En Italie comme en France:
À quoi ont servi les élections européennes ? À intoxiquer les prolétaires d’Europe avec le collaborationnisme.
L’issue n’est pas dans le capitalisme supranational, mais dans la reprise de la lutte de classe anti-bourgeoise et anticapitaliste.
(«le prolétaire»; N° 553; Mai-Juin-Juillet 2024)
Les élections pour renouveler le Parlement européen ont réaffirmé pour la énième fois que la démocratie électoraliste et parlementaire est au service exclusif des classes bourgeoises dominantes. Dans les pays où les partis de gouvernement ont reçu une solide raclée de la droite, comme en France et en Allemagne, de nouveaux clans politiques vont disputer la direction de l’État aux anciens clans ; dans ceux où ces élections ont renforcé l’orientation de droite déjà en place ou l’ont présentée comme la « grande nouveauté » en battant les anciennes social-démocraties et les diverses factions de la soi-disant « gauche », ce n’est pas une surprise. Cette déviation vers une politique résolument plus autoritaire est tout à fait compatible avec le principe et la méthode de la démocratie : la majorité des électeurs a donné ses voix à des partis et des coalitions qui se sont adressés directement au ventre du corps électoral. C’est exactement ce que toute classe bourgeoise dirigeante attend des élections : stimuler les aspects sociaux auxquels la masse populaire est la plus sensible, c’est-à-dire l’ordre, la croissance économique, la défense des menus privilèges déjà gagnés ou obtenus, un avenir sans secousses sociales.
Dans toutes les décennies depuis la fin de la deuxième boucherie impérialiste mondiale, toutes les forces démocratiques – même celles qui se définissaient comme « socialistes » et « communistes » – ont collaboré pour que l’économie capitaliste de chaque pays reprenne sa marche après les colossales destructions de la guerre, et pour que les masses prolétariennes se persuadent de faire plus de sacrifices pour le bien du pays et de la nouvelle démocratie antifasciste. Le fascisme nous avait cependant enseigné une chose fondamentale : pour obtenir plus de sacrifices de la part du prolétariat, il ne suffisait pas de se fier uniquement à la répression directe, il fallait mettre en scène un nouveau parlement pour donner libre cours aux « batailles démocratiques » entre les partis les plus divers ; il fallait obtenir du prolétariat une collaboration active à la remise en marche de toute la machine productive nationale, mais cette collaboration devait reposer sur des bases matérielles tenant compte des besoins essentiels du prolétariat, ce que précisément le fascisme avait institutionnalisé.
Les politiques d’amortisseurs sociaux n’étaient rien d’autre que l’application des intentions réformistes du vieux socialisme démocratique, et c’est cette politique, appropriée par toutes les forces dites « de gauche » – qui, pendant la guerre avaient par ailleurs déjà démontré qu’elles étaient prêtes à cette tâche à travers le mouvement de résistance partisane, représentant après les vingt ans de fascisme, la véritable bannière autour de laquelle rallier les masses prolétariennes. Qu’il y ait au gouvernement des républicains, des démocrates-chrétiens, des socialistes ou, comme plus récemment, des droites ex-fascistes, le principal objectif politique de la classe bourgeoise est resté exactement le même : impliquer le prolétariat dans la collaboration de classe sans nécessairement se référer au social-démocratisme, au national-communisme ou au fascisme.
En Italie, nous avons connu tout l’éventail des possibilités de gouvernement bourgeois : de la démocratie libérale au fascisme, du fascisme à la démocratie postfasciste, et de cette démocratie, alternativement blindée et chrétienne-populaire, à la démocratie impérialiste qui se propose avec un gouvernement ouvertement de droite, mais soutenu dans les décisions les plus importantes (la lutte contre l’immigration, le soutien militaire à d’autres pays en guerre comme dans le cas de l’Ukraine et d’Israël, le réarmement, l’accélération des mesures pour la croissance économique générale, la défense acharnée de l’ordre établi, etc.) par le plus grand parti de « gauche » (le PD, Parti Démocrate), et prête à se ranger du côté des impérialismes les plus forts (surtout les États-Unis) dans le but d’obtenir plus d’avantages politiques, économiques, commerciaux et financiers qu’elle ne peut en obtenir en ouvrant les portes à la Chine ou en les rouvrant à la Russie.
Le cas du parti Fratelli d’Italia de Meloni, qui s’aplatit sur la politique belliciste de l’OTAN, après avoir passé des décennies à rabâcher sa haine des ploutocraties occidentales, comme le cas de l’ancien PCI, devenu ensuite PD, qui a participé activement avec les forces de l’OTAN sur ordre de Washington, au bombardement de la Serbie et du Kosovo lors de la guerre yougoslave de 1995, montrent qu’au-delà des coups de théâtre au parlement ou sur les places publiques, les partis dudit arc constitutionnel travaillent, chacun avec « sa part », dans l’objectif commun de défendre l’ordre constitutionnel bourgeois et Sa Majesté le Capital.
Mais la politique d’amortisseurs sociaux qui s’était imposée pendant trois décennies, de 1945 à 1975, et qui avait abouti en 1970 au Statut des travailleurs que les syndicats et les partis considéraient comme un phare de la politique sociale, a également subi les conséquences des crises capitalistes, à commencer précisément par la grande crise mondiale de 1975. Ainsi, gouvernement après gouvernement, qu’il soit de centre, de centre-gauche ou de centre-droit, lentement, le grand château de réformes qui a permis à la bourgeoisie italienne de se remettre des destructions de la guerre mondiale et de revenir jouer son petit rôle parmi les Grands de la Terre, s’est effrité, jetant de plus en plus de salariés dans la précarité, l’insécurité et la pauvreté.
Aucune mesure économique du gouvernement actuel, ni des précédents, n’a réussi et ne réussira à rétablir les conditions matérielles d’existence et de travail des masses prolétariennes aux conditions des années 60, années du fameux « boom ». La misère croissante, de mémoire marxiste, est une tendance qui affecte inexorablement les masses laborieuses, et plus l’économie capitaliste croît, plus la richesse de la minorité bourgeoise et la misère de la majorité prolétarienne croissent. Alors que la valeur moyenne générale de la force de travail tend à diminuer, la valeur du capital tend à augmenter. Combiné à la concurrence toujours plus féroce entre prolétaires, c’est le mécanisme même du travail salarié qui produit la misère croissante des travailleurs. Aucune réforme, aucune mesure, aucune intervention ne peut changer la tendance matérielle et historique d’un mode de production qui, alors qu’il se développe économiquement, accroît la misère de masses de plus en plus grandes de travailleurs dans le monde, et accroît en même temps les crises que seul le capitalisme connaît : les crises de surproduction, qui, une fois les marchés saturés, provoquent la nécessité objective de détruire des quantités de plus en plus grandes de produits. Et quoi de plus destructeur que la guerre ? Jamais et dans aucun pays, la bourgeoisie, qui renaît de la guerre, ne pourra l’arrêter, parce que des destructions de la guerre naissent de vastes possibilités de reconstruction, et la reconstruction, pour le capitalisme, signifie remettre sur les rails l’ensemble de l’économie basée sur le profit.
La classe dirigeante bourgeoise, tout en essayant d’utiliser tous les moyens, légaux et illégaux, pour faire croître son économie et maintenir le prolétariat dans la soumission, sait par expérience que sa politique étrangère, tôt ou tard, devra être transformée en une politique de guerre – pas seulement commerciale, monétaire et financière, mais une guerre armée. Et elle veut amener le prolétariat dans cette guerre, en utilisant sa force de travail comme soutien vital de l’effort de guerre économique et social, et en l’utilisant comme chair à canon. Il suffit de regarder il y a quelques années ce qui s’est passé en Ukraine, à Gaza et dans tous les pays d’Afrique et du Moyen-Orient où la guerre stimulée par les différents impérialismes en conflit n’a jamais cessé, pour comprendre que l’avenir que les classes bourgeoises de tous les pays préparent sera une nouvelle gigantesque boucherie mondiale.
La seule alternative historique au capitalisme n’est pas un capitalisme à « visage humain », ce n’est pas une répartition « plus juste » de la richesse, ce n’est pas un capitalisme réformé pour que chaque bourgeois obtienne son profit et que chaque salarié gagne un salaire décent : tout ce genre de tentatives ont échoué lamentablement, et ce n’est pas que les bourgeois éclairés aient été battus par des bourgeois malfaisants ; c’est simplement parce que les bourgeois ne font rien d’autre qu’agir selon les lois économiques du mode de production capitaliste qui les maintiennent debout, et que ces lois économiques ne sont que la source de toutes les inégalités, de toutes les oppressions, de toutes les violences, de toutes les guerres.
Les élections, même les plus pacifiques du monde, n’ont jamais empêché aucune guerre. Seule la force sociale du prolétariat, organisée autour de ses intérêts de classe totalement opposés à ceux de la bourgeoisie, peut empêcher la guerre, ou l’interrompre – comme ce fut le cas en Russie en 1917 – en inversant le cours dicté par les intérêts bourgeois. Et cette inversion de cours ne se produit pas par un travail de persuasion morale, ni encore moins par une sorte de pitié qui assaille la conscience des dirigeants : il ne se produit que d’une seule manière, en transformant la guerre impérialiste en guerre civile, parce que la violence de la classe bourgeoise ne peut être stoppée que par la violence de la classe prolétarienne.
Et pour que la violence de la classe prolétarienne ne soit pas gaspillée, jetée au vent, détournéepar des débordements passagers aux multiples violences subies dans la vie, il faut que le prolétariat se réentraîne à la lutte de classe, en se réorganisant sur le plan économique et politique autour de ses seuls intérêts de classe, donc contre toutes forme et type de collaboration interclassiste. Et ce résultat ne sera jamais atteint par le prolétariat en quelques jours ou quelques mois, ni même par une « prise de conscience » soudaine; ce seront les conditions matérielles de leur existence et de leur travail qui, devenues insupportables depuis trop longtemps, déclencheront une lutte contre l’état actuel des choses qui à un certain moment, prendra inévitablement les dimensions d’une dure lutte générale, mais aussi parce que la classe dirigeante bourgeoise, pour faire plier encore plus les masses prolétariennes à ses exigences, devra les écraser et les réprimer comme jamais auparavant. Pour que la lutte de classe du prolétariat ait les caractéristiques nécessaires à son développement vers des objectifs révolutionnaires – les seuls objectifs que l’histoire des luttes de classe elle-même a marqués au fer rouge – il est indispensable qu’elle soit dirigée par le parti de classe, qui ne peut être que communiste international, doté d’une théorie marxiste et d’un programme politique révolutionnaire cohérent avec elle, c’est-à-dire un organe politique qui ne dépend pas de situations contingentes et qui ne dépend pas d’objectifs et de programmes soumis aux opinions changeantes de ses membres, mais qui est ferme et valable pour toute la période historique qui mènera du capitalisme au communisme.
La méthode démocratique en plus de détourner systématiquement le prolétariat sur un terrain où il ne pourra jamais faire valoir ses intérêts de classe, l’habitue à croire que la meilleure défense de ses intérêts d’exploité est de se mettre entre les mains des exploiteurs pour quémander des concessions ou de la pitié. Au contraire, les prolétaires doivent se sentir partie prenante d’une lutte qui les émancipe totalement de l’exploitation capitaliste, une lutte dont les objectifs ont été déterminés par l’histoire des luttes de classe à travers le monde, et que les théoriciens du communisme révolutionnaire, Marx et Engels, ont condensée dans leurs œuvres à partir du Manifeste du parti communiste de 1848. Pour être précis, le parti communiste est le parti de la classe prolétarienne, non pas de tel ou tel, mais de tous les pays ; il est internationaliste et international, ou il n’est tout simplement pas communiste.
L’abstentionnisme qui nous caractérise n’est pas un rituel ni un effet de mode, encore moins un rejet de la politique, notamment parce que le parlement est le lieu de la politique bourgeoise, pas de la politique prolétarienne. Les lieux de la politique prolétarienne restent à reconstituer, après leur bouleversement et leur destruction par la contre-révolution bourgeoise et stalinienne.
Et ce seront les syndicats de classe, peut-être les soviets ou organismes similaires de demain, c’est-à-dire des organisations exclusivement prolétariennes au sein desquelles le parti communiste révolutionnaire aura la tâche d’importer la théorie marxiste et les bilans des luttes révolutionnaires et surtout des contre-révolutions, afin que le prolétariat puisse intégrer sa lutte immédiate à la lutte pour les objectifs historiques qui le conduiront à révolutionner de fond en comble l’ensemble de la société capitaliste et à commencer non seulement sa propre émancipation de classe, mais l’émancipation de l’humanité tout entière du mercantilisme, de l’argent, de l’exploitation de l’homme par l’homme.
13/06/2024
Parti Communiste International
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