plus en plus étendue des travailleurs. » Karl Marx, « Le manifeste communiste », in Œuvres tome I : Économie, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 170.

 

 

Parti Communiste International

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